Abstracts
Résumé
Cadre de la recherche : Le recul de l’âge à la première maternité dans les sociétés euro-américaines conduit de plus en plus de femmes à se tourner vers l’assistance médicale à la procréation (AMP) en raison d’une infertilité liée à l’altération « naturelle » de leur réserve ovarienne. En France, elles sont prises en charge en insémination ou fécondation in vitro intraconjugale jusqu’à 43 ans, mais le recours à l’autoconservation ou au don d’ovocytes pour pallier cette infertilité considérée comme non « pathologique », ne leur est pas permis. De ce fait, dès lors que l’altération de leur réserve ovarienne est trop importante, leur prise en charge est arrêtée.
Objectifs : Dans ce contexte, cet article propose de questionner les seuils de la temporalité procréative, de la fertilité et de l’infertilité féminine tels qu’envisagés par le modèle bioéthique français de l’AMP, en particulier la façon dont l’infertilité – en tant que phénomène biologique « normal » ou « pathologique » – est appréhendée pour penser le seuil du permis et de l’interdit en France.
Méthodologie : Nous nous appuyons pour cela sur une étude des expériences et vécus de femmes quadragénaires en AMP à partir d’une enquête sociologique par entretiens qualitatifs réalisée auprès de 23 femmes âgées de plus de 40 ans, confrontées à une altération de leur réserve ovarienne et prises en charge au sein de deux centres d’AMP marseillais.
Résultats : L’enquête permet de préciser les profils et trajectoires biographiques des femmes de plus de 40 ans en AMP, ainsi que leurs vécus de l’infertilité liée à l’âge. Une diversité de raisons expliquant la temporalité de leur projet parental apparaît, liée aux injonctions de la « norme procréative » comme aux évolutions sociodémographiques conduisant au rajeunissement des classes d’âge. Dans ce contexte, la découverte de leur infertilité attribuée au vieillissement fait l’objet d’une surprise, elle apparaît en écart profond avec leur « sentiment de jeunesse », tant sur le plan physiologique, psychologique que social.
Conclusions : Nous montrons que les trajectoires et expériences de l’infertilité liée à l’âge dont témoignent les femmes interrogées mènent à appréhender autrement les seuils de la temporalité procréative par-delà la seule dimension biologique représentée en AMP par la capacité ovarienne, et à prendre plus largement en compte le corps dans son ensemble, ainsi que les dimensions sociales, relationnelles et temporelles de l’infertilité.
Contribution : La recherche présentée dans cet article permet de mettre à distance la façon dont la notion même d’infertilité est appréhendée par le cadre légal, médical et plus largement social. Loin d’apparaître comme un fait figé et strictement biologique, l’étude des pratiques dévoile ici la complexité de cette notion et remet en question les oppositions normal/pathologique et social/biologique dans la façon d’appréhender l’infertilité en France.
Mots-clés :
- maternité,
- âge,
- temporalité procréative,
- norme procréative,
- infertilité,
- assistance médicale à la procréation
Abstract
Research Framework : There has been a significant increase in age of first maternities in Euro-American societies. This has increasingly led women to turn to assisted reproduction technology (ART) to help with infertility caused by the “natural” alteration of their ovarian reserve. In France, women are treated using insemination or in-vitro fertilization up to the age of 43, but the use of self-preservation or oocyte donation to overcome a form of infertility that is not considered “pathological” is not allowed. When the alteration of their ovarian reserve is considered too significant, treatment is stopped.
Objectives : This article studies the thresholds of female reproductive temporality, fertility and infertility as envisaged by the French bioethical model (ART). In particular, it looks at the way infertility – as a “normal” or “pathological” biological phenomenon – is addressed and how this threshold determines permission and restriction in France.
Methodology : Our work is founded on a study of the experiences of women in their forties and ART using a qualitative sociological survey that includes interviews of 23 women over the age of forty from two ART clinics in Marseille who were confronted with an alteration of their ovarian reserve.
Results : This research allowed us to identify the profiles and biographical trajectories of these women, as well as their experiences with age-related infertility. A variety of reasons explain the time frames for becoming a parent at a later age, and these reasons are all linked to social injunctions of “reproductive norms” as well as the socio-demographic changes that led to the rejuvenation of this age group. For these women, discovering that their infertility was age-related was a surprise. It came as a surprising contradiction to their physiological, psychological and social “feeling of youth”.
Conclusions : We show that the trajectories and experiences of age-related infertility experienced by the women interviewed led to a different understanding of the threshold of reproductive temporality. This threshold clearly falls beyond the solely biological aspects represented by ART and ovarian capacity. It must also take into account broader notions of the body as a whole and the social, relational and temporal aspects of infertility.
Contribution : The research presented in this article allows us to separate the way in which the notion of infertility is addressed and understood from a legal, medical and, more broadly, social perspective. Far from being set in stone and strictly biological in nature, the study of these practices reveals the complexity of this notion and it reflects upon the opposition between what is considered normal versus pathological and the social versus biological aspects of the way infertility is addressed in France.
Keywords:
- maternity,
- age,
- reproductive temporality,
- reproductive norms,
- infertility,
- assisted reproductive technology
Appendices
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