Abstracts
Résumé
La maladie grave atteint profondément et douloureusement l’enfant qui en souffre, mais aussi l’ensemble de sa famille. Celle-ci se retrouve précipitée dans une crise émotionnelle aiguë déclenchée par la menace de perdre l’enfant ainsi que par la remise en question des fantasmes d’immortalité de l’enfant et de l’ensemble des membres de sa famille. Cette situation induit des vécus et des sentiments variés (recherche de sens, sentiment d’échec, angoisse, agressivité, sentiment d’impuissance, de culpabilité, etc.) qui auront un impact inévitable sur l’enfant, sa famille et les relations aux soignants.
Notre expérience de plus de 15 ans en pédiatrie aiguë nous a appris que si la capacité à faire face à la maladie grave de l’enfant varie selon des facteurs personnels (la personnalité, l’âge de l’enfant, le tempérament de chacun), elle dépend aussi du couple parental et du système familial dans ses aspects d’adaptabilité, de communication, de cohésion et de développement.
En passant par la retranscription du discours de quelques familles, nous abordons quelques réactions parentales et familiales face à l’enfant gravement malade, en s’attardant sur certaines situations complexes (bébé malformé, enfant de parents séparés, besoins des parents dont l’enfant est en soins palliatifs) et sur quelques pistes de réflexion autour de leur accompagnement. Nous terminerons en évoquant brièvement la question du deuil et de son suivi.
Mots-clés :
- psychologie,
- pédiatrie,
- enfant,
- maladie,
- famille,
- accompagnement,
- interculturalité,
- deuil
Abstract
When children become seriously ill, the profound and painful effects are not limited to the sick children; they also extend to the families. These families find themselves thrust into acute emotional crises triggered by the threat of losing a child and by the child’s, and the rest of the family’s questioning of their sense of immortality. This situation results in various experiences and feelings (a search for meaning, sense of failure, anxiety, aggression, feelings of powerlessness and guilt, etc.) that inevitably have an impact on the children, their families, and their relationships with caregivers.
Our experience of over 15 years in acute-care pediatrics has shown us that while a child’s capacity to face serious illness varies according to personal factors (personality, age, temperament), it also depends on parental and familial factors such as adaptability, communication, cohesion, and development.
Based on transcriptions of several families’ stories, we examine a number of parental and familial reactions to seriously ill children, focusing in particular on certain complex situations (malformed infant, child of separated parents, parental needs of children in palliative care) and on approaches to providing support. We conclude by briefly broaching the subject of grief and follow-up care.
Keywords:
- psychology,
- pediatrics,
- sickness,
- child,
- family,
- emotional support,
- interculturality,
- grief
Article body
Tout soignant (médecin, infirmière, psychologue) travaillant en pédiatrie sait que la maladie somatique sévère, à pronostic potentiellement létal, atteint profondément et douloureusement non seulement l’enfant touché, mais aussi l’ensemble de sa famille, particulièrement ses parents et sa fratrie (sa famille nucléaire). Dans le cadre de cet article, nous nous centrerons sur cette famille nucléaire, que nous dénommerons la famille.
La famille constitue une organisation dynamique et structurée, caractérisée entre autres par une répartition des rôles et des responsabilités. La maladie exige des parents qu’ils assurent différentes nouvelles fonctions tout en s’efforçant d’assumer le quotidien : confier leur enfant ; passer le relais du savoir et des compétences ; accompagner, soutenir et réconforter l’enfant malade ; prendre part aux décisions médicales et aux soins ; s’adapter à la situation médicale en évolution (et à l’institution médicale qu’ils ne connaissent pas et dont le fonctionnement peut être tout à fait étranger).
L’impact familial
L’annonce : les premiers moments d’accompagnement
L’entrée en maladie de l’enfant précipite toute la famille dans une crise émotionnelle aiguë déclenchée par la menace de perdre l’enfant et la remise en question des fantasmes d’immortalité. La maladie grave menace les liens d’attachement et retentit sur la sécurité de base de l’enfant (Célis-Gennart et Vannotti, 2000). Selon notre pratique, elle induit une angoisse importante ainsi que des sentiments de peur, de vulnérabilité, d’impuissance, d’agressivité et de culpabilité. Sont aussi présentes la crainte de subir les effets secondaires des traitements, l’anticipation de la douleur, l’incertitude, la recherche de sens, le sentiment d’échec, etc.
Après une période d’incertitude (apparition des premiers symptômes de l’enfant), un premier moment clé pour les familles est l’annonce du diagnostic grave par le médecin spécialiste. Pour la plupart des parents rencontrés, l’annonce de la maladie grave ou de la malformation sévère est un moment « violent, révoltant, terrifiant » (selon leurs mots). Les vécus sont extrêmes et semblent dépendre du contenu de l’annonce, mais aussi de la manière dont le message a été transmis. Comme le souligne Saltel (2011 : 3) : « Il n’existe pas de "bonnes" façons d’annoncer une mauvaise nouvelle mais certaines sont plus dévastatrices que d’autres. »
Idéalement, par sa répétition (transmission progressive d’informations), l’annonce doit permettre l’installation de la nécessaire relation de confiance entre la famille et les équipes soignantes, et maintenir ainsi l’investissement de l’enfant (Van Pevenage et al., 2013). L’information se donne progressivement, à un rythme qui dépend de l’urgence médicale et de la compréhension de la famille, évaluée au fur et à mesure, en fonction des questions et des besoins des parents et de l’enfant. La présence des deux parents est donc requise pour s’assurer de leur compréhension (Bétrémieux et al., 2010) et éviter au parent présent de jouer le rôle d’annonceur auprès du parent absent. La répétition de l’annonce sera d’autant plus importante lorsque les parents sont séparés.
Au niveau du cadre, nous relevons aussi l’importance du lieu de l’annonce pour garantir un échange de qualité. Elle devrait se faire dans un lieu calme pour éviter des interruptions intempestives et une rupture de continuité dans le discours et dans l’écoute. La question de la présence de l’enfant à ce moment est complexe. Certains professionnels y sont opposés, avançant le risque de réactions émotionnelles extrêmes chez les parents et leur impact sur l’enfant. D’un autre côté, son absence peut « déshumaniser » l’annonce. L’enfant devient un « objet » dont on parle plutôt qu’un « sujet » de soin, ce qui renforce le risque de le réduire à sa seule pathologie. Sa présence serait alors souhaitable et permettrait de s’adresser directement à lui, spécialement lorsque l’enfant est un tout-petit, afin de favoriser les liens d’attachement parent-bébé (Saltel, 2011 ; Ernould et Davous, 2003). Cette présence doit être réfléchie et adaptée selon les situations, l’âge de l’enfant, l’histoire de la maladie, les familles et les enfants. Ainsi, l’annonce peut se faire en deux temps : un temps pour les parents (qui peuvent exprimer leurs questions et leurs émotions) et un temps parents-enfant (avec une information adaptée à l’enfant) (Lambotte et al., 2007).
Des incompréhensions entre la famille et les soignants peuvent naître pendant ce processus de l’annonce, car il existe une différence entre le temps de la maladie (établissement du diagnostic, des traitements, du pronostic, etc.) et le temps psychique (élaboration du vécu traumatique). Ainsi, des décalages entre les logiques soignantes et les logiques parentales apparaissent régulièrement (Giordano, 2009).
