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LE DOUBLE DÉFI DU PERSONNEL ENSEIGNANT : UNE ÉVALUATION DES COMPÉTENCES DANS UN CONTEXTE DE DIVERSITÉ DES ÉLÈVES DE LA CLASSE

Depuis les années 2000, le Programme de formation de l’école québécoise vise le développement des compétences des élèves de l’enseignement primaire et secondaire. Ainsi, l’enseignement doit contribuer au développement des compétences de chacun des élèves. Or, pour être compétent, un élève doit mobiliser des ressources externes et internes, dont les attitudes, les savoir-faire (Beckers, 2011) ainsi que les habiletés qui lui sont spécifiques (ministère de l’Éducation du Québec, 2003). Le développement des compétences est donc grandement tributaire des caractéristiques personnelles des élèves qui sont, par ailleurs, de plus en plus hétérogènes dans un contexte de diversité grandissante. Les différentes politiques québécoises en matière d’inclusion scolaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008, 2009, 2011a; Ministère de l’Éducation du Québec, 1999) et d’immigration (Armand, 2005; Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006a, 2014) ont contribué à transformer la classe en un lieu où se côtoient des élèves ayant des caractéristiques variées, dont leurs préférences, leurs expériences, leurs difficultés, leurs besoins, leurs capacités et leurs habiletés (Ducette et al., 1996; Litalien et al., 2012; Prud’homme et al., 2011). Ces caractéristiques personnelles sont grandement susceptibles d’influencer le rapport au savoir des élèves ainsi que leur façon d’accéder aux connaissances et de développer leurs compétences (Ducette et al., 1996).

L’un des rôles de la personne enseignante à l’égard de la diversité est de la reconnaître en adoptant des stratégies pédagogiques, des outils et des pratiques évaluatives permettant à tous les élèves de développer leurs connaissances et leurs compétences, et de témoigner de leur plein potentiel (Borri-Anadon et al., 2015; Darling-Hammond, 1996; Ducette et al., 1996; Mc Andrew, 2001; Potvin, 2013; Prud’homme et al., 2011; Rose et Meyer, 2002; Thésée et Carr, 2007; Tomlinson et al., 2003). D’ailleurs, depuis plus de 40 ans, les différentes politiques éducatives québécoises rappellent le rôle essentiel qui incombe au corps enseignant du primaire et du secondaire à cet égard. Et, au-delà des prescriptions ministérielles, la prise en compte de la diversité des élèves s’inscrit dans les valeurs québécoises d’équité, de reconnaissance du pluralisme et de promotion du vivre-ensemble (Mc Andrew, 2001).

Concernant la pratique professionnelle, plusieurs personnes enseignantes déclarent se sentir impuissantes et incompétentes pour s’adapter à la réalité de la diversité des élèves de leur classe (Gillig, 2006; Moran, 2007; Prud’homme et al., 2011; Valeo, 2008), notamment parce que leur formation initiale et continue ne les a pas suffisamment formées à intervenir dans ce contexte (Akacha et al., 2011; Bergeron et St-Vincent, 2011; Genevois, 2008). Un des enjeux cruciaux en matière de gestion de la diversité concerne l’évaluation des compétences des élèves, car une partie du personnel enseignant voit dans cette obligation une lourdeur qui limite, voire empêche l’adoption des pratiques favorisant la prise en compte de la diversité (Chiasson Desjardins, 2019). Les directives ministérielles en matière d’évaluation des compétences (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006b, 2011b; ministère de l’Éducation du Québec, 2003) ainsi que les contraintes temporelles et organisationnelles rendent difficile l’adoption de pratiques évaluatives, étant donné les caractéristiques et les besoins diversifiés de leurs élèves. Pourtant, le Programme de formation de l’école québécoise (ministère de l’Éducation du Québec, 2003), dans sa Politique d’évaluation des apprentissages, prône le respect des différences.

