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Le besoin pour un programme d’interventions basées sur la présence attentive en milieu scolaire pour les personnes adolescentes de 12 à 19 ans du secondaire et de la formation générale des adultes a émergé à l’automne 2019 à la suite de demandes de personnes enseignantes et de directions d’écoles qui souhaitaient intégrer la présence attentive à leur enseignement. Cette approche était vue comme une solution pour aider la diversité des élèves à mieux gérer leur stress, que ce soit de manière préventive ou curative. Le stress des élèves adolescents est un problème manifeste, puisqu’avant la pandémie près du quart des personnes adolescentes de 15 à 19 ans (24 %) décrivaient leur quotidien comme stressant ou extrêmement stressant (Statistiques Canada, 2014). L’Institut de la statistique du Québec avançait en 2019 des chiffres similaires avec 29 % des élèves qui présentaient un niveau élevé de détresse psychologique. De nombreuses études s’étant intéressées aux impacts de la pandémie chez les jeunes font par ailleurs état d’une augmentation générale des besoins en santé mentale chez les jeunes (Conseil supérieur de l’éducation [CSE], 2021a, 2021b; ministère de l’Éducation, 2021; Rousseau et al., 2021; Rousseau et Baril, 2022).

La présence attentive (mieux connue du grand public sous le nom de « pleine conscience » ou mindfulness) est un entraînement de l’esprit permettant de « faire attention d’une manière particulière : délibérément, au moment présent et sans jugements de valeur » (Kabat-Zinn, 1996, p. 22) par des techniques de méditation, mais aussi des exercices réalisés en état de présence attentive. L’idée d’utiliser les interventions basées sur la présence attentive pour répondre aux enjeux de stress et de bien-être des élèves trouve écho dans la littérature scientifique, puisque ces interventions sont de plus en plus étudiées et implantées dans les écoles anglophones comme une approche prometteuse pour supporter le bien-être et la réussite de l’élève en agissant simultanément sur le stress, mais aussi sur les compétences émotionnelles et sur des éléments associés à l’autodétermination (Carsley et al., 2018; Deci et al., 2015; Jennings, 2015; Turgeon et Gosselin, 2015).

Le besoin d’un programme francophone d’interventions basées sur la présence attentive est aussi confirmé par l’importance accordée au bien-être de l’élève pour son incidence sur la capacité d’adaptation de l’élève et sa disponibilité cognitive aux apprentissages (Connac, 2018; Conseil supérieur de l’éducation, 2017; Diamond, 2016; Espinosa, 2018). L’école, comme lieu central de la vie des jeunes, est de plus particulièrement intéressante pour implanter des programmes préventifs quant à la santé mentale qui rejoignent un grand nombre et une diversité de jeunes à peu de frais (Carsley et al., 2018; Sapthiang et al., 2019; Taylor et Malboeuf-Hurtubise, 2016).

En réponse à ce besoin, un projet de recherche-développement a été réalisé. L’objectif principal de ce projet était de développer un programme universel d’interventions basées sur la présence attentive, pour répondre à la fois aux besoins des jeunes de 12 à 19 ans et aux contextes scolaires du secondaire et de l’éducation des adultes, et pouvant s’adresser tant aux élèves ne présentant aucune problématique particulière qu’aux élèves rencontrant des difficultés. Le programme développé, soit le ProgrammeR·O·C : respirer (s’)observer, (se) calmer, compte 10 ateliers comprenant une formation initiale pour les personnes animatrices, un guide d’animation, des capsules vidéo, des méditations téléchargeables, des fiches synthèses ainsi que des suggestions d’activités pour réinvestir les apprentissages à la maison et à travers les matières qui composent le programme de formation de l’école québécoise. Parmi les questions de recherche qui ont guidé le projet, deux questions concernaient directement la forme que devait prendre le programme :

  • Quelles sont les conditions gagnantes pour favoriser l’intégration d’un programme d’interventions basées sur la présence attentive tant en milieu scolaire secondaire qu’à la formation générale des adultes? 

  • Comment un même programme peut-il rejoindre à la fois les personnes enseignantes et la diversité des élèves[1]?

