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La communauté internationale s'intéresse au conflit israélo-arabe car il se déroule au Moyen-Orient, région géostratégique vitale et riche en réserves énergétiques. La communauté académique s'y intéresse aussi, depuis longtemps, d'où l'ouvrage de Vaughn Shannon qui apporte une contribution significative aux connaissances déjà accumulées sur ce conflit et enrichit notre compréhension.
Ce livre portant sur la politique étrangère américaine vis-à-vis du conflit israélo-arabe, durant le xxe siècle et le début du xxie, comporte une préface, neuf chapitres, une bibliographie et un index. Après avoir défini ce conflit comme un conflit politique autour du contrôle de la terre et du pouvoir (chap. 1), l'auteur a analysé son contexte, ses perspectives et ses enjeux majeurs (une ou deux entités étatiques et leurs frontières, l'eau, le statut de Jérusalem, les colonies juives de peuplement et les réfugiés palestiniens), les solutions envisagées par Israël et les Palestiniens (option d'un seul État : Grand Israël ou Grande Palestine, selon les faucons des deux camps ; option de deux États : Israël et Palestine, selon les modérés), ainsi que les positions de leurs voisins arabes et musulmans modérés ou radicaux, et celles américaines divisées entre une bureaucratie plus sensible aux points de vue arabes et un congrès pro-Israël ; la présidence faisant de l'équilibrisme (chap. 2). Il a aussi analysé à la fois la politique menée jusqu'à 1949 vis-à-vis de ce conflit au moment où on liait 'la question juive' à l'avenir de la Palestine (chap. 3); l'évolution d'une « relation spéciale » avec Israël sous Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson, entre 1949 et 1967, causant l'aliénation de la partie arabe (chap. 4) ; les dynamiques de la guerre et de la paix entre 1967 et 1979 (chap. 5) ; les nouvelles menaces et possibilités survenues entre la guerre froide et la guerre du Golfe de 1979 à 1991 (chap. 6) ; la période d'application des accords d'Oslo entre 1991 et 2000 et celle post-Oslo évoluant entre paix et terrorisme de 2000 à 2002 (chap. 7 et 8). Enfin, le bilan de cette politique selon l'intérêt national américain est assorti de recommandations visant le règlement de ce conflit (chap. 9).
En ce qui concerne son cadre théorique, cette étude individualiste adopte une approche réaliste pour analyser à la fois les motivations de la politique étrangère américaine à l'égard de ce conflit et ses conséquences sur ce conflit et sur les États-Unis eux-mêmes. La thèse de Shannon des tours d'équilibre de la présidence américaine, durant plusieurs décennies, entre les sympathies pro-Israël et la sensibilité pro-arabe, est basée sur trois hypothèses : 1) le niveau géostratégique : dans un monde anarchique où le pouvoir est à somme nulle, le libre accès au pétrole moyen-oriental bon marché et non contrôlé par des acteurs domestiques ou extérieurs jugés hostiles, représente un intérêt national stratégique pour les États-Unis. L'objectif de leur politique étrangère de maintien du statu quo dans le Golfe contre ces menaces explique les efforts déployés pour courtiser ou exercer des pressions sur Israël et les pays arabes. Cette stratégie faisait, durant la guerre froide, partie des moyens d'endiguement de la menace soviétique qui va à l'ère unipolaire reculer au profit de menaces régionales ; 2) le niveau domestique : en raison des caractéristiques du système politique américain et d'un climat local où la balance penche en faveur de groupes de pression organisés ou mouvements informels pro-israéliens, les bénéfices politiques de l'appui en faveur d'Israël l'emportent sur le prix politique d'une position anti-israélienne. Ce constat se vérifie plus chez les Démocrates que chez les Républicains en raison de leurs liens traditionnels avec l'électorat juif. Ayant plus de marge de manoeuvre, ces derniers peuvent apporter des innovations qui ne sont pas nécessairement désirées par Israël ; 3) le niveau élitiste: les croyances et les perspectives de la présidence à l'égard du conflit israélo-arabe, de ses acteurs et de la région déterminent le choix politique privilégié. Les événements touchant cette région ainsi que l'avis de l'équipe du président servent de filtres. Le concept de perspective utilisé ici signifie que « le point de vue subjectif des acteurs dicte plus leur politique que toute 'réalité' contestée » (p. 13).
