Abstracts
Résumé
Cet article présente la manière dont les élèves au secondaire issus des minorités visibles, et fréquentant deux écoles du secondaire situées dans une région excentrée et à faible densité ethnoculturelle, décrivent leur expérience socioscolaire. Il s’intéresse aux dimensions relationnelle et identitaire, et vise à connaître la façon dont ces élèves se perçoivent, se considèrent, se positionnent, se définissent et réagissent dans cet environnement éducatif par rapport aux autres élèves. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de dix élèves de deux écoles secondaires de la ville de Saguenay, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Dans l’ensemble, les extraits retenus font ressortir les vécus et les perçus des enjeux et des défis soulevés par leurs caractéristiques personnelles sur leur parcours scolaire. Les résultats attestent l’existence de perceptions diversifiées, mises en relief par différentes expériences et visant une reconnaissance sociale et une volonté de compensation de certaines ségrégations (p. ex. : le racisme), et nous invitent à nuancer la portée des victimisations se rapportant à la discrimination raciale. Nos résultats indiquent qu’il y a présence de comportements insidieux de microagressions (agresseurs) et d’évitement (victimes). Les élèves rencontrés, même s’ils se sentent en général bien et en sécurité à l’école, utilisent des stratégies d’adaptation et de refoulement devant les actes racistes.
Abstract
This article presents the way in which visible minority high school students attending two secondary schools in an outlying, low ethno-cultural density region describe their social and school experience. It explores relational and identity dimensions and aims to understand how these students perceive themselves, think of themselves, position themselves, define themselves and react in this educational environment in relation to other students. Semi-structured interviews were conducted with ten students from two secondary schools in the city of Saguenay in the Saguenay–Lac-Saint-Jean region. Overall, the selected excerpts highlight the experiences and perceptions of issues and challenges raised by their personal characteristics on their educational path. The results confirm the existence of diverse perceptions highlighted by a variety of experiences aiming at social recognition and a willingness to compensate for certain segregations (e.g. racism). They also invite us to nuance the scope of victimization related to racial discrimination. Our results indicate that insidious behaviours, such as micro aggressions (aggressors) and avoidance (victims) exist. Although the students we met generally feel well and safe at school, they use coping and repression strategies to deal with racist acts.
Resumen
Este artículo presenta la manera en que los alumnos de secundaria procedentes de minorías visibles, de dos escuelas secundarias ubicadas en una región periférica y con baja densidad etnocultural, describen su experiencia socioescolar. Se interesa a las dimensiones relacional e identitaria, y busca a conocer la manera en que estos alumnos se perciben, se consideran, se posicionan, se definen y actúan en este ámbito educativo en comparación con los demás alumnos. Han sido realizadas entrevistas con diez alumnos de dos escuelas secundarias de la ciudad de Saguenay, en Saguenay–Lac-Saint-Jean. En conjunto, los fragmentos de las entrevistas hacen resaltar las vivencias y la manera de percibir los retos y desafíos que implican sus características personales en su recorrido escolar. Los resultados demuestran la existencia de percepciones diversificadas, puestas de relieve por diferentes experiencias y apuntando a un reconocimiento social y una voluntad de compensar para ciertas segregaciones (p. ej. el racismo), y nos invitan a matizar el impacto de las victimizaciones con relación a la discriminación racial. Nuestros resultados indican la presencia de comportamientos insidiosos de microagresiones (agresores) y de esquiva (víctimas). Los alumnos entrevistados, aunque en general se sienten bien y en seguridad en la escuela, utilizan estrategias de adaptación y de represión ante los actos racistas.
Article body
INTRODUCTION
Cet article présente les résultats d’une recherche portant sur les effets de l’environnement socioscolaire[1] sur la réussite éducative des élèves du secondaire issus des minorités visibles (EIMV) dans la ville de Saguenay (métropole polycentrique de la région administrative du Saguenay–Lac-Saint-Jean), une région du Québec à faible densité ethnoculturelle[2]. Selon statistique Canada (2016), la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ) compte 277 200 habitants. La population immigrée (2 965 habitants) constitue à peine 1,1 % de la population totale. Dans la ville de Saguenay, elle s’établit à 1,2 % de la population totale régionale, avec près de 1 625 personnes immigrantes, soit plus de 65 % de la population immigrante régionale.
Pour rappel, la ville de Saguenay a connu de 2013 à 2017 plusieurs actes d’incitation publique à la haine et de harcèlement délibérés envers les personnes d’origine immigrante, et issues des minorités ethnoculturelles, à travers des messages haineux et xénophobes (ex. : le slogan « Saguenay ville blanche ») qui ont fait les manchettes[3].
Ces actes ont été ressentis comme un électrochoc par les populations locales et par les personnes immigrantes, effrayées à l’idée que ces propagandes haineuses et racistes conduisent à des comportements hostiles à la présence des minorités ethnoculturelles.
