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Les ouvrages sur ce thème sont nombreux et pourtant l'ouvrage du professeur Lukic consacré à la crise yougoslave est le bienvenu. En effet, il analyse en profondeur et dans tous leurs éléments les crises balkaniques qui ont enflammé l'Europe entre 1986 et 2003. Publié l'année précédant l'élargissement historique de l'Union européenne à 25 nouveaux États, il offre une vision sur la durée d'un conflit à un moment justement où certains anciens membres de l'ex-Yougoslavie rejoignent l'autre rive de l'Europe et closent ainsi une période de l'histoire contemporaine.
L'ouvrage est divisé en trois grandes parties respectivement consacrées à l'effondrement des régimes communistes en Europe et à la prolifération subséquente de nouveaux États, aux dix années de guerres qui se sont déroulées entre 1991 et 2001 et enfin à la situation de l'espace post-yougoslave au lendemain de ces guerres.
Dans la première partie, l'auteur commence d'abord par « planter le décor » et rappelle, dans une synthèse historique, comment se sont formés dans les Balkans, au xixe et au début du xxe siècle, les États-nations. À cet effet, R. Lukic nous invite à un détour historique passant par le Concert européen, Versailles et Yalta sans lequel la compréhension de la situation à la veille du conflit ne serait pas possible. Il analyse ensuite, dans deux autres chapitres, le processus de désintégration politique de la Yougoslavie à partir de 1986 dans tous ses aspects et montre notamment la spécificité de ce processus, qui réside dans les guerres qui l'ont accompagné et qui se distingue de la désintégration de la Tchécoslovaquie ou de l'urss.
Dans la deuxième partie consacrée aux guerres yougoslaves (1991-2001), R. Lukic dissèque les différents événements avec une rigueur et un souci de l'exhaustivité qui ne sont jamais pris en défaut. La guerre en Slovénie et en Croatie d'abord, due à l'intervention militaire de l'armée fédérale. La guerre en Bosnie-Herzégovine ensuite dont « la mise à mort » (p. 197) conduit aux accords de Dayton et à propos desquels le rôle des États-Unis a été déterminant. Le Kosovo encore et l'intervention de l'otan qualifiée de « guerre humanitaire et juste » (p. 315). La République de Macédoine enfin dont l'émergence résulte d'une guerre de faible intensité opposant la majorité slave à la minorité albanaise à partir de février 2001.
Dans la troisième partie, le professeur Lukic nous invite à nous pencher sur l'avenir de la région au lendemain des guerres. Dans un premier chapitre, il aborde le thème des relations serbo-croates depuis la signature des accords de Dayton et met notamment l'accent sur l'évolution des relations bilatérales tant au niveau politique et économique qu'à celui de la délicate question des minorités. Enfin, le second chapitre traite de la question en pleine mutation des relations entre la Serbie et le Monténégro dans sa dimension purement constitutionnelle, mais aussi quant à son impact sur les relations internationales.
Cet ouvrage fort documenté est d'un intérêt incontestable pour quiconque veut avoir une vision d'ensemble et cohérente de la « question balkanique » de 1986 à nos jours. Son auteur prend par ailleurs toujours soin d'exposer les faits puis d'en livrer sa propre analyse. C'est à la fois un ouvrage de droit et de relations internationales. De droit, car de nombreux points juridiques y sont abordés et notamment, tout au long des pages et en fil conducteur, la problématique de l'État-nation. Cette problématique, sur laquelle l'auteur de ces lignes s'est lui-même penché (Philippe Chrestia, Le principe d'intégrité territoriale. D'un pouvoir discrétionnaire à une compétence liée, Paris, L'Harmattan, 2002, 499 p.) est traitée de manière tout à fait convaincante et montre en quoi l'État-nation ne peut plus être pensé comme le paradigme de la forme étatique. On ne le rejoindra pas, en revanche, sur la question des frappes de l'otan au Kosovo présentées comme justes et légales. La justification par les résolutions 1160 et 1199 du Conseil de sécurité est contestable et nous continuons à penser que ces frappes sont juridiquement et politiquement des agressions commises en violation de la Charte et plus particulièrement de son article 2§4. Ouvrage de droit, c'est aussi un ouvrage de relations internationales et l'auteur n'oublie jamais d'indiquer l'impact de chaque événement sur les relations internationales et le rôle qu'ont tenu les États-Unis et l'Union européenne (c'est d'ailleurs le sous-titre de ce livre) à chacun des moments clés de la période étudiée.
Cette recherche est complétée par une chronologie (1985-2003) fort documentée, un index, un glossaire des termes et abréviations ainsi que par une bibliographie modestement présentée comme « sélective » mais somme toute assez abondante. On appréciera aussi l'originalité du guide de prononciation en serbo-croate et en albanais. Enfin, les nombreux tableaux qui précisent des données chiffrées ne sont pas renvoyés en fin d'ouvrage comme c'est souvent le cas et sont intégrés au développement, ce qui rend la lecture plus agréable.
Un ouvrage à lire !