Face à cette réalité, il devient impératif de réfléchir à la façon dont la personne enseignante peut réaliser plus aisément l’évaluation des compétences dans un contexte de diversité des élèves. Depuis 2017, le Conseil supérieur de l’éducation propose au personnel enseignant d’adopter une ou plusieurs approches pédagogiques destinées à prendre en compte la diversité des élèves, dont la réponse à l’intervention, la différenciation pédagogique et la conception universelle de l’apprentissage (ou pédagogie universelle). De nombreux chercheurs estiment que cette dernière est cohérente et adéquate dans le cadre d’un enseignement centré sur le développement des compétences des élèves (Center for Applied Special Technology, 2018; Coyne et al., 2012; Pace et Schwartz, 2008; Rose et Meyer, 2002). Pourtant, si la littérature scientifique regorge d’écrits portant sur les pratiques enseignantes en lien avec la pédagogie universelle, ceux-ci présentent des pratiques liées à la planification et au pilotage d’activités d’enseignement-apprentissage et non liées à l’évaluation des compétences des élèves. La recherche documentaire réalisée dans le cadre de cet article confirme l’absence de réflexions et de propositions portant sur l’évaluation des compétences dans le contexte de la mobilisation de la pédagogie universelle. Dans l’optique d’amorcer les réflexions visant à conjuguer harmonieusement l’évaluation des compétences et la diversité des élèves, le présent article propose d’explorer les liens théoriques entre l’évaluation des compétences et la pédagogie universelle, soit de répondre à la question suivante : quels points communs peuvent être relevés entre l’évaluation des compétences et la pédagogie universelle?

CADRE DE RÉFÉRENCE

Évaluation des compétences

Afin de contextualiser l’évaluation des compétences, il importe de préciser ce qu’est une compétence, donc l’objet d’évaluation. Une compétence renvoie à la capacité à mobiliser des ressources externes et internes (Beckers, 2011; Scallon, 2004). Ces dernières comptent, entre autres, des habiletés et des capacités spécifiques à l’élève (Gérard, 2000). À la lumière des écrits de Roegiers (2000), de Scallon (2004), de Le Boterf (2008) et de Beckers (2011), Talbot (2022) synthétise la définition d’une compétence comme suit :

Chaque compétence nécessite plusieurs ressources variées qu’elle combine de différentes façons. Chacune est aussi mise à contribution dans diverses situations en plus de se développer tout au long de la vie en intégrant de nouvelles ressources (Tardif, 2006). Ainsi, il est important qu’une compétence soit évaluée à l’aide de plusieurs tâches complexes d’évaluation différentes (Tardif, 2006). Selon Scallon (2004), ces tâches peuvent se réaliser sur une période plus ou moins longue. Ces dernières sont contextualisées, authentiques et signifiantes. Aussi leur énoncé est très peu structuré et sont ouvertes afin de permettre plusieurs réponses élaborées possibles. Ici, le processus est tout aussi important que la solution présentée (Scallon, 2004). Tardif (2006) ajoute l’importance d’une différenciation de l’évaluation afin que chaque élève puisse démontrer ses compétences.

Différenciation de l’évaluation des compétences

Dans la Politique d’évaluation des apprentissages, le ministère de l’Éducation du Québec (2003) préconise l’intégration de l’évaluation au processus d’enseignement-apprentissage. Cette perspective permet de développer le potentiel de chaque élève et ainsi de favoriser la réussite pour tous, puisqu’elle doit être mise en place en respectant les différences des élèves. Pour ce faire, le ministère de l’Éducation du Québec (2003) énonce les valeurs d’équité, d’égalité et de cohérence. En donnant l’occasion à tous les élèves d’avoir la même chance de démontrer leur apprentissage tout en ayant les mêmes exigences pour tous, la personne enseignante respecte la valeur d’égalité. Cependant, il est essentiel, pour la personne enseignante, de considérer les caractéristiques de chaque élève, et cela, en omettant tout biais possible afin que les tâches d’évaluation soient les plus équitables possibles pour tous les élèves.