Dans les lignes qui suivent, nous exposons tout d’abord la problématique qui sous-tend la question des inégalités ethnoraciales à l’école. Ensuite, nous présentons le cadre conceptuel, dans lequel sont abordés la théorie des représentations sociales ainsi que les concepts liés à la discrimination raciale. Aussi, la démarche méthodologique mobilisée sera présentée. Enfin, les résultats seront discutés pour mettre en évidence les représentations que les élèves du secondaire issus des minorités visibles (EIMV) ont de leur vécu socioscolaire. En s’appuyant sur les faits/effets vécus et/ou perçus que ces élèves auront eux-mêmes déterminés, le personnel scolaire serait en mesure d’identifier ce qui, dans l’entendement de ces jeunes, influence leur expérience scolaire, puis d’ajuster les interventions socioéducatives pour transformer le milieu ou, du moins, pour cerner les réelles solutions aux problèmes liés à l’organisation scolaire qui influencent le mieux vivre-ensemble à l’école, afin de rendre celle-ci plus inclusive.
PROBLÉMATIQUE
Selon le recensement canadien de 2016 (Statistique Canada, 2016), force est de constater que l’immigration provient essentiellement d’Asie puis d’Afrique. Parfois, l’école pour ces élèves est le lieu de la révélation de différences et de conflits identitaires (Dhume, 2019). Dans une région à faible densité ethnoculturelle comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, il n’existe pas d’études sur la scolarisation des élèves issus des minorités visibles. L’immigration est un phénomène assez récent, mais en constante évolution, et peu d’études (voire aucune) ont porté sur les élèves d’origine immigrante (Amboulé-Abath, 2019). De plus, les écoles au Saguenay ne sont pas bien préparées en matière de ressources humaines et matérielles pour accueillir ces élèves. Cette absence d’expertise en matière d’accueil, d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle est préoccupante (Amboulé-Abath, 2019). Dans cette perspective, pour mieux cerner et comprendre le vécu socioscolaire de ces élèves, il importe d’explorer les perceptions qu’ont ces jeunes de leur environnement socioscolaire et les relations qu’elles et ils entretiennent avec les pairs du groupe majoritaire et le personnel scolaire. L’analyse du vécu socioscolaire des EIMV permet de repenser l’école comme lieu de la (re)production des normes sociales inégalitaires (Bourdieu et Passeron, 1970) et, par conséquent, comme un instrument de la stabilité des rapports de domination, qui entretiennent une hiérarchie structurelle entre groupes désignés différents et dont la dissymétrie est naturalisée (Juteau, 2015). Cependant, l’école permet aussi d’acquérir les outils qui conduisent à leur remise en question malgré la persistance des inégalités sociales et des pratiques iniques dans les institutions éducatives qui demeurent au service de la majorité blanche. Les processus de différenciation, tout comme les marqueurs visibles de la diversité identifiables en milieu scolaire, positionnent ceux-ci différemment des autres selon les polarisations sociales (Potvin et Pilote, 2021; Magnan et al., 2016; Borri-Anadon et al., 2015). Par conséquent, de nombreuses iniquités scolaires sont perçues entre les différents groupes sociaux, déterminés par les préjugés ethnoraciaux entretenus sur la couleur de la peau dans l’espace scolaire (Potvin et al., 2013). À cause d’un marqueur visible de la diversité perçu à travers la couleur de peau, ces élèves sont souvent aux prises avec des manifestations de mépris, de dénigrement, de mise à l’écart, d’isolation, de rejet social, d’indifférence et de désintérêt des Autres (Steinbach 2015; Felouzis, 2020, 2003; Fouquet-Chauprade, 2013). Nous pouvons donc présumer que certains seraient victimes de microagressions et, plus subtilement, de comportements racistes qui peuvent prendre la forme de regards pernicieux ou tout simplement d’indifférence de leurs pairs qui seraient une source de tensions liées à leurs différences, notamment en ce qui concerne la couleur de la peau. En ce sens, différentes recherches (Potvin et al., 2021; Lafortune, 2014; Dhume, 2019; Fouquet-Chauprade 2014, 2013; Kanouté et Lafortune, 2011; Merle, 2012) révèlent aussi que ces élèves font face à des problèmes de discrimination subtile ou inconsciente dans la classe ou dans l’enceinte scolaire par le personnel scolaire et par les camarades :
Préférences discriminatoires matérialisées par le rejet et le fait d’être ignorés dans la constitution des équipes pour les travaux de groupe;
Difficulté de se faire des amis;
Se voir assigner les préjugés véhiculés sur leur groupe d’appartenance;
Être exclus d’un cercle d’amis;
Insultes racistes;
Blagues déplacées;
Questions humiliantes de la part des pairs.
Toutes ces attitudes conflictuelles teintées de préjugés et de stéréotypes ethnoraciaux font que ces jeunes stigmatisés sont plus enclins à vivre des situations d’exclusion et doivent relever des défis particuliers pour réussir à l’école. Ces constats troublants mis en évidence par la recherche laissent sous-entendre une forme de ségrégation scolaire, avec ses déclinaisons inégalitaires, lesquelles peuvent avoir des conséquences dommageables sur leur parcours scolaire et mener à des perspectives hypothéquées (Potvin et al., 2021; Magnan et al., 2019; Dhume, 2019; Lafortune 2014; Felouzis, 2020, 2003; Merle, 2012). Certains EIMV vivent donc des expériences de racisation[4] à l’école qui conduisent à des tensions identitaires aliénantes puisque la couleur de la peau sert à justifier la hiérarchie sociale prédominante.