Ainsi, dès les premières démarches pour approfondir les besoins des élèves et ceux des milieux scolaires, il est apparu que le programme devait pouvoir être offert à l’ensemble des élèves – idéalement en classe – et non seulement à un petit groupe d’élèves ciblés en raison de difficultés (ces démarches ont été menées dans la phase 1 de la recherche-développement par le biais d’une recension des écrits présentée dans Duranleau et al. [2023a] et de quatre entretiens semi-dirigés réalisés auprès de sept acteurs et actrices de trois milieux éducatifs distincts). Cette vision inclusive est d’ailleurs en accord avec les conclusions du Conseil supérieur de l’éducation, qui recommande d’intervenir en amont des difficultés en offrant des programmes de prévention universels, s’adressant à l’ensemble de la classe et susceptibles d’influencer à la hausse le taux de réussite de chaque élève qui compose la classe (CSE, 2017, 2020, 2021b). Ainsi, pour répondre aux besoins et contraintes des milieux éducatifs, le programme devait pouvoir être offert de manière universelle directement en classe[2], mais aussi à l’extérieur de la classe, soit dans des activités de type parascolaire ou lors d’interventions ciblées. La flexibilité du programme était aussi importante puisque, selon les contextes, les ateliers devaient pouvoir s’offrir en 30 à 75 minutes. Ils devaient en outre être faciles d’appropriation et clés en main. Finalement, le caractère préventif et universel que le programme devait posséder a été confirmé par les personnes des milieux éducatifs rencontrés : les ateliers devaient pouvoir s’adresser autant aux élèves de 12 ans qu’à ceux de 19 ans et rejoindre à la fois ceux ayant des difficultés particulières que ceux n’ayant aucune difficulté apparente.

Pour répondre à ces défis d’accessibilité et de flexibilité, la conception universelle de l’apprentissage semblait le modèle pédagogique tout indiqué. Cette approche soutient une planification pédagogique qui tient compte des différents moyens d’apprentissage et offre une souplesse à l’égard des moyens de présentation de l’information, des moyens d’action et d’expression, ainsi que des moyens de participation (Center for Applied Special Technology [CAST], 2011). En effet, structurer en amont les activités pédagogiques selon ces principes permettait de s’adresser à la diversité d’élèves en réduisant les obstacles à l’apprentissage par l’utilisation de multiples modalités d’enseignement et de matériel diversifié qui pourraient être ajustés selon le contenu à enseigner et les besoins (Bergeron et al., 2014; CAST, 2018). Par ailleurs, l’utilisation de supports variés (images, enregistrements audio ou vidéo, etc.) permettait de séquencer plus facilement les ateliers pour s’assurer à la fois d’offrir une flexibilité dans le choix du contenu présenté, mais aussi une variété d’outils pour réinvestir les contenus des ateliers. La conception universelle de l’apprentissage considère que le cerveau des personnes apprenantes fonctionne de manière similaire, mais que des différences existent dans les modalités d’apprentissage d’une personne à l’autre (Belleau, 2015). Elle met ainsi en lumière la spécificité cognitive individuelle, la plasticité cérébrale et le rôle différencié des régions du cerveau dans les processus d’apprentissage, ce qui appelle à utiliser une variété de moyens pour soutenir les apprentissages (Belleau, 2015). Le Center for Applied Special Technology (2018) a défini les trois grands principes de la conception universelle de l’apprentissage qui proposent un total de neuf stratégies à appliquer selon les situations pédagogiques et les groupes auxquels elles s’adressent. Ces principes sont : 1) offrir plusieurs moyens de représentation; 2) offrir plusieurs moyens d’action et d’expression; et 3) offrir plusieurs moyens d’engagement. De ce fait, l’approche ne repose pas sur une directive unique, mais sur un ensemble de stratégies à combiner pour surmonter les obstacles à l’apprentissage (CAST, 2018).

C’est pour s’assurer que le programme répondait adéquatement aux besoins des milieux scolaires, mais aussi des élèves, que la méthodologie de la recherche-développement a été choisie pour le développement du programme. En effet, cette méthodologie offre une avenue intéressante pour les personnes soucieuses de la mobilisation des connaissances qui émanent de la recherche et qui souhaitent collaborer avec les acteurs des milieux éducatifs en réponse aux défis rencontrés en proposant des solutions concrètes, appuyées par les connaissances issues de la recherche (Bergeron et Rousseau, 2021; Bergeron, Rousseau et Dumont, 2021). La recherche-développement est une méthodologie de recherche qui poursuit donc une double finalité : 1) développer un produit qui soit utile et utilisable dans la pratique; 2) générer de nouvelles connaissances à travers le processus de recherche-développement (Bergeron et Rousseau, 2021). Il existe encore peu d’exemples offerts par la littérature d’une démarche de recherche-développement appliquée au domaine de l’éducation. Ainsi, cet article détaillera les différentes étapes d’une recherche-développement ayant mené à la création du programme d’IBPA R·O·C : respirer, (s’)observer, (se) calmer. Plus particulièrement, il détaillera le processus du développement de cet outil pédagogique appuyé sur les principes de la conception universelle de l’apprentissage, tels qu’ils sont présentés par le Center for Applied Special Technology (2018), afin que le programme rejoigne des jeunes d’âges variés (12 à 19 ans), fréquentant un parcours scolaire courant ou un parcours d’adaptation scolaire et présentant ou non des difficultés d’apprentissage.

