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Cet ouvrage est le fruit d’un programme de recherches élaboré à l’Université Princeton sous le patronage du prince Hans Adam ii du Liechtenstein et regroupant d’éminents spécialistes du droit international et des relations internationales qui proviennent de divers milieux, notamment l’enseignement universitaire et la diplomatie. Le lecteur aura tôt fait de constater que cette contribution collective est non seulement importante, mais aussi originale en ce que la distinction autodétermination interne et autodétermination externe n’est plus exclusivement ou surtout expliquée en fonction d’une entité jalouse de sa souveraineté nationale, mais bien dans le contexte beaucoup plus large et plus complexe de la mondialisation, comme le laisse d’ailleurs deviner le sous-titre. L’ouvrage, constitué principalement de deux parties bien équilibrées, est consacré, dans la première partie, à l’analyse théorique et conceptuelle du droit à l’autodétermination, alors que l’approche est empirique dans la seconde, avec des études de cas diversifiées tant par les régions observées que par les sujets choisis.
Dans le premier chapitre, Jeffrey Herbst se demande, en examinant les facteurs qui ont contribué à l’émergence des États-nations, dans quelle mesure ceux-ci arriveront à fonctionner dans le contexte de la mondialisation. Non seulement sauront-ils le faire, estime-t-il, mais il est permis de croire que leur nombre va augmenter, l’une des raisons principales étant que les grandes puissances sont peu enclines à vouloir intervenir là où des tentatives de sécession menacent la cohésion d’un ensemble. Si l’approche géopolitique caractérise ce premier chapitre, le second, signé par le juriste Richard Falk, montre comment le droit à l’autodétermination externe, laquelle peut prendre la forme d’une sécession, a évolué depuis la fin de la première Grande guerre jusqu’à la résolution 2625 de 1970. Ensuite, l’auteur met en opposition ce qu’il appelle la cohérence de la doctrine et l’incohérence de l’expérience. S’agissant de faire la démonstration de cette incohérence, Falk examine notamment deux analyses juridiques qui, pour savantes qu’elles soient, dit-il, ont semé la confusion plutôt que la conviction, en l’occurrence le rapport de la Commission d’arbitrage pour l’ancienne Yougoslavie (commission Badinter), de même que le rapport déposé par un groupe d’éminents internationalistes à la demande du gouvernement du Québec, en 1992, concernant l’intégrité territoriale du Québec dans l’éventualité de son accession à la souveraineté (rapport Pellet). Dans ce dernier cas, l’auteur estime que l’affirmation peut-être la plus confuse consiste à soutenir que l’indépendance n’est pas une question de droit mais de fait.
Michael W. Doyle examine, dans le chapitre 3, les fondements juridiques des divers types d’intervention armée sous l’égide des Nations Unies, en particulier dans les cas où des minorités sont opprimées. Pour éviter que de telles interventions soient contre-productives et que leur légitimité soit contestée, l’auteur estime que leur premier objectif doit être l’ouverture d’un espace politique suffisamment large pour que soient garantis les droits de la personne et la libre expression des diverses communautés.
L’autodétermination est-elle véritablement un droit ou seulement un principe difficile à appliquer, se demandent, au chapitre 4, Emilio J. Cardenas et Maria Fernanda Canas. Les auteurs examinent ce qu’ils appellent la dimension morale du problème en définissant ce que n’est pas cette autodétermination : ni fragmentation ni balkanisation, mais plutôt respect des minorités, de leurs cultures et de leurs religions. S’agissant de minorités et de communautés à l’intérieur d’ensembles plus vastes, John Waterbury, dans le chapitre 5, démontre la difficulté de les définir selon des critères soi-disant objectifs et estime qu’on devrait éviter de cibler et de stigmatiser ces groupes dans des législations spécifiques, tandis qu’une loi générale neutre et permissive aura pour effet de favoriser la pratique de la démocratie.
Dans la première des études de cas (chap. 6), Kay B. Warren examine le courant culturaliste maya qui promeut une revitalisation de la culture maya et qui examine les critiques adressées au gouvernement du Guatemala au sujet du programme d’éducation bilingue qui viserait non pas la protection de l’identité maya, mais bien plus son assimilation par la culture hispanique.
