Article body
De par la variété de leurs approches et le caractère pléthorique de l’information contenue, il y a des ouvrages qui défient les recenseurs les plus acharnés. L’ouvrage de Diamond et Plattner est de ceux-là. Il contient vingt-six textes déjà publiés dans le Journal of Democracy durant les années 1990, textes ayant tous en commun d’offrir une interprétation du processus de démocratisation enclenché à la suite de l’effondrement du bloc de l’Est. Si thèse il y a dans ce volume, c’est bien celle de la diversité des expériences, ne serait-ce qu’en comparant la Pologne ou l’Estonie au Turkménistan qui s’enlise dans la dictature la plus crasse. Or, le but de Diamond et Plattner, qui dirigent la publication, n’est pas de présenter les résultats de recherches récentes sur la transition démocratique dans l’ancien monde communiste, mais plutôt d’offrir ce que le monde académique anglophone désigne par le terme reader ou une collection de textes visant un auditoire étudiant des différents cycles universitaires, alors qu’elle offre des textes fort utiles pour un cours sur la transition démocratique en Europe de l’Est. Les spécialistes qui suivent de près les publications en « transitologie » auront déjà lu ces articles au moment de leur première parution, ce qui apporte peu sur le plan de la recherche fondamentale. L’ouvrage contient des textes d’analyse dont plusieurs ont déjà acquis le statut de classiques et des textes, plus engagés, écrits par des acteurs de la transition en Europe de l’Est comme Mart Laar, premier ministre de l’Estonie indépendante, Bronislaw Geremek, figure en vue du mouvement Solidarité et ministre polonais des affaires étrangères entre 1997 et 2000, Leszek Balcerowicz, vice-premier ministre et ministre polonais des finances et Grigory Yavlinsky, leader du parti libéral russe Yabloko et même Anders Åslund qui fut un temps conseiller économique des gouvernements de Russie, d’Ukraine et du Kyrgyzstan. Le tout est adroitement condensé dans la conclusion lumineuse de Michael McFaul qui, en plus, s’attarde sur le caractère semi-démocratique de la Russie depuis 1992.
Le plan de l’ouvrage regroupe les vingt-six articles en trois parties soit la rupture avec les régimes communistes, l’expérience de l’Europe de l’Est et la dernière partie sur le cas de l’ancienne Union soviétique. Dans la première partie, plusieurs textes comme ceux de Ghia Nodia, Valerie Bunce font directement référence, pour s’en distancer en conclusion, à l’approche de Samuel Huntington sur la troisième vague de démocratisation initiée par la chute des régimes autoritaires d’Europe du Sud (Portugal, Espagne, Grèce) qui s’étendit à plusieurs pays d’Amérique latine et ensuite d’Asie du Sud-Est et d’Europe de l’Est. Les textes de la seconde partie s’attardent sur l’Europe centrale et ont tendance à privilégier les cas réussis comme la Pologne et la République tchèque et ne couvrent qu’en passant les États où la transition est encore incertaine. C’est le même problème que l’on rencontre dans les articles de la troisième partie sur l’ex-Union soviétique où l’accent est mis sur les pays baltes et la Russie, ce qui laisse le lecteur sur son appétit en ce qui a trait à l’Asie centrale et au Caucase. En somme, l’aire géographique couverte par l’ouvrage est énorme et on ne peut s’attendre à voir toutes les régions traitées en profondeur. Par contre, la diversité des interprétations donnera au lecteur quelques bonnes semaines de réflexion quant aux facteurs déterminants : attitude des élites, culture politique, société civile, contexte international, succès des réformes économiques, homogénéité ethnique pour les uns et problème des minorités pour les autres.
Parmi les vertus de l’ouvrage, plusieurs articles sont encore fort actuels pour comprendre les ratés de la transition démocratique. C’est le cas, par exemple, des textes de Charles Fairbanks sur les guerres post-communistes et la décomposition du pouvoir militaire dans les anciennes républiques soviétiques, celui de Richard Rose sur le pouls démocratique des habitants de l’Europe centrale et orientale, et finalement celui de John Hingley, Judith Kullberg et Jan Pakulski sur le renouvellement des élites politiques en Europe de l’Est, un des facteurs-clés de la transition démocratique réussie en Pologne, Hongrie et République tchèque. Parmi les faiblesses, on peut certes souligner une certaine redondance des conclusions. Quelles que soient les approches, les conclusions de la plupart des textes révèlent le même type de classement sur l’échelle du succès : la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovénie et l’Estonie arrivent toujours en tête de file, suivies par la Slovaquie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie ; la Russie et l’Ukraine arrivent plus tard pour finalement devancer les ratés : l’ex-Yougoslavie, le Caucase et l’Asie centrale. On peut expliquer cette échelle par une multitude de facteurs, mais le constat de succès correspond à peu près au calendrier et aux chances d’admission à l’Union européenne. Que les raisons soient historiques, culturelles, ou économiques, ou encore qu’elles s’expliquent par l’attitude des ex-communistes qui acceptèrent de partager le pouvoir, le constat est le même. Enfin, on peut aussi s’interroger sur les raisons qui justifient la juxtaposition de textes d’acteurs et d’analystes au sein des mêmes parties de l’ouvrage, qui reste au demeurant fort utile, au lieu de les intégrer dans des parties différentes pour des raisons pédagogiques. De plus, les directeurs de la collection soulignent que certains des textes inclus dans le recueil sont des réponses à une question posée en 2001 par le Journal of Democracy sur les leçons principales de l’expérience post-soviétique, bien qu’ils n’indiquent clairement que seul le texte de Zbigniew Brzezinski soit une de ces réponses de spécialistes. Si tel est le cas, le lecteur aimerait avoir un aperçu du contenu des autres réponses. Enfin, on peut déplorer l’absence d’article de fond sur les échecs de la transition démocratique comme l’ex-Yougoslavie, la Moldavie et le Belarus. Cet ouvrage, qu’on pourrait qualifier ironiquement de « Best of » Journal of Democracy sera très utile dans la salle de cours à condition qu’il soit offert à des étudiants ayant un minimum de connaissance générale sur la chute du bloc de l’Est.