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MISE EN CONTEXTE

Le programme Vox populi : ta démocratie à l’école! a été créé en 2015 par l’Assemblée nationale du Québec, Élections Québec (autrefois connu sous le nom de Directeur général des élections du Québec) et la Fondation Jean-Charles-Bonenfant dans l’objectif de former les élèves à la vie politique en les exposant à un modèle de démocratie représentative semblable aux institutions politiques québécoises. Ces instances participatives des élèves, aussi connues dans différentes écoles sous les noms de conseils d’élèves, conseils d’école, conseils étudiants, assemblées d’élèves ou parlements d’élèves, sont des organismes qui regroupent les élèves pour discuter de ce qui se passe dans leur école et considérer leurs points de vue sur ces sujets (Baginsky et Hannam, 1999). Selon le modèle de Vox populi, ces élèves délégués doivent idéalement être élus par leurs pairs et se réunir au sein d’une instance participative pour prendre des décisions devant, par la suite, être entérinées par la direction d’établissement. Cette dernière, qui joue généralement le rôle de lieutenant-gouverneur, occupe ainsi un rôle moins symbolique que son homologue provincial. Des personnes responsables dans chacune des écoles aident aussi les élèves délégués à s’acquitter de leurs tâches (Godbout, 2017).

Vox populi met à la disposition des écoles primaires et secondaires francophones québécoises qui en font la demande une trousse d’accompagnement comprenant différents guides (p. ex. : mise en place des élections). Ces ressources permettent de mettre en place des conseils d’élèves démocratiques (Fortier-Chouinard, 2017). Vox populi prévoit également des séances de formation pour les responsables et les élèves portant sur la participation et la prise de décision, la communication efficace, la gestion de projet, l’éthique et la résolution de conflits (Lemieux et Bernatchez, sous presse). Le programme a eu un succès important depuis sa création et comptait plus de 260 écoles membres en 2022-2023 (Fondation Jean-Charles-Bonenfant, 2024).

Le présent article vise à répondre à la question suivante : Quelles sont les pratiques démocratiques adoptées par les principaux acteurs et actrices du programme Vox populi (responsables, élèves délégués et directions d’établissements)? Pour répondre à cette question, nous nous appuierons sur des données portant sur les pratiques démocratiques des instances participatives de certaines écoles secondaires participantes.

PROBLÉMATIQUE ET CADRE THÉORIQUE

Au Québec, depuis la Révolution tranquille des années 1960, période correspondant à une modernisation des structures et des moeurs de la société québécoise, la démocratie participative occupe une place importante dans le modèle de gouvernance scolaire. En effet, bon nombre des importants changements apportés au cours de ces années ont été effectués dans un esprit de démocratisation (Rocher, 2004). Cet esprit devait, entre autres, prendre forme à travers des instances participatives, de nouveaux lieux de consultation et de participation situés au sein des établissements et des commissions scolaires – incluant les conseils d’élèves – ainsi que de l’État. En ce sens, au cours des dernières décennies, les instances locales, intermédiaires et centrales se sont dotées d’une multitude de ces lieux visant à amener les actrices et acteurs scolaires à délibérer, à expérimenter la démocratie à l’école et à prendre part à la prise de décision (Lemieux et Bernatchez, 2022).

On attribue régulièrement au rapport du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) Éduquer à la citoyenneté (1998) l’arrivée officielle de l’éducation à la citoyenneté dans le curriculum québécois, mais c’est l’introduction en 2006 de l’article 211.1 de la Loi sur l’instruction publique qui impose aux commissions scolaires – maintenant appelées « centres de services scolaires » – de se doter d’une politique d’initiation à la démocratie. Cette nouvelle obligation s’ajoutait alors à celle de prévoir des conseils d’élèves au sein des écoles secondaires et d’octroyer deux sièges aux élèves sur les conseils d’établissement des écoles offrant le deuxième cycle du secondaire. Une telle vision, promue par le CSE (1998), s’appuyait sur des expériences internationales alors en cours notamment en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en France, en Pays-Bas et en Suisse.