Ces faits dénotent la nécessité d’explorer leur expérience de socialisation scolaire[5] dans une région à faible densité ethnoculturelle comme le SLSJ, et la façon dont ils se perçoivent, se considèrent par rapport aux autres élèves, se positionnent, se définissent et réagissent dans cet environnement scolaire. De façon plus précise :
Comment ces élèves se perçoivent-ils dans leur environnement socioéducatif?
Quelles conceptions se font-ils de leur propre expérience socioscolaire?
Comment se considèrent-ils par rapport aux autres élèves?
Quelles sont les épreuves relationnelles, dans les activités d’enseignement-apprentissage, qu’ils traversent et qui peuvent améliorer ou détériorer leur réussite éducative?
Pour répondre à ces questions, nous nous situerons dans une perspective des représentations sociales. Selon Abric (2005), cette perspective stipule que chaque sujet a sa façon de penser et de donner un sens à la réalité à travers les choix qu’il effectue et les actions qu’il entreprend. Ces choix et actions sont modulés selon ses ancrages identitaires, selon les différents groupes auxquels il appartient, et selon l’environnement sociogéographique, qui affecte les représentations sociales qu’il a construites.
CADRE CONCEPTUEL
Le cadre qui sous-tend cette étude se base sur la théorie des représentations sociales en contexte de diversité ethnoculturelle et sur les concepts liés à la catégorisation sociale des groupes ethnoculturels à l’origine des inégalités ethnoraciales à l’école.
La théorie des représentations sociales
Les représentations sociales des EIMV de leur expérience scolaire et identitaire forment notre matériau de recherche. Par définition, les représentations sociales constituent une manière de penser et de donner un sens à la réalité. Elles sont un produit de la réalité sociale et, en même temps, elles contribuent à la construction de la réalité (Abric, 2005). Cette approche théorique permet de mieux comprendre leurs interactions avec le groupe de pairs et l’environnement social. Jodelet estime dans ce cadre que :
[nous] avons toujours besoin de savoir à quoi nous en tenir avec le monde qui nous entoure. Il faut bien s’y ajuster, s’y conduire, le maîtriser physiquement ou intellectuellement, identifier et résoudre les problèmes qu’il pose. C’est pourquoi nous avons besoin des représentations. Et, de même que, face à ce monde d’objets, de personnes, d’évènements ou d’idées, nous ne sommes pas (seulement) équipés d’automatismes, de même ne sommes-nous pas isolés dans un vide social : ce monde nous le partageons avec les autres, nous nous appuyons sur eux – parfois dans la convergence, parfois dans le conflit, pour le comprendre, le gérer ou l’affronter. C’est pourquoi les représentations sociales sont si importantes dans la vie courante. Elles nous guident dans la façon de nommer et définir ensemble les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et, le cas échéant, prendre position à leur égard et la défendre.
Jodelet, 1997, p. 47
Cela revient à dire que, chaque fois qu’un individu pose un acte face à un phénomène donné, chaque fois qu’il dit ce qu’il pense d’un phénomène ou d’une situation donnée, c’est dans ses représentations qu’il va chercher la façon de se conduire ou de penser à l’égard de l’objet de sa représentation. Ainsi, les représentations que l’individu se fait de l’objet constituent pour lui la réalité même. L’idée sous-jacente à l’origine de cette contribution est la question des inégalités ethnoraciales à l’école. Nous portons une attention particulière aux représentations sociales des EIMV de leur parcours scolaire en contexte minoritaire et les effets délétères des préjugés et autres stéréotypes ethnoraciaux de leur groupe social d’appartenance.
Les inégalités ethnoraciales à l’école
L’école a longtemps été définie par les sociologues de l’éducation comme une des institutions responsables de la (re)production des inégalités sociales (Felouzis, 2020; Merle, 2012; Bourdieu, 1966). À la croisée des regards sociologiques, nous assistons de ce fait à un véritable renouvellement de lectures sur cette problématique, qui fait aujourd’hui l’objet de nombreux travaux scientifiques entourant la déconstruction et l’aplanissement des inégalités ethnoraciales en milieu scolaire (Potvin et al., 2021; Felouzis, 2020, 2003; Dhume, 2019). Plus récemment, de nouvelles perspectives puisant aux approches théoriques de l’éducation relative à la diversité ethnoculturelle[6] sont venues enrichir ce domaine (Larochelle-Audet et al., 2021). Les notions liées aux enjeux de racisation sont abordées dans les sections qui suivent : les minorités visibles, la race, le racisme et la discrimination raciale.
La notion de minorités visibles
Le vocable minorité visible désigne, selon la Loi sur l’équité en matière d’emploi (L.C. 1995, ch. 44, art. 3) « les personnes autres que les Autochtones qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ». Depuis 1996, cette expression officielle est utilisée dans tous les recensements canadiens pour répertorier les personnes racisées victimes de discrimination. Nous parlerons des minorités visibles pour désigner les élèves des communautés noires et asiatiques dans le contexte spécifique de la ville de Saguenay, majoritairement blanche.
