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Élément indispensable d’une vie démocratique saine, les parties politiques connaissent des fortunes diverses selon les régions du monde. Dans le cas des pays de l’Europe centrale et orientale, la mise en place brutale des « démocraties populaires » (qui n’avaient d’ailleurs de démocratique que l’épithète), après la Seconde Guerre mondiale, a sonné le glas de la diversité des partis politiques dans ces pays en faveur du Parti communiste et de ses sbires. Avec les événements de 1989, les partis politiques sont redevenus cet élément indissociable dans l’existence de véritables régimes démocratiques pour les États de la région. Comme l’indique le titre de l’ouvrage de Kostelecký, ce dernier se propose d’étudier le développement des partis politiques dans une partie de l’Europe postcommuniste : celle de l’Europe centrale, nommément, la Hongrie, la république Tchèque, la Slovaquie et la Pologne. L’hypothèse de travail de Kostelecký repose sur deux prémisses : premièrement, le développement des partis politiques en Europe de l’Ouest et en Europe centrale suit le même chemin, avec un certain décalage, (mais les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale marque un frein dans ce développement quasi parallèle) ; deuxièmement, depuis la fin des régimes post-totalitaires, les partis politiques de cette région sont « retournés » sur le chemin d’un développement semblable à ceux de l’Europe de l’Ouest. Pour l’auteur, la conclusion de Lipset et Rokkan, en 1967, sur le fait que les partis politiques sont des institutions politiques qui reflètent les clivages sociaux, se confirme maintenant pour les États de la région. Pour étayer sa démonstration, Kostelecký privilégie une démarche comparative. L’ouvrage est divisé en six chapitres, dont le dernier fait aussi office de conclusion générale. Les deux premiers chapitres offrent une mise en perspective du développement des partis politiques jusqu’à aujourd’hui.

Le premier chapitre propose un survol historique de l’avènement des partis politiques pour les quatre États étudiés sur trois périodes : de 1850 à 1917, de 1918 à 1947 et enfin de 1948 à 1989. Ce tour d’horizon général permet de constater que les États de la région ont connu des similitudes frappantes (ils connaissent un décollage économique rapide mais inégal dans le dernier quart du xixe siècle, aucun n’est un État indépendant avant la fin de la Première Guerre mondiale, etc.), mais aussi des différences notables (poursuite de la mainmise de l’élite hongroise sur les partis durant l’entre-deux-guerres et qui à proprement parler sont davantage des clubs que des partis, etc.).

De son côté, le deuxième chapitre présente la transformation rapide des partis politiques à partir de l’effondrement du Bloc de l’Est. Comme dans le premier chapitre, l’auteur fait un topo pour chacun des États. Il souligne que dans l’ensemble, les pays étudiés ont suivi une même tangente globale (avec quelques bémols principalement pour la Slovaquie) ; par exemple trois des quatre États ont intégré l’otan en 1999, etc.

Les chapitres trois et quatre, quant à eux, sont davantage comparatifs. À ces deux chapitres, il faut ajouter le chapitre cinq où l’auteur y explore les principales dimensions qui influencent, selon lui, la nature des partis politiques qui émergent depuis 1989 et par le fait même, la structuration du système de partis. Le court chapitre trois offre une analyse de l’impact de l’histoire et de la culture politique des quatre États sur la mise en place des partis politiques. Ceci permet de voir comment certaines traditions de la mémoire historique sont reprises et remises au goût du jour ou a contrario, comment les hommes et les femmes politiques essaient d’éviter, dans certaines situations, de reproduire le même type d’erreur qui eut des conséquences majeures pour le pays antérieurement. Le chapitre quatre qui, à mon avis, est le coeur de l’ouvrage, pose la question suivante : est-ce que le système de partis est le reflet des clivages sociaux ? Pour ce faire, Kostelecký utilise dans un premier temps, le cadre d’analyse développé depuis plus de trente-cinq ans par Lipset et Rokkan (1967) sur les quatre grands types de clivages sociaux : le clivage centre/périphérie, le clivage État/Église, le clivage agriculture/industrie et enfin, le clivage entre les classes sociales. Ce cadre permet de bien constater ce que l’auteur affirmait dès l’introduction : que le développement des partis politiques, en Hongrie, en république Tchèque, en Slovaquie et en Pologne, converge avec le développement des partis intervenu dans les pays de l’Europe de l’Ouest. Toutefois, l’auteur ne s’arrête pas là. Il s’intéresse à deux autres formes de clivages, le clivage générationnel et celui entre les sexes. Si le clivage générationnel est abordé assez rapidement, celui concernant le genre est couvert avec plus de profondeur. Sans faire le tour de toutes les questions possibles, il m’appert donner un portrait intéressant, comme sur la question du travail des femmes ou encore sur l’avortement. Bref, il fait un excellent résumé de la situation pour les pays centre-européens. Le cinquième chapitre s’attarde davantage aux dimensions juridiques dans lesquelles prennent assises les partis politiques et le système de partis. Plus précisément, ce sont les lois électorales qui sont passées au peigne fin, pays par pays. Kostelecký y dépeint les négociations qui ont entouré l’adoption des lois électorales dans les différents États et leurs impacts dans le développement du système de partis. Enfin, le sixième chapitre tente de faire un survol des grandes tendances qui rassemblent ces pays. Pour l’auteur, trois éléments ressortent depuis 1989 : 1) on a assisté au passage d’un système personnalisé et non politique vers un véritable système de partis politiques ; 2) ces pays ont passé graduellement d’une politique axée sur les symboles, les identités et l’espoir vers une politique plutôt basée sur les intérêts et un choix plus rationnel ; 3) on constate l’accroissement de la relation entre les structures sociales des sociétés et les partis politiques.

En conclusion, cet ouvrage est un outil utile pour le spécialiste et le non-spécialiste qui s’intéressent aux partis politiques et au système de partis pour la région centre-européenne. De plus, peu d’ouvrages de ce genre proposent un survol des périodes allant de 1850 à 1989. Même si certaines nuances méritent d’y être apportées (par exemple le rôle de l’aristocratie polonaise dans le fonctionnement du système politique autrichien de 1867 à 1918 ou encore, le rôle de la députation serbe en Hongrie durant la même période), ce topo permet de bien voir les continuités et les ruptures, malgré l’interlude communiste, qui ont suivi l’après 1989. Dans cette veine, la bibliographie est aussi fortement intéressante, principalement pour le non-spécialiste. La principale lacune provient de l’utilisation de la méthode comparative. En effet, dans plusieurs chapitres ont se retrouve plutôt face à une juxtaposition des États que devant une véritable comparaison. Malgré tout, pour reprendre les paroles célèbres de Milan Kundera, le travail de Kostelecký est une confirmation de l’idée que l’Europe centrale a été un « Occident kidnappé » mais qui retrouve, en accéléré, un développement politique proche de celui de l’Occident.