Les instances participatives des élèves au Québec visent généralement trois objectifs : la définition d’une démocratie par l’acte du vote, la pratique de ce vote par les jeunes pour élire leurs représentants, et la transmission d’un respect envers les institutions politiques (Dupuis-Déri, 2007). Au Canada, un rapport commandé par la Bibliothèque du Parlement s’est intéressé à l’état des instances participatives des élèves au secondaire au pays (Decode, 2010). Les jeunes, le personnel et les autres intervenants interrogés remarquent des lacunes en matière de formation du personnel accompagnant les élèves, ainsi que du côté des ressources matérielles. Ils jugent aussi que les instances participatives se voient attribuer peu de responsabilités, et que cela limite leurs retombées potentielles sur l’engagement citoyen des jeunes. De plus, les instances semblent surtout rejoindre les jeunes déjà engagés activement dans la vie et les activités de leur école, et assez peu les jeunes en difficulté. Pache-Hébert et al. (2014) ont constaté que les responsables d’instances se sentent insuffisamment outillés pour aider les élèves délégués et manquent de temps pour s’acquitter de cette tâche. Ils notent aussi que l’atteinte des objectifs est tributaire de la pleine adhésion des membres de la direction.

Pache-Hébert et al. (2016) se sont intéressés tout particulièrement au fonctionnement des instances participatives des élèves au primaire dans la région de Montréal. Les résultats de leurs entretiens et de leur observation participante indiquent que les différents intervenants – élèves, responsables (occupant tous des fonctions d’enseignant) et directions d’établissement – ont du mal à assumer leur rôle. Ainsi, les élèves délégués ont tendance à consulter leurs pairs plutôt qu’à agir seuls, mais ils défèrent beaucoup les décisions aux adultes, voyant ces derniers comme investis du pouvoir. Les directions d’école semblent quant à elles souvent peu investies et les responsables, par manque de temps, ont tendance à imposer leurs décisions aux élèves. Les responsables jugent d’ailleurs que la charge de travail pour encadrer les élèves est exigeante. Enfin, les limites dans les capacités cognitives des élèves pour accomplir certaines tâches sont mentionnées par plusieurs intervenants.

Les effets des instances participatives des élèves ont été étudiés dans plusieurs pays (p. ex. : États-Unis, Finlande, Italie, Royaume-Uni). Ces études ont mis en évidence des liens positifs entre l’implication dans une instance participative et différentes manifestations d’un engagement citoyen comme l’intention de voter à l’âge adulte (Anderson et Goodyear-Grant, 2008; Hoskins et al., 2012; Torney-Purta et al., 2001), la participation politique institutionnelle (McFarland et Thomas, 2006) et non institutionnelle (Dassonneville et al., 2012; Keating et Janmaat, 2016), le sentiment d’être capable d’influencer la politique (Dassonneville et al., 2012), l’intérêt politique (Claes et Hooghe, 2017; Dassonneville et al., 2012) et les connaissances politiques (Hoskins et al., 2012; Torney-Purta et al., 2001). Il semble également que les instances participatives elles-mêmes peuvent améliorer la santé mentale des élèves par l’intermédiaire d’améliorations à l’environnement physique des écoles (Griebler et Nowak, 2012). Saha et Print (2010) ont trouvé pour leur part des liens positifs entre le fait de voter lors des élections des instances participatives, ou le fait de poser sa candidature, et l’intention de voter à l’âge adulte, le sentiment d’être capable d’influencer la politique et les connaissances politiques. Il est important de rappeler que ces observations sont de nature corrélationnelle et ne permettent pas de conclure à des liens de causalité. En fait, les jeunes qui sont élus ou nommés pour participer à ces instances sont souvent déjà plus engagés ou prédisposés à l’engagement politique au départ (Fortier-Chouinard, 2017). Il n’est donc pas certain que la participation à une instance participative a des retombées directes sur l’engagement politique.