LE PROCESSUS DE RECHERCHE-DÉVELOPPEMENT DU PROGRAMME

Les travaux des personnes chercheuses au Laboratoire sur la recherche-développement au service de la diversité (Lab-RD2) ont permis d’expliciter cinq phases du processus de RD (Figure 1) : 1) la phase de précision de l’idée de développement; 2) la phase de structuration des solutions inédites; 3) la phase de développement du prototype; 4) la phase d’amélioration du prototype; 5) la phase de diffusion du produit et des résultats de recherche. Les quatre premières phases seront abordées à la lumière de notre projet, mais nous détaillerons davantage les phases 2 et 3 afin d’expliquer les choix effectués à partir des principes de la conception universelle de l’apprentissage (pour les résultats détaillés des autres phases, voir Duranleau et al. (2023a, 2023b).

Figure 1

La démarche itérative de recherche-développement

La démarche itérative de recherche-développement
Source : Bergeron et al., 2020

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PHASE 1. IDÉE DE DÉVELOPPEMENT À PARTIR D’UN PROBLÈME À RÉSOUDRE : COMMENT SOUTENIR LE BIEN-ÊTRE DES ÉLÈVES PAR LA PRÉSENCE ATTENTIVE?

Le choix du produit pour répondre aux besoins ciblés par la RD repose sur trois démarches distinctes, mais mises en relation pour dresser un portrait juste du problème à résoudre : l’examen des connaissances issues de la recherche, la consultation des utilisateurs cibles et l’analyse des produits existants (Bergeron, Rousseau et Bergeron, 2021). Pour assurer une compréhension fine de l’approche de la présence attentive et de ses moyens d’application qui puissent fournir une fondation solide aux interventions proposées, certains articles et ouvrages incontournables sur la présence attentive ont d’abord été consultés, dont Bishop et al. (2004); Jennings, 2015; Kabat-Zinn (1996, 2009); Grégoire et al. (2016). Dans l’objectif d’enrichir la compréhension des besoins dans les milieux scolaires ciblés au regard du bien-être et de la réussite éducative des élèves, mais aussi celle des enjeux de l’inclusion scolaire, les publications récentes du Conseil supérieur de l’Éducation (2017, 2020, 2021a, 2021b, 2021c) et plusieurs documents provenant du ministère de l’Éducation (2013, 2020, 2021) ont aussi été consultés. En complément de la recension, une recherche sur les programmes d’interventions basées sur la présence attentive et destinés au milieu scolaire a été réalisée, ce qui nous a permis de repérer et d’analyser trois programmes de langue anglaise utilisés dans les écoles secondaires : Learning to Breathe (Broderick, 2013), The Mindful Schools Curriculum for Adolescents (Sofer et Brensilver, 2019) et The MindUp Curriculum (The Hawn Foundation, 2011).

Mise en relation entre la phase 1 et les résultats qui en découlent

La recension a permis de mieux comprendre les effets attendus des interventions basées sur la présence attentive en milieu scolaire par rapport aux interventions utilisées en milieu clinique, et de confirmer que cette approche répondait aux besoins nommés par les milieux éducatifs, en agissant sur le stress; la compétence émotionnelle, incluant l’autorégulation comportementale et les stratégies de coping; l’autodétermination, comprenant la connaissance de soi et la motivation; et les apprentissages par l’effet de la présence attentive sur les fonctions exécutives, mais aussi sur la disponibilité cognitive à l’apprentissage résultant des effets de la pratique (Broderick et Jennings, 2012; Carsley et al., 2018; Deci et al., 2015; Marusak et al., 2018; McKeering et Hwang, 2019; Sapthiang et al., 2019).

La recension et l’analyse de programmes existants[3] ont aussi permis de faire ressortir les conditions gagnantes pour qu’un programme puisse agir sur ces éléments selon la recherche, en particulier le fait de rendre le contenu significatif, de varier les exercices proposés, de structurer le programme de manière progressive et d’offrir aux élèves l’occasion de pratiquer régulièrement (Brensilver et al., 2020; Broderick, 2013; Carsley et al., 2018; Jennings, 2015; McKeering et Hwang, 2018; Murasak et al., 2018; Sofer et Brensilver, 2019).

