Cet ouvrage s’intègre dans la lit-térature multiple et variée qui se penche sur l’évolution de l’Association des Nations du Sud-Est asiatique (ansea, asean en anglais). En effet, depuis sa création en 1967, de nombreux chercheurs et auteurs se sont efforcés de jauger la cohésion de l’institution, la force du régionalisme qu’elle pouvait traduire, la capacité de ses membres à s’entendre sur une ligne politique commune et de l’Association à s’imposer comme un acteur incontournable sur la scène économique et politique de l’Asie de l’Est. On peut ainsi mentionner : Understanding asean, dirigé par Alison Broinowski (1982) ; Buildingasean. 20 years of Southeast Asian Cooperation, de Ronald D. Palmer et Thomas J. Reckford (1987) ; asean at Twenty : the Search for a New Consensus, de Richard Stubbs (1988) ; asean into the 1990s, dirigé par Alison Broinowski (1990) ; L’asean et la construction régionale en Asie du Sud-Est, de Sophie Boisseau du Rocher (2000) ; Constructing a Security Community in Southeast Asia : Asean and the Problem of Regional Order, d’Amitav Acharya (2000) ; L’Asie menacée, de Gérard Hervouet (2002), lequel explore notamment la capacité de l’asean à s’adapter à la dynamique changeante de la région, et d’autres titres encore. Le titre de l’ouvrage Explaining asean. Regionalism in Southeast Asia peut paraître présomptueux : après toutes ces réflexions, tous ces ouvrages sur la question, en voici un qui affirme pouvoir expliquer l’Association et les mécanismes particuliers qui régulent les complexes relations entre ses membres, délicat équilibre de consensus – les critiques diront de prudence timorée – entre des partenaires aux intérêts souvent divergents. Le plan reflète cette ambition. L’auteur débute son propos par un survol historique des conditions qui ont présidé à la naissance de l’Association, la guerre froide, le poids politique de la Chine populaire, la question de Taiwan, les maquis communistes, mais aussi des facteurs de division de la région, la confrontation armée entre Malaisie et Indonésie en 1963, l’expulsion de Singapour de la Fédération de Malaisie en 1965, les tensions entre Philippines et Malaisie au sujet de Sabah. Puis l’auteur retrace le chemin parcouru de 1967 à 1978, l’aggravation du conflit indochinois puis la chute de Saigon, de Phnom Penh et de Vientiane en 1975. L’ouvrage présente l’invasion du Cambodge des Khmers Rouges par le Vietnam comme un tournant dans la consolidation des acquis de l’asean, et dans l’édification d’une stature politique régionale de poids. Certes, le conflit a souligné les divergences entre membres plutôt anti-vietnamiens et ceux pour qui, à long terme, la Chine constituait une menace bien plus conséquente que les entreprises militaires vietnamiennes. De fait, l’auteur enchaîne avec une discussion des questions de sécurité en Asie du Sud-Est, les tensions entre membres, le rôle de la Chine populaire, de l’Union soviétique, des États-Unis, et la grande incertitude, aux yeux des membres de l’asean, qui résultait de ce jeu des grandes puissances au sein de la région. L’Association s’est efforcée, à défaut d’éliminer les divergences, de cultiver les dénominateurs communs pour bâtir une crédibilité régionale face à ces acteurs extérieurs dont les rivalités étaient au coeur même de cette incertitude en matière de sécurité. Un des éléments de stratégie adoptés par l’Association a été d’admettre en son sein les autres pays de la région. Le Vietnam intègre ainsi l’asean dès 1995, alors que la plupart des observateurs estimaient que les divergences de systèmes économiques et politiques empêcheraient toute adhésion de Hanoi. En réalité, c’est bien un calcul géopolitique qui a présidé à la décision de l’ …
Explaining asean. Regionalism in Southeast Asia.Narine, Shaun. Lynne Rienner Publishers, Boulder, 2002, 237 p.[Record]
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Frédéric Lasserre
Département de géographie
Directeur du gérac (Groupe d’études et de recherches sur l’Asie contemporaine)
Institut québécois des hautes études internationales
Université Laval