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INTRODUCTION

Les milieux scolaires canadiens et situés ailleurs dans le monde sont davantage diversifiés, et tendent à être plus inclusifs (Calder Stegemann et AuCoin, 2016; UNESCO, 2020). Malgré le fait que l’inclusion fait partie des lois et des politiques scolaires, sa mise en oeuvre est encore un défi (Sider et Maich, 2022) en raison, entre autres, de la complexité à enseigner à une diversité d’élèves, et du manque de temps et de structures administratives (Desmarais, 2019; Rousseau et al., 2017). Ces enjeux touchent tous les acteurs et les actrices scolaires, mais le personnel enseignant et les élèves sont plus affectés puisqu’ils sont au coeur de la plupart des interventions éducatives. Les personnes enseignantes, malgré leur volonté à mettre en oeuvre l’éducation inclusive, manquent souvent de formation pour y arriver efficacement (Prud’homme, 2015; Rousseau et al., 2017). À cet effet, l’UNESCO (2020) souligne l’importance d’offrir de la formation et de l’accompagnement continu et approfondi à propos de l’éducation inclusive et des approches comme la pédagogie universelle (PU)[1].

La PU est reconnue comme une piste inclusive prometteuse puisqu’elle respecte la variété des besoins éducatifs de tous les élèves (Bergeron et al., 2011; Galkiene et Monkeviciene, 2021; Meyer et al., 2014) et qu’elle s’éloigne de la nécessité des accommodements individualisés (Burgstahler, 2013; Desmarais, 2019; UNESCO, 2020). Elle reconnait la diversité des élèves comme un phénomène naturel au sein de la société dans laquelle personne n’a les mêmes besoins éducatifs ou caractéristiques individuelles (Galkiene et Monkeviciene, 2021). Sans compter ses apports sur le plan de la réussite éducative des élèves, la PU contribue à diminuer le stress et à augmenter le sentiment d’autoefficacité personnelle du personnel enseignant (Katz, 2015). Pour être efficacement mise en oeuvre, la PU nécessite toutefois une formation et un accompagnement approfondis (Baldiris Navarro et al., 2016; Baran et al., 2021; Novak, 2016). Les études sur la PU et le développement professionnel la concernant sont limitées, et ce, particulièrement en contexte de salle de classe (Smith et al., 2019; Unal et al., 2022). Plusieurs recherches sur son implantation soulignent la force des communautés d’apprentissage professionnelles (CAP) comme dispositif de développement professionnel (p. ex. : Berquist, 2017; Novak, 2016; Novak et Woodlock, 2021; Posey et Novak, 2020). Les CAP permettent aux personnes enseignantes y participant d’être engagées dans un processus d’apprentissage guidé par leurs besoins et axé sur la résolution de leurs défis professionnels (Vescio et al., 2008). Plusieurs autres études témoignent que différents dispositifs de développement professionnel comme les CAP contribuent à créer un environnement positif facilitant la prise de risques professionnels et le développement du sentiment de compétence du personnel enseignant (p. ex. : Daigle et al., 2021; Gagnon et al., 2021; Kutsyuruba et al., 2019; Morales-Perlaza, 2020). C’est dans ce contexte que cet article documente comment les CAP, ayant pour objet la PU, en tant que dispositif de développement professionnel continu du personnel enseignant au primaire en contexte francominoritaire, ont contribué à l’implantation de la PU. Afin d’en comprendre les enjeux théoriques, les auteures proposent de décrire la valeur des CAP comme dispositif de développement professionnel continu pour la PU, de présenter la PU et la complexité de sa mise en oeuvre et de proposer une démarche de planification cohérente avec la PU.