L’intérêt de se pencher sur le concept de minorités visibles est que ce dernier a des effets sociaux bien réels, et parfois dommageables, pour les membres de ces communautés, car :
[Si] la race biologique n’a aucune valeur explicative sur le plan sociologique, on ne peut en dire autant de la « race sociale » c’est-à-dire la race socialement construite. Plus encore, les préjugés et la discrimination fondés sur la race, tout comme les inégalités qui en découlent, nous rappellent que la race […] n’en a pas moins des effets sociaux bien réels, qui ne peuvent en aucun cas être négligés par les chercheurs.
Ducharme et Eid, 2005, cités dans CDPDJ, 2011, p. 7
La notion de race
Dans cette optique, la race devient un concept socialement construit possédant une certaine valeur explicative. Le terme race est utilisé aussi bien dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (article 10) que dans la Charte canadienne des droits et libertés, et figure dans de nombreux instruments internationaux. Nous utilisons cette expression afin de nous conformer au terme utilisé dans la loi actuelle, ainsi que par Statistique Canada.
Nous estimons que c’est la construction de l’inégalité entre les groupes sociaux qui crée « les races ». Cette posture socioconstructiviste fait de la race un construit social permettant de classer les êtres humains pour les différencier selon des critères phénotypiques (couleur de la peau et des cheveux, traits du visage, texture des cheveux, couleur et forme des yeux) ou culturels, sans base scientifique. Cette distribution arbitraire des marqueurs visibles justifierait prétendument que certains groupes humains sont inférieurs ou supérieurs aux autres (Bessone, 2013, 2017). Pour Guillaumin (2002), les phénomènes racistes se comprennent au regard d’un système relationnel dans lequel « les statuts majoritaires et minoritaires sont à la fois des statuts concrets et des statuts symboliques » (p. 124). Dans ce contexte, les groupes minoritaires se retrouvent « sociologiquement en situation de dépendance ou d’infériorité […] soit en pouvoir, soit en nombre ». Ce traitement différencié des êtres humains entraîne le racisme et la discrimination raciale, fléaux qui minent nos sociétés actuelles.
Les notions de racisme et de discrimination raciale
En effet, le racisme commence par l’altérité (c.-à-d. lorsque l’Autre est considéré comme différent) et s’incarne comme un processus d’imputation des marqueurs instituant des différences raciales. Cette différenciation inégalitaire des êtres humains selon leur groupe social d’appartenance est souvent fondée sur des préjugés raciaux coriaces et sur des stéréotypes racistes. Il existe de nombreuses définitions du racisme. Nous en avons retenu deux. La première définit le racisme comme :
Une idéologie qui se traduit par des préjugés, des pratiques de discrimination, de ségrégation et de violence, impliquant des rapports de pouvoir entre des groupes sociaux, qui a une fonction de stigmatisation, de légitimation et de domination, et dont les logiques d’infériorisation et de différenciation peuvent varier dans le temps et l’espace. […] Pour qu’on puisse parler de racisme, il faut qu’il y ait, d’une façon ou d’une autre, la présence de l’idée d’un lien entre les attributs ou le patrimoine – physique, génétique ou biologique – d’un individu (ou d’un groupe), et ses caractères intellectuels ou moraux.
Wieviorka, 1991, p. 15
De son côté, Memmi (1994) affirme que « le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier son agression » (p. 113). Ces deux définitions mettent en exergue l’idée d’infériorisation, de généralisation abusive et de microagressions au fondement de la discrimination systémique et du racisme vécus à l’école.
MÉTHODOLOGIE
L’objectif de cette étude exploratoire de type qualitatif était de recueillir et d’analyser les perceptions qu’ont les EIMV de leur vécu scolaire et identitaire. L’étude s’est déroulée dans deux écoles de niveau secondaire de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le recrutement des EIMV s’est fait par l’intermédiaire du centre de services scolaire, puis par nos contacts personnels auprès des directions d’école. Nous avons ensuite communiqué avec les parents d’élèves intéressés pour leur expliquer les objectifs du projet afin d’obtenir leur consentement pour une participation sur une base volontaire et anonyme de leur enfant.
Dans cette visée, nous avons élaboré et testé un protocole d’entretiens semi-directifs de 45 minutes à 90 minutes pour les jeunes composant le groupe des EIMV dans les deux écoles participantes. L’utilisation des entrevues a permis de recueillir les opinions, les récits d’expériences et les témoignages des EIMV dans le but de recenser des informations éclairantes sur différents aspects qui concourent à leur expérience scolaire. Appuyés sur ce protocole d’entrevue validé, les entretiens semi-dirigés ont été conduits par la chercheuse elle-même.
