Introduction : Le réalisme réfuté ?[Record]

  • Dario Battistella

Moins de douze ans après la fin de la guerre froide, la théorie des relations internationales a, une fois de plus, été incapable de prévoir l’événement par excellence qui, à tort ou à raison, est considéré comme inaugurant une nouvelle époque de la politique internationale, à savoir les attentats du 11 septembre 2001 : « Pour des années, sinon des décennies, la guerre contre le terrorisme façonnera la lutte pour l’ordre global. Il y a d’autres enjeux tout aussi cruciaux, qu’il s’agisse de l’écart grandissant entre have et have-not, ou de la détérioration de l’environnement, mais lorsque la victime d’attaques terroristes d’une horreur spectaculaire se trouve être la principale puissance sur terre, l’agenda est fixé. » Si ce nouvel échec a le mérite de rappeler à qui l’ignorait que la capacité prédictive n’est pas une qualité que l’on peut exiger de l’activité théorique en sciences sociales, les internationalistes n’en sont pas moins interpellés par cet événement et les conséquences qui s’en sont suivies, à commencer par « Liberté en Irak ». Non seulement parce que les théoriciens « se soustrairaient à leurs responsabilités s’ils évitaient systématiquement d’appliquer leur art à l’analyse des défis cruciaux auxquels est confrontée la chose publique », mais aussi et surtout parce que les théories n’ont de raison d’être que si elles se développent à travers la confrontation répétée et prudente des concepts proposés avec les faits, même s’il est vrai que la nécessaire interaction entre travail théorique et empirique ne doit pas faire oublier la distance que se doivent de garder les analyses académiques par rapport aux débats d’actualité qui font les délices des médias. En effet, si on se rappelle l’origine étymologique du substantif théorie, dérivé du verbe grec ancien theorein, faire de la théorie signifie observer avec émerveillement ce qui se passe, pour le décrire, l’identifier et le comprendre. Depuis que la théorie des relations internationales existe en tant que discipline académique, tous les internationalistes se réclament de cet objectif, des idéalistes désireux d’étudier la politique internationale à partir de « la simple exposition des faits politiques tels qu’ils existent dans l’Europe d’aujourd’hui », aux constructivistes soucieux de développer « une approche systémique en vue de comprendre les intérêts et le comportement des États », en passant par les réalistes ambitionnant de présenter une théorie de la politique internationale susceptible d’« apporter ordre et signification à une masse de phénomènes qui, sans cela, resteraient sans lien et inintelligibles ». Le dossier portant sur « La théorie internationale face au 11 septembre et ses conséquences. Perspectives libérales et critiques » s’inscrit dans cette tradition, en essayant, toutes proportions gardées, de rendre l’activité théorique utile au sens de Thucydide, désireux, grâce aux « faits rapportés », de donner du sens à la guerre du Péloponnèse, conformément à la définition du terme théorie : « Si l’on veut voir clair dans les événements du passé et dans ceux qui, à l’avenir (…) présenteront des similitudes ou des analogies, qu’alors on juge [les faits rapportés] utiles, et cela suffira. » L’objectif poursuivi par les études rassemblées ci-après est le même : être utile en contribuant à comprendre les deux événements marquants de la scène internationale récente que sont, dans la perspective de la violence politique internationale et de ses tentatives de régulation, les attentats du 11 septembre et l’opération « Liberté en Irak ». Contrairement à Thucydide cependant qui était parti de « la cause la plus vraie » de la guerre du Péloponnèse pour faire de son analyse « un trésor pour toujours, plutôt qu’une production d’apparat pour un auditoire du moment », les …

Appendices