Abstracts
Résumé
Dans le schéma classique des années 1960, la vie en dehors de la famille était exclusivement réservée aux hommes, alors que les femmes étaient considérées comme les « reines du logis ». Élevées selon ce modèle, les générations nées après-guerre vont pourtant s’en affranchir et initier des comportements plus autonomes en élaborant de nouvelles formes de vie au sein du couple et de la famille, mais aussi en dehors de cette sphère privée. Ainsi, à partir du moment où les femmes ont reçu une éducation, ont eu la possibilité de maîtriser leur fécondité en choisissant le moment de l’arrivée et la taille de leur descendance finale, leurs trajectoires se sont diversifiées, notamment par le biais de leur activité professionnelle, comme en témoigne leur insertion massive et durable dans le marché de l’emploi à partir de 1960. Il s’agit alors d’une véritable rupture sociologique, d’une transformation radicale du rapport à l’emploi, avec le passage d’un modèle féminin d’inactivité à celui d’une activité discontinue, lequel va permettre l’émergence du modèle que nous connaissons aujourd’hui, celui de la continuité et du cumul (Maruani, 2000). Or, si les générations du baby-boom sont souvent considérées comme les initiatrices de ce dernier modèle, il en coexiste plusieurs à cette période.
L’objet de cet article est de décrire, dans le temps long, ces différents modèles d’activité à partir de 32 récits de vie réalisés à Paris et en région parisienne auprès de femmes issues de la première génération du baby-boom, c’est-à-dire nées entre 1945 et 1954. Cela permettra de s’interroger sur ces profils d’activité qui se construisent depuis l’enfance notamment selon l’empreinte maternelle (Battagliola, 1987), jusqu’à la fin de vie active, en passant par les modes d’entrée dans la vie adulte, source de différenciation sociale des trajectoires féminines (Blöss et al., 1996), et d’en établir une typologie (tout en sachant que ces modèles sont loin d’être statiques et s’avèrent poreux, les femmes pouvant passer d’un modèle à un autre, notamment lorsqu’elles se séparent). Car ces évolutions ne se réalisent pas pour toutes, ni au même moment du cycle de vie, ce qui induit une hétérogénéité des parcours, mais aussi différentes visions de ce que doit être la place des femmes au sein de la famille et de la société, ces différents modèles structurant fortement l’organisation familiale ainsi que les représentations de la famille, et influençant leurs trajectoires– notamment conjugales.
Mots-clés :
- femme,
- trajectoires,
- activité professionnelle,
- baby-boom,
- récits de vie
Abstract
In the normal scheme of things in the 1960s, life outside the family was reserved for men only, while women were considered “queens of the household.” Though raised according to this model, generations of women born post-war would nevertheless free themselves of it and gain more autonomy by developing new lifestyles both within their relationships and families but also outside of these private spheres. Once women were able to receive an education and take control of their fertility—choosing when and how many children to have—their life trajectories began to diversify, in particular in terms of their careers, as evidenced by their large-scale and permanent entrance into the job market starting in 1960. This was a major sociological change at the time and a radical transformation of employment status, with women moving from staying at home, to working some of the time, and leading to the model we have today, that of full-time employment and even holding multiple jobs (Maruani, 2000). Yet while the baby-boom generations are often viewed as the initiators of this latter model, a number of different employment models currently coexist.
The goal of this article is to describe, over the long term, these various employment models by way of 32 life histories of women from the first-generation of baby boomers (i.e., born between 1945 and 1954) taken in Paris and the surrounding region. These activity profiles constructed starting from childhood—in particular stemming from maternal imprinting (Battagliola, 1987), to modes of entry into adulthood, the root of social differentiation and female trajectories (Blöss et al., 1996), to the end of their working lives—can then be explored and used to establish a typology (knowing full well that such models are both highly changeable and permeable, since women may move from one model to another, especially if they separate). Such changes do not occur for everyone or at the same moment in life, which results in a heterogeneity of career paths but also in different visions women’s place in the family and in society, since these different models greatly influence how families are organized and represented, and they influence women’s trajectories, especially in terms of their conjugal relationships.
Keywords:
- women,
- trajectories,
- employment,
- baby boom,
- life histories
Appendices
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