Plus généralement, de nombreuses études montrent que l’éducation contribue au développement de l’intérêt politique et des attitudes politiques et démocratiques des jeunes, notamment par le biais de cours d’éducation à la citoyenneté, entre autres ceux où la discussion ouverte d’enjeux est privilégiée, ou lors d’activités parascolaires (Dassonneville et al., 2012; Quintelier et Hooghe, 2013). Les instances participatives constituent une manière supplémentaire de favoriser le développement de ces attitudes dans un contexte d’apprentissage des normes politiques.

Plusieurs études présentent différentes informations concernant les instances participatives. Elles soulèvent souvent des défis que rencontrent celles-ci : 1) disparités de pouvoir des instances dans les écoles favorisées par rapport à celles défavorisées (McFarland et Starmanns, 2009); 2) disparités de classes sociales entre élèves délégués et les autres (Decode, 2010; Wyness, 2009); 3) élèves qui se limitent à aborder des sujets consensuels plutôt qu’à faire preuve d’esprit critique ou d’activisme (Becquet, 2010; Pache-Hébert et al., 2016); 4) manque de temps à accorder par les responsables d’instances (Pache-Hébert et al., 2014, 2016) et 5) responsabilités des instances limitées par la direction (Decode, 2010; Pache-Hébert et al., 2016). Concernant ce dernier point, la nécessité de l’accord d’adultes pour que les projets de l’instance participative soient mis en oeuvre est l’élément qui limite le plus les pouvoirs du conseil (Burnitt et Gunter, 2013; Dupuis-Déri, 2007; Pache-Hébert et al., 2014).

La majorité des études recensées se sont déroulées dans des pays anglo-saxons, en particulier au Royaume-Uni. Cela étant dit, les instances participatives québécoises ont aussi fait l’objet de quelques études scientifiques (Decode, 2010; Pache-Hébert et al., 2014, 2016). Or, ces dernières remontent toutes à avant 2015, soit l’année de création du programme Vox populi. Par ailleurs, outre Burnitt et Gunter (2013) au Royaume-Uni, peu d’études recensées dressent un portrait descriptif complet des pratiques démocratiques des instances participatives auxquelles elles s’intéressent (pourcentage d’élèves élus par leurs pairs, présence de la direction d’école aux rencontres de l’instance participative, etc.); celles recensées se contentent généralement de décrire certains problèmes rencontrés par les instances ou à comparer les aptitudes des élèves membres d’une instance avec celles des élèves non membres. À notre avis, il importe de fournir un portrait descriptif des actrices et des acteurs, et des pratiques en place au sein des instances participatives afin de déterminer les retombées potentielles pour les élèves eux-mêmes et pour le Québec en matière de formation à la démocratie, particulièrement dans un contexte où le taux de participation électorale au Québec tend à baisser (Noël, 2022).

ÉTAT DES LIEUX ET CONTEXTE ACTUEL

Élections Québec[1] récolte régulièrement des données inédites auprès des responsables des instances participatives des écoles membres de Vox populi par le biais de sondages et de suivis par courriel. Ces données dévoilent que la majorité des responsables d’instance sont des enseignantes et enseignants (115 responsables, 38,7 %), suivis de techniciennes et techniciens en loisirs (59 responsables, 20 %) et d’animatrices et d’animateurs de vie spirituelle et d’engagement communautaire (52 responsables, 17,4 %). On retrouve également un certain nombre de membres de l’équipe de direction (25 responsables, 8,3 %) et de techniciennes et techniciens en éducation spécialisée (18 responsables, 6,1 %).

Aussi, ces données permettent d’observer que la majorité (63,9 %) des responsables le sont depuis plus de cinq ans, et seulement neuf (14,8 %) en sont à leur première année. Ces responsables se considèrent très bien ou bien outillés pour accompagner l’instance dans 58 cas sur 61 (95,1 %). Les principaux défis rencontrés par ces responsables concernent principalement le manque de temps (28 responsables, 24 %), l’autonomie des élèves (28 responsables, 24 %), l’implication des élèves (20 responsables, 17 %) et la dynamique de l’instance participative (12 responsables, 10 %).