CADRE DE RÉFÉRENCE

Valeur des communautés d’apprentissage professionnelles pour la PU

Pour qu’un dispositif de développement professionnel soit efficace, il est nécessaire que la personne apprenante soit au coeur de son processus d’apprentissage et qu’elle soit impliquée à chaque étape de ce dernier (Korthagen, 2017). Ceci apparait d’ailleurs comme une force des CAP (Berquist, 2017; Novak, 2016; Novak et Woodlock, 2021; Posey et Novak, 2020) en plus d’être une valeur importante pour la PU. Les CAP sont un dispositif de développement professionnel bien documenté (Massé et al., 2021). Elles visent le développement de pratiques pédagogiques par l’acquisition de savoirs individuels et collectifs (Dionne et al., 2010) permettant de meilleurs apprentissages et une réussite accrue chez les élèves (Leclerc et Labelle, 2013). Elles permettent le partage et le transfert des connaissances issues d’échanges entre collègues (Dionne et al., 2010; Massé et al., 2021), ainsi que le développement d’une meilleure cohésion et d’une vision commune de leurs pratiques pédagogiques (Dionne et al., 2010). Les CAP encouragent l’évaluation par les pairs et le développement d’une pensée réflexive en procurant un environnement favorable pour discuter honnêtement (Peters et Savoie-Zajc, 2013). Elles s’inscrivent dans un processus social et une dynamique de partage entre personnes enseignantes où la collaboration et les aspects relationnels sont centraux (Fontaine et al., 2013). Elles contribuent aussi à la création d’un projet commun au sein de l’école où l’on partage des valeurs et où l’on s’engage vers un même objectif (Fontaine et al., 2013). La collaboration étant au coeur des CAP, il semble que ces dernières offrent aux personnes enseignantes une occasion de développer leur sentiment d’appartenance (Gagnon et al., 2021) en plus d’être vues comme des vecteurs pour développer leur sentiment d’efficacité personnelle (Berquist, 2017; Novak et Woodlock, 2021). Selon Leclerc et Moreau (2011), les CAP se déroulent autour de rencontres formelles et structurées pour lesquelles on conçoit un ordre du jour, des comptes rendus et où l’on définit des objectifs spécifiques généralement axés sur l’amélioration des pratiques favorisant la réussite des élèves. « Les discussions sont centrées sur l’apprentissage des élèves et sur l’impact des interventions pédagogiques » (Leclerc et Moreau, 2011, p. 195). Effectivement, elles permettent aux personnes participantes de travailler collectivement à une meilleure compréhension d’une stratégie ou d’une approche pédagogique, et d’entamer une démarche de résolution de problème. Elles amènent le personnel enseignant à prendre des décisions éclairées en fonction de leur contexte, de leurs buts et de leurs connaissances tout en considérant les besoins des élèves (Vescio et al., 2008). Elles apparaissent alors comme un moyen prometteur pour accompagner les personnes enseignantes à mettre en oeuvre la PU (Novak et Woodlock, 2021). Effectivement, les personnes participant aux CAP peuvent vivre des succès, observer ceux des autres et accumuler des expériences nouvelles leur permettant de maitriser de nouvelles approches pédagogiques plus complexes comme la PU (Posey et Novak, 2020). Plusieurs recherches placent aussi l’accompagnement comme un vecteur d’innovation pédagogique et de développement d’attitudes plus ouvertes (Boutin et Dufour, 2021; Daigle et al., 2021), éléments essentiels à la mise en oeuvre de la PU.

Pédagogie universelle et complexité de mise en oeuvre

La PU est un guide pour la mise en oeuvre de pratiques éducatives souples et accessibles. Elle est une approche de planification et d’élaboration d’un programme d’enseignement promouvant l’accès, la participation et le progrès pour toute personne apprenante (Center for Applied Special Technology, 2011). Elle propose diverses occasions pour apprendre en profondeur à partir d’une planification scolaire flexible des pratiques pédagogiques, des évaluations et du matériel employé (Rappolt-Schlichtmann et al., 2012). Sa souplesse, son potentiel pour maintenir des standards élevés (Meyer et al., 2014) et la créativité qu’elle alloue au personnel enseignant (Davies et al., 2013) la positionne comme une approche permettant d’accroitre la qualité de l’apprentissage d’une diversité d’élèves tout en réduisant la nécessité des mesures individualisées (Burgstahler, 2017; Meyer et al., 2014). La PU ne devrait pas être considérée comme une nouvelle approche, elle correspond davantage à une mise en commun de plusieurs pratiques éducatives inclusives jugées efficaces par de nombreux auteurs (p. ex. : Burgstahler, 2017; Davies et al., 2013; Meyer et al., 2014).