Il est alors possible de différencier les contenus, les productions, les processus ou les structures lors de l’évaluation des compétences. Cependant, l’élève a besoin de connaître les caractéristiques de chaque possibilité afin de faire un choix éclairé (American Educational Research Association, American Psychological Association et National Council on Measurement in Education, 2014). Ainsi, les barrières rencontrées par l’élève sont supprimées, et il peut alors démontrer ses apprentissages (Moon et al., 2020). Les résultats obtenus à l’évaluation permettent de guider la personne enseignante dans les mesures à mettre en place pour permettre à l’élève d’améliorer ses apprentissages (Chapman et King, 2012; Moon et al., 2020). Chapman et King (2012) soulignent que l’évaluation différenciée encourage et développe la motivation et la confiance de l’élève en plus de l’utilisation de l’erreur en tant qu’occasion d’apprentissage. Ces auteurs précisent qu’une rétroaction différenciée selon l’élève doit être centrée sur les défis rencontrés par celui-ci et permettre une bonification de ses apprentissages. Pour Chapman et King (2012), il est aussi important d’impliquer l’élève par l’autoévaluation, de varier les tâches d’évaluation, de donner une rétroaction immédiate ainsi que de mettre l’accent sur l’amélioration individuelle.

Fonctions de l’évaluation des compétences

En 2003, le ministère de l’Éducation du Québec, dans sa Politique d’évaluation des apprentissages, précise l’importance de l’évaluation mise au service des apprentissages de l’élève afin de permettre le développement de son plein potentiel. Dans les orientations, il précise ceci : « […] l’évaluation ne constitue pas une fin en soi. L’élève n’apprend pas pour être évalué : il est évalué pour mieux apprendre » (Ministère de l’Éducation du Québec, 2003, p. 14). L’évaluation devient un moyen pour soutenir les apprentissages de l’élève et permet à la personne enseignante de collecter des informations quant aux apprentissages de l’élève de façon continue et de lui donner plus souvent de la rétroaction afin de le soutenir vers la réussite.

La mise en place de l’intégration de l’évaluation au processus d’enseignement-apprentissage se traduit par l’évaluation au service de l’apprentissage, l’évaluation pour l’apprentissage et l’évaluation de l’apprentissage (Earl, 2013). L’évaluation formative a fait place à l’évaluation au service de l’apprentissage et à l’évaluation pour l’apprentissage, puisqu’elle ne met de l’avant ni la régulation de l’élève ni l’ajustement des méthodes d’enseignement (Moon et al., 2020). Pour sa part, l’évaluation sommative ne répondant pas à l’esprit qu’une compétence est en perpétuel développement; il s’agira plutôt de faire état du niveau de développement des compétences par l’évaluation de l’apprentissage.

Tableau 1

Évaluation au service de l’apprentissage, pour l’apprentissage et de l’apprentissage

Évaluation au service de l’apprentissage, pour l’apprentissage et de l’apprentissage
Sources : Talbot (2022, p. 221; adapté de Earl (2013, p. 31)

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Le tableau 1 présente une synthèse des trois fonctions de l’évaluation des compétences. L’évaluation au service de l’apprentissage permet à l’élève de s’évaluer, d’évaluer ses pairs ou de s’évaluer avec la personne enseignante (coévaluation). Pour ce faire, la personne enseignante fournit à l’élève une liste de vérification qui présente les mêmes critères d’appréciation qu’elle utilise afin de respecter la transparence et l’équité. Ainsi, l’élève développe son autonomie (Benson et Voller, 2014), sa motivation (Dörnyei et Ushioda, 2013) et ses stratégies métacognitives (Earl, 2013; Moon et al., 2020; Oxford, 2016) par un processus d’autorégulation (Bailey et Heritage, 2018; Earl, 2013).

L’évaluation pour l’apprentissage permet à la personne enseignante de donner à l’élève de la rétroaction en cours d’apprentissage à la suite du constat de l’écart entre ses résultats obtenus et les cibles à atteindre (Moon et al., 2020). La rétroaction permet à l’élève de mieux comprendre ce qui est attendu et d’espérer la réussite. Ainsi, la personne enseignante peut mettre en place des moyens pour soutenir les apprentissages de l’élève lui permettant de relever ses défis dans le but de mieux réussir (Earl, 2013; Moon et al., 2020). L’élève devient plus automne et responsable de ses apprentissages (ministère de l’Éducation du Québec, 2003). Combiner l’évaluation au service de l’apprentissage et l’évaluation pour l’apprentissage permet de consolider la relation entre la personne enseignante et l’élève en une collaboration (Ninomiya, 2016). L’esprit de l’évaluation devient donc une évaluation continue (Earl, 2013). La personne enseignante identifie alors la progression du développement des compétences de l’élève ainsi que sa position quant aux objectifs à atteindre, permettant aussi de soutenir une différenciation appropriée et de guider les décisions à prendre quant aux prochaines actions pédagogiques (ministère de l’Éducation du Québec, 2003; Moon et al., 2020). Il s’agit d’apporter un soutien continu à l’élève (Chapman et King, 2012; ministère de l’Éducation du Québec, 2003).