Je sais que cela peut paraître délirant, mais je n’ai réellement pris conscience du handicap de mon fils qu’à ses 12 ans, quand il a fallu choisir une école spécialisée. Je savais sa maladie, je donnais les traitements, mais pour moi il restait un enfant comme les autres. (Papa de Ludo, 15 ans, maladie neuromusculaire)
Les caractéristiques du système familial
Une fois la maladie ou la malformation nommée, la capacité à faire face à cette crise dépend d’une série de facteurs : les caractéristiques de chacun des membres de la famille, mais aussi celles du système familial dans ses aspects d’adaptabilité, de cohésion, de communication, ainsi que la teneur du soutien obtenu dans le réseau intra et extrahospitalier (Delvaux, 2006).
L’adaptabilité
L’adaptabilité, c’est-à-dire la souplesse de l’organisation, permet d’éventuels changements de rôles et des règles. Un système adaptatif implique la capacité à changer tout en gardant une certaine stabilité. La rigidité ou le changement permanent (chaos) en sont les pôles extrêmes.
La maman de Sara, 1 an, vient une heure par jour voir sa fille atteinte d’une cardiopathie grave. Celle-ci ne va pas bien et semble se déprimer. Elle se replie sur elle-même, ne joue plus, se balance dans son lit. L’équipe n’en peut plus et estime que la mère est une « mauvaise mère ». Alors que nous nous inquiétons du comportement de Sara et des difficultés de la maman à venir plus longuement auprès de sa fille, celle-ci nous explique :
Mon mari estime que je dois m’occuper de la maison et des repas avant toute chose. Sa mère, sa grand-mère, son arrière-grand-mère faisaient cela et il trouve qu’il n’y a aucune raison que cela change. Ici, à l’hôpital, il dit que ma fille est dans de bonnes mains, ce sont les infirmières qui s’occupent de l’enfant maintenant. Je n’en peux plus, elle me manque tellement, je ne pense qu’à elle.
La maman est abattue, cela fait des semaines qu’elle lutte avec son mari pour venir plus souvent, mais il est intraitable. Nous en parlons en équipe, avec respect, et décidons de mettre en place un cahier de liaison et d’organiser un suivi assuré par des bénévoles formées et supervisées régulièrement. Elles ne peuvent remplacer les parents, mais vont aider Sara par leur permanence. Ce couple de parents si différents aura bien du mal à résister à cette épreuve de la maladie grave. Madame refusera de rester à la maison, monsieur exercera une pression intense, quittera le domicile, y reviendra. Un travail familial ne pourra se mettre en place, monsieur refusant de rencontrer la psychologue du service, mais madame se fera aider.
D’autres familles nous montrent une grande adaptabilité. Louis est un petit garçon de 2 ans. Il est né avec une maladie neuromusculaire sévère et est en soins palliatifs depuis sa naissance. Le papa de Louis a deux filles d’un premier mariage, de 14 et 16 ans. Pour la maman, c’est le premier enfant. Tous les membres de la famille, y compris l’ex-conjointe de monsieur, son nouveau mari et les deux grandes sœurs, contribueront à l’organisation du quotidien, chacun prenant une place respectée par les autres. Cette situation n’est évidemment possible que lorsque chacun a pu faire le deuil de la précédente union et qu’un profond respect existe. Cette capacité d’adaptation n’empêche pas la tristesse, la colère et les conflits, mais ceux-ci peuvent être verbalisés et travaillés.
La cohésion
La cohésion varie selon les familles et les moments. Elle peut être particulièrement bien adaptée à la crise, trop élevée (fusion, excès d’identification) ou au contraire trop basse (détachement affectif).
Dans certaines familles, la cohésion est présente, mais elle n’empêche pas de reconnaître à l’autre sa différence.
En tant que maman, j’étais dans une angoisse perpétuelle de la perte de mon enfant. Cette idée était très présente et je devais lutter pour essayer de voir de la lumière. Mon mari, quant à lui, était dans une approche beaucoup plus optimiste. Je ne voulais pas le ternir de mes visions obscures, pour le protéger et protéger l’optimisme qu’il dégageait auprès de notre fils. Comment trouver un exutoire pour parler sans retenue de mes peurs et revenir au chevet de mon fils, plus légère ? Comment épargner mon mari d’une vision qu’il n’avait pas, tout en pouvant me décharger de ces pensées pesantes ? Quand on vit une situation aussi traumatisante que celle de voir son enfant entre la vie et la mort, les amis, la famille même, ne sont pas toujours prêts à vous écouter. L’insupportable fait peur, ils essayent de vous rassurer ou au contraire paniquent encore plus que vous. Je me retrouvais à consoler mes parents, encore plus déprimée qu’avant leur venue. Si bien que petit à petit nous nous sommes repliés sur nous même, ne voyant plus que quelques proches sur la même longueur d’onde que nous. Ce qui a sauvé notre couple, c’est évidemment la guérison de notre fils, mais aussi le respect de nos réactions particulièrement différentes. J’ai supporté l’optimisme démesuré de mon mari et il n’a pas jugé mes crises d’angoisses même si je sentais que cela le perturbait. (Maman de Jules, 1 an, cardiomyopathie)
Dans d’autres familles la maladie grave peut être associée à une relation fusionnelle entre un parent et l’enfant malade – fusion qui empêche parfois la reconnaissance de l’autre, de ses propres besoins, émotions, pensées.
Vous savez, quand je vois mon fils souffrir, je souffre, quand je le vois sourire, je souris. Nous ne formons qu’une seule et même personne, je sais exactement ce qu’il ressent, c’est normal, cela fait maintenant presque deux ans que je vis avec lui 24 heures sur 24. Il est tout pour moi et je suis tout pour lui, c’est comme cela, je n’y peux rien. Alors quand les soignants, mon mari, ou même Lucas lui-même me disent que j’exagère, que je ne le connais pas si bien que cela, cela me blesse terriblement. Je sais que mon mari est jaloux, qu’il trouve que j’en fais trop, mais comment ne pas agir de la sorte quand vous savez que votre bébé va peut-être mourir ? (Maman de Lucas, 5 ans, syndrome polymalformatif)
Tenir compte de ces modes de fonctionnement permet aux équipes de décoder le comportement de chacun, éventuellement de s’y adapter, et à tout le moins de réfléchir à la prise en charge de l’enfant et sa famille.
La communication
Certaines familles tolèrent et favorisent la communication, y compris l’expression des préoccupations. Dans d’autres, la communication peut avoir tendance à disparaître, se raréfier ou devenir paradoxale, ce qui entraîne une incompréhension et donc une augmentation de l’anxiété.
Notre fille est née avec une maladie sévère et invalidante. Nous savons qu’elle ne vivra pas une longue vie tranquille, mais nous profitons de tous les moments. Elle a 11 ans aujourd’hui, elle n’est pas comme les autres, mais elle est heureuse, nous aussi. Si nous avons réussi à avancer, c’est en se parlant. Chaque semaine, avec mon mari et nos trois enfants, le dimanche matin, nous avons une heure de parole. C’est un rituel. Nous parlons de la semaine qui s’est écoulée, de ce qui s’est bien passé et de ce qui a été compliqué, des demandes, propositions… Avec les soignants aussi, nous avons toujours beaucoup parlé. Je ne dis pas que tout s’est toujours bien passé, je suis une mère exigeante, je me suis fâchée, mais j’ai aussi été reconnaissante et surtout j’ai demandé, parlé, revu… (Maman de Stéphanie, 11 ans, maladie neuromusculaire)
Dans certaines familles, les règles de communication se modifient de façon à se protéger contre les situations génératrices d’une menace vitale. Ainsi, dans une famille où l’enfant est fragile sur le plan cardiaque et où il lui faut beaucoup de calme et de repos, la règle précédente de communication ouverte peut se transformer en une règle d’évitement du conflit.