Pour affronter les défis d’enseigner à une diversité d’élèves, la PU propose trois principes de flexibilité servant de guide au processus de planification : offrir plusieurs moyens d’engagement, offrir plusieurs moyens de représentation et offrir plusieurs moyens d’action et d’expression (Meyer et al., 2014). Le premier principe, offrir plusieurs moyens d’engagement, concerne les raisons qui poussent les élèves à être véritablement investis dans leur apprentissage. Correspondant aux aspects émotifs associés aux sphères de l’apprentissage, il favorise l’utilisation d’une diversité de moyens afin d’engager et de motiver les élèves dans la démonstration de leurs apprentissages (Meyer et al., 2014). Le deuxième principe, offrir plusieurs moyens de représentation, privilégie l’utilisation d’une pluralité de moyens pour présenter l’information aux élèves. Il s’intéresse aux connaissances, aux compétences et aux savoir-faire que les élèves doivent développer. Le troisième principe, offrir plusieurs moyens d’action et d’expression, donne la possibilité aux élèves de faire la démonstration de leurs savoirs de diverses façons tout en étant actifs. Il s’intéresse aux stratégies mobilisées par les élèves afin de s’approprier les contenus et de faire la démonstration de leur compréhension.

L’appropriation et la mise en oeuvre de la PU peuvent être complexes puisqu’elles nécessitent des connaissances théoriques pour comprendre les fondements de l’approche (Black et al., 2015; Desmarais et al., 2021). La PU requiert également une période de mise à l’essai et de pratique au cours de laquelle la collaboration et le partage entre personnes enseignantes peut être une condition facilitante (Alquraini et Rao, 2018).

Processus de planification et pédagogie universelle

Les personnes enseignantes ont besoin de soutien dans la mise en place de pratiques plus ouvertes et inclusives. Dans cette optique, des chercheurs proposent le modèle Planning for All Learners (PAL), un processus de planification pour toutes les personnes apprenantes (Hall et al., 2005; Meo, 2008). C’est le modèle PAL adapté par Bergeron et al. (2019) qui a été retenu pour cet article. Cette adaptation offre une démarche de planification permettant aux personnes enseignantes de concrétiser l’utilisation des principes de flexibilité de la PU en leur offrant des balises pour mettre en place des leçons s’adressant à une diversité d’élèves (Meo, 2008). Ce modèle souligne l’importance de la collaboration où les expertises sont mises en commun pour planifier selon les principes de la PU (Meo, 2008). Il propose un cycle itératif composé de cinq étapes : (1) établir des buts, (2) analyser la situation actuelle, (3) prendre des décisions pour un accès universel, (4) mettre en oeuvre et expérimenter la démarche, et (5) évaluer et réajuster les décisions (voir Figure 1).