En tant qu’intervieweuse, nous étions sensible au fait que notre origine ethnoraciale était de nature à favoriser une certaine proximité avec certains élèves. Cette posture a mis en confiance certains EIMV qui ont eu l’amabilité de nous proposer des noms de camarades issus des minorités visibles. Nous étions toutefois consciente de la nécessité de garder une distance avec ces élèves, étant donné notre posture de chercheuse. Les entrevues individuelles ont été enregistrées numériquement, intégralement transcrites, puis traitées selon une démarche classique d’analyse de contenu, sans l’aide de logiciel. Après la codification descriptive des verbatim, nous avons procédé à l’analyse de contenu thématique telle qu’elle est définie par Paillé et Mucchielli (2016), c’est-à-dire une analyse qui consiste en un travail de réduction et/ou de synthèse du corpus après une lecture préliminaire. La procédure d’analyse s’est effectuée selon deux postures : restitutive et analytique (Demazière et Dubar, 2004). Selon la posture restitutive, la parole des EIMV a été restituée telle quelle. Ensuite, la posture analytique a permis de rendre compte du sens que ces élèves attribuent à leur propre vécu scolaire. Le but ultime était d’apporter des éclairages sur les enjeux et les tensions associés à leur expérience socioscolaire, et les significations sous-jacentes aux positions endossées à l’égard du vécu scolaire, du cadre scolaire et des relations avec les autres élèves. Cette contribution centrée sur le thème de la qualité de vie à l’école présente les réponses aux questions suivantes :
Comment tu te sens à l’école?
As-tu des amis à l’école? Est-ce que tu te sens parfois seul(e) à l’école? Si oui, à quel moment? Si non, pourquoi?
Dirais-tu qu’il y a du racisme dans ton école?
RÉSULTATS
Les élèves (N = 10) que nous avons rencontrés étaient âgés de 11 à 16 ans (Tableau 1). Pour préserver l’anonymat, certains ont eux-mêmes choisi un prénom fictif et nous avons choisi des prénoms fictifs pour celles et ceux qui ne l’ont pas fait. L’analyse réalisée à partir des représentations des 10 EIMV nous a permis d’interpréter les faits et les effets perçus et vécus par ceux-ci. Les sections suivantes décrivent les résultats obtenus à partir des extraits d’entretiens retenus pour l’analyse, et en discutent.
Tableau 1
Caractéristiques sociodémographiques des sujets interviewés[7]
Dans les lignes qui suivent, nous présentons les extraits sous-jacents aux positions endossées par les EIMV à l’égard de leur vécu scolaire au Saguenay et des relations qu’elles et ils entretiennent avec les autres élèves.
Concernant l’environnement scolaire, Raïssa souligne les changements perçus dans son parcours scolaire, de son arrivée dans la région jusqu’à la transition du primaire au secondaire :
Là, je suis déménagée à X. C’est vraiment tout petit. Pis aussi, la mentalité des gens à Québec, ils étaient plus habitués de voir des personnes d’autres nationalités, de toutes les couleurs. Tandis qu’ici, moi pis mon frère, on était pas mal les deux seuls Noirs dans l’école. Donc, ça a fait un choc pour les autres personnes. On a été adoptés. Au début, ils ne nous acceptaient pas bien. Pendant tout le primaire jusqu’en 6e année. Ça s’est plus amélioré quand je suis arrivée au secondaire à cause qu’ici le monde a plus une maturité pis il y en a de plus en plus au secondaire. (Raïssa)
Regards sur les interactions amicales
Les perceptions des EIMV sont variées quant aux caractéristiques interactionnelles qui y sont associées :
Je n’ai pas d’amis ici, même si je suis toujours avec eux. C’est plus que je parle un peu à tout le monde. (Beyoncé)
Je parle avec les gens en général, mais à l’extérieur de l’école, genre pour aller au cinéma, c’est avec des gens que j’ai connus grâce au Sport-études. C’est plus facile de s’y faire des amis parce qu’on est toujours en gang. (Gaïa)
Comme Gaïa, les extraits retenus des autres participants révèlent une question d’affinité et de ressemblance circonstancielles dans la conception de l’amitié :
Oui, j’ai plusieurs amis, mais les vrais amis, comme pour aller au cinéma, je n’en ai qu’une seule. Elle est Noire comme moi et c’est bien correct. On s’entend bien et on vit les mêmes affaires. Pour moi, c’est la qualité, et non la quantité qui compte. (Raïssa)
Ce positionnement indiquerait-il la tendance à se rapprocher de ceux qui leur ressemblent le plus?
J’étais toujours seule. Maintenant, j’ai une bonne amie autochtone… Un jour, elle est venue s’asseoir avec moi. Ses amies ne voulaient pas qu’elle se tienne avec moi, alors elles ont décidé qu’elle n’était plus leur amie. Moi, j’ai trouvé ça plate. (Rihanna)
Je n’ai pas d’amis. Des personnes que je connais, oui, mais pas forcément amis. Mais cela ne me dérange pas. Les amis, oui, c’est important. Tu sais, je ne peux pas forcer les gens à devenir amis avec moi. (Ariana)
Certains EIMV ressentent un sentiment d’acceptation, se sentent compris et reconnus par les majoritaires, alors que d’autres se sentent seuls parmi les autres et n’ont pas d’amis à l’extérieur de l’école. C’est dans cette optique que Beyoncé croit que :
[s’il] y avait des activités en commun, les gens apprendraient à se connaître. Ce serait quand même beaucoup mieux; l’école devrait quand même organiser des trucs où les gens apprennent à se connaître les uns les autres; peut-être des compétitions sportives. (Beyoncé)
Cet extrait résume la perception de la majorité des EIMV sur la rareté des activités parascolaires communes.