La teneur du soutien obtenu dans le réseau intra ou extrahospitalier
Certaines familles recourent facilement au système de soins, car elles font confiance, ont l’habitude des soignants, connaissent le mode de fonctionnement des hôpitaux ainsi que le vocabulaire médical. D’autres familles ne connaissent pas le monde médical ou s’en méfient, ce qui peut entraver les relations et la prise en charge.
Vous les soignants, pouvez-vous accepter que vous vous trompiez peut-être ? Et si sa maladie n’était finalement pas mortelle ? Et si les études scientifiques n’étaient pas suffisamment bien faites pour apporter des réponses thérapeutiques adéquates ? Et si nous nous faisions peur avec la maladie et la mort pour l’amour du risque ? Et si se faire peur inutilement engendrait sa maladie ? Vous pensez peut-être que je suis dans le déni, voire même que je suis fou, maltraitant. Mais vous vous trompez, je sais que vous êtes vous-même sous pression, que vous devez écrire des articles, que c’est un beau cas d’école, qu’il vous faut prescrire des médicaments. Alors je refuse de continuer, laissez les gens être heureux avec leur vie et leur corps tels qu’ils sont ! Laissez le destin décider. Mon fils est un enfant heureux et bien dans sa peau et son corps. Je refuse cette intervention, je refuse ces traitements. (Papa de Malek, 9 ans, atteint d’une maladie rare)
La présence et l’accessibilité des professionnels de la santé, mais aussi de la famille élargie et des amis, participeront aussi à l’adaptation (la famille ne peut être source de soutien pour l’enfant si elle n’en reçoit pas elle-même).
Les parents de Théo, qui sera hospitalisé pendant plusieurs mois, ont réuni leurs amis et familles pour mettre sur pied un « plan d’attaque », comme ils le disent :
Nous avons demandé à chacun ce qu’il pouvait ou souhaitait faire pour nous aider. Nous leur avons dit ce que nous avions besoin : une présence auprès de nos deux grandes, pour aller les chercher à l’école et pour les amuser le weekend, des repas équilibrés, une présence à nos côtés quand le temps se prolongera. C’est fou l’aide que nous avons reçue. Nous avons mis sur pied une mailing list avec chaque semaine des nouvelles de Théo et des demandes. Nous avons fait un chemin formidable, nous sommes très reconnaissants, nos grandes filles aussi, et le plus étonnant, nos amis et familles le sont aussi ! (Parents de Théo, 1 an, tumeur cérébrale)
La famille élargie a un rôle indispensable à tenir face à l’épreuve de la maladie grave et de la mort. Et c’est lorsqu’elle fait défaut que la nécessité du rôle de la famille élargie ressort avec plus d’acuité. Outre le soutien matériel et affectif, la fonction de la famille est essentiellement symbolique : elle touche à la lignée et met en évidence l’importance du lien de filiation. L’inscription dans une famille contribue à atténuer l’angoisse de la mort du fait même qu’elle est affiliation et offre de quoi répondre au « désir d’éternité ». À travers l’affiliation, le rôle symbolique de la famille face à la mort est de permettre au sujet d’accéder à une vision universaliste de la permanence vitale qui, privée de cette médiation, resterait bien abstraite ou métaphysique (Déchaux et al., 1998).
La possibilité ou non de s’appuyer sur l’extérieur (famille élargie surtout mais aussi amis et collègues), d’avoir un support social est un indicateur non négligeable pour évaluer les capacités de la famille à s’en sortir sur le long terme.
Le cycle évolutif familial
La maladie grave de l’enfant est un évènement qui agit aussi sur « l’histoire de la famille ». Rolland (1990, cité par Célis-Gennart et Vannotti, 2000 :page 4) caractérise l’histoire d’une famille comme un cycle évolutif structuré par une double dynamique :
Une alternance de périodes de construction ou de maintien d’une structure de vie familiale et de périodes de transition avec dissolution de l’ordre antérieur et esquisse de choix. Ces périodes de transition sont des phases plus vulnérables.
Une alternance de phases centripètes, de rapprochement familial (famille centrée sur elle-même, renforcement des limites avec le monde extérieur) et de phases centrifuges, de désengagement familial (échanges avec l’extrafamilial, distance entre les membres de la famille).
Rolland (id.) avance que la maladie chronique chez l’adulte exerce une action centripète sur la famille : comme après l’arrivée d’un enfant, la famille se focalise sur l’intérieur. Notre expérience nous donne à penser qu’il en est de même lorsque l’enfant tombe gravement malade. Par ailleurs, lorsque la maladie survient à un moment « centrifuge », elle risque de motiver la famille à inverser le mouvement (alors que le grand frère pensait partir une année à l’étranger, l’entrée en maladie de sa sœur lui fait annuler ses projets et rester auprès des siens). Si la famille était dans une phase centripète (arrivée d’un bébé par exemple), la famille risque, sous le double effet des deux tendances, de rester bloquée de façon prolongée ou permanente dans une forme d’organisation involutive et fermée à tout échange véritable avec l’extérieur (avec un risque de gel du développement de ses membres). Là aussi, notre expérience clinique nous amène à penser comme cet auteur. Ainsi, les familles avec de très jeunes enfants et celles avec des adolescents ne sont pas confrontées aux mêmes besoins et difficultés.
1. Les jeunes parents se centrent sur leur cellule familiale tout en étant parfois encore dans une problématique de séparation par rapport à leur famille d’origine. La maladie de leur bébé peut les amener à retisser des liens de dépendance avec leurs propres parents. Des conflits entre les conjoints et leurs parents ne sont pas rares, certains se sentant réellement remis en question :
Mes parents sous-entendent que nous n’aurions pas dû garder ce bébé, mais de quoi se mêlent-ils, ce ne sont pas eux les parents, nous avons plus de 20 ans et ils nous traitent encore comme si nous étions des enfants. Ils veulent même venir aux entretiens avec les médecins, heureusement qu’ils sont refusés ! (Maman de Julien, bébé gravement malformé)
Par ailleurs, ils sont aux prises avec un ensemble de tâches à réaliser sur les plans professionnel, familial et domestique, tâches qui ne sont pas toujours faciles à concilier avec leur présence à l’hôpital.
2. Les familles avec des adolescents ont principalement à promouvoir leur indépendance tout en leur assurant une sécurité. Elles doivent également leur permettre l’établissement de relations avec leurs pairs. La maladie va interférer avec ce processus :
Notre fille veut sortir, s’amuser, manger des chips, boire une bière, elle ne comprend pas que sa maladie est sérieuse et que ne plus respecter son régime alimentaire peut être très dangereux. Elle teste les limites. C’est normal à son âge mais là, c’est tellement vite dangereux ! Si elle oublie son traitement, elle peut faire un malaise qui lui sera fatal. Comment lui permettre d’être jeune, désinvolte, libre tout en étant déjà presque adulte, responsable, raisonnable ? (Papa de Léa, 15 ans, maladie cardiaque complexe)
Ainsi, la crise due à la maladie peut entraver les possibilités de résolutions de l’autre crise (crise adolescentaire).