Si la souveraineté de l’État se trouve érodée par le bas, en quelque sorte, dans le cas de l’autodétermination interne et a fortiori avec l’externe, c’est par le haut que cette souveraineté est érodée lorsque les États membres de l’Union européenne ont consenti à une intégration. Wolfgang Danspeckgruber, au chapitre 7, aborde cette question, de même que celle des dynamiques de la régionalisation en Europe, telle la région du Tyrol, qui arrivent à réaliser des projets de coopération transfrontalière, parce que l’autodétermination n’est plus verticale mais horizontale, non plus interne mais bilatérale. Ce que Ian S. Lustick appelle « l’autre côté » de l’autodétermination (chap. 8) se trouve être la contraction de l’État, étant entendue comme une alternative souhaitable à son contraire, c’est-à-dire l’expansion de cet État avec les effets pervers que cela comporte (assimilation et même destruction du voisin). Trois cas sont ici analysés : la perte de l’Irlande par le Royaume-Uni, celle de l’Algérie par la France, enfin, celle de la Palestine par Israël.
William Wohlforth et Tyler Felgenhauer se demandent, dans le chapitre 9, pourquoi la Russie n’a pas connu le même sort que l’urss. Décrivant la tragédie tchétchène comme un cas d’exception, les auteurs excluent l’autodétermination externe comme une solution aux problèmes politiques et estiment que la stabilité territoriale de la Russie n’est pas véritablement menacée dans la mesure où le fédéralisme russe paraît progresser. Dans le cas du Soudan, décrit au chapitre 10 comme une dichotomie entre le Nord et le Sud, l’auteur, Francis M. Deng, entrevoit très peu de solutions : soit il arrive à réaliser son unité en dépit des divisions, soit il instaure un régime de type fédéral ou confédéral, soit il constate purement et simplement la partition.
Dans le chapitre 11 consacré à l’Inde, que l’auteur décrit comme a noisy democracy (p. 295), Atul Kohli examine principalement trois manifestations du nationalisme : les Tamouls, les Sikhs et les Musulmans du Cachemire. Loin de nier que ces conflits soient par nature ethniques, l’auteur préfère les décrire comme étant une sous-catégorie des conflits dits de pouvoir, lesquels incluent des disputes liées à des clivages selon les classes, les castes, les lignes de partis politiques et tout ce qui caractérise le paysage des démocraties de pays en voie de développement. Dans le chapitre 12, Minxin Pei invite, pour sa part, les dirigeants de la Chine, du Tibet et de Taïwan à s’inspirer de la réussite de Hong Kong, exemple positif, dit-il, où une certaine forme d’autonomie locale est viable et utile à l’ensemble à la condition que les demandes soient, de part et d’autre, raisonnables, que les bénéfices mutuels soient reconnus et que l’aide extérieure soit disponible.
La longue et solide conclusion de Wolfgang Danspeckgruber nous paraît la partie la plus intéressante de l’ouvrage, compte tenu de la densité du sujet et de la capacité de synthèse de l’auteur, qui évalue les études de cas à la lumière des considérations théoriques de la première partie. Cinq recommandations sont enfin énoncées pour éviter à toute communauté de devoir poursuivre l’objectif « absolu » que constitue la recherche de l’indépendance pure et simple : les identités légitimes doivent être reconnues et appréciées dans leur diversité ; il faut savoir développer une culture politique flexible et basée sur les valeurs démocratiques tels la tolérance et le compromis ; le crime organisé doit être éliminé ; des programmes économiques avec effets immédiats, notamment pour les jeunes, réduiront l’émigration et les activités illégales ; enfin, l’éducation et l’échange d’informations contribueront à créer une image réaliste des communautés concernées et à introduire la notion d’identités multiples.
On retrouve, en annexes, plusieurs documents qui enrichissent l’ouvrage : une liste chronologique des principaux accords bilatéraux et multilatéraux qui concernent l’autodétermination, un tableau classificatoire des conflits à travers le monde, enfin, le texte du projet de convention du Liechtenstein, commenté par Arthur Watts. L’ouvrage comporte aussi une longue et impressionnante bibliographie en quatre langues (anglais, français, espagnol et allemand), enrichie de nombreux sites Internet. Signalons enfin la présence d’un index fort détaillé qui facilite grandement la consultation de ce livre, qui s’adresse d’abord aux spécialistes des relations internationales et du droit international, mais aussi aux étudiants de ces mêmes disciplines.