Parallèlement à la recension des écrits, un partenariat a été établi avec trois milieux de pratique distincts situés en Mauricie au Québec pour approfondir la connaissance de leurs besoins. Le premier milieu est une école secondaire qui accueille près de 700 élèves, située dans un milieu défavorisé. Le deuxième milieu est un organisme communautaire qui accompagne de manière soutenue plus de 300 élèves de 12 à 19 ans provenant de territoires défavorisés à travers trois programmes offerts en partenariat étroit avec les écoles de son territoire. Finalement, le troisième milieu est un centre d’éducation des adultes qui accueille environ 700 élèves inscrits dans différents programmes. Une grande partie de sa clientèle est composée de jeunes adultes, dont plusieurs ont entre 16 et 19 ans, bien que le milieu ne puisse nous donner de statistiques exactes quant au pourcentage d’élèves de ce groupe d’âge. Ces trois milieux accueillent des jeunes ayant des profils variés, dont plusieurs élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, ce qui nous a permis de définir les principales difficultés dont il faudrait tenir compte afin d’optimiser le caractère universel du programme.

Plusieurs entretiens semi-dirigés ont été réalisés dans les trois milieux participants entre l’automne 2019 et l’automne 2020 avec différentes personnes gestionnaires ou professionnelles. Ces entretiens avaient une durée moyenne de 30 à 60 minutes. Ils ont par la suite été analysés selon une stratégie de questionnement analytique (Paillé et Mucchielli, 2012) qui permet d’utiliser les questions de recherche comme canevas d’analyse. Le Tableau 1 présente le nombre de personnes rencontrées et leur rôle au sein de l’établissement scolaire.

Tableau 1

Synthèse des entretiens semi-dirigés réalisés dans les milieux scolaires à la phase 1

Synthèse des entretiens semi-dirigés réalisés dans les milieux scolaires à la phase 1

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Selon les personnes interrogées en milieu scolaire secondaire, les élèves ayant des difficultés présenteraient davantage une peur de l’échec, une faible estime de soi et des difficultés sociales, alors que les élèves identifiés comme performants vivraient davantage d’anxiété de performance, mais aussi du stress relié à un horaire souvent chargé. Les élèves fréquentant les classes d’adaptation scolaire présenteraient aussi un stress plus élevé et une faible estime de soi, lesquels s’accompagneraient souvent de difficultés comportementales, de difficultés à gérer les émotions ainsi que de problématiques personnelles et familiales pouvant amplifier les difficultés manifestées à l’école. Les directions adjointes responsables des classes d’adaptation scolaire, incluant les programmes de formation axée sur l’emploi et la préparation à la formation professionnelle, mentionnent que le besoin d’offrir des interventions de prévention au niveau de la santé mentale est encore plus grand pour les élèves fréquentant ces parcours. Les besoins constatés par le milieu communautaire oeuvrant en milieu défavorisé sont très similaires à ceux du milieu scolaire, où plusieurs jeunes vivraient beaucoup de stress et d’anxiété, ce qui est particulièrement observé chez les élèves ayant des difficultés scolaires et ceux qui ont un milieu familial peu soutenant. Les trois milieux, mais particulièrement le milieu communautaire et le centre d’éducation des adultes, accueillent des élèves qui présentent des difficultés marquées d’attention avec ou sans hyperactivité, avec ou sans difficulté d’apprentissage, ainsi que des élèves pouvant présenter de l’impulsivité.

PHASE 2. STRUCTURATION DES SOLUTIONS INÉDITES : CHOIX DES OBJECTIFS ET DE LA STRUCTURE DU PROGRAMME

La phase 2, soit la structuration des solutions inédites, inclut généralement une réflexion sur les objectifs et les caractéristiques du produit et sa structure en tenant compte à la fois des connaissances issues de la recherche et des contraintes du milieu (Bergeron et al., 2021b). C’est dans cette phase, qui s’est déroulée à l’automne 2019 et à l’hiver 2020, que les fonctions souhaitées du programme et sa structure ont été établies en tenant compte : 1) des besoins des élèves et des milieux, basés à la fois sur la documentation scientifique et la collecte de données auprès des utilisateurs cibles dans les trois milieux participants; 2) des contraintes nommées par les acteurs et actrices de terrain consultés dans ces trois milieux; 3) du cadre conceptuel sur la présence attentive, de même que sur la compétence émotionnelle, le stress et l’autodétermination; 4) de l’analyse des connaissances issues de la recherche et des caractéristiques des programmes existants; 5) des principes de la conception universelle de l’apprentissage.