Figure 1

Processus de planification pour tous les apprenants : adaptation du PAL

Processus de planification pour tous les apprenants : adaptation du PAL

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La première étape, consistant à établir des buts, amène la personne enseignante à clarifier les objectifs, les exigences de sa leçon et donc à déterminer explicitement ses intentions pédagogiques (Bergeron et al., 2011). La deuxième étape, soit analyser la situation actuelle, amène la personne enseignante à identifier ses pratiques actuelles, notamment ses méthodes d’enseignement et d’évaluation lui permettant d’atteindre les intentions pédagogiques identifiées à l’étape précédente (Meo, 2008). La troisième étape, consistant à prendre des décisions pour un accès universel, permet à la personne enseignante de planifier les modifications à apporter à ses méthodes d’enseignement et d’évaluation en considérant les principes de flexibilité de la PU en fonction de ce qui permet de mieux répondre aux besoins diversifiés des élèves. La quatrième étape, où l’on met en oeuvre et l’on expérimente la démarche, propose à la personne enseignante de suivre ou de tester sa propre planification, tout en demeurant ouverte aux changements et aux rétroactions des élèves (Bergeron et al., 2019). Enfin, la cinquième étape, soit évaluer et réajuster les décisions prises à l’étape précédente, correspond à un processus d’autoévaluation par la personne enseignante (Bergeron et al., 2019). Cette dernière étape réaffirme le caractère itératif du processus, en explicitant la nécessité d’en amorcer une deuxième boucle si l’évaluation de la démarche de planification conduit à des réajustements. Le PAL peut accompagner les personnes enseignantes participant à une CAP à coplanifier différentes activités d’apprentissage ou d’évaluation pour leurs élèves (Novak et Woodlock, 2021). C’est avec ces principes en tête que l’équipe de recherche a entrepris une recherche-action plus large que ce qui est présenté dans cet écrit, où l’on ne s’intéresse spécifiquement qu’à documenter comment les CAP ayant pour objet la PU ont contribué à l’implantation de la PU.

MÉTHODOLOGIE

En éducation, la recherche-action vise à transformer une situation pédagogique dans le but d’y apporter des changements bénéfiques, à contribuer au développement professionnel des personnes qui y prennent part et à améliorer les connaissances sur cette situation (Guay et Prud’homme, 2018). Elle permet, simultanément, d’introduire une nouvelle pratique en aidant le personnel enseignant à la comprendre d’un point de théorique (Monkeviciene et Galkiene, 2021). Elle apparait pertinente dans la présente étude puisqu’elle permet d’oeuvrer conjointement avec les personnes enseignantes pour trouver des pistes de solution à des problèmes réels de leur pratique (Cohen et al., 2018; Monkeviciene et Galkiene, 2021). Dans ce contexte, le chercheur joue à la fois le rôle de participant et de chercheur : la recherche-action s’inscrit donc dans un paradigme de recherche participative (Monkeviciene et Galkiene, 2021).

Personnes participantes

La recherche-action a pris place à la demande explicite d’une école primaire franco-manitobaine qui souhaitait mettre de l’avant les principes de la PU au sein de ses murs. Le projet s’est déroulé pendant l’année scolaire 2020-2021, après que tout le personnel de l’école ait participé à trois journées de formation pendant l’année scolaire 2019-2020 chapeautées par la chercheuse principale sur la mise en oeuvre des principes de la PU. Plus précisément, les formations portaient sur les aspects théoriques de la PU, sur le PAL et sur des activités contextualisées de mise en pratique de la PU. Après l’obtention d’un certificat d’éthique obtenu par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Saint-Boniface , un courriel d’invitation a été envoyé à tout le personnel enseignant par l’intermédiaire de la direction de l’école : dix personnes y ont répondu favorablement. Il s’agit de 6 hommes et de 4 femmes, âgés de 25 à 52 ans, qui possèdent entre 3 et 29 années d’expérience en enseignement. Ces personnes enseignent de la deuxième à la huitième année du primaire.

Déroulement de la recherche

Les 10 personnes participantes ont pris part à 3 groupes de CAP organisés par niveaux scolaires (maternelle à 2e année; 5e et 6e année; 7e et 8e année). Chaque groupe était supervisé de manière hebdomadaire par le conseiller de l’école, ayant obtenu un accompagnement individualisé et approfondi sur la PU et le PAL, puis de manière mensuelle par la chercheuse principale. Les CAP hebdomadaires, animées par le conseiller, visaient à cocréer des activités pédagogiques en suivant le PAL et à discuter de la mise en oeuvre de ces activités en classe. Les rencontres mensuelles visaient l’approfondissement des compétences en lien avec la PU. Les personnes participantes ont aussi été observées en classe à trois reprises (octobre, mars, juin) par la chercheuse principale; le conseiller et un collègue de leur choix participaient aussi au projet afin de mettre en lumière leur façon d’intégrer les principes de la PU et d’obtenir une rétroaction sur leur mise en oeuvre de celle-ci. À la fin de l’année scolaire, des entrevues individuelles et des entrevues par groupes de CAP se sont déroulées pour approfondir les expériences de mise en oeuvre de la PU. Les entrevues individuelles ont été menées par une assistante de recherche alors que les entrevues de groupe ont été conduites par la chercheuse principale au moment de la dernière CAP mensuelle du projet.