La question du racisme à l’école
L’analyse de cette dimension liée aux comportements discriminants est perçue à travers différentes configurations, comme en témoigne l’extrait suivant :
Je ne me suis jamais sentie ignorée par mes camarades. Je n’ai pas le sentiment d’être parfois mise de côté. On ne me traite pas comme une étrangère. Non, je ne me sens pas ignorée ou isolée. On ne se sent pas comme différent. En fait, moi, je ne me sens pas différente des autres. Je ne me sens pas chinoise. Pour moi, c’est juste la différence physique. Oui, il arrive que les minorités visibles soient ignorées volontairement. C’est sûr que ça arrive! Et, personnellement, je pense que les personnes noires vont être plus touchées par ça. Parce que moi, je ne l’ai pas vraiment vécu. Parce qu’il y a toujours un préjugé noir/blanc… Parce que la couleur de peau, c’est visible. C’est sûr qu’il va toujours y avoir des commentaires : « Ah! Les Chinoises… Hé! Les Noirs… » La différence est visible, mais moi, je n’ai jamais vu les grosses différences avec les autres. […] Je ne trouve pas qu’il y a du racisme à l’école. Le racisme, c’est quand on dénigre une personne à cause de sa différence de couleur. C’est sûr qu’il y en a, mais moi, je ne suis pas témoin de ça, je n’en entends pas parler, je n’en vois pas ou je n’en suis pas victime. (Jade)
Ce discours montre que certains EIMV seraient plus touchés par des comportements discriminants (racisme antinoir et/ou antiasiatique). Cette vision du racisme seulement chez les autres et absente du quotidien à l’école a été manifestée par plusieurs EIMV, comme le précisent les extraits suivants :
Ici, je ne peux pas dire que j’ai été témoin de quelque chose qui s’est passé comme ça. Mais je sais que ça arrive dans d’autres écoles où il y a beaucoup de Noirs. Ici, il y en a moins. C’est visible parce qu’ils sont quand même plus connus. (Léa)
C’est sûr qu’il y en a parce qu’au primaire, ça m’est arrivé un peu. Ici, je sais qu’il y avait un garçon que je connais qui jouait au football et qui était moins accepté par les autres joueurs de football. Moi, ça me faisait de la peine parce qu’il était Noir, mais je ne sais pas ce qui s’est passé avec ces garçons-là. Je ne sais pas s’il avait fait quelque chose de mal pis ils l’ont rejeté ou… Je sais juste qu’ils le tenaient à l’écart un peu. (Raïssa)
Certains EIMV estiment que ce sont des cas isolés et qu’il ne faut pas en tenir compte pour mieux y faire face, comme en témoigne l’extrait suivant :
Je n’en ai pas vu… vraiment. Mais peut-être que oui. C’est du racisme, mais, des fois, ils ne s’en rendent pas compte. Ils font des petites jokes plates, mais moi, ça ne m’atteint pas personnellement. Pis je pense que ça ne devait pas atteindre les gens qui se sentent concernés. Mais, des fois, il faudrait qu’ils fassent attention de temps en temps parce que c’est des petites jokes pis ils ne se rendent pas compte que ça peut blesser certaines personnes. Oui, il y a peut-être du racisme à l’école. Il y a un gars vraiment imbécile qui, tous les jours, […], il fait : « Hé, la Black! » Mais c’est le seul qui fait ça. Je n’en ai comme rien à faire, parce qu’il est tout seul. Personne ne l’appuie. Il est tout seul, alors je ne peux pas vraiment dire que c’est du racisme. (Beyoncé)
Ces témoignages laissent penser qu’il existerait des comportements discriminants assez subtils dans les écoles participantes. Certains EIMV l’expérimentent à distance, alors que d’autres, même sans adhérer à cette idée, vont créer une distance pouvant les conduire à ne plus ressentir les comportements racistes. Comment expliquer ces attitudes? Est-ce parce qu’ils n’arrivent pas à discerner le racisme, ou alors y sont-ils tellement habitués qu’ils ne le voient plus? Dans la situation à répétition rapportée dans le dernier extrait, Beyoncé semble banaliser l’acte répétitif de racisme pour éviter de se considérer comme une victime de racisme.
En effet, certains EIMV préfèrent les taire et s’astreignent à tout encaisser pour se faire une carapace solide, question de développer une insensibilité envers certains camarades indélicats. Raïssa le rapporte très bien :
Ça ne sert à rien de pleurer avec ça… Je suis tellement habituée d’entendre : « Les Noirs sont ci, les Noirs sont ça… » Il faut vraiment s’habituer à entendre cela... Alors, c’est vraiment eux qui sont cons et pognés. (Raïssa)
Ces extraits laissent entrevoir la difficulté à cerner chez les EIMV rencontrés le comportement ou l’insulte raciste. On perçoit qu’elles et ils ne partagent pas la même compréhension des comportements racistes. Le racisme en tant que construit social n’est pas circonscrit à l’école. Lorsqu’un élève intériorise des préjugés raciaux fondés sur des stéréotypes ou des représentations sociales inégalitaires entre les races ancrées dans la société, il peut adopter des comportements racistes consciemment ou inconsciemment en les percevant comme acceptables.