L’évaluation de l’apprentissage permet de porter un jugement sur le niveau des compétences développées par l’élève (Earl, 2013). Elle se concentre sur la fonction de reconnaissance des compétences de l’élève (ministère de l’Éducation du Québec, 2003). Les défis rencontrés par l’élève peuvent tout de même être soulignés, mais ils n’en représentent pas le point central. Par conséquent, ce type d’évaluation ne fait pas l’objet de la réflexion visant à déterminer les points communs entre l’évaluation des compétences et la pédagogie universelle.

Pédagogie universelle : une approche pédagogique flexible centrée sur trois grands principes

Pour comprendre la proposition de la pédagogie universelle pour la gestion de la diversité, un détour vers le domaine de l’architecture s’impose. Durant la décennie 1950, les architectes revoient leur façon de concevoir les plans des bâtiments afin d’éliminer de manière proactive les obstacles relatifs à l’accessibilité des édifices, notamment pour les personnes ayant un handicap physique (Rose et Meyer, 2002). Par exemple, les architectes prévoient, dans leurs plans, un ascenseur ou une rampe d’accès en plus de l’escalier conventionnel. Mace, alors professeur à l’Université d’État de la Caroline du Nord, propose l’utilisation de l’expression universal design – design universel – pour illustrer cette idée de concevoir des bâtiments accessibles, évidemment pour les personnes en situation de handicap physique, mais aussi pour toutes celles susceptibles de bénéficier de structures plus flexibles et exemptes de barrières environnementales (McGuire et al., 2006; Renzaglia et al., 2003). Dans les années 1990, l’idée de transposer l’approche du design universel dans le domaine de l’éducation apparaît. Préoccupés par la diversité de plus en plus importante des élèves dans les classes, Rose et Meyer (2002) proposent d’élargir cette idée afin de mettre en place des environnements d’apprentissage plus inclusifs (Kumar et Wideman, 2014) pour rendre accessible l’apprentissage de façon à permettre l’acquisition de connaissances et le développement de compétences d’élèves ayant des caractéristiques et des besoins variés (Bernacchio et Mullen, 2007; Chen, 2014; Coyne et al., 2012; Dolan et al., 2005; Harris et al., 2007; Meo, 2008; Nelson, 2014; Pace et Schwartz, 2008; Rose et Meyer, 2002). Plus concrètement, Rose et Meyer (2002), soutenus par l’équipe du Center for Applied Special Technology, élaborent trois grands principes qui aspirent à guider le personnel enseignant dans la mise en place de la pédagogie universelle.

Le premier principe, « offrir plusieurs moyens de représentation » (Center for Applied Special Technology, 2018), consiste à offrir aux élèves diverses possibilités sur le plan de la présentation du contenu (notions, règles, concepts, idées, etc.) afin de favoriser leur compréhension. Le deuxième principe, « offrir plusieurs moyens d’action et d’expression » (Center for Applied Special Technology, 2018), suppose d’offrir aux élèves divers choix relatifs aux tâches à accomplir et aux modalités relatives à celles-ci. Le troisième principe, « offrir plusieurs moyens d’engagement » (Center for Applied Special Technology, 2018), vise à soutenir la motivation et l’engagement des élèves en misant sur des tâches flexibles, authentiques et sécurisantes. Les principes de la pédagogie universelle sont donc larges et ouverts. En fait, Jiménez et al. (2007) et Nelson (2014) rappellent que la pédagogie universelle ne propose pas une méthode unique, mais plutôt un cadre englobant une variété de moyens guidant le personnel enseignant dans l’établissement d’objectifs d’apprentissage et dans le choix des stratégies pédagogiques, des outils et des évaluations.