Le couple conjugal
Le couple face à l’enfant est composé de deux parents, mais aussi d’un homme et d’une femme qui sont en relation. Ce couple appelé couple conjugal est aussi touché par la maladie grave de l’enfant, son équilibre est bouleversé. Les deux parents sont affectés, souvent différemment. Chacun a sa façon de vivre sa peine, chacun a ses besoins. Dans de nombreux cas, la mère se consacre à l’enfant malade, le père à la fratrie et au travail. Les moments d’intimité se raréfient et les conflits peuvent être envahissants et complexes.
Elle ne s’occupe plus que des enfants, n’a plus aucune conversation, plus aucune passion, je lui dis de s’ouvrir, de sortir, que l’on peut prendre quelqu’un à la maison pour la remplacer, mais elle ne veut pas. Et puis elle est épuisée, elle doit se lever plusieurs fois par nuit pour aller donner le traitement à notre fille, elle pourrait se faire remplacer mais elle refuse. Je me sens coupable de ne jamais y aller, mais en même temps, je travaille comme un dingue. (Papa de Mathilde, 2 ans, maladie métabolique)
Ce couple, qui fonctionnait bien jusqu’à l’entrée en maladie de leur deuxième fille, est très fragilisé. Ils sont demandeurs d’un espace de parole qui leur permet de ventiler leurs émotions et leurs vécus respectifs. Les séances leur permettent d’identifier que leurs visions respectives de la maladie et de la prise en charge familiale de celle-ci sont décalées et à l’origine des conflits. Ils réfléchissent ensemble à un aménagement de leur vie, de façon à respecter les besoins de chacun.
Dans d’autres situations, la maladie de l’enfant va venir rapprocher des conjoints qui s’étaient éloignés et qui se recentrent sur leur famille.
Avant la maladie d’Aline je travaillais sans arrêt, je ne voyais pas mes enfants sauf le dimanche après-midi, pour ma femme, un soir par semaine. Réaliser que la vie pouvait s’en aller comme cela m’a fait changer de vie, je me suis recentré sur mon couple, mes enfants et j’ai arrêté de courir après la reconnaissance professionnelle. Évidemment, je ne souhaite à personne de vivre ce que nous avons vécu, mais maintenant, je peux le dire, nous sommes plus heureux qu’avant. (Papa d’Aline, 4 ans, soignée pour une leucémie)
Les spécificités culturelles
L’appartenance culturelle d’une famille influence les valeurs, les croyances et les attitudes, notamment en ce qui concerne l’interprétation de l’origine de la maladie, l’expression de la douleur, la communication avec les soignants et l’approche de la fin de vie. Le handicap, la malformation, la maladie sont des malheurs qui s’abattent sur la famille et en tant que tels, ils s’inscrivent dans un contexte culturel qui leur attribue un sens et une signification. Si la souffrance, la sidération psychique, le sentiment d’impuissance et de culpabilité peuvent s’entendre dans plusieurs cultures à l’annonce d’une malformation ou d’une maladie grave, ils seront perçus et vécus différemment en fonction du cadre culturel dans lequel se développe l’enfant, et du rôle joué par la culture dans la prise en charge, l’acceptation et la « déculpabilisation » des parents. Ainsi, face aux enfants et à leur famille venus d’autres cultures, il importe d’être attentif à ces paramètres afin de les mobiliser et les intégrer dans notre prise en charge (Van Pevenage et Amrouni, 2004).
La constellation des systèmes de représentations qui participent à la structuration psychique du malade et de sa maladie dans une société change selon le pays, la région ou la communauté. En émigrant ou en venant d’un autre pays pour se faire soigner, les malades emportent leurs systèmes de représentations et les adaptent plus ou moins au cadre qui les accueille. À titre d’exemple, nous rencontrons au sein de notre hôpital de nombreuses familles de religion musulmane et nous pouvons constater qu’autour de la malformation ou de la maladie grave, trois grands types de discours s’articulent : le destin, le mauvais œil et la malédiction.
Les parents musulmans que nous rencontrons se réfèrent très souvent à Dieu et au destin. Nombre d’entre eux évoquent le fait que chacun de nous porte à sa naissance la marque de son destin, et que le bon musulman est celui qui accepte sans se révolter ce que Dieu lui impose. Cette attitude est d’autant plus prégnante concernant la naissance : selon ces parents, à Dieu seul revient la capacité de donner un enfant, d’en priver la famille ou de le reprendre. La naissance d’un enfant est un don de Dieu à la communauté en général, et ce don doit être accepté avec sagesse et résignation, qu’il soit bon ou mauvais (Aouattah, 2001).
Le mauvais œil est décrit comme un pouvoir maléfique indépendant de la volonté, qui émane des personnes envieuses, jalouses des biens d’autrui, mais aussi de la famille et des amis : même une mère peut en être l’auteure sans le vouloir. Ainsi l’œil de l’amour est aussi préjudiciable que l’œil de la haine. L’enfant est un être particulièrement vulnérable et exposé au mauvais œil ; aussi doit-on procéder à quelques rituels pour l’en préserver – la principale protection étant de ne pas l’exposer longtemps au regard d’autrui. À cet égard, même une formule d’admiration innocente peut faire craindre une mauvaise pensée et une mauvaise intention (id.).
La malédiction, quant à elle, est un sort par la parole jeté par une personne. Elle comporte toujours une part de punition, car c’est à Dieu qu’il est fait appel pour appliquer la malédiction souhaitée : s’Il la réalise, c’est qu’elle était justifiée. La malédiction sera d’autant plus destructrice qu’elle est le fait d’un parent proche, car cela signifie que la personne visée a failli à son rôle.
Le sentiment de culpabilité est très présent chez les mères qui nous parlent de malédiction ou de volonté divine. Dans ce dernier cas, elles considèrent que Dieu les met à l’épreuve, car elles ont quelque chose à se reprocher : un désir coupable, une pensée inavouable… dont elles n’ont pas nécessairement conscience. La malédiction fonctionnera de la même manière : elle s’abat sur l’enfant car sa mère ou son père ont failli à leurs devoirs. Par exemple cette maman, médecin généraliste, nous explique :
Je me suis mariée contre l’avis de mon père, cela s’est très mal passé. Encore aujourd’hui, alors que j’ai deux enfants, il ne veut pas en entendre parler. Il me dit tu es partie seule, tu reviendras seule, je ne connais ni ton mari ni tes enfants, Dieu t’a punie en t’envoyant un enfant malade. Parfois je me dis qu’il a raison, je n’aurais pas dû partir sans son accord (Maman de Liza, 2 mois, cardiopathie).
Dans ces paroles, on peut voir la répudiation par « un » père se transformer en répudiation par le Père suprême (Van Pevenage et Amrouni, 2004).
La connaissance des systèmes de référence des patients et de leurs représentations en rapport avec la maladie va faciliter la prise en charge, mais surtout va aider à établir une relation interpersonnelle au centre de laquelle se trouve le patient et sa famille, plutôt que seulement la maladie. Cette connaissance ne doit néanmoins pas nous faire oublier que c’est la conscience de l’altérité qui est à privilégier au cœur de ces rencontres. La démarche interculturelle peut s’actualiser au quotidien dans la pratique de tout soignant qui se donne le temps et la peine de décrypter le vécu de la maladie à travers l’expérience du patient (Heine et al., 2013) – et nous rajouterions, de sa famille.
L’impact intrapsychique
Les parents
Au niveau intrapsychique, l’annonce d’une malformation ou d’une maladie grave chez leur enfant représente une véritable crise pour les parents, par les ruptures qu’elle introduit, les changements au niveau des repères établis, l’insécurité et l’intensification des mécanismes défensifs de chacun (Graindorge, 2005).