Mise en relation entre la phase 2 et les résultats qui en découlent

Les besoins des élèves ciblés lors de la collecte de données rejoignent ceux nommés dans la littérature en lien avec les programmes de prévention quant à la santé mentale, soit d’apprendre aux élèves à mieux gérer leur stress, de prévenir l’anxiété (Carsley et al., 2018; Marusak et al., 2018; McKeering et Hwang, 2019; Sapthiang et al., 2019; van Loon et al., 2021) et de favoriser le développement des compétences émotionnelles (Broderick et Jennings, 2012; Feuerborn et Gueldner, 2019; Klingbeil et al., 2017; Richer et Lachance, 2016; McKeering et Hwang, 2019). Ainsi, la visée principale retenue pour le programme est d’agir sur la gestion du stress et le développement des compétences émotionnelles en développant chez l’élève sa capacité à être en présence attentive, c’est-à-dire à pouvoir amener son attention sur ce qui se déroule dans le moment présent et à observer ce qui est ressenti avec acceptation et sans jugement (Bishop et al., 2004; Grégoire et De Mondehare, 2016; Kabat-Zinn, 1996; Sofer et Brensilver, 2019). L’analyse des connaissances issues de la recherche nous a aussi permis de cibler le développement de l’autodétermination comme un sous-objectif du programme, puisque la littérature sur les effets des IBPA fait mention d’une amélioration de la connaissance de soi, de la motivation intrinsèque et de la capacité à faire des choix autonomes (Deci et al., 2015; Edwards et al., 2014; Langer et al., 2015; Taylor et Malboeuf-Hurtubise, 2016).

Structure du programme : un apprentissage graduel à partir de trois grandes thématiques

La structure du programme a été établie en se basant à la fois sur la collecte de données effectuée auprès des acteurs et actrices de l’éducation dans les trois milieux éducatifs participants, sur la littérature à propos des approches d’interventions basées sur la présence attentive et sur l’analyse du contenu des programmes existants. Premièrement, afin que le programme soit clés en main, il devait être accompagné de matériel pédagogique pouvant être utilisé pour soutenir l’enseignement : guide d’animation détaillé, capsules vidéo pour présenter les concepts théoriques, matériel imprimable pour l’élève et pour la classe, méditations enregistrées à utiliser en classe, et suggestions d’activités de réinvestissement liées au programme de formation. Ce choix permettait en outre de soutenir l’attention des élèves. En effet, les difficultés sur lesquelles le programme devait agir, dont le stress et les problèmes liés à la régulation émotionnelle, ont en commun de diminuer les capacités d’attention, la mémorisation et la disponibilité cognitive aux apprentissages (Diamond et Ling, 2016; Espinosa, 2018; Frank et al., 2021; Leclaire et Lupien, 2018; Lupien, 2020; Pekrun, 2014). Par ailleurs, les capacités d’attention d’un élève de 12 ans sont moins grandes que celles d’un élève de 19 ans en raison de la maturation du cortex préfrontal qui est en développement à l’adolescence (Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec [CTREQ], 2018; Hammarrenger, 2017; Lessard, 2016). Pour répondre à ces difficultés, mais aussi à celles des élèves qui présentent des difficultés d’attention, il était nécessaire que le programme puisse offrir plusieurs moyens de représentation (premier principe de flexibilité), comme proposé par le Center for Applied Special Technology (2018). La structure et la présentation du programme devaient donc pouvoir capter l’attention des élèves de plusieurs façons (textes, images, audio, vidéo, etc.) et ne pas solliciter leurs capacités d’attention pendant trop longtemps. En plus d’offrir diverses possibilités sur le plan de la perception, il a été décidé d’illustrer l’information et les notions présentées à l’aide de plusieurs supports (CAST, 2018). Ainsi, pour chaque atelier, les concepts théoriques sur lesquels s’appuie l’activité centrale sont transmis à travers de courtes de vidéos de 3 à 5 minutes maximum et qui allient illustrations, textes (mots clés) et informations auditives. De plus, le choix de la typographie utilisée, le graphisme et la mise en page des fiches synthèses ont été effectués en fonction de faciliter la lecture pour les élèves présentant des troubles d’apprentissage. La Figure 2, tirée de la vidéo L’incroyable cerveau! (atelier 2 du programme R·O·C.), offre un exemple de ces choix : une image du cerveau est reliée à des mots clés résumant les principales fonctions du cerveau, qui sont elles-mêmes illustrées à l’aide d’images. La typographie est aérée et a été choisie pour la simplicité de la graphie des lettres (pas d’empattements, lettre « a » pareille à l’écrit). La narration de la vidéo donne des détails sur ce qui est schématisé dans l’image, offrant ainsi à la fois un support auditif et visuel pour transmettre les informations importantes à retenir.