En ce qui concerne l’aspect relatif aux évaluations, Rose et Meyer (2002), Meo (2006), Pace et Shwartz (2008), Pliner et Johnson (2004) ainsi que Rioux et Pinto (2010) n’ont pas spécifiquement établi de liens entre une évaluation centrée sur les compétences des élèves et les principes de la pédagogie universelle. Or, il serait possible de faire le corollaire entre les caractéristiques de l’évaluation des compétences et les principes de la pédagogie universelle parce qu’ils ont plusieurs similitudes et qu’ils convergent à bien des égards. Et cela constitue une piste fort pertinente pour soutenir le personnel enseignant qui doit surmonter le défi que représente l’évaluation des compétences des élèves dans un contexte de diversité. Ainsi, l’objectif spécifique de cet article est d’établir les liens théoriques entre l’évaluation des compétences et la pédagogie universelle.

MÉTHODOLOGIE

Cet article fait état d’une réflexion théorique. Une recherche documentaire de textes présentant les caractéristiques de l’évaluation des compétences ainsi que celles de la pédagogie universelle a été réalisée dans les bases de données en éducation suivantes : Academic Search Complete, Cairn, ERIC, Érudit, ProQuest Dissertations and Theses Global et Repères. Quant à la recension d’articles concernant la pédagogie universelle, les mots clés suivants ont été utilisés : conception universelle de l’apprentissage, pédagogie universelle, Universel Design for Learning, Universal Design for Instruction (UDI) et Universal Instruction Design. Ces termes font référence aux principales appellations de cette approche pédagogique qui vise l’accessibilité universelle en actualisant l’idée de flexibilité des structures d’enseignement-apprentissage. Un peu plus de 100 articles de langue française et anglaise couvrant la période de 2004 à 2019 (moment de la recherche documentaire) ont été relevés. Un tri a été nécessaire afin de conserver uniquement ceux qui traitaient spécifiquement des trois principes de la pédagogie universelle, soit 37 articles. De plus, les mots clés utilisés pour la recherche documentaire concernant l’évaluation des compétences étaient ceux-ci : évaluation des compétences, évaluation pour l’apprentissage, évaluation au service de l’apprentissage, évaluation de l’apprentissage, assessment as learning, assessment for learning et assessment of learning. Seuls les textes d’auteurs les plus reconnus dans le domaine ont été retenus.

RÉSULTATS

Les principes de l’évaluation des compétences et ceux de la pédagogie universelle ont évidemment été élaborés en fonction de finalités et de contextes fort différents. Or, l’analyse de leurs caractéristiques et de leurs principes respectifs permet de dégager plusieurs points de convergence. Parmi ceux-ci, il y a la philosophie relative à la flexibilité des structures éducatives, le développement de l’autonomie des élèves et de leurs capacités d’autorégulation, ainsi que la mise en place d’un climat d’entraide et de collaboration.

Les points de convergence entre l’évaluation des compétences et la pédagogie universelle

Le premier point de convergence, soit le point central, porte sur la flexibilité préconisée dans l’évaluation des compétences tout comme dans la pédagogie universelle. En ce qui concerne l’évaluation des compétences, la nature même de ce qu’est une compétence et les fonctions associées à son évaluation, comme cela a été présenté précédemment, nécessitent de la souplesse de la part du personnel enseignant. En effet, la mobilisation des ressources peut être différente d’un élève à l’autre. Aussi, il est possible que les ressources mobilisées ne soient pas identiques d’un élève à l’autre, puisque chaque élève peut démontrer sa compétence en proposant une solution qui lui est propre pour la tâche d’évaluation à réaliser. Pour ce qui est de la flexibilité proposée par la pédagogie universelle, Rose et Meyer (2002) soulignent qu’au coeur même des trois principes de cette approche pédagogique, il y a cette volonté de mettre en place un environnement d’apprentissage souple et malléable afin de favoriser la réussite des élèves. Cela s’incarne de différentes façons, notamment en autorisant les élèves à choisir les outils leur permettant l’accès au contenu, les éléments spécifiques du contenu à traiter, les tâches à réaliser pour enrichir leurs connaissances et développer leurs compétences, ou encore les modalités de regroupement pour réaliser ces tâches (Bernacchio et Mullen, 2007; Chen, 2014; Coyne et al., 2012; Dolan et al., 2005; Harris et al., 2007; Meo, 2008; Nelson, 2014; Pace et Schwartz, 2008; Rose et Meyer, 2002). Ces différentes possibilités sont toutes présentes en évaluation des compétences, notamment en lien avec les aspects relatifs à sa différenciation (contenu, processus, production et structure).