Les données récoltées par Élections Québec permettent également de brosser un portrait des élèves délégués. Selon la deuxième source de données, le nombre d’élèves siégeant sur l’instance participative varie d’une école à l’autre, soit entre 4 et 80 par école. La moyenne se situe à 12,9, similaire aux années précédentes (voir Figure 1). L’écart-type est toutefois assez élevé, à 8,4. La majorité des écoles ont entre 10 et 16 élèves délégués. Au secondaire, 115 des 297 écoles (73,7 %) ont des élus de chaque année scolaire, alors qu’au primaire, c’est le cas de 45 (25,6 %) des écoles seulement (ou 17 % incluant la maternelle). Sur 35 élèves délégués, 18 (51,4 %) d’entre eux comptaient déjà une à trois années d’implication, et 6 comptaient quatre années ou plus d’expérience comme membres d’une instance participative. La composition des instances participatives des écoles participantes tend aussi à surreprésenter les filles. Ainsi, Élections Québec (2018, p. 5) note que les filles constituent au moins 50 % des élus dans 38 écoles sur 54 (70,4 % des cas), constituant même 75 % ou plus des élus dans 17 écoles (31,5 % des cas).

Figure 1

Évolution du nombre moyen d’élèves délégués par année pour les écoles Vox populi

Évolution du nombre moyen d’élèves délégués par année pour les écoles Vox populi

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Des conditions d’éligibilité sont imposées pour les élèves se présentant pour être élus membres de l’instance participative dans 45 écoles sur 61 (73,8 % des cas), celles-ci incluant, par exemple, la disponibilité, le leadership, le niveau scolaire pour certains postes, ou encore la rédaction et le prononcement d’un discours. Tous les membres de l’instance sont élus par leurs pairs dans 47 écoles sur 61 (77 %), et certains postes le sont dans 11 écoles (18 %). Pour les trois écoles restantes, l’instance participative n’est pas élue. Toutefois, parmi les écoles tenant des élections, seulement 41 sur 58 (70,7 %) font voter l’ensemble des élèves. Dans les autres cas, certains niveaux scolaires ou certaines classes n’ont pas de délégués et ne votent donc pas, ou un seul candidat se présente et est élu par acclamation.

Les projets mis en oeuvre par les instances participatives des écoles de Vox populi émanent majoritairement de l’instance elle-même (pour 38 écoles sur 61, ou 62,3 % d’entre elles) ou de consultations d’élèves plus généralement (5 écoles sur 61, ou 8,2 %), selon la première source de données. Ces projets sont également approuvés par les autres élèves de l’école secondaire, dans la plupart des cas. Dans 33 écoles sur 61 (54,1 %), toutes les décisions de l’instance sont prises démocratiquement, par vote ou par consensus; dans 25 écoles (41 %), il s’agit d’une majorité des décisions qui sont prises démocratiquement.

DONNÉES ET MÉTHODES

La présente étude se base sur des données récoltées par sondage par les auteurs du présent article avec la collaboration d’Élections Québec auprès de trois groupes de participants : 32 élèves délégués de deuxième cycle du secondaire, 22 responsables des instances participatives et 7 directions d’établissements membres de Vox populi[2]. Trois questionnaires en ligne – un pour chacun des trois groupes susmentionnés – ont été préparés sur la plateforme Web LimeSurvey. Élections Québec a transmis les questionnaires à l’ensemble des responsables des instances participatives des écoles secondaires participantes afin de les inviter à répondre au questionnaire leur étant adressé. Ces responsables ont aussi reçu comme tâche de transmettre les questionnaires aux élèves délégués ainsi qu’aux directions d’écoles. Chaque répondant a répondu au sondage de manière individuelle. La collecte de données s’est réalisée entre les mois de novembre 2022 et de janvier 2023. Au total, 150 responsables ont été contactés, soit un par école secondaire participante offrant le deuxième cycle, et des répondants de 24-26 écoles ont envoyé un questionnaire pour au moins un intervenant, pour un taux de réponse de 17 % après une relance. Le questionnaire portait principalement sur les pratiques démocratiques des écoles. Les questions posées aux trois acteurs ne différaient pas pour les fins des analyses de cet article. Les questionnaires complets pour chacun des trois types d’actrices et d’acteurs se trouvent dans les Annexes I à III.