Outils de collecte de données

Différents outils ont servi à la collecte de données pendant la recherche-action – seuls ceux reliés à l’objet de cet article seront décrits, soit les supervisions mensuelles des CAP, les entrevues individuelles et celles de groupe.

Les personnes participantes ont assisté à 23 rencontres hebdomadaires des CAP d’une durée de 50 minutes. Lors de ces rencontres, elles ont coplanifié en suivant les étapes du PAL et ont échangé sur les défis et les réussites qu’elles vivaient au quotidien. À chaque rencontre hebdomadaire, elles devaient prendre des notes, comprenant des résumés de conversation, des pistes de réflexion ou des planifications de leçons.

La chercheuse principale a participé à 21 rencontres de supervision mensuelle des CAP, soit 7 rencontres virtuelles par groupe de CAP. Pendant ces rencontres d’une durée de 60 minutes, les personnes enseignantes étaient invitées à faire le point sur les travaux effectués au sein de leur CAP durant le mois et à poser des questions à la chercheuse principale pour approfondir leur compréhension des principes de la PU. Un enregistrement audio de chaque rencontre a été effectué, puis transcrit sous forme de verbatim.

Des entrevues individuelles semi-dirigées ont aussi eu lieu en mai 2021. Ces entrevues virtuelles, d’une durée moyenne de 48,5 minutes, comprenaient 8 questions ouvertes sur les défis et les réussites rencontrés au moment d’implanter la PU et l’impact des CAP sur l’implantation de la PU. Elles ont été enregistrées puis transcrites sous forme de verbatim. Ensuite, trois entrevues virtuelles de groupe, une par groupe de CAP, ont été réalisées en juin 2021. Ces entrevues visaient à mieux comprendre comment les CAP ont contribué à l’implantation de la PU des personnes participantes. Elles comprenaient sept questions ouvertes visant à faire le point sur la démarche d’accompagnement par les CAP. Un enregistrement audio de ces entrevues ont été effectués, puis transcrites sous forme de verbatim.

Analyse des données

En ce qui a trait aux rencontres de supervision mensuelle des CAP, aux entrevues individuelles et aux entrevues de groupe, les verbatims ont servi à effectuer une analyse thématique avec le logiciel ATLAS-ti (version 9.1.3). L’analyse thématique en continu (Paillé et Mucchielli, 2021) a été retenue afin d’assurer la profondeur et la richesse des résultats. Cette dernière a permis de constituer un arbre thématique contenant des codes, des catégories de sens et des thèmes généraux nous renseignant sur le processus d’implantation de la PU des personnes participantes et la contribution des CAP dans ce processus. Une triangulation des données a été effectuée entre les notes prises durant les CAP par les personnes participantes, les entrevues individuelles et les entrevues de groupe afin de valider les données.

RÉSULTATS

Rappelons que les résultats présentés dans cet article se limitent au premier objectif d’une étude plus large et s’intéressent donc exclusivement à documenter comment les CAP ayant pour objet la PU ont contribué à son implantation. Les résultats présentés proviennent des analyses issues des entrevues individuelles et celles de groupe, et touchent les thématiques suivantes : (1) les défis rencontrés, (2) les réussites vécues et (3) la perception de l’influence des CAP sur la mise en oeuvre de la PU.

Défis associés à la mise en oeuvre de la PU soutenue par les CAP

Cinq défis associés à la mise en oeuvre de la PU soutenue par les CAP ressortent du discours des personnes participantes. Ces dernières soulignent d’abord le défi de comprendre les notions théoriques associées aux principes de flexibilité de la PU. Elles nomment que certains principes sont plus complexes à comprendre que d’autres et que les conversations entre collègues pendant les CAP n’aidaient pas toujours à bien les distinguer. Certaines personnes participantes croient que les CAP auraient pu miser davantage sur la pratique. Bien que ces personnes reconnaissent que la théorie est importante, elles auraient aimé recevoir davantage d’exemples concrets de la PU. Une personne mentionne : « C’est quelque chose que j’aurais aimé plus avoir : tiens, voici un guide, voici dix activités et si tu fais ces dix-là au courant de la semaine, c’est 100 % pédagogie universelle » (7:28[2]).