À titre d’illustration, la différenciation du contenu en évaluation des compétences trouve écho dans certains éléments associés au troisième principe de la pédagogie universelle. D’une part, la différenciation de contenu réfère au sujet utilisé pour évaluer la mobilisation de ressources spécifiques à une situation tout en conservant le même objet d’évaluation. Plus précisément, il s’agit de laisser les élèves choisir la thématique de leur travail parmi des choix proposés afin de différencier les contenus (Dubois, 2016). Les élèves pourront alors rédiger un texte sur une thématique différente, mais en respectant les consignes telles qu’écrire un texte au passé en utilisant des mots de liaison. D’autre part, le principe « offrir plusieurs moyens d’engagement » stipule qu’il est essentiel, afin de soutenir la motivation des élèves, de leur offrir de la liberté d’action, notamment en leur permettant de travailler sur les sujets qui les interpellent davantage parmi des propositions les intéressant, en fonction de leur pertinence et de leur caractère authentique. En somme, Coyne et al. (2012) soutiennent que : « [b]ien évidemment, les élèves ne peuvent généralement pas choisir ce qu’ils vont apprendre, car cela est déterminé par la personne enseignante en fonction du programme d’enseignement. Cependant, plus la personne enseignante leur offre de choix dans la structure proposée dans l’environnement d’apprentissage, plus ils sont susceptibles d’être motivés à apprendre » (p. 4, traduction libre).

Aussi, la différenciation du processus et celle de la production en évaluation des compétences rejoignent le deuxième principe de la pédagogie universelle. La différenciation du processus réfère à la possibilité, pour chaque élève, d’utiliser des stratégies différentes pour réaliser la tâche. Quant à la différenciation de la production, il s’agit de laisser les élèves libres de présenter leur production sous le format qui leur convient. Le deuxième principe de la pédagogie universelle – « offrir plusieurs moyens d’action et d’expression » – suggère à la personne enseignante de permettre aux élèves de développer leurs compétences à partir de divers choix de tâches ou d’activités ayant elles-mêmes des possibilités spécifiques. Par exemple, les élèves pourraient réaliser une tâche d’écriture ou une présentation orale en utilisant divers choix, tels que l’entrevue, le jeu de rôles, la démonstration, la carte conceptuelle, le dessin, le collage ou la réalisation d’une vidéo (Abell et al., 2011; Chen, 2014; Courey et al., 2012; Jackson et Harper, 2011). En fonction de la tâche sélectionnée, les élèves conviennent, en collaboration avec la personne enseignante, des outils qui leur semblent les plus efficaces et pertinents (par exemple des outils en formats papier, numérique, audio ou vidéo), des conditions de réalisation (par exemple  un travail individuel, en dyades ou en petits groupes), du degré de guidance nécessaire ainsi que du temps alloué.

La flexibilité inhérente aux deux approches se matérialise aussi lorsqu’il est question, pour l’évaluation des compétences, de la différenciation relative à l’organisation de la tâche, soit la structure, et le premier principe de la pédagogie universelle, qui consiste à offrir plusieurs moyens de représentation. En évaluation des compétences, il est recommandé que la personne enseignante permette aux élèves, par exemple, de choisir les ressources matérielles, de travailler en équipe de deux ou de trois élèves, ou de décider du lieu de réalisation de la tâche. Il s’agit d’offrir une souplesse quant aux modalités associées à l’exécution de la tâche. Pour ce qui est du premier principe de la pédagogie universelle, Coyne et al. (2012), Jackson et Harper (2011), Meo (2008) ainsi que Rose et Meyer (2002) le lien notamment à la question de la formulation de l’objectif. Ces chercheuses et chercheurs rappellent l’importance d’énoncer l’objectif de façon suffisamment large pour éviter que son atteinte soit confinée dans la réalisation d’une seule tâche. D’ailleurs, selon Tardif (2006), une compétence doit être évaluée par plusieurs tâches complexes. De plus, Scallon (2004) souligne l’importance voulant que ces tâches complexes soient ouvertes, permettant ainsi plusieurs réponses détaillées possibles. Sur ce thème, Nelson (2014) soutient que l’objectif indique ce que les élèves vont apprendre, mais pas comment ils vont acquérir le contenu.