Les données ont d’abord été analysées de manière quantitative, puis de manière qualitative. Pour le volet quantitatif, une échelle de mesure de neuf items représentant le fonctionnement démocratique de l’école a été créée par l’auteure et les auteurs. Les questions de cette échelle ont été développées à partir des trois principes de Vox populi :

  • L’instance participative des élèves doit être formée d’élèves élus par leurs pairs;

  • Les décisions doivent être prises démocratiquement;

  • Les décisions doivent être approuvées et appliquées par la direction de l’établissement.

Ces principes respectent ceux d’une saine démocratie : élections libres, représentativité par les pairs, délibération démocratique et mise en oeuvre des décisions. Les questions ont été prétestées par quatre personnes : trois étudiants au premier cycle et une spécialiste en mesure et évaluation. Ces prétests ont permis de s’assurer de la pertinence et de la clarté des questions. Essentiellement, cette échelle mesure la participation des différents acteurs et actrices aux mécanismes de prise de décision démocratique, la facilité d’accès à l’information sur l’instance pour tous les élèves, et l’importance accordée à cette instance par le responsable d’instance ainsi que par la direction. Les questions exactes posées sont décrites dans la section des résultats.

L’échelle globale de performance démocratique, créée à partir des neuf questions, a une cohérence interne acceptable, avec un coefficient alpha de Cronbach de 0,77, une valeur située en plein milieu de la fourchette de valeurs recommandées de 0,7 à 0,9, et suggérée, entre autres, par Nunally (1978). Les réponses des élèves délégués, des responsables d’instance participative et des directions d’écoles sont incluses. Le score des écoles est codé de 0 à 1, où 1 signifie que l’ensemble des réponses aux neuf questions sur le fonctionnement de l’instance participative est « Tout à fait en accord » alors que 0 signifie que l’ensemble des réponses aux neuf questions est « Pas du tout en accord ». Plus le score est élevé, meilleures sont les pratiques démocratiques. Les questions sans réponse sont exclues de l’analyse.

Des boîtes à moustaches et des histogrammes ont été réalisés en langage de programmation R à partir d’un ensemble de données en format XLSX (Microsoft Excel) afin de communiquer l’information descriptive pertinente au sujet des écoles, des élèves délégués et des responsables. Les résultats dans cette section sont interprétés avec une grande prudence en raison de la petite taille d’échantillon.

Pour le volet qualitatif, les réponses à la question ouverte « L’instance participative des élèves se prononce sur quel(s) sujet(s)? », présente dans les trois questionnaires, ont été analysées afin d’en faire ressortir les principales tendances. Une analyse de contenu inductive a ainsi été réalisée. Étant donné le nombre d’observations digeste, cette méthode permettait de faire émerger des thèmes sans a priori. Cette méthode est adaptée pour permettre d’identifier les thématiques principales à partir d’une question ouverte comme celle-ci (Bardin, 2013).

RÉSULTATS

Fonctionnement et « performance » démocratique

Le Tableau 1 montre le score de fonctionnement démocratique pour chacune des neuf questions. Sur une échelle de 0 à 1 de degré d’accord avec des énoncés représentant des pratiques démocratiques, le score moyen rapporté par les répondants est de 0,81, donc supérieur à « Plutôt en accord ». Pour l’élection des candidats par l’ensemble des élèves, le score de 89 % est supérieur aux statistiques d’Élections Québec (2021), qui indiquaient que seulement 77 % des écoles avaient tous leurs postes pourvus par élection, et 70,7 % seulement faisaient voter tous les élèves.