Shannon a utilisé la méthode historique pour analyser l'évolution de la politique étrangère américaine envers les parties du conflit israélo-arabe, depuis l'apparition du problème palestinien après la Seconde Guerre mondiale. La combinaison de sources documentaires de première et seconde mains a permis de retracer les décisions, comportements et actions américaines vis-à-vis des deux volets du conflit: les guerres israélo-arabes et la question de souveraineté sur la Palestine. Cette analyse rigoureuse est faite en fonction de l'examen de l'influence des trois facteurs explicatifs mentionnés ci-dessus.
Au moment où, d'une part, plusieurs volets du conflit israélo-arabe (dont celui syrien) ne sont pas résolus ; et, d'autre part, celui israélo-palestinien devient encore plus explosif alimentant l'instabilité régionale et l'insécurité internationale, la monographie bien documentée de Shannon arrive au bon moment. Elle apporte deux types de contribution. Le premier touche à l'avancement des connaissances sur un conflit majeur, et le second concerne un aspect pratique. Pour le premier, l'usage du concept de perspective a permis de lever le voile sur différents côtés de l'histoire de ce conflit ainsi que sur différentes dimensions de chacun de ces côtés pour chacune des parties impliquées (les Palestiniens, Israël et ses voisins arabes et musulmans et les États-Unis). Ce diagnostic a montré le degré de complexité de ce conflit, la diversité des solutions envisagées par chaque camp et son évolution. Au moment où l'on assiste dans plusieurs pays aux manifestations parfois violentes d'une nouvelle forme de judéophobie qui parfois lie l'appui américain à Israël à une prétendue puissance d'un lobby juif mondial, l'intelligibilité de la complexité de cette situation portée par cet ouvrage permet de montrer la fausseté de cette mystification et aussi le degré de complexité du paysage politique américain et son caractère évolutif. Ce faisant, nos connaissances sur les ressorts de cette politique étrangère s'enrichissent. Aussi, la distinction entre ses trois variables majeures a montré que la politique domestique et l'environnement international représentent une contrainte pour toute politique étrangère, et que les croyances et les perspectives des décideurs apportent une certaine marge de manoeuvre, d'où parfois des innovations de présidents. Pour le second type de contribution, la définition de ce conflit comme rivalité politique entre deux nationalismes qui convoitent le même territoire, permet d'envisager théoriquement que les parties concernées arrivent un jour à la conclusion d'un règlement durable et minimalement satisfaisant pour elles. Aussi, dans un xxie siècle débutant, marqué par le pourrissement du conflit israélo-palestinien et l'émergence de la terreur comme nouvelle menace globale pour la sécurité internationale et les intérêts américains dans un monde musulman où le sentiment antiaméricain se répand de plus en plus, l'auteur avance qu'il est temps de revoir l'approche américaine du conflit israélo-arabe. Les États-Unis doivent continuer à garantir la sécurité d'Israël, en plus de celle des pays modérés de la région, et à leur prodiguer de l'aide. Étant la seule hyperpuissance et le pourvoyeur d'Israël, ils peuvent courir le risque de reconnaître un État palestinien sur Gaza et la Cisjordanie, avec l'appui de la communauté internationale. L'émergence d'une telle entité souveraine peut renforcer la sécurité d'Israël et la position de régimes arabes modérés dont la coopération dans la lutte contre le terrorisme islamiste serait plus aisée. Cela contribuera à l'amélioration de l'image des États-Unis dans les opinions publiques arabe et musulmane, coupant ainsi l'herbe sous les pieds des islamistes radicaux.