Un deuxième défi est lié au temps que nécessite la planification de l’enseignement et de l’évaluation selon les principes de la PU. Par exemple, la diversification de la présentation de la matière, la remise en question de ses pratiques et la recherche de ressources francophones sont mentionnées comme des défis. Cela dit, certaines personnes soulignent qu’à moyen et à long terme, le temps nécessaire pour cette planification diminue.

Ça prend énormément de temps, […] il faut que je prenne le temps de penser à d’autres façons que je pourrais présenter le projet ou faire ma leçon, alors ça me prend beaucoup plus de temps à planifier mes leçons. Mais l’année prochaine, ça va déjà être fait, ça va quand même porter fruit dans le futur. (5:8)

Un troisième défi concerne la nécessité d’offrir des choix aux élèves. Il s’agit d’un défi pour le personnel enseignant, qui doit laisser les élèves faire leurs propres choix, mais aussi pour les élèves, pour qui cette nouveauté peut être déstabilisante dans les débuts.

Ça a été un gros effort, un gros travail sur moi-même pour leur laisser le choix, […] c’est-à-dire que ce n’est plus moi qui propose les choix, c’est eux qui me les proposent. Ça a été un gros défi pour moi. (1:6)

Les personnes participantes soulignent un quatrième défi lié à l’accès. En effet, l’accès aux outils est difficile, étant donné qu’on ne les retrouve pas en quantité suffisante pour tous les élèves.

Enfin, le cinquième défi concerne le fait de vivre une CAP avec des collègues de niveaux différents, ce qui rend le partage plus difficile puisque les mêmes pratiques ne peuvent pas nécessairement être mises en place, ou du moins nécessitent d’être adaptées. À cela, certaines personnes ajoutent que l’attitude plus ou moins ouverte de certains membres des CAP à modifier leurs pratiques pédagogiques a été un défi.

Réussites associées à la mise en oeuvre de la PU soutenue par les CAP

Cinq réussites associées à la mise en oeuvre de la PU soutenue par les CAP ressortent du discours des personnes participantes. La première concerne l’engagement et la responsabilisation des élèves. Selon elles, les pratiques en adéquation avec les principes de la PU permettent aux élèves d’être davantage engagés et motivés dans les activités de la classe, notamment les élèves vivant des défis à l’école.

Les personnes participantes perçoivent comme une seconde réussite le fait que leur temps de parole ou d’enseignement magistral diminue lorsque les principes de la PU sont mis en oeuvre.

Pendant le temps d’enseignement, je parle moins et la parole est plus donnée aux élèves et cela me fait un grand bien, je suis moins épuisée et je dégage du temps aussi pour m’occuper de cas, de mes élèves à besoins. (4:4)

Le sentiment de communauté développé dans la classe est perçu comme la troisième réussite selon les personnes participantes. Elles mentionnent qu’elles éprouvent plus de plaisir à enseigner avec la PU. Quant aux élèves, ils aiment les activités qui mettent en oeuvre les principes de la PU, ce qui crée un climat de classe positif.

On dirait que c’est plus le fun aussi, comme le climat de classe est meilleur aussi, parce que les élèves s’amusent, ce n’est pas papier-crayon-silence total, c’est plus ce qu’ils veulent, ce qui les intéresse, alors le climat de classe a beaucoup changé, ce que j’adore. (5:16)

Quatrièmement, les personnes participantes relèvent comme des réussites la variation des méthodes d’évaluation et la gestion de classe plus facile.