Tableau 1

Moyenne de fonctionnement démocratique pour chacune des neuf questions

Moyenne de fonctionnement démocratique pour chacune des neuf questions

Tableau 1 (continuation)

Moyenne de fonctionnement démocratique pour chacune des neuf questions

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Les trois questions avec les scores les plus faibles concernent le rôle de la direction, dont deux ont des scores inférieurs à « Plutôt en accord » et un écart-type supérieur à 0,25, indiquant une plus grande variabilité dans les réponses données. Ces scores plus faibles pourraient être liés au fait que la majorité des directions disent accorder une heure ou moins par semaine à l’instance participative, comparativement à une à quatre heures en moyenne pour les élèves délégués et responsables (Decode, 2010; Pache-Hébert et al., 2016). À l’inverse, le rôle des responsables dans l’accompagnement est associé à d’excellents scores de 0,93 en moyenne. La distribution d’information sur l’ensemble des candidats et le vote par l’ensemble des élèves obtiennent aussi d’excellents scores, avec une moyenne de 0,89 chaque.

Le score de fonctionnement démocratique des écoles secondaires permet de constater que, à quelques exceptions près, les écoles ne se démarquent pas énormément les unes des autres, puisque les scores sont généralement élevés. Ainsi, sur 61 questionnaires remplis en ligne, les scores de 3 d’entre eux seulement sont inférieurs à 0,5 (score moyen). Les scores demeurent généralement assez positifs : 0,81/1 en moyenne. Enfin, les scores donnés pour chaque question sont corrélés entre eux : plus un répondant donne un score élevé à la question x, plus il risque de donner un score élevé à la question y, par exemple.

La Figure 2 montre le temps accordé à l’instance participative dans les écoles secondaires par les élèves délégués, les directions d’écoles et les responsables d’instances. En analysant ces résultats, il semble que les directions d’école semblent accorder moins de temps à l’instance que les élèves délégués et les responsables : elles disent y accorder en moyenne une heure ou moins par semaine, tandis que les élèves délégués et responsables disent y accorder chacun en moyenne entre une et quatre heures.

Figure 2

Heures accordées à l’instance par semaine

Heures accordées à l’instance par semaine

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Enfin, en analysant les réponses à la question ouverte « L’instance participative des élèves se prononce sur quel(s) sujet(s)? (Entrez autant de sujets que nécessaire) » du sondage LimeSurvey, les principaux sujets qui ressortent sont les suivants (pas nécessairement dans l’ordre) : 1) l’organisation d’activités telles que des journées thématiques et des sorties culturelles; 2) le code vestimentaire/l’uniforme; 3) le code de vie; 4) le bien-être des élèves et la défense de leurs droits; 5) l’aménagement de l’environnement scolaire; 6) la protection de l’environnement et la gestion des déchets; 7) la lutte contre certaines problématiques sociales (racisme, homophobie, intimidation, santé mentale); 8) l’élaboration du menu de la cafétéria (sujet mentionné par le personnel enseignant, mais pas par les élèves délégués); et 9) l’organisation de projets. L’organisation d’activités est l’élément qui revient le plus souvent, alors qu’il y a très peu de mentions du financement.

DISCUSSION ET CONCLUSION

Somme toute, les données relatives aux actrices et acteurs des instances participatives permettent de tirer quelques conclusions concernant les perceptions des responsables ainsi que celles des élèves impliqués sur ces instances. Les responsables semblent accorder une proportion importante de leur tâche à l’instance participative, sont souvent responsables depuis de nombreuses années et assument plusieurs rôles à la fois au sein de l’instance. Il est notable que la personne responsable n’assume pas toujours le même rôle dans l’école, puisqu’enseignantes et enseignants, techniciennes et techniciens, et animatrices et animateurs sont parfois appelés à jouer ce rôle. Pour leur part, les élèves délégués sont généralement élus par leurs pairs, mais doivent remplir certaines conditions pour être éligibles. La majorité d’entre eux ont d’ailleurs au moins une année d’expérience au sein du conseil. Par ailleurs, les données relatives aux pratiques démocratiques permettent de relever que les élèves, directions d’école et responsables voient positivement le travail réalisé par les responsables d’instance et par l’instance participative elle-même, dont la vaste majorité des décisions sont prises démocratiquement et dont les domaines d’action sont variés, incluant la lutte contre des problématiques sociales comme l’organisation d’activités.