Figure 2

Exemple d’utilisation de la conception universelle de l’apprentissage dans les présentations vidéo

Exemple d’utilisation de la conception universelle de l’apprentissage dans les présentations vidéo
Source : Duranleau, 2021

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Toujours pour favoriser la compréhension de l’élève, la personne animatrice dispose de plusieurs moyens d’action et d’expression à utiliser ou à offrir à ce dernier : des informations complémentaires et du matériel diversifié sont donnés à la personne animatrice à travers le guide d’animation pour lui permettre d’introduire la vidéo, de guider l’activité d’intégration, de synthétiser l’information présentée et d’effectuer un rappel des contenus les plus importants. La Figure 3 est un exemple d’une fiche synthèse destinée aux élèves qui reprend les principales thématiques de l’atelier Changer son film intérieur. Les notions abordées sont séparées en petites sections facilement identifiables à l’aide des titres et cadrages, ce qui favorise le repérage de l’information. Des images attirent l’attention et rappellent certains concepts, alors que les mots clés sont mis en gras pour faciliter la lecture. Ici encore, la typographie est aérée et choisie pour soutenir la lecture des élèves ayant des difficultés. Ces fiches synthèses de même que des suggestions de questions servant à animer des discussions, répondent au fait d’offrir des possibilités sur le plan de la compréhension en activant les connaissances antérieures, en faisant ressortir les caractéristiques essentielles, les idées principales et les relations entre les notions, et en maximisant le transfert et la généralisation (CAST, 2018). Par ailleurs, les activités de réinvestissement proposées (méditations, exercices de présence attentive et activités pédagogiques pour approfondir les thématiques traitées) offrent plusieurs moyens d’engagement, notamment en optimisant la pertinence et la valeur pédagogiques des activités et en augmentant le retour d’information (CAST, 2018).

Figure 3

Exemple de fiche synthèse destinée aux élèves

Exemple de fiche synthèse destinée aux élèves
Source : Duranleau, 2021

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Deuxièmement, comme la capacité à être en présence attentive s’acquiert par la pratique et est impérative pour l’obtention des bienfaits souhaités (Frank et al., 2021; McKeering et Hwang, 2019, des exercices complémentaires de courte durée à faire en classe et à la maison sont aussi offerts pour soutenir la pratique entre les ateliers. Cette préoccupation s’inscrit dans le deuxième principe de la conception universelle de l’apprentissage, soit d’offrir plusieurs moyens d’action et d’expression, mais aussi, dans le troisième principe, en offrant encore une fois plusieurs moyens d’engagement de l’élève, dont certains qui favorisent son autonomie et sa liberté d’action.

Troisièmement, puisque la littérature recommande que la personne enseignante ait une expérience et une pratique préalables de la présence attentive (Frank et al., 2021; Jennings, 2015; McKeering et Hwang, 2018) et puisque la pratique de la présence attentive est reconnue pour supporter le bien-être des personnes enseignantes, le programme est accompagné d’une formation d’une durée de trois heures, ainsi que de matériel audio pour soutenir les connaissances et la pratique des personnes animatrices. Le contenu de cette formation s’appuie sur les mêmes principes que ceux qui ont inspiré la création du matériel pour les élèves : matériel de formation qui combine textes écrits, images et informations auditives; exercices de pleine conscience et de méditation guidés à l’aide d’enregistrements audio; guide d’accompagnement qui utilise des icônes; et plusieurs supports visuels pour faciliter la recherche d’information et l’apprentissage.

À partir de ces principes directeurs, le squelette d’un programme de neuf ateliers répartis en trois blocs thématiques (1. Être chez soi dans son corps; 2. Apprivoiser l’émotion; 3. Favoriser son bien-être) a été présenté à la technicienne en loisirs attitrée au projet par l’école secondaire partenaire ainsi qu’au coordonnateur de l’intervention du milieu communautaire, qui ont confirmé leur intérêt par rapport aux thèmes abordés et la pertinence des choix effectués quant à la structure du programme et à sa présentation.

PHASE 3 ET 4. DÉVELOPPEMENT ET AMÉLIORATION DU PROTOTYPE : TROIS BOUCLES DE MISE À L’ESSAI DANS DES CONTEXTES VARIÉS

Les phases de développement et d’amélioration du prototype vont de pair, puisqu’une fois une première version du produit développée, sa mise à l’essai permet de l’améliorer, pour ensuite le mettre à l’essai à nouveau, jusqu’à ce que le produit réponde aux objectifs souhaités (Bergeron et al., 2021b). La première phase de développement du prototype a été réalisée au printemps et à l’été 2020. Cette phase a permis d’approfondir les contenus de chacun des ateliers à partir de la documentation scientifique et des approches reconnues en présence attentive. Elle a en outre permis de développer l’ensemble du matériel à partir des principes de la conception universelle de l’apprentissage retenus dans la phase 2. Il est normalement recommandé d’impliquer les utilisateurs cibles dans la phase de développement (Bergeron, Rousseau et Dumont, 2021), mais, dans notre cas, la fermeture des écoles secondaires de mars à août 2020 a rendu cette tâche impossible. Ainsi, ce sont la collecte de données, la recension des écrits, mais aussi l’expérience professionnelle de la chercheuse qui ont servi de base au développement des contenus.