Lorsque l’enfant est un nouveau-né, la situation se double de questions autour de la « parentalisation ». Nous savons aujourd’hui que le corps de l’enfant, ses compétences et les circonstances qui entourent sa naissance ont un rôle très important dans la parentalisation. Le bébé nourrit véritablement le narcissisme de ses parents. S’il est malade, s’il présente une malformation sérieuse et qu’il doit être séparé de ses parents dans les premiers moments, comment vont-ils pouvoir le découvrir, anticiper ses besoins, le rêver ? Comment s’attacher à son bébé, l’investir alors qu’il risque de mourir ?
Je ne voulais pas le voir, pas le nommer, ne rien savoir de cet enfant que j’allais perdre mais au plus je souhaitais l’oublier, au plus il envahissait mes pensées. Que faisait-il ? Qui s’en occupait ? Avait-il mal ? À qui ressemblait-il ? Qu’allais-je dire aux autres ? Quelle mère étais-je pour avoir donné naissance à un bébé qui allait mourir ? Mon ventre était devenu un cercueil, je donnais la mort. (Maman d’Ethan, bébé atteint d’une grave malformation cardiaque)
Certains parents, pour éviter ou diminuer leur souffrance, tentent de ne pas s’attacher à leur bébé. Ces tentatives ne sont pas efficaces, car le bébé a toujours une place dans le psychisme de ses parents. Par ailleurs, la constitution d’un lien d’attachement au bébé, à travers l’attention et les soins, permet en cas de décès un processus de deuil plus facile (De Vriendt-Goldman et Durieux, 2005). Sur le plan traumatique, nous pouvons percevoir chez les parents d’enfants gravement malades un traumatisme direct dû à la crainte de la mort, de la douleur, des séquelles :
Je me retrouve dans une salle aseptisée, mon épouse assise sur une chaise, quatre médecins autour d’une table et… je regarde vers cette table et je vois un corps, mais pas n’importe quel corps, le corps de notre enfant, nu, totalement inanimé, rempli de tubes de tous les côtés… J’avais amené notre enfant en vie, vous comprenez, en vie et je le revoyais comme cela, inerte, sans vie. Vous ne savez plus, il n’y a plus de voix, vous atteignez des limites… le médecin nous a dit calmement : votre enfant est dans un état très grave et victime du purpura fulminans. Grave et mon esprit raisonne : grave, grave… je m’en souviens bien. (Papa de Ludo, 4 ans, méningite)
D’autres traumatismes peuvent émerger dans l’après-coup ; ils dépendent de l’histoire familiale, notamment de la présence de deuils ou de maladies d’autres personnes significatives. Dans ces cas, la maladie de l’enfant réactive les blessures passées, non cicatrisées (Graindorge, 2005 ; De Vriendt-Goldman et Durieux, 2005).
La première réaction visible des parents suite à l’annonce est l’angoisse parentale. Elle peut aller jusqu’à la sidération (effraction de la pensée, effroi lié au choc de la situation), jusqu’à la paralysie physique et mentale.
Je n’entendais plus rien, ne sentais plus rien, seul le mot instable raisonnait dans ma tête, instable, instable, instable. Je n’ai pas réussi à me lever, à quitter les médecins qui ont dû me prendre pour un fou. Anesthésié, plus réactif, pas de pleurs, ni de colère, une énorme boule d’angoisse m’empêchant presque de respirer. (Papa de Lou, 10 ans, atteint d’une maladie infectieuse sévère)
Les parents vivent aussi des moments dépressifs plus ou moins intenses qu’il faut parfois traiter médicalement. La douleur dépressive est d’autant plus envahissante qu’il existe une fragilité narcissique préalable chez les parents. Les affects dépressifs, souvent rencontrés, sont un mouvement habituel : ils doivent pouvoir s’exprimer sans pour autant alarmer les équipes soignantes. Néanmoins, s’ils persistent dans le temps, ils comportent plusieurs risques, comme le souligne Graindorge (2005).Dans certains cas, on observera un « lâchage » de l’enfant par le parent parfois présent dans la réalité mais absent émotionnellement, avec un risque de dépression chez l’enfant. D’autres parents démissionnent de leurs fonctions parentales, laissant l’enfant seul dans le réel. Cette démission est particulièrement complexe lorsque les parents ressentent que leur enfant se trouve dans une grande souffrance. Se sentant impuissants, mauvais, inutiles, ils peuvent fuir dans les faits. Certains parents peuvent demander implicitement à l’enfant de ne pas empirer la situation, voire de réparer le parent en devenant le malade parfait qui accepte tous les soins. Dans de plus rares cas, l’enfant devient le persécuteur du parent : « Il tombe toujours malade quand j’ai prévu de partir revoir ma famille au Maroc, je n’en peux plus, c’est à croire qu’il le fait exprès. » D’autres parents dénient leurs affects dépressifs et se réfugient dans un statut de « super soignants », ne laissant aucun espace d’investissement par l’enfant de l’équipe soignante. Aucun relais ne peut se mettre en place, ce qui fragilise la situation en cas d’aggravation. Enfin, lorsque l’enfant grandit, qu’il devient adolescent, il peut fuir dans des conduites à risque qui sont parfois de véritables mises en scène des vœux de mort inconscients des parents épuisés.
Le sentiment de culpabilité est un sentiment très fréquemment évoqué par les parents d’enfants gravement malades ou malformés. Les parents se reprochent de n’avoir pas vu, pas compris. Ils se sentent responsables de la malformation, des séquelles de l’infection : « Je n’aurais pas dû écouter mon médecin et foncer aux urgences, je sentais bien que quelque chose de grave se passait. Je m’en veux tellement, tellement, tellement » (maman d’Aline, 4 ans, atteinte de purpura fulminant).
Un aspect que tout psychologue travaillant avec des enfants, malades ou non, doit garder à l’esprit, c’est la normale et banale ambivalence parentale. Lorsque l’enfant est gravement malade ou malformé, cette ambivalence peut être accompagnée d’une certaine agressivité parentale, même si celle-ci n’est souvent pas reconnue et reste très difficile à accepter. Cette agressivité, en lien ou non avec un sentiment de culpabilité plus ou moins conscient, a plusieurs sources, parmi lesquelles le fait que l’enfant malade s’éloigne de l’enfant imaginaire et ne gratifie pas ses parents, mais aussi qu’il les « empêche » de vivre leur vie comme ils l’avaient imaginée :
Certains jours je priais pour qu’elle survive quel qu’en soit le prix, qu’elle ne sache plus parler ni marcher ne m’importait plus, il fallait qu’elle vive, je ne pouvais imaginer la vie sans elle. D’autres jours je me disais qu’il fallait qu’elle nous quitte, que je ne pouvais pas la retenir, que c’était égoïste, qu’elle n’aurait pas souhaité une vie comme celle que nous lui préparions. Et puis nous, qu’allions-nous devenir ? Nous qui vivions à 100 %. Nous qui sommes une famille de battants, de sportifs, ses frères ont besoin de nous et nous ne sommes plus jamais disponibles. La famille a explosé, l’un chez ma sœur, l’autre chez le frère de mon mari, ils souffrent je le sais. Je n’ai plus dormi avec mon homme depuis plus de 6 mois, nous ne nous parlons plus vraiment, cette situation est insupportable. [silence] Je suis un monstre, je souhaite que mon enfant meure pour reprendre une vie normale ? Non, je veux juste que tout redevienne comme avant. Je suis perdue, je ne sais plus, à l’aide. (Maman de Sophie, 11 ans, maladie métabolique)
Le plus souvent, l’expression de l’agressivité parentale est indirecte. Par exemple, elle se transforme en une tendance à la surprotection (renversement en son contraire). On peut aussi observer une certaine agressivité dans le renforcement des contraintes imposées à l’enfant sous prétexte de le protéger de sa maladie :
Le cardiologue nous a dit qu’il ne pouvait pas faire de sport violent, mais je préfère qu’il n’en fasse pas du tout, ce n’est pas raisonnable… nous avons décidé avec mon mari d’arrêter les mouvements de jeunesse, c’est trop risqué… il ne peut pas avoir de cholestérol mais bon ce n’est pas une raison pour manger tout et n’importe quoi… (Maman de John, 11 ans, maladie cardiaque)
Dans certains cas, l’expression est directe ; l’enfant est réellement maltraité, voire abandonné. Le recours à des institutions médicalisées qui mettent à distance l’enfant peut être indispensable.
