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Contrairement à la raison qui ne parvient pas facilement à mettre un prix aux choses a un jour écrit Pascal, l’imagination dispose pour sa part d’absolument tout car rien ne lui coûte vraiment. Par définition, l’imagination déploie son éventail de raisons dans une relation à la réalité qui demeure essentiellement contestable, certes, mais non pas comme on pourrait le croire parce qu’elle sombrerait invariablement dans l’illusion. C’est que, en distinguant ainsi entre la raison et l’imagination, il faut avant tout prendre garde de ne pas confondre cette dernière avec ce qui ne serait somme toute qu’une simple illusion. En effet, alors que l’illusion demeure imprécise et qu’elle peine fréquemment à s’articuler comme un objet de la volonté, l’imagination apparaît tout au contraire maladivement précise lorsqu’elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour s’offrir comme un objet rationnellement possible de la volonté.

C’est dans cet esprit, me semble-t-il, qu’il convient de lire ce récent rapport commandité par le Department of Politics de La Trobe University (Melbourne), par l’organisation Focus on the Global South (Bangkok) et par le Toda Institute for Global Peace and Policy Research (Tokyo et Honolulu) et dont l’ambition consiste à « repenser le casse-tête de la gouvernance globale » en le situant dans le seul contexte qui apparaît aujourd’hui «analytiquement approprié», c’est-à-dire dans le contexte d’une mondialisation économique « prédatrice » (citée dans le rapport, l’expression est celle de Richard A. Falk qui est membre du groupe conseil du projet) qui est comprise ici comme l’expression d’un « projet politique conscient » plutôt que comme une tendance naturelle inévitable. Dans ce contexte, le casse-tête apparaît pour les trois directeurs de projet le suivant : la « fabrique institutionnelle globale » de jure n’aurait pour l’instant pas été en mesure d’emboîter le pas à une réalité qui, dans de nombreux domaines, échapperait désormais de facto « au contrôle effectif des États ». D’où une crise de légitimité qui ne pourra que s’accentuer si nous n’envisageons pas immédiatement de réfléchir aux choix politiques que nous serons appelés à faire de même qu’aux circonstances dans lesquelles ces choix seront faits, aussi bien en tant qu’individus que comme collectivités. Plus spécifiquement, le défi – qui est présenté ici comme le défi le plus important du 21e siècle – consisterait à aller au-delà des ajustements à la marge du système multilatéral actuel – lequel apparaît coincé dans un « goulot d’étranglement institutionnel » – et à entreprendre une réforme en profondeur de l’architecture de la gouvernance globale visant notamment à lier plus étroitement ensemble ainsi qu’à enchâsser, dans une structure à plusieurs niveaux complémentaires (non pas à l’image d’un gouvernement mondial mais plutôt par analogie avec un système de séparation des pouvoirs), les principes normatifs « premiers » de la sécurité humaine, de la démocratie politique et de la justice socio-économique.

Dans cet esprit, le rapport comprend trois sections respectivement consacrées à détailler les motifs et la nature des réformes qui sont envisagées d’abord en matière de démocratisation des processus de prise de décisions, ensuite en matière de régulation des dynamiques économique et financière et enfin en matière de maintien et d’imposition des conditions de paix et de sécurité. Si les diverses institutions actuellement existantes de la famille des Nations Unies sont sans grande surprise ici les principales visées (notamment le Conseil de sécurité dont le nombre de membres devrait augmenter à 23 ou 25 et le droit de veto être progressivement éliminé), une telle réforme de l’architecture de la gouvernance globale ne saurait toutefois pas y être limitée. Ainsi, non seulement le rapport préconise-t-il la création, sous l’égide des Nations Unies, d’une série d’institutions globales – mentionnons entre autres, une Assemblée du peuple élue au suffrage universel, une Assemblée consultative composée de représentants des corporations, des associations syndicales et professionnelles ainsi que de la société civile, une Banque de biens globaux, une Banque de développement pour les femmes, un Fonds mondial pour l’éducation, un Conseil économique et social (remplaçant l’actuel ecosoc), une Organisation internationale de taxation, une Autorité financière mondiale, un Mécanisme international d’arbitrage de la dette, un Centre international de prévention et de réaction aux crises ainsi qu’une Cour criminelle internationale –, mais il envisage également (toujours en lien avec les Nations Unies) d’autres innovations plus ambitieuses telles la création d’un corps de police civil permanent et, surtout, l’instauration d’une citoyenneté mondiale.

Imaginatif dans la description de cette architecture institutionnelle, le rapport apparaît pourtant assez conventionnel dans la mesure où les arguments avancés sont de type fonctionnel et n’apparaissent pas nécessairement les mieux appropriés pour relever les défis de nature essentiellement politiques dans lesquels se trouverait invariablement plongé un tel projet de gouvernance globale. Car il ne suffit sans doute pas de prouver qu’un tel objet imaginé est raisonnablement préférable à un autre pour véritablement convaincre ceux qui croient rationnellement avoir des raisons de s’y opposer. Les directeurs de projets en sont parfaitement conscients qui souhaitent simplement « faciliter, même modestement, la croissance d’une coalition » supportant une réforme de l’architecture de la gouvernance globale.