Mise en relation entre les phases 3 et 4 de la RD et les résultats qui en découlent

Trois boucles de mise à l’essai et d’amélioration ont été réalisées une fois la première version du programme développée.

  1. Automne 2020 : Mise à l’essai hors classe dans un centre d’éducation des adultes auprès d’un groupe de 8 jeunes femmes âgées de 18 à 26 ans présentant des difficultés variées reliées ou non à un trouble spécifique. L’animation du programme a été assurée conjointement par l’orthopédagogue et le technicien en éducation spécialisée de l’école dans une formule de 60 minutes par atelier. Six élèves ont complété le programme.

  2. Hiver 2021 : Appréciation du contenu du programme par deux chercheuses de l’Université du Québec à Trois-Rivières, l’une en sciences de l’éducation et l’autre en psychologie, toutes deux ayant des connaissances sur l’utilisation de la présence attentive en milieu scolaire.

  3. Printemps 2021 : Mise à l’essai en classe auprès d’un groupe mixte de 28 élèves de 1re secondaire inscrits dans une option langues enrichies. L’animation du programme a été assurée par l’enseignante de français. En raison de situations liées à la pandémie et à la grève du personnel de soutien, 5 ateliers sur les 10 proposés dans la 3e version du programme ont pu être animés dans des versions de 30 à 60 minutes, selon les ateliers.

La diversité des regards posés sur le programme – tant en ce qui concerne le profil des élèves joints que celui des personnes professionnelles l’ayant expérimenté ou des chercheuses en ayant fait la lecture – nous a permis de nous assurer que celui-ci puisse répondre autant aux besoins des personnes adolescentes plus âgées (16-19 ans) qu’à ceux des plus jeunes (12-15 ans); qu’il puisse être utilisé autant par les personnes enseignantes que par d’autres personnels professionnels comme les orthopédagogues, ou par des personnes techniciennes en intervention; que le contenu du programme présente les qualités et la rigueur souhaitées tant au niveau des interventions pédagogiques que psychologiques; et que les modalités pédagogiques utilisées favorisaient les apprentissages. L’appréciation du programme par les élèves était aussi particulièrement importante, puisque leur engagement dans la pratique dépend de leur intérêt et de la valeur qu’ils accordent à ce qui leur est enseigné (Brensilver et al., 2020; Jennings, 2015).

De manière générale, le matériel est décrit tant par les personnes animatrices que par les chercheuses comme clair, détaillé, bien structuré, complet, clés en main et facile à suivre. Les personnes animatrices notent que les élèves semblent aimer les ateliers et qu’ils réussissent à s’approprier les exercices proposés. Le matériel vidéo, audio et imprimable est apprécié par les personnes animatrices ainsi que par les élèves. Cette variété de modalités permet de rendre le contenu « compréhensible » et de « changer […] la dynamique » en cours d’animation (Enseignante de 1re secondaire), mais aussi de soutenir la mémorisation des informations (Orthopédagogue du CEA).

Les élèves sont unanimes quant à leur appréciation du programme. À l’instar des personnes animatrices, ils décrivent les ateliers comme clairs et faciles à comprendre. On remarque dans les entretiens, tant avec les personnes animatrices qu’avec les élèves, que les exercices utilisant des images pour illustrer un concept de présence attentive sont particulièrement efficaces puisqu’elles leur permettent de se remémorer plus facilement la technique. La Figure 4, tirée de l’atelier Les émotions et le corps, est précisément une image que les élèves disent avoir gardée en tête pour soutenir leur retour au calme en cas d’émotions fortes. Cette image résume une métaphore sur les émotions, et où les émotions fortes sont représentées par une tempête sur l’océan, alors que la personne qui se trouve au fond de l’océan représente le calme apporté par les techniques de respiration apprises, un calme similaire à celui que l’on retrouve au fond de l’océan, peu importe l’agitation ayant lieu à la surface. En plus de faciliter la compréhension de concepts abstraits, les images utilisées dans les exercices agissent aussi comme soutien à l’autorégulation en rappelant la technique enseignée.

Figure 4

Exemple d’image illustrant un concept

Exemple d’image illustrant un concept
Source : Duranleau, 2021

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Les données recueillies sur l’appréciation du programme lors des trois boucles de mise à l’essai ont permis d’y apporter des améliorations, ce qui répond à l’objectif de développement de ce projet de recherche. Les améliorations apportées au programme au cours de ces boucles d’amélioration touchent principalement les aspects suivants : ajout d’un atelier d’introduction à la présence attentive pour bien expliquer le programme aux élèves, changement de l’ordre de présentation de deux ateliers, diminution de la longueur de certaines vidéos, ajustement du vocabulaire dans certains exercices, ajout d’informations théoriques à l’attention de la personne animatrice, et création d’un outil synthèse sous forme d’un porte-clés d’astuces pour être en présence attentive, dont la Figure 5 représente une des astuces synthétisées dans un court texte dont la compréhension est soutenue par les mots clés en gras et les images.