Enfin, il est également possible de relever une flexibilité commune en ce qui concerne le niveau de difficulté des tâches proposées aux élèves. Les compétences à développer étant déterminées par le Programme de formation de l’école québécoise, il convient de présenter des tâches d’évaluation de même niveau de difficulté à tous les élèves, tout comme les exigences et les critères d’évaluation de la compétence. Cependant, une prise en compte des besoins et des caractéristiques des élèves sur le plan de la production, du processus, du contenu ou de la structure s’avère essentielle afin que chacun puisse démontrer son niveau de compétence. En évaluation des compétences, il est aussi possible d’octroyer du temps additionnel pour la réalisation de la tâche d’évaluation lorsque cette mesure de soutien est prévue au plan d’intervention. Pour sa part, la pédagogie universelle préconise un calibrage du niveau de difficulté des activités (Hall et al., 2012) afin d’éviter de créer de la frustration chez des élèves dans le cas d’une tâche trop difficile, ou de susciter l’ennui dans le cas d’une activité trop facile. Il s’agit donc de proposer un équilibre entre défi et soutien, ce que Lapinski et al. (2012) nomment le « challenge-support balance » (p. 18).

Un deuxième point de convergence entre l’évaluation des compétences et les principes de la pédagogie universelle, mais qu’il est encore possible de lier à l’idée générale de la flexibilité offerte par l’évaluation des compétences tout comme la pédagogie universelle, concerne le développement de l’autonomie et des capacités d’autorégulation des élèves. L’autonomie en évaluation des compétences est grandement mise de l’avant par l’évaluation au service de l’apprentissage. Cette dernière responsabilise les élèves lorsqu’ils évaluent leur travail ou celui d’un pair. L’autonomie des élèves est alors développée par leur implication dans le processus d’évaluation. Les élèves deviennent donc responsables du développement de leurs compétences en se régulant. En ce qui concerne la pédagogie universelle, Lapinski et al. (2012) rappellent que ses trois principes généraux ont comme objectif transversal d’amener les élèves à développer leur autonomie.

La différenciation des processus et des structures en évaluation des compétences, comme plusieurs aspects associés à chacun des trois principes de la pédagogie universelle, incarne parfaitement cette volonté d’autonomisation des élèves. Par exemple, dans l’évaluation des compétences et dans le premier principe de la pédagogie universelle, l’autonomie des élèves peut être sollicitée lorsqu’ils doivent choisir le ou les formats à privilégier pour avoir accès aux connaissances et développer leurs compétences (par exemple les formats physique, papier, informatique, audio ou visuel), et pour déterminer s’ils souhaitent les personnaliser dans l’optique qu’ils facilitent leur compréhension (Hall et al., 2012; Rose et Meyer, 2011).

Une autre illustration concerne le deuxième principe de la pédagogie universelle. Ce dernier recommande à la personne enseignante d’offrir diverses options sur le plan des fonctions exécutives (Center for Applied Special Technology, 2018), comme celles liées : 1) à la fixation, au suivi et à l’atteinte d’objectifs à court, à moyen et à long terme; 2) à l’établissement et au respect des échéanciers et des plans de réalisation; 3) à l’appréciation de leurs progrès et de leur évolution (Meyer et al., 2014). Il est possible de proposer divers guides, tels que l’établissement d’objectifs et d’échéanciers ou des listes de vérification, que l’élève pourra consulter au besoin. La personne enseignante doit aussi les amener à réfléchir aux stratégies d’apprentissage déployées afin d’en évaluer les apports et les limites, dans l’atteinte des objectifs d’apprentissage personnels. L’évaluation des compétences a aussi un corollaire à ce titre, puisque, lors de l’évaluation au service de l’apprentissage, l’élève compare ses résultats avec les buts qu’il s’est fixés. Par la suite, la personne enseignante lui propose des moyens pour améliorer ses apprentissages par la rétroaction, soit par l’évaluation pour l’apprentissage.