À chaque cours de sciences, pendant que [les élèves] étaient à la tâche, aucune intervention de discipline. Tout le monde savait ce qu’ils devaient faire et ils se sont beaucoup amusés. (9:22)

Enfin, les personnes participantes perçoivent comme une réussite le fait que les CAP leur permettent de progresser ensemble et de prendre le temps de s’arrêter, ce qui n’est pas toujours facile à faire dans le quotidien d’une école.

Je trouve que c’est ce côté « progresser ensemble » [qui] a été quelque chose que j’ai vraiment apprécié cette année. De travailler ensemble, de réfléchir ensemble. L’avantage des CAP, c’est de se poser, de relever la tête et de dire : « Bon, qu’est-ce qu’on est en train de faire, on est où, là? » (1:20)

L’aspect formateur des CAP a aussi été relevé par plusieurs personnes. Certaines mentionnent que les CAP leur ont fourni de nouveaux outils et de nouvelles stratégies d’enseignement pour mieux mettre en oeuvre la PU. D’autres soulignent que les CAP permettaient de revenir sur les réalisations en classe par la chercheuse principale, ce qui était un moment formateur et riche en rétroactions.

Influence perçue des CAP sur la mise en oeuvre de la PU

La dernière thématique comprend quatre éléments tirés du discours du personnel enseignant à propos de l’influence perçue des CAP sur la mise en oeuvre de la PU. Premièrement, la PU s’est avérée être une grande découverte pour plusieurs personnes participantes, et ce, malgré les journées de formation reçues avant le démarrage de l’étude, alors que pour certaines personnes, il s’agissait plutôt d’une continuité. Pour ces dernières, la formation semble avoir été moins influente puisque plusieurs pratiques inclusives étaient déjà en place. À l’inverse, les personnes pour qui la PU était une nouveauté soulignent qu’elles se sont progressivement améliorées dans leur planification selon les principes de la PU, notamment en développant une meilleure compréhension de l’approche, entre autres, lors des CAP, en donnant davantage la parole aux élèves et en intégrant progressivement la PU dans plusieurs matières.

Deuxièmement, plusieurs personnes participantes témoignent d’un certain inconfort à mettre en oeuvre la PU en début de projet. Par exemple, elles soulignent des difficultés à bien comprendre l’approche ou à faire face à tous les changements et la nouveauté que cela comporte. Elles précisent que les échanges pendant les CAP ont permis de normaliser ce sentiment.

Troisièmement, les personnes participantes mentionnent que les CAP ont permis l’échange et le partage de bonnes pratiques en lien avec la PU.

J’ai beaucoup aimé le partage, quand on se parlait de qu’est-ce qu’on avait fait par rapport à la PU. Juste entendre les idées des autres, souvent c’est vraiment une bonne idée […]. C’était motivant d’entendre ce que les autres faisaient. (8:26)

Enfin, les personnes participantes soulignent que la présence de la chercheuse principale à certaines CAP les a beaucoup aidées à s’approprier la PU. Grâce à sa rétroaction constructive et à la rétroaction des collègues, elles avaient des pistes concrètes pour améliorer leurs pratiques.

Elle nous donnait des pistes à suivre et c’était vraiment bien parce qu’on se questionne tellement, c’est bien d’avoir une rétroaction de quelqu’un qui est de l’externe. Je trouve que ça donne un meilleur portrait de ce que j’ai vraiment besoin de travailler. (5:28)

Certaines personnes ont aussi mentionné que la présence mensuelle de la chercheuse principale ainsi que la tenue hebdomadaire des CAP ont contribué à leur persévérance dans la mise en oeuvre de la PU. Enfin, les personnes participantes mentionnent que les CAP les ont aidées à mieux comprendre et s’approprier la PU. L’entraide entre les groupes de CAP est aussi identifiée comme un élément aidant, par exemple par le partage de ressources.