Alors que les études précédentes indiquent que les instances participatives sont souvent perçues comme des lieux où les élèves sont restreints dans les sujets abordés et peu encouragés à faire preuve d’activisme ou encore d’esprit critique (Becquet, 2010; Pache-Hébert et al., 2016), une variété de sujets semblent plutôt abordés par les instances dans l’étude actuelle, incluant notamment l’organisation d’activités et de projets, ainsi que les actions visant à améliorer les aspects sociaux et environnementaux dans les écoles. Bien que ces priorités puissent être en phase avec les priorités établies par la direction, il n’y a pas d’indication que l’esprit critique et l’activisme sont découragés par les intervenants. Les élèves sont par ailleurs encadrés par des responsables impliqués dont la contribution est vue positivement et sont généralement élus lors d’élections impliquant l’ensemble des élèves, bien que certaines conditions d’éligibilité pour la participation au conseil sont généralement requises. Les pratiques démocratiques recensées fournissent potentiellement une explication aux résultats d’études sur les instances participatives, qui notent que la participation des élèves à ces instances est associée positivement à un grand nombre de formes d’engagement politique. Toutefois, les discussions de questions de financement semblent absentes de la définition des rôles des instances participatives, ce qui semble indiquer une mainmise de la direction ou du personnel scolaire sur les décisions financières.

Concernant les pratiques démocratiques, les résultats aussi bien qualitatifs que quantitatifs issus de la collecte de données, tout comme ceux issus de l’état des lieux, semblent indiquer que Vox populi permet d’atteindre plusieurs de ses objectifs, notamment l’élection au suffrage universel des élèves délégués, la réalisation de projets concrets par l’instance participative, sa tendance à consulter les autres élèves pour prendre des décisions, ainsi qu’une implication jugée très satisfaisante des responsables de programme, bien que ceux-ci jugent parfois manquer de temps pour pouvoir s’acquitter de leurs tâches. Toutefois, il est important de rappeler que ces résultats se basent sur des données parcellaires obtenues auprès de responsables d’école qui ont pris le temps de répondre au sondage.

Les directions d’école semblent toutefois moins impliquées que le souhaiteraient certains répondants. Cela rejoint les constats posés par des études précédentes, qui notaient leur relative absence et l’importante implication des responsables d’instances (Decode, 2010; Pache-Hébert et al., 2016). Les responsables d’instances semblent quant à eux juger qu’ils manquent de temps, un constat qui rejoint les études québécoises précédentes (Pache-Hébert et al., 2014, 2016), mais cela ne semble pas affecter concrètement leur contribution au succès des instances, à en juger par les constats posés par les élèves.

En ce qui concerne la composition des instances participatives des écoles participantes, il semble y avoir une surreprésentation des filles plutôt que des garçons, un constat étonnant compte tenu de la sous-représentation des femmes dans les institutions politiques fédérales et provinciales. Il se pourrait que les différences de genre dans le développement de l’intérêt politique se manifestent seulement à partir de l’âge de 15 ans. C’est ce que rapportent deux études québécoises (Beauregard, 2008; Dostie-Goulet, 2009).

Pour conclure, le programme Vox populi se démarque au Québec par son importante présence dans les écoles québécoises et par son accessibilité. Alors que la littérature savante nous apprend qu’il existe des retombées positives notamment sur l’estime de soi et sur le statut social des élèves, sur leurs aptitudes démocratiques et sur les relations élève-adulte, et sur le fonctionnement de l’école (Mager et Nowak, 2012), aucune étude n’a permis d’évaluer les effets de la participation à la gouvernance scolaire sur le développement de la pensée politique des élèves (Lemieux et Simard, 2019). Ce dernier point constituera la prochaine étape de notre recherche.