Figure 5

Une des astuces du porte-clés synthèse

Une des astuces du porte-clés synthèse
Source : Duranleau, 2021

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DISCUSSION ET CONCLUSION

Les objectifs de la RD présentée dans cet article étaient de développer un programme pouvant être animé par le personnel enseignant, les personnes professionnelles ou le personnel de soutien, mais aussi de produire des connaissances sur les besoins des personnes animatrices du programme à l’égard de l’utilisation d’un tel programme, et d’évaluer l’appréciation d’élèves et de personnes enseignantes à la suite de la mise à l’essai du programme développé. Deux questions de recherche ont guidé les réflexions sur la forme que devait prendre le programme, soit de savoir quelles étaient les conditions gagnantes pour favoriser l’intégration d’un programme d’interventions basées sur la présence attentive en milieu scolaire secondaire autant qu’à la formation générale des adultes au Québec, et comment un même programme pouvait rejoindre à la fois les personnes enseignantes et la diversité des élèves.

Le choix d’utiliser l’approche de la conception universelle de l’apprentissage telle que celle-ci est présentée par le Center for Applied Special Technology (2018) pour développer la structure et les contenus du programme a permis de répondre à ces questions en permettant que le programme puisse être animé dans des contextes variés et auprès d’une diversité d’élèves, tant en ce qui concerne leur âge et leur niveau scolaire que leurs défis d’apprentissage. Les choix ayant la plus grande influence sur la flexibilité du programme sont certainement ceux d’offrir une grande variété de supports pour présenter le contenu des ateliers et d’offrir des activités variées, tant à l’intérieur des ateliers qu’à travers des activités de réinvestissement pouvant être réalisées en classe ou à la maison, ce qui favorise l’engagement de l’élève, la mémorisation de l’information et l’appropriation des contenus (Belleau, 2015). D’ailleurs, la littérature démontre que plusieurs types d’exercices de durées variables peuvent être utilisés pour enseigner la pleine conscience aux élèves, et que leur combinaison est ce qui semble le plus efficace (Broderick et Frank, 2014; McKeering et Hwang, 2019.

Bien que cette recherche comporte certaines limites, en commençant par le fait qu’elle a été réalisée en période de pandémie, ce qui a réduit l’implication du personnel enseignant dans son développement et l’ampleur de sa mise à l’essai, mais aussi par le fait que, parmi les élèves ayant donné leur appréciation sur le programme, on ne compte aucun garçon, ses conclusions n’en demeurent pas moins pertinentes pour exemplifier les possibilités d’utilisation de la conception universelle de l’apprentissage pour le développement d’outils pédagogiques rejoignant un large éventail de profils d’élèves. L’appréciation positive du programme par des élèves d’une classe ordinaire de 1re secondaire autant que par de jeunes adultes présentant des difficultés en contexte scolaire démontre qu’il est possible de développer des activités d’apprentissage qui répondent à une diversité de besoins lorsque celles-ci sont réfléchies en ce sens. La conception universelle de l’apprentissage offre des avenues intéressantes pour engager les élèves dans leur apprentissage, quel que soit leur profil. À ce titre, le premier principe de flexibilité a permis de s’assurer que plusieurs moyens de représentation étaient offerts, dont des supports visuels et auditifs. Le deuxième principe, offrir plusieurs moyens d’action et d’expression, est mis en oeuvre à travers la flexibilité des ateliers, les discussions suggérées, les réflexions personnelles que les élèves sont invités à faire, etc. Enfin, le troisième principe, offrir plusieurs moyens d’engagement, est appliqué grâce à la variété des activités offertes ainsi qu’aux outils proposés aux élèves pour qu’ils réinvestissent eux-mêmes les apprentissages. Par ailleurs, la démarche de recherche-développement est une approche qui semble s’agencer naturellement avec la conception universelle de l’apprentissage pour s’assurer que les produits développés répondent réellement aux besoins des utilisateurs ciblés. Dans le cas de ce projet, cette démarche a permis d’assurer que le projet réponde réellement aux besoins partagés par les acteurs et les actrices des milieux participants. La démarche a également permis de confirmer que l’utilisation de la conception universelle de l’apprentissage dans le développement du programme supporte : 1) la compréhension théorique des compétences socioémotionnelles visées; 2) l’acquisition des différentes techniques liées à la présence attentive; 3) la flexibilité du programme en ce qui concerne son animation; 4) l’adaptabilité du programme à différents profils d’élèves.