DISCUSSION

À la lumière des résultats présentés, les CAP semblent être une piste prometteuse pour accompagner les personnes enseignantes dans leur développement professionnel concernant l’implantation de la PU. Elles offrent un lieu de collaboration aux personnes enseignantes où elles peuvent s’arrêter et prendre le temps de réfléchir à leur pratique et d’apprendre de leurs collègues (Novak et Woodlock, 2021), en plus de contribuer à la création de relations positives (Gray et al., 2017). Les résultats présentés soulignent aussi le besoin des personnes participantes d’avoir davantage accès à des exemples concrets ou à des activités d’apprentissage toutes prêtes. Bien que ce besoin soit compréhensible, il semble aller à l’encontre des visées de la PU. Effectivement, la PU, en cohérence avec le PAL, requiert des prises de décisions en continu ancrées dans le contexte éducatif où l’on enseigne et centrées sur les besoins éducatifs des élèves de la classe (Zhang et al., 2021). « [Le fait d’avoir accès à des recettes “clé en main”] laisse peu de place à l’autonomie de l’enseignant en matière de choix pédagogiques, de décision, autrement dit aux principaux attributs de sa professionnalité » (Viriot-Goeldel, 2011, p. 8). Toutefois, ce besoin témoigne également des défis associés à l’apprentissage d’une approche pédagogique qui diffère grandement de la façon dont on a appris et dont on a appris à enseigner (Posey et Novak, 2020) et soulève l’importance des pratiques pédagogiques mises de l’avant pendant la formation initiale en enseignement (Unal et al., 2022). Le désir d’obtenir des exemples concrets témoigne du fait que la PU est une approche complexe demandant un certain temps d’appropriation et plusieurs boucles d’essai-erreur (Alquraini et Rao, 2018). À cela s’ajoute aussi la difficulté des personnes participantes à céder une partie de leurs responsabilités pédagogiques à leurs élèves. Effectivement, la PU, afin de viser un plus grand engagement et une plus grande mise à l’action des élèves, propose d’offrir des choix aux élèves et de leur donner une plus grande part de responsabilités dans leurs apprentissages (Meyer et al., 2014). Ce défi renvoie à la posture dite plus traditionnelle des personnes enseignantes, alors que la PU s’inscrit dans une posture où l’élève est l’acteur principal de son apprentissage et la personne enseignante est davantage un guide adoptant une posture réflexive et critique (Lakkala et Kyro-Ammala, 2021). Cela dit, l’accompagnement à l’implantation de la PU par le biais de CAP pourrait être un moyen d’amoindrir ce défi.

CONCLUSION

La présente étude souligne les défis associés à la compréhension de la PU, à la nécessité d’avoir des exemples concrets, au temps nécessaire pour la planification, à la gestion des choix offerts aux élèves et à l’accès aux outils technologiques et au matériel pédagogique. L’étude témoigne aussi de plusieurs réussites en lien à la mise en oeuvre de la PU soutenue par les CAP comme la perception d’un meilleur engagement des élèves, d’un plus grand sentiment de communauté dans la classe, une gestion de classe plus facile, la possibilité d’avoir un temps d’arrêt entre collègues pour réfléchir et se questionner, ainsi que d’avoir un espace de partage de stratégies gagnantes entre collègues. Enfin, les personnes participantes perçoivent de manière positive l’influence des CAP sur leur capacité à mettre en oeuvre la PU. Parmi les éléments ressortant de leur discours, on souligne que les CAP permettent d’approfondir les connaissances que l’on a de la PU, de normaliser le sentiment d’inconfort que l’on rencontre en début d’implantation, d’échanger et de partager des outils, des idées et des stratégies gagnantes avec des collègues. L’apport d’une personne externe à l’école et experte de la PU dans la supervision des CAP a aussi été identifié comme un élément aidant à mieux comprendre la PU.

C’est dans cet esprit qu’il importe donc de poursuivre les recherches sur l’accompagnement et la formation aux principes de flexibilité de la PU. Bien que cette étude ait permis de dégager des implications pour la recherche, elle présente tout de même certaines limites, comme le fait de n’avoir qu’un petit échantillon et d’avoir été réalisée auprès d’une équipe-école particulièrement engagée et intéressée par la PU. Les résultats auraient sans doute été moins positifs avec une équipe moins engagée. Les résultats ne peuvent donc pas être généralisés, et d’autres recherches méritent d’être effectuées.