Regards sur les travaux en équipe
La majorité des EIMV interrogés ont relevé les tensions et autres frustrations vécues au moment de constituer les équipes de travail. De façon générale, ils sont moins choisis comme partenaires de travail et ce non-choix semble les affecter. L’extrait suivant témoigne d’une interprétation de cet enjeu :
Je ne peux pas dire qu’ils me choisissent facilement, non. Alors, moi, personnellement, ça ne me dérange pas… Jamais personne ne me demande : « Est-ce que tu veux venir avec nous? » (Beyoncé)
Pour Rihanna, cette préoccupation semble justifiée par le fait que les groupes d’amis au secondaire sont déjà constitués. Cette réflexion est particulièrement intéressante :
Quand je suis arrivée, les groupes étaient déjà faits. Même si les gens ne me rejettent pas directement, ils ont des liens avec d’autres amis qu’ils connaissent depuis… Oui, c’est plus difficile parce que, quand ce n’est pas les professeurs qui divisent les élèves, je ne trouve pas d’équipe pour travailler. Des fois, je veux travailler seule pour ne pas avoir à entendre : « On n’a pas de place. » Comme dans la plupart des cours je suis la seule Noire, je me retrouve toujours seule. (Rihanna)
Certains estiment que les profs ne font rien pour les inclure dans les équipes afin qu’ils apprennent à se connaître et à travailler ensemble. Pour Gaïa, lorsque les profs ne formaient pas au préalable les équipes, elle se voyait refusée dans certaines équipes. Il nous paraît dès lors important que les profs interviennent pour éviter que certains élèves se sentent seuls et « exclus de l’intérieur » par le groupe-classe :
C’est sûr que ce serait vraiment intéressant que le prof intervienne parce que je trouve qu’on a tous quelque chose à apporter à l’autre. C’est sûr que, rendu au secondaire 5, les profs veulent moins faire : « OK, toi, place-toi avec toi. » Ils sont plus tannés des enfantillages comme ça. C’est peut-être ça qui se passe, aussi. (Gaïa)
Je ne veux pas que les profs interviennent. Les trois fois où ils sont intervenus quand j’étais toute seule, j’ai travaillé avec un gars que je n’aime franchement pas. Alors, je préférerais qu’ils restent en dehors de ça. Que si on ne peut pas se mettre en équipe, eh bien, qu’on le fasse individuellement. Mais, il y a des fois où ils insistent pour qu’on soit en équipe […]. Alors, les deux derniers qui restent – généralement moi –, ils me mettent avec la dernière personne qui reste aussi. (Beyoncé)
À la lumière de ces témoignages, les interventions des profs dans la constitution des équipes sont plus ou moins bien appréciées. Toutefois, en réunissant les conditions nécessaires, ils aideraient les élèves à apprendre à se connaître ou à découvrir les autres pour mieux vivre ensemble.
DISCUSSION
L’analyse des entretiens révèle le point d’appui des représentations des EIMV sur leurs expériences personnelles, sur leurs observations, sur leurs questionnements et sur leurs aspirations. La somme des moments de tension, les faits vécus et perçus largement évoqués appellent tout d’abord à une réflexion sur l’existence du racisme à l’école dans les regards contrastés des EIMV rencontrés. En effet, certains estiment qu’ils ne sont pas discriminés et qu’il n’y a pas de racisme à l’école, malgré les faits perçus et subis, et les ressentis subjectifs relatés à travers les comportements discriminants ou les microagressions racistes dans les relations interindividuelles. Cela nous a permis de voir que la réalité subjective du racisme dans le parcours scolaire varie sensiblement selon l’élève. Ces résultats ne sont pas inédits, car les élèves victimes de discrimination à caractère raciste ne le rapportent pas toujours, puisque cette expérience renvoie souvent à une épreuve dégradante qui agit sur leur qualité de vie à l’école. Cette prise de position a été documentée dans les travaux de Cuturello (2011), qui a constaté les facteurs justifiant cette non-dénonciation et la minimisation de l’utilisation des termes discrimination et racisme par les victimes dans ses recherches. Dans certains cas, plusieurs sujets nient en cours d’entretien avoir subi des discriminations à caractère raciste, même s’ils relatent des situations explicites les dénonçant. Ainsi, certains déclarent souvent en être épargnés, banalisent ou relativisent ces expériences, tandis que d’autres taisent ces discriminations, ont du mal à les identifier ou évoquent d’autres raisons pour ne pas endosser un statut de victime (Bouchareb, 2021; Cognet et Eberhard, 2013; Eberhard, 2010).
