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Cet ouvrage est en partie tiré d’un atelier organisé au Thomas Watson Institute for International Studies à l’Université Brown en 1999, auquel se sont ajoutés deux chapitres pour couvrir les lacunes identifiées par les éditeurs. La question de l’autorité privée est connue en relations internationales, pour avoir été analysée par l’économie politique depuis l’émergence de l’Euromarché, ou encore par ces études de l’influence des régimes des droits de la personne sur les États. L’originalité de l’ouvrage cité ici tient dans le traitement du thème de l’autorité privée dans la gouvernance globale comme forme de gouvernance, c’est-à-dire dans ses modalités de mise en application et dans les politiques concrètes qu’elle engendre. L’ autorité privée y est abordée à travers trois domaines, celui de l’autorité du marché, en l’occurrence celle des institutions et des firmes ; celui de l’autorité morale, de la religion et des experts ; et enfin celui de l’autorité illicite, associée au crime organisé et aux mercenaires. Huit chapitres offrent une illustration des formes prises par l’autorité privée dans ces domaines, ainsi qu’une analyse des causes et des conséquences de son émergence. L’introduction et la conclusion rédigées par les éditeurs fournissent une analyse théorique et méthodologique sur l’étude de l’émergence de ce phénomène en relations internationales.
La première partie de l’ouvrage traite de l’autorité privée dans le domaine économique. Les chapitres de Claire Cutler, de Stephen Kobrin, de Louis Pauly et de Saskia Sassen mettent en lumière et à jour des mécanismes d’autorité privée qui émergent, tout en offrant une réflexion théorique sur la signification à donner à ce développement dans la gouvernance mondiale. Cutler se penche plus spécifiquement sur les régimes internationaux privés, issus de la coopération entre firmes et des associations d’affaires, suggérant qu’ils contribuent à l’émergence d’une autorité privée sur le plan mondial qui se juridifie, c’est-à-dire qui utilise le droit pour revendiquer l’autorité. Les exemples fournis sont bien connus, du droit commercial privé, en passant par l’alena et l’omc. Stephen Kobrin se penche plutôt sur le développement de l’électronique comme forme d’organisation des transactions économiques, pour suggérer qu’elle contribue à transformer les modes d’organisation économique, tout en échappant aux contrôles étatiques territorialisés. Kobrin avance même l’idée que les réseaux électroniques remplacent progressivement les hiérarchies et les marchés comme forme d’organisation économique. Sassen soutient que la mondialisation entraîne une dénationalisation de certains ordres institutionnels, qui a pour effet d’introduire sur le plan interne les priorités et les enjeux mondiaux d’acteurs non étatiques tels les corporations, les marchés financiers et les mouvements sociaux reliés aux droits de la personne. Louis Pauly offre une réflexion plus théorique sur l’autorité politique dans le domaine de la finance. Sa vision, la plus circonspecte de toutes par rapport à la thèse de l’émergence de l’autorité privée, consiste à faire voir que les gouvernements et les États demeurent encore les réceptacles de la prise de décision.
Dans la section portant sur l’autorité morale, Ronnie D. Lipschutz et Cathleen Fogel analysent les développements institutionnels et la place de la société civile globale dans ce nouveau contexte où l’on retrouve une plus forte demande de transparence, de représentation et de réglementation. En s’appuyant sur les développements dans le domaine environnemental, les auteurs nous disent que la mondialisation amène de nouvelles réglementations qui sont surtout imposées de l’extérieur. L’expertise est importante dans ce domaine, mais d’après les auteurs, la réglementation s’opère finalement à travers l’harmonisation internationale des règlements et des privilèges du capital transnational. Mark Juergensmeyer, quant à lui, étudie le terrorisme religieux. Selon lui, l’appel au nationalisme religieux et à la guérilla de mouvements antiglobalisation sont des nouvelles formes de l’autorité privée transnationale, même si leurs fondements, la religion et la violence, sont très anciens. Se basant sur des entrevues avec des activistes et leurs supporteurs, Juergensmeyer tente de comprendre les objectifs et les stratégies de ces mouvements.
La dernière partie de l’ouvrage porte sur l’autorité illicite et fait référence au crime organisé et aux mercenaires. P. Williams, dans son chapitre sur le crime organisé transnational et l’État, tente de comprendre le type de lien qui existe entre l’État et cette forme illicite d’autorité privée. Le crime organisé, dans sa forme transnationale, pose un défi pour les fonctions principales de l’État et cela est encore plus vrai pour les États faibles. La dernière contribution, de Muthien et Taylor, porte sur la présence de mercenaires en Afrique. Leur analyse se situe dans une perspective critique selon laquelle la privatisation de la guerre est associée à la privatisation de la sécurité, de la violence, mais aussi à la privatisation de la vie quotidienne engendrée par les exigences néolibérales imposées aux États africains. L’utilisation des armées privées existait déjà en Afrique au moment de la colonisation, mais la situation contemporaine est empirée par les conflits pour le contrôle des ressources naturelles et la course aux armements.
La conclusion, rédigée par Bruce Hall et Biersteker, reprend les éléments clés des diverses contributions et tente de préciser l’avancée et le chemin qu’il reste à parcourir pour mieux comprendre le phénomène de l’autorité privée dans la gouvernance globale. Après avoir discuté de l’ambiguïté de la notion d’autorité privée, les auteurs font ressortir les implications pour la gouvernance globale, en l’occurrence sur la transformation de la souveraineté de l’État, de la représentativité démocratique et de la possibilité de renverser la tendance. La majorité des auteurs, faut-il le préciser, a souligné les risques que cela représentait pour la démocratie et pour le bien public. Ceux qui ne partageaient pas cette vision, Pauly et Williams, remettaient en cause l’idée que l’autorité privée est en expansion.
Cet ouvrage n’est pas le premier ou le seul à faire référence à la privatisation de l’autorité, mais la combinaison des analyses de l’autorité privée de l’économie, de la morale et du champ des activités illicites lui donne la stature d’un ouvrage de référence – une « autorité » sans faire de jeu de mots – pour tout chercheur intéressé par le sujet. Il contribue également aux débats sur la mondialisation, sur la transformation de la souveraineté et sur la légitimité de la gouvernance mondiale. Mais deux lacunes viennent limiter cet exercice. D’abord, la section portant sur le domaine moral aurait dû inclure un chapitre sur les activités des organismes pour la défense des droits de la personne, puisqu’il s’agit d’un domaine fort important de changements sociaux. Deuxièmement, on peut déplorer l’absence de théorisation de ce qui est implicite dans plusieurs chapitres, à savoir la distinction libérale entre le politique et l’économique et la distinction réaliste entre l’interne et l’externe. Les auteurs des différents chapitres adoptent des positions différentes mais les éditeurs n’ont pas été en mesure de transcender ces différences ontologiques. C’est sans doute pour cela que leur conclusion théorique se limite à des propositions de nomenclatures sur des sous-catégories de l’autorité privée.