D’autre part, selon les représentations sociales, un « bon » parent est un parent qui le protège contre tout ce qui est mauvais et nuisible. Si l’enfant est malformé ou gravement malade, les parents peuvent se percevoir comme de « mauvais » parents. Donner naissance à un beau gros bébé dont on est fière, élever son enfant et le protéger sont des enjeux narcissiques fondamentaux. Ils touchent à l’identité de parent, et en particulier aux mouvements d’envie et de rivalité avec ses propres parents. Par ailleurs, si l’enfant s’éloigne de la norme, cela peut provoquer un regard négatif des autres et susciter de la honte chez les parents.
La fratrie
La manière dont les frères et sœurs s’adaptent à la maladie de l’enfant dépend étroitement du climat familial (Wintgens et Hayez, 2003), mais aussi des changements dans l’organisation et les rôles dans la famille. Les parents sont moins disponibles physiquement et émotionnellement, plus souvent surprotecteurs ; le temps de loisirs diminue, les frères et sœurs sont hébergés à l’extérieur (Davignon, 2012). Le surinvestissement parfois même « physique » de l’enfant malade par les parents peut entraîner chez les autres enfants l’impression de perdre l’amour parental ainsi que des sentiments d’abandon, de perte et de colère envers les parents qui n’ont plus la même disponibilité : « Je sais que ma petite sœur est malade mais je comprends pas pourquoi maman doit toujours être avec elle. Ce n’est pas juste. Moi aussi j’aimerais être à l’hôpital, tu reçois plein de cadeaux » (Sophie, 10 ans).
Le manque de disponibilité des parents, associé à leur anxiété, peut donner lieu chez la fratrie à des inhibitions, des troubles du comportement ou une dépendance excessive à la mère. Des attitudes régressives se manifestent ainsi qu’une identification à l’enfant affaibli, qui apparaissent parfois comme l’unique solution pour regagner l’amour des parents sans provoquer trop de sentiment de culpabilité (Zivi et Sanchez-Cardenas, 1989).
Là où dans une fratrie « tout venante » les pulsions agressives font partie intégrante du lien fraternel (sous la forme de disputes et de conflits), elles sont ici souvent déplacées ou réprimées du fait du sentiment de culpabilité important. « Mon pauvre petit frère malade », nous dit cette grande sœur de 5 ans, tout en s’appuyant sur son ventre et en le poussant lentement vers le bord du lit. Ce contexte a fréquemment des répercussions sur les performances et l’investissement scolaire (recherche d’attention, préoccupations entraînant des difficultés de concentration). Des désirs de mort et de vengeance plus ou moins conscients peuvent être exacerbés par les marques d’attention et les privilèges accordés à l’enfant malade. Dans ces situations, les sentiments de culpabilité sont amplifiés si l’enfant décède : les enfants peuvent s’imaginer que leur désir de supprimer le rival fraternel s’est réalisé et qu’ils ont eux-mêmes provoqué sa mort (pensée magique).
Par ailleurs, des périodes d’angoisse liées à la peur de la mort peuvent apparaître et provoquer la résurgence de peurs archaïques sous la forme de cauchemars ou de terreurs nocturnes. Certains enfants se questionnent autour de la normalité et de la différence : est-il normal, suis-je normal, vais-je attraper sa maladie, et qu’en est-il de mes parents ?
Des troubles du sommeil, de l’appétit et des somatisations se manifestent également comme réponses systématiques aux conflits (Oppenheim, 1989) et peuvent être vus comme une tentative d’obtenir les mêmes « avantages perçus » que l’enfant malade. Certains frères et sœurs mettent en place des processus de réparation, tels qu’une surprotection et une idéalisation de l’enfant fragilisé. D’autres font montre d’une adaptation « parfaite », traduisant des tentatives de consolation des parents ; ils incarnent l’enfant idéal, cherchant à combler toutes les insatisfactions à la mesure de la déception provoquée par l’enfant malade (Graindorge, 2005 ; Wintgens et Hayez, 2003 ; Bouteyre et al., 2006). Ils peuvent également vouloir protéger leurs parents en adoptant des rôles parentifiés, en prenant de nombreuses responsabilités et en s’impliquant activement dans les soins. Cette réaction peut être un facteur de maturation si la situation est transitoire et que l’enfant est reconnu dans ses efforts. Si ce n’est pas le cas, le risque est que l’enfant s’oublie et soit « oublié » dans ses besoins d’enfant : il s’interdit de s’amuser, de se révolter… Et peut avoir l’impression d’être un « mauvais enfant ».
L’accompagnement psychoaffectif
Comme souligné précédemment, les familles, les parents et les fratries réagissent tous de différentes façons. Dans une telle perspective, cerner quels sont les besoins des familles, de chacun des parents et des frères et sœurs est fondamental. Un accompagnement familial devrait être envisagé dès l’annonce de la malformation ou de la maladie grave et tout au long de la prise en charge. Sans systématiser une procédure, il s’agit de reconnaître et de valoriser les ressources, les forces et les besoins de chacun, tout en respectant les spécificités et différences, et en tenant compte de l’interculturalité. Le rôle du psychologue est d’aider la famille et l’enfant à trouver leurs propres solutions pour soulager la souffrance psychique qu’engendre une maladie.
Célis-Gennart et Vannoti (2000) proposent d’éclairer et d’expliciter l’expérience plurielle de la maladie et la manière dont chacun en est affecté. Pour cela, il est nécessaire de dégager et souligner les ressources que chacun mobilise et la contribution de chacun. Il faut aussi promouvoir une équilibration des échanges à l’intérieur de la famille par la formulation la plus claire possible des attentes et la reconnaissance des mérites. Dans certaines familles, il peut être pertinent de raffermir les limites transgénérationnelles et reconnaître le droit des enfants à s’autonomiser et à se séparer.
