Article body
Le titre de cet ouvrage est intéressant ; il suggère que la politique étrangère canadienne pendant l’ère Mulroney s’était distinguée de celle de ses prédécesseurs par la recherche et la mise en oeuvre de nouvelles directions diplomatiques. Si les contributions de quelques auteurs confirment certains changements dans la diplomatie canadienne, comme par exemple la diplomatie active de Brian Mulroney lors des conférences du Commonwealth sur la question de l’apartheid, la majorité d’entre elles examinent en fait la politique étrangère du gouvernement conservateur de Brian Mulroney, ayant pour objectif de décrire les changements introduits par ce gouvernement. L’effort n’est pas seulement réussi, mais les dix-sept chapitres analytiques constituent une contribution majeure à l’histoire des relations extérieures du Canada. Ce n’est pas tout : de par leur rigueur dans la recherche et dans l’analyse ainsi que par leur méthodologie, les auteurs de chaque chapitre permettent à l’étudiant de bien saisir toute l’ampleur ainsi que toute la diversité de la politique étrangère canadienne. Cet ouvrage constitue en fait une contribution majeure au domaine des études canadiennes et restera une source inestimable pour ceux qui écriront l’histoire de la politique étrangère du Canada au vingtième siècle.
Des vingt personnes qui contribuent à l’ouvrage, la grande majorité sont des universitaires (quatorze professeurs, un chercheur et un étudiant), un est un diplomate canadien à la retraite, un est fonctionnaire provincial, une travaille au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et Barbara J. McDougall, auteure d’une préface très intéressante, était secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le gouvernement Mulroney.
Comment faut-il aborder l’analyse de la politique étrangère d’un nouveau gouvernement ? Dans leur chapitre d’introduction, les deux directeurs de cet ouvrage posent une question à laquelle les autres auteurs vont tenter de répondre : est-ce que le nouveau gouvernement avait un programme de politique étrangère qu’il voulait réaliser ou avait-il, dans sa politique, simplement agi (ou réagi) au gré des circonstances ? C’est à Denis Stairs que revient en fait la paternité de l’approche ; dans le deuxième chapitre il pose la question ainsi : les responsables de la politique étrangère canadienne (le Premier ministre, son secrétaire d’État, certains autres ministres et les hauts fonctionnaires du ministère) avaient-ils été des architectes ou des ingénieurs ? De plus, dans quels domaines ce gouvernement s’était-il distingué de son prédécesseur ?
Dix auteurs abordent les domaines dans lesquels les Conservateurs de Mulroney avaient été obligés, par la force des circonstances, de définir leur politique étrangère. Ainsi Brian Tomlin examine-t-il le libre-échange avec les États-Unis, Tammy L. Nemeth, le domaine de l’énergie et nos relations dans ce domaine avec notre voisin du sud, Heather A. Smith, les questions de la protection de l’environnement, Rob Huebert, le Nord, Norrin M. Ripsman, Manon Tessier et Michel Fortmann, la politique de défense et le maintien de la paix et David Black, la politique de l’anti-apartheid. Il y a trois autres chapitres qui touchent des questions auxquelles des changements majeurs furent apportés et pas seulement en réponse aux événements : les relations fédérales-provinciales dans le domaine de la politique étrangère, en particulier la possibilité donnée au Québec de développer une « politique étrangère », question fort bien présentée par Luc Bernier, l’adhésion à l’Organisation des États Américains par Gordon Mace, le rôle du Canada dans les conférences sociales de l’onu par Andrew F. Cooper et enfin une initiative diplomatique de bonne gouvernance à l’étranger, là, où il fallait la souligner, par Paul Gecelovsky et Tom Keating.
La troisième partie de l’ouvrage examine certains aspects du processus de la formulation de la politique (policy-making). J.H. Taylor offre la perspective d’un ancien diplomate ; il constate, à partir d’une perspective de plus de trente ans dans la carrière, que Mulroney et Joe Clark étaient en fait des « activistes » en affaires internationales. Le rôle des femmes dans la diplomatie canadienne et le féminisme en politique étrangère canadienne sont examinés par Claire Turenne Sjolander. Roy Norton touche à la question de l’influence des groupes ethniques au Canada dans la formulation de la politique étrangère. C’est une question qui peut être épineuse, surtout lorsque l’auteur ne fait pas attention à des différences importantes dans les communautés ethniques. Suggérer que les Slovaques au Canada auraient été plus tolérants que les Tchèques dans une coopération avec Prague (p. 244) fait preuve d’une absence flagrante de recherche sur la question. De plus, toutes les associations ethniques n’étaient pas représentatives de leurs communautés ; c’est certes le cas de la Czechoslovak Association of Canada, à laquelle il fait souvent référence, qui était de prépondérance tchèque et qui ne représentait aucunement la communauté slovaque. Enfin Nelson Michaud examine le processus bureaucratique dans la préparation du Livre Blanc sur la Défense de 1987 et Kim Richard Nossal pose la question du style conservateur qu’il définit comme étant plutôt populiste.
Architectes ou ingénieurs ? Dans la conclusion, les deux directeurs acceptent l’observation de Stairs que les Conservateurs de Mulroney avaient été davantage des ingénieurs que des architectes, mais ils constatent aussi que « la politique étrangère conservatrice était plus pluridimensionnelle que la mémoire publique le reconnaît » (p. 293). Cet ouvrage met cette conclusion en évidence. Ce n’est pas son moindre mérite.