D’ailleurs, le troisième principe de la pédagogie universelle suggère au personnel enseignant d’offrir diverses occasions afin que les élèves puissent noter les stratégies d’apprentissage qu’ils utilisent ou celles qu’ils devraient utiliser, et pour qu’ils puissent faire face à leurs émotions et s’évaluer (par exemple en réfléchissant à leurs progrès, en identifiant leurs forces et leurs faiblesses). Enfin, Nelson (2014) rappelle que le fait de soutenir l’engagement des élèves dépasse largement le maintien de leur attention sur l’activité à accomplir. Il s’agit de créer un environnement d’apprentissage dans lequel les élèves se sentent impliqués, respectés et soutenus.

Un troisième point de convergence entre l’évaluation des compétences et la pédagogie universelle concerne l’importance de mettre en place un climat d’entraide et de collaboration. En évaluation des compétences, l’entraide et la collaboration sont préconisées par l’évaluation au service de l’apprentissage, lorsque les élèves évaluent le travail d’un pair, et aussi par la coévaluation. En effet, lors de la coévaluation, les élèves peuvent s’évaluer et comparer les résultats de leur autoévaluation avec l’évaluation réalisée par la personne enseignante ou par un pair. En pédagogie universelle, le principe « offrir plusieurs moyens de représentation » (Center for Applied Special Technology, 2018) suppose aussi que la personne enseignante anticipe le soutien dont les élèves pourraient avoir besoin concernant la compréhension de la langue et qu’elle mette en place les moyens nécessaires, notamment proposer une définition des termes difficiles et importants; coconstruire la définition d’un concept; fournir des glossaires aux élèves; utiliser des images, des objets, des exemples ou des extraits audio pour illustrer certains termes, concepts ou idées; présenter des concepts sous forme de schémas; etc. (Harris et al., 2007; Nelson, 2014). Le premier principe de la pédagogie universelle recommande aussi d’offrir diverses possibilités sur le plan de la compréhension (Center for Applied Special Technology, 2018) pour que tous les élèves soient en mesure de traiter le contenu. Ils doivent alors être engagés dans les activités de la classe qui visent à présenter le contenu en étant invités, par exemple, à partager leurs connaissances antérieures, à témoigner de leur compréhension de certains concepts, termes et idées, ou à proposer et à établir les relations entre ces éléments (Courey et al., 2012). Jackson et Harper (2011) ainsi que Meyer et al. (2014) soutiennent que cette vision est en cohérence avec les rôles octroyés aux personnes enseignantes et apprenantes. À cet effet, dans les conceptions modernes de l’apprentissage tout comme dans la pédagogie universelle, on souligne l’importance pour la personne enseignante de prévoir des moments d’interaction entre les élèves et entre elle et les élèves. En effet cela permet de maximiser les occasions d’échange en soutien à la compréhension des notions théoriques, et de favoriser le développement de leurs compétences respectives.

CONCLUSION

L’analyse des caractéristiques de l’évaluation des compétences et des principes de la pédagogie universelle a permis de voir qu’ils se rencontrent à bien des égards et peuvent cohabiter harmonieusement. La mise en lumière des points de convergence entre l’évaluation des compétences et la pédagogie universelle apparaît comme une piste susceptible de soutenir la personne enseignante en fonction de son contexte actuel de pratique qui, comme il a été expliqué au départ, représente des enjeux à plusieurs égards. Cette réflexion permet aussi d’outiller les personnes enseignantes quant aux possibilités de prendre en compte la diversité des élèves lors de l’évaluation des compétences tout en respectant les orientations ministérielles. En effet, l’évaluation des compétences peut devenir une condition gagnante pour mobiliser la pédagogie universelle. Il en est de même pour les principes de cette dernière qui, lorsqu’ils sont instaurés dans un contexte de gestion de la diversité des élèves, peuvent orienter la personne enseignante dans le cadre de l’évaluation des compétences. Cet état de fait théorique n’est valable que pour l’évaluation des compétences, puisque l’évaluation de l’atteinte d’objectifs s’effectue de façon différente. Il serait alors intéressant de vérifier empiriquement si la pédagogie universelle est appliquée lors de l’évaluation des compétences dans les classes du primaire et du secondaire. Au secondaire, la comparaison entre les disciplines serait tout aussi intéressante afin de déterminer si la pédagogie universelle est davantage mise en place dans certaines disciplines que dans d’autres.