Du côté des parents
Deux grandes catégories de besoins parentaux ont pu être mises en évidence dans les études menées dans un contexte de soins palliatifs pédiatriques (Monterosso et Kristjanson, 2008 ; Ernoult et Davous, 2003 ; Bétrémieux et al., 2010 ; Hubert et al., 2005 ; Canouï, 2003 ; Le Grand Sébille, 2009 ; Serraz, 2009 ; Schell, 2011) : les besoins en rapport avec les soins médicaux donnés à l’enfant et les besoins relationnels, psychiques, sociaux, culturels et spirituels (Van Pevenage et al., 2013). Parmi ceux-ci, on soulignera plus particulièrement le besoin de maintenir un rôle parental (Ernoult et Davous, 2003 ; Hubert et al., 2005 ; Canouï, 2003 ; Le Grand Sébille, 2009), d’être considérés comme des partenaires, d’être écoutés et respectés dans leurs réactions, leurs ressentis, leurs émotions, y compris leur ambivalence ou leurs mouvements hostiles (Monterosso et Kristjanson, 2008 ; Ernoult et Davous, 2003, Bétrémieux et al., 2010 ; Hubert et al., 2005 ; Canouï, 2003 ; Le Grand Sébille, 2009 ; Serraz, 2009 ; Schell, 2011). Ainsi, les parents doivent être respectés dans leurs choix, leur temporalité, leur maturation. Il leur est nécessaire d’obtenir une information claire et précise par rapport à la maladie de leur enfant. Il convient de parler de la mort possible de leur enfant (participation des parents aux décisions de fin de vie, lieu du décès, anticipation des symptômes, etc.) et de prendre en compte les besoins de répit lorsque la maladie de l’enfant se prolonge. Ceci requiert une grande cohérence entre les professionnels, notamment lors d’un changement d’équipe. Les parents ont aussi des besoins sociaux, il leur faut préserver une insertion familiale, sociale, professionnelle. Ils ont éventuellement besoin d’être renseignés sur les dispositifs d’aides complémentaires. Leurs spécificités culturelles doivent être prises en compte, tout comme leurs besoins spirituels ou existentiels. Après le décès, ils auront besoin de ne pas être « abandonnés », ils devront parfois être soutenus sur le plan psychique ou pour les démarches administratives. Enfin, les parents ont souvent d’autres enfants auxquels il est fondamental d’être attentif tout au long du parcours (pendant la maladie et après le décès de l’enfant) (Monterosso et Kristjanson, 2008 ; Ernoult et Davous, 2004, Bétrémieux et al., 2010 ; Hubert et al., 2005 ; Canouï, 2003 ; Le Grand Sébille, 2009 ; Serraz, 2009 ; Schell, 2011).
Face à l’impact émotionnel de la situation, l’offre d’un soutien aux parents permet l’expression des besoins, des sentiments et des pensées. Ce soutien peut aider à contenir les émotions parentales et soulager par là même l’enfant dans son propre processus. Il s’agit d’assurer une fonction contenante, telle que décrite par Bion (1962), auprès de parents extrêmement fragilisés et qui pourront, dans un espace protégé, exprimer leurs sentiments douloureux.
Le psychologue devra parfois réellement « prêter » son appareil à penser et aider les parents à mettre des mots sur des ressentis trop extrêmes, trop violents : « Peut-être que parfois, confronté à cette maladie, on en veut à la terre entière, y compris à son enfant » (psychologue). Ce faisant, il peut alléger le poids de ces vécus. Il peut également être utile de questionner les parents au sujet de leurs théories de la maladie. Certaines sont très éloignées de la réalité et sont empreintes de fantasmes d’abandon, de punition, de vengeance, d’humiliation.
Faciliter la communication entre les deux parents, entre les parents et l’enfant malade, entre les parents et la fratrie, mais aussi avec les soignants, constitue un autre type d’intervention favorisant la compréhension mutuelle et atténuant l’anxiété de chacun (travail de liaison, création d’espaces transitionnels). Par ailleurs, la maladie peut survenir alors que la famille dysfonctionnait déjà ; il arrive alors que certaines difficultés se cristallisent et nécessitent une prise en charge thérapeutique familiale.
Lorsque l’enfant va mieux, qu’il est guéri ou en rémission, le retour à la maison n’est pas toujours un moment facile pour les parents. La réouverture au monde extérieur, le réinvestissement des activités et relations sociales peuvent être compliqués. Si l’enfant décède, un « suivi de deuil » peut se mettre en place, nous y reviendrons plus bas.
Du côté des fratries
À côté de leurs besoins habituels, liés à leur développement, les frères et sœurs d’un enfant gravement malade ont des besoins en lien avec la maladie ou ses conséquences dans la vie quotidienne. Parmi ceux-ci, on retiendra particulièrement le besoin de réassurance, d’information, d’écoute, de partage et de soutien social (D’avignon, 2012).
La prise en charge de la fratrie commence par le repérage de ces « oubliés », qui passent inaperçus la plupart du temps, tant l’attention et les soins sont focalisés sur l’enfant malade (de Chouly de Lenclave, 2005). Sur le plan psychologique, les professionnels peuvent guider les parents, qui s’interrogent souvent sur les réactions à adopter face à la fratrie. Le fait de donner à la fratrie un rôle actif et des responsabilités adaptées à leur âge, de partager avec eux certaines préoccupations évite de les laisser dans une situation de totale impuissance. Le partage des connaissances leur laisse la possibilité de négocier avec le réel et d’aménager leurs défenses selon leur mode fantasmatique (Bouteyre et al., 2006). Toutefois, certains enfants peuvent refuser d’être informés et impliqués. Il importe d’évaluer et de respecter les besoins de chacun. En effet, même si le frère ou la sœur ont le droit de savoir, ils ont aussi le droit d’être protégés de paroles susceptibles de les choquer et de compromettre leur aménagement défensif.
Bien souvent, la possibilité d’exprimer leurs sentiments et leurs inquiétudes, tout en étant informés de manière claire et adaptée à leur niveau de développement, permet aux frères et sœurs de donner du sens à la situation et contribue à ce que les fantasmes ne prennent pas le dessus. Par ailleurs, des visites à l’hôpital peuvent aussi rassurer quant aux mythes parfois effrayants associés au monde hospitalier. Dans certaines situations complexes, comme la naissance d’un bébé très prématuré ou une hospitalisation en soins intensifs, il semble souhaitable que cet accueil soit effectué par le psychologue clinicien, sensible aux processus psychiques à l’œuvre chez les aînés, le nouveau-né et les parents (Ricignuolo et Fostini, 2013).
Le psychologue peut proposer des entretiens de soutien individuels ou familiaux aux frères et sœurs. Il s’agit surtout d’offrir un espace de parole, une possibilité de donner du sens à ce qui est vécu, aux affects parfois trop bruts et trop douloureux, tout en sachant que les moyens psychiques ne sont pas les mêmes pour chacun. Le psychologue est présent pour écouter et contenir les sentiments de jalousie, de culpabilité et de révolte. Dans notre hôpital, nous proposons aussi un « espace fratrie » au sein duquel les frères et sœurs d’enfants malades peuvent venir se déposer et partager avec les autres leurs vécus, pensées et émotions, encadrés par une psychologue et une infirmière.
Enfin, lorsque la situation se prolonge, lorsque la maladie devient chronique, le psychologue est particulièrement attentif à ce que la fratrie ne soit pas « sacrifiée » au soutien de l’enfant malade.
Du côté des soignants
Soutenir, accompagner les familles, les parents et les fratries passe aussi par un travail indirect auprès des équipes soignantes. Ainsi, il est fondamental de promouvoir la mise en place d’une alliance entre l’enfant, son entourage et l’équipe soignante autour du projet de soin (Canouï et Golse, 2012). Il est tout aussi fondamental d’aider les équipes à comprendre les parents, spécialement ceux qui présentent un fonctionnement particulier, et qui sont parfois étiquetés par les équipes comme des « parents psy ». Les symptômes présentés par un membre de la famille (manifestation d’angoisse, d’hostilité, de dépression…) peuvent avoir une finalité défensive ou adaptative. Ce décodage peut parfois éviter des complications, voire des conflits, entre soignants et familles.