Au demeurant, ces stratégies individuelles de refoulement plus souvent défensives mettent en tension ces élèves entre deux logiques : faire avec le racisme ou faire face au racisme lorsque certains comportements ou signes d’inimitié dans les interactions peuvent être interprétés comme discriminatoires. Dans ce contexte, les victimes choisissent de faire avec pour mieux faire face à certains comportements racistes (Cuturello, 2011). En somme, la mise à distance du racisme par certains EIMV peut exprimer une façon d’atténuer les souffrances engendrées par celui-ci sur leur parcours scolaire. Ainsi, le fait de ne pas se dire victime de racisme revêt plusieurs postures stratégiques, par exemple montrer qu’on est bien intégré malgré tout et faire semblant que tout va bien afin d’éviter la victimisation, ou encore pour se distinguer des pairs des groupes ethnoraciaux minoritaires marginalisés. Ainsi, le fait de ne pas se dire victime de racisme à l’école peut aussi être envisagé comme une stratégie identitaire pour vivre en symbiose avec les Autres. Il nous est donc difficile d’établir une logique de sens, du fait de ces contradictions observées dans différents discours. Toutefois, ce conflit d’interprétation constaté dans les discours des EIMV peut entraîner un effet de résistance, de contournement ou d’acceptation assumée de leur identité comme stratégies d’adaptation scolaire et sociale au racisme. Le déni semble être une pratique de protection permettant de supporter cette tension. Pour autant, il est nécessaire que tous les élèves comprennent ce que sont des comportements racistes, ainsi que les conséquences préjudiciables qui en découlent pour les victimes. Pour y parvenir, la communauté éducative doit reconnaître qu’il faut endiguer le racisme systémique omniprésent dans la société. La promotion d’une éducation inclusive et antidiscriminatoire constitue une approche à préconiser pour se prémunir du racisme à l’école (Potvin, 2013).
CONCLUSION
L’objectif de cette étude était d’appréhender les contours de l’expérience socioscolaire des EIMV dans ses dimensions relationnelle et identitaire. Les extraits d’entretiens retenus se sont avérés pertinents pour comprendre certains aspects de cette expérience et les épreuves relationnelles menant à une certaine lassitude due aux tensions auxquelles les EIMV font face. De plus, nos résultats montrent que ces élèves perçoivent positivement leur environnement scolaire. Néanmoins, ce constat nous amène à envisager des changements dans l’organisation scolaire pour une école bienveillante et inclusive. Dans cette optique, il y a lieu de prendre en considération les incidents relatés d’expériences auto-rapportées de racisme, voire de conduites racistes déclarées pour implémenter une politique de tolérance zéro contre les comportements discriminatoires à caractère racial signalés. Le personnel scolaire devrait profiter de ces incidents pour instaurer des activités de conscientisation et une pédagogie de sensibilisation essentielles pour éradiquer ce fléau social. L’une des clés du succès dans la lutte contre le racisme à l’école réside dans la formation du personnel enseignant, afin qu’il prenne conscience des comportements discriminants pernicieux bien connus envers les élèves des groupes minoritaires racisés en dépit des cadres légaux et des politiques éducatives. Il faut donc combattre les préjugés raciaux en classe ou dans l’école pour préparer les générations actuelles au mieux vivre-ensemble.
Appendices
Notes
-
[1]
Par environnement socioscolaire, nous désignons les contextes physique, social, pédagogique et organisationnel dans lesquels s’exercent les activités pédagogiques et socioéducatives visant l’atteinte du plein potentiel des élèves.
-
[2]
Source : https://www.statcan.gc.ca/fra/themes-debut/genre_diversité_et_inclusion
-
[3]
Quelques messages recensés :
Des messages haineux sur des autocollants racistes et xénophobes indiquant « Saguenay, une ville blanche » affichés près du campus de l’UQAC, lesquels ont fait les manchettes à la télévision (août 2013);
La distribution de pamphlets de propagande anti-immigration;
Du vandalisme à la mosquée dans l’arrondissement de Chicoutimi (2014);
La présence de pancartes à l’entrée de la ville indiquant « Saguenay ville blanche » (2016);
La présence d’une pancarte apposée par-dessus l’écriteau du cimetière de Saguenay à Saint-Honoré indiquant « Saguenay ville blanche » (juillet 2017);
L’affichage « Saguenay ville blanche » dans la municipalité de Saint-David-de-Falardeau (2013 et 2017).
-
[4]
Selon Eid (2012), la notion de racisation souligne le caractère socialement construit de la « race », mais aussi le fait que celle-ci résulte d’un processus de catégorisation externe opérée par le groupe majoritaire. Cette catégorisation exerce une violence symbolique sur les gens catégorisés en leur assignant non pas une culture historiquement construite et en mouvement (privilège des groupes majoritaires), mais plutôt une essence immuable de laquelle sont dérivés mécaniquement tous les traits sociaux, culturels et individuels.
-
[5]
Dans le sens de Robert et Tondreau (1997) : « La socialisation scolaire consisterait à conjuguer par l’acte pédagogique le rapport au savoir et le rapport aux autres. Il s’agirait de créer aujourd’hui des moyens de vivre ensemble dans l’école. […] La socialisation deviendrait une entrée privilégiée pour la préparation à une vie sociale diversifiée tant sur le plan des modes de vie que sur celui des modes de pensée » (p. 365).
-
[6]
Élèves d’origine immigrante de première génération (immigrants nés à l’étranger) ou de deuxième génération (nés au Canada, mais dont au moins un des parents est né à l’étranger), voire de troisième génération (nés au Canada de parents également nés au Canada).
-
[7]
Cette participante a été adoptée à l’âge de huit mois par une famille québécoise.
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List of tables
Tableau 1
Caractéristiques sociodémographiques des sujets interviewés[7]