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Cet ouvrage est particulièrement intéressant pour tous ceux qui s’intéressent à l’évolution du monde musulman et à ses rapports avec l’Occident. En effet, Simon W. Murden examine l’impact de l’hégémonie occidentale mondialisée sur les sociétés musulmanes et la manière dont les musulmans s’y adaptent ou non. Il part du constat que le monde musulman est très vaste et diversifié. L’ouvrage se concentre donc sur le centre stratégique que constitue le Moyen-Orient, où les valeurs musulmanes restent dominantes, où la politique est façonnée par le discours islamique et où les tensions créées par la rencontre du local et du global sont particulièrement aiguës.
L’ouvrage, très lisible, se divise en deux parties. La première (chap. 2 à 4) examine la place du monde musulman au sein de l’hégémonie occidentale et les pressions exercées sur les musulmans pour qu’ils s’adaptent à cette situation. La deuxième (chap. 5 à 7) décrit la réponse des musulmans à cette hégémonie et à la nouvelle mondialisation. Cette deuxième partie essaie de comprendre les différents objectifs qui sont assignés à l’Islam et la mesure dans laquelle la culture islamique est compatible avec les valeurs et les pratiques de l’hégémonie occidentale. Le discours de l’Islam sur la politique, l’économie et les relations internationales contemporaines en constitue la substance.
Le chapitre 2 expose le discours culturel occidental sur l’Islam après la guerre froide. Le cadre cognitif et normatif de l’hégémonie est esquissé, en commençant par l’étude de l’ouvrage renommé de Francis Fukuyama sur le triomphe de l’« idée libérale » et de ses conséquences sur l’Islam. Par ailleurs, l’ouvrage de Samuel Huntington intitulé « Le choc des civilisations » est largement évoqué par l’auteur qui constate que le monde musulman est devenu synonyme de conflit culturel. Il précise néanmoins que les opinions en Occident varient en ce qui concerne la nature et l’ampleur de la « menace islamique ». Dans le chapitre 2, l’auteur évalue si, oui ou non, le discours post-guerre froide a renforcé l’exclusion et la marginalisation des musulmans dans le monde.
Dans le chapitre 3, l’auteur analyse la géopolitique de l’ordre international post-guerre froide, en particulier, les raisons et mécanismes de l’imposition d’une pax americana au Moyen-Orient. Il décrit notamment comment les États-Unis et leurs alliés ont rencontré des oppositions au Moyen-Orient et la manière dont les institutions « globales » soutiennent la projection de la puissance américaine. Les réponses variées des États musulmans et des activistes islamistes à la politique occidentale sont bien évoquées. Les militants islamistes qui ont attaqué les États-Unis le 11 septembre 2001 représentent en quelque sorte la réponse la plus radicale à la présence dominante des États-Unis au Moyen-Orient. L’ouvrage ayant été rédigé peu de temps après le 11 septembre, l’auteur n’a pas eu le recul nécessaire pour analyser l’impact de la réponse américaine. Néanmoins, il essaye de mettre en évidence les questions clés du conflit qui oppose les États-Unis et les terroristes de Oussama Ben Laden ainsi que certaines implications plus larges de la nouvelle guerre contre le terrorisme.
Les problèmes que les musulmans rencontrent dans leurs efforts pour s’insérer dans l’économie mondialisée sont présentés dans le chapitre 4. La possibilité pour les musulmans de poursuivre raisonnablement des objectifs normatifs spécifiquement islamiques dans le contexte d’une économie de marché globale est évaluée. L’impact socioculturel de la nouvelle mondialisation est également examiné, particulièrement la manière dont les marchés et le consumérisme cosmopolite peuvent saper les configurations existantes en ce qui concerne la culture et l’ordre social dans le monde musulman. Des islamistes continuent à rendre l’Islam signifiant mais les forces globales promeuvent un puissant système alternatif d’aspiration et de bien-être. Un débat existe au sein des sociétés musulmanes entre ceux qui cherchent à insérer l’Islam dans la modernité et ceux qui sont déterminés à maintenir un Islam contraignant dans un cadre plus traditionnel.
Dans le chapitre 5, particulièrement intéressant, l’auteur aborde les politiques musulmanes contemporaines. La compétition entre l’État séculier autoritaire et les partisans du retour à la tradition a débouché sur une situation de blocage. Il examine l’origine de la révolte islamique, le conflit qui en résulte, l’absence de résultat décisif et la paralysie politique dans laquelle s’enferme le monde musulman contemporain. Certains pays musulmans ont été plus innovateurs et progressistes que d’autres, mais tant qu’un compromis viable n’a pas pu être atteint entre l’État et les islamistes, la plupart des sociétés musulmanes se débattront pour réussir à s’adapter aux défis auxquels ils font face.
Le chapitre 6 se penche sur l’ombre que l’« idée libérale » projette sur les sociétés musulmanes et sur la manière dont les musulmans ont répondu au consensus global pour la démocratie et les droits de l’homme. Les pays musulmans sont presque tous autoritaires et non démocratiques et l’opposition islamique n’a jamais vraiment fait pression en faveur d’une démocratisation. Les raisons de l’autoritarisme sont profondément inscrites dans les sociétés musulmanes et la culture islamique, mais des développements significatifs dans les discours et les pratiques se profilent, pour l’instant, à travers le Moyen-Orient. Plusieurs comparaisons entre les États du Moyen-Orient sont réalisées et une attention spéciale est portée à la tentative, à la fin des années 90, de démocratiser la République Islamique d’Iran.
Dans le chapitre final, l’auteur analyse la manière dont les pays musulmans sont liés au système international et le rôle que joue l’Islam dans le monde contemporain. Les États musulmans modernes ont rarement poussé la théorie islamique dans le système international bien que l’Islam soit important en ce qu’il établit des préférences communes entre pays musulmans. Les communautés de vue et de pensée islamiques sont la base d’un système d’alliance. Néanmoins, comme le montre un examen des États musulmans et de l’Organisation de la conférence islamique (oci), cette possibilité est limitée. Les pays islamiques sont trop divisés pour représenter une force cohérente – encore moins une force contre-hégémonique – bien que l’Islam agisse pour résister à certaines des idées et pratiques de l’hégémonie occidentale.
L’hégémonie globale qui a émergé à la fin de la guerre froide est devenue un point de référence essentiel pour presque tous les habitants de la planète. Dans le monde musulman, les tensions entre le global et le local restent très vives. Selon l’auteur, les peuples musulmans doivent décider – ce processus est en cours – ce qui, dans leurs cultures, peut être sauvé, ce qui sera perdu et comment tout cela sera compatible ou non avec l’hégémonie occidentale. La possibilité pour les pays islamiques de réussir à s’adapter aux idées libérales et aux marchés globaux définira de manière substantielle leur futur rôle dans le système international ainsi que les conditions économiques et sociales en vigueur dans de nombreuses et vastes régions du monde. Dans sa conclusion l’auteur relève à juste titre que la relation entre le « musulman », l’« islamique » et le « global » est une question de première importance pour l’avenir du monde.