Le psychologue aidera les soignants à faciliter et valoriser l’investissement parental auprès de l’enfant, à préserver la capacité de rêverie parentale en évitant de dresser un tableau trop précis ou exhaustif de la maladie, sans pour autant édulcorer la vérité. Il encouragera les soignants à reconnaître les compétences parentales en permettant aux parents de participer aux « soins parentaux » (laver, nourrir, …) et en les soutenant dans leur propre apprentissage des soins au bébé. Cela passe aussi par une reconnaissance des compétences parentales dans ce qu’ils savent de leur enfant. Par ailleurs, la mise en place de supervision d’équipe pluridisciplinaire par un psychologue extérieur peut permettre de désamorcer des projections des soignants sur la famille, pour favoriser une juste proximité relationnelle avec la famille.
Et si l’enfant décède…
Malgré les progrès de la médecine et la grande compétence des soignants, des enfants décèdent encore de maladies, de malformations ou des suites de traumatismes. La mort de l’enfant touche la famille, mais aussi le groupe social. Ainsi, le deuil sera personnel (travail de deuil), familial (vécu du deuil) et social (pratiques collectives). Si le travail de deuil se réalise toujours dans la solitude, il ne se vit pas dans l’isolement (Hanus, 1998). Les parents, les frères et sœurs, quel que soit leur âge, vont vivre, chacun à leur manière et à leur rythme, le travail de deuil au travers de trois grands processus : la reconnaissance de la réalité de la perte, le renforcement de l’intériorisation de la relation et un travail sur les sentiments inconscients de culpabilité (Hanus, 1997). Le fait que chacun vive le deuil à sa façon amène habituellement des décalages. Vivre le deuil en famille, c’est s’appuyer les uns sur les autres, mais c’est aussi, comme toute épreuve, un moment de réactivation des zones de conflits. Comme le souligne Hanus (1998), patience, tolérance et compréhension sont nécessaires pour vivre le deuil les uns à côté des autres, ensemble mais pas au même rythme ni de la même façon.
Les différentes étapes du deuil peuvent être perturbées par des complications, des retards ou des difficultés. Des complications, voire d’authentiques maladies du corps comme de l’âme peuvent alors survenir. Mais il s’agit là d’exceptions liées à des facteurs de risque qu’il faut savoir apprécier dans un but préventif tant il est clair que le deuil, dans la majorité des cas, arrive de lui-même à son terme avec le temps (Hanus, 1998). Classiquement, la littérature évoque cinq grands facteurs de deuils compliqués auxquels il faut être attentif : le décès d’un enfant ; la brutalité du décès ou mort violente ; la répétition des deuils et séparations ou deuils non résolus ; les troubles de la personnalité et antécédents psychiatriques ; l’isolement psychosocial (Hanus, 1997 et 2006 ; Bacqué, 2000 ; Séjourné, 2012).
Si le deuil, bien qu’il puisse générer les pires souffrances, n’est pas une maladie, un accompagnement de la famille s’avère souvent précieux. Cet accompagnement, le « suivi de deuil », doit éviter de considérer toutes les manifestations plus ou moins bruyantes du deuil comme pathologiques. De plus, l’accompagnement doit être adapté aux familles, avec une attention particulière envers la fratrie, étant donné les répercussions psychiques du décès d’un frère ou d’une sœur sur leur développement (Séjourné, 2012).
Au sein de notre hôpital, le suivi de deuil est variable. Certaines familles sont revues par les équipes soignantes, d’autres par les psychologues. Selon leurs besoins et demandes, nous orientons les parents et les fratries vers des suivis individuels ou de couple, vers des groupes de parole pour les parents ou pour les enfants (Van Pevenage, 2006). Malgré l’ouverture des équipes de notre hôpital à un retour des parents, malgré la transmission d’informations pour un suivi de deuil, certains parents pointent un manque de support après le décès de leur enfant. La question du suivi de deuil plus proactif, adapté aux familles (contacts réguliers avec les parents, visites à domicile, accompagnement dans les démarches…), se pose réellement. C’est avec l’objectif d’améliorer ce suivi que nous avons travaillé sur l’ensemble des facteurs potentiellement actifs dans le processus de deuil des parents à partir d’une étude qualitative (Van Pevenage et al., 2013). Nous avons listé l’ensemble des facteurs pouvant influencer positivement (facteurs ressources : soutien familial, bonnes capacités de verbalisation…) ou négativement (facteurs entraves : troubles de la compréhension, isolement psycho-social, faible estime de soi…) le vécu des parents. En analysant ces facteurs au sein d’une cartographie réalisée suite à ce repérage, nous avons pu constater que les facteurs « deuil compliqué » sont pertinents mais insuffisants. Ainsi, 18 à 24 mois après le décès de l’enfant, plus les parents ont des facteurs « entraves », plus les scores d’anxiété et de dépression sont élevés ; plus les parents ont des facteurs « ressources », plus les scores d’anxiété et de dépression sont bas. Par ailleurs, nous avons mis en évidence qu’il existe souvent des ressources sur lesquelles les parents peuvent s’appuyer, mais que celles-ci ne sont pas toujours recherchées ou mises en évidence par les soignants (appartenance à un groupe religieux ou philosophique, disponibilité et sensibilité des collègues…) tout comme il existe des facteurs d’entrave qui ne sont pas identifiés (mauvaise santé des proches, mauvaise communication intrafamiliale…).
Actuellement, nous utilisons cette cartographie avec les familles d’enfants gravement malades. Elle est remplie petit à petit tout au long de la prise en charge. Elle ne remplace pas l’échange d’informations entre professionnels et avec les familles, mais elle nous sert de soutien à l’accompagnement. Les objectifs de la cartographie sont de communiquer au sein de l’équipe et de systématiser l’observation des familles pour repérer les familles plus fragiles. Il s’agit aussi de porter une attention aux ressources sur lesquelles nous pourrons nous appuyer si la famille cumule des facteurs « entraves » afin d’élaborer un projet de suivi de deuil. La prise en charge est ainsi adaptée : une famille plus vulnérable, présentant de multiples facteurs fragilisants, est entourée de façon plus proactive qu’une famille avec de nombreuses ressources pour cheminer sans un suivi intensif des soignants.
Conclusion
La maladie grave de l’enfant confronte la famille nucléaire à des situations nouvelles, complexes et bouleversantes, qui nécessitent des capacités d’adaptation importantes et une remise en question des fonctions et des rôles de chacun.
Dans le cadre de cet article, nous nous sommes intéressées, à partir d’exemples cliniques, à la famille nucléaire et plus particulièrement aux différentes caractéristiques des familles (cohésion, communication, adaptabilité, recours au soutien familial et extra familial, etc.), à l’histoire familiale, aux spécificités culturelles, mais aussi à l’impact intrapsychique tant sur les parents que sur les fratries. Notre expérience clinique nous a appris qu’il est pertinent de tenir compte de ces différents points afin d’offrir le meilleur accompagnement psychosocial possible.
Toutefois, si des pistes et des repères sont mis en évidence, c’est dans la rencontre, toujours particulière et unique, avec ces familles que nous allons découvrir comment les aider à cheminer. Ce sont les parents et les fratries eux-mêmes qui nous guident, depuis l’annonce de la maladie grave jusqu’au suivi de deuil.
Appendices
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