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INTRODUCTION

Dans le but d’atteindre une société plus juste et équitable, l’éducation inclusive est davantage mise en oeuvre dans les écoles d’un peu partout dans le monde (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture [UNESCO], 2020) et la préoccupation pour le bienêtre de tous ceux et celles qui évoluent dans le milieu scolaire est grandissante (Espinosa et Rousseau, 2018). L’éducation inclusive implique diverses formes de différenciation pédagogique visant à mieux répondre aux besoins éducatifs variés de tous les élèves (Rousseau et al., 2013). Au Manitoba, l’éducation inclusive est d’ailleurs vue comme une source d’enrichissement qui permet d’augmenter le bienêtre de tous les membres de la collectivité (Éducation Citoyenneté et Jeunesse Manitoba, 2006). La pédagogie universelle (PU) apparait comme l’une des formes privilégiées d’éducation inclusive puisqu’elle permet une expérience d’apprentissage positive en offrant plus de flexibilité dans la planification de l’enseignement et de l’apprentissage (Desmarais, 2019). Considérée comme une approche ouverte et flexible (Meyer et al., 2014), la PU permet d’envisager une multitude de modalités apparaissant pour les élèves comme des possibilités d’apprendre selon leurs besoins, voire leurs préférences, en favorisant leur engagement et leur motivation. À cet égard, cet article présente certains résultats d’une recherche-action dont l’un des objectifs est de documenter la perception du personnel enseignant à l’égard de l’influence de la PU sur leur bienêtre en contexte minoritaire franco-manitobain.

Importance du bienêtre en milieu scolaire

D’emblée, soulignons que les recherches portant sur le bienêtre à l’école sont relativement nouvelles : ces dernières connaissent un véritable essor depuis les années 2000 (Espinosa et Rousseau, 2018). Elles ont fait leur apparition dans un climat scolaire en changement dans lequel on remarque une réorientation des finalités de l’école (Gaudonville et al., 2017). En effet, alors que ces finalités étaient auparavant orientées vers l’acquisition de connaissances et de compétences, elles comprennent maintenant l’épanouissement des élèves afin de leur permettre d’atteindre leur plein potentiel, de participer à la vie de leur école et de faciliter leur intégration à titre de citoyens (Éducation Citoyenneté et Jeunesse Manitoba, 2006; Guimard et al., 2015). Dans ce contexte, le bienêtre en milieu scolaire constitue désormais une préoccupation majeure puisqu’il représente une dimension importante de la qualité de vie des élèves (Ferrière et al., 2016). Pourtant, certaines études soulignent une diminution progressive du bienêtre des élèves au fur et à mesure qu’ils avancent en scolarité (González-Carrasco et al., 2017; Liu et al., 2016). Cette situation inquiétante témoigne de la pertinence de se soucier du bienêtre des élèves à l’école dès leur plus jeune âge. Il se dégage aussi un consensus selon lequel le bienêtre des élèves passe par le bienêtre du personnel scolaire : les actions à prioriser doivent donc veiller au bienêtre de tous (Conseil supérieur de l’éducation, 2020; Vlasie, 2021). Dans la présente étude, nous nous sommes intéressées plus précisément au bienêtre du personnel enseignant, mais toujours avec l’intention de favoriser le bienêtre de tous en milieu scolaire. En effet, il apparait important d’améliorer notre compréhension de ce qui peut influencer le bienêtre des personnes enseignantes, non seulement pour elles, mais aussi pour tous les membres de nos communautés scolaires, dont les élèves (Collie, 2014; Dobrica, 2015).

Alors que les recherches portant sur le bienêtre en éducation sont en croissance (Espinosa et Rousseau, 2018), la pandémie de COVID-19 a mis l’accent sur le besoin de mettre en place des actions immédiates pour favoriser le bienêtre à l’école (Balica, 2020; Institut national de santé publique du Québec, 2020; Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2020; Racine, 2020). En contexte franco-manitobain, le bienêtre à l’école occupe une place privilégiée dans le plus récent plan d’action de la Commission sur l’éducation de la maternelle à la douzième année (Éducation et formation du Manitoba, 2022). On y retrouve, par exemple, l’importance pour tous les membres du système scolaire de mener une « bonne vie », ce qui fait référence à « une vie bien équilibrée où les quatre caractéristiques d’un être humain sont abordées : émotionnelle, physique, mentale et spirituelle » (Éducation et formation du Manitoba, 2022, p. 8). Le Conseil supérieur de l’éducation (2020), quant à lui, met de l’avant la formation et l’accompagnement du personnel scolaire sous l’axe « soutenir le développement professionnel pour le bien-être des enfants et du personnel scolaire ». Dans ses constats tirés d’écrits scientifiques, mais aussi de consultations sur le terrain et avec des experts, le Conseil souligne que le développement de communautés d’apprentissage et le partage de pratiques sont des moyens pertinents pour soutenir le développement professionnel du personnel scolaire et pour favoriser le bienêtre de tous (Conseil supérieur de l’éducation, 2020).

La PU : une voie prometteuse pour favoriser le bienêtre en milieu scolaire

À la lumière de ce qui précède, la PU nous apparait comme une voie prometteuse pour favoriser le bienêtre de tous ceux et celles qui évoluent dans le milieu scolaire, dont les personnes enseignantes. De l’anglais Universal Design for Learning, la PU est une approche inclusive visant à ce que tous les élèves puissent révéler leur plein potentiel, ce qui permet d’enseigner à une diversité de personnes apprenantes présentant des besoins éducatifs variés (Meyer et al., 2014). Les recherches portant sur la PU mettent l’accent sur plusieurs de ses bienfaits. Par exemple, certaines études soulignent son potentiel pour réduire le nombre de mesures d’accommodement individualisées (Burgstahler, 2013) et pour favoriser une expérience d’apprentissage positive et efficace (Meyer et al., 2014). La PU est reconnue comme une alternative intéressante à une approche d’enseignement plus traditionnel par plusieurs auteurs américains (Meyer et al., 2014; Rappolt-Schlichtmann et al., 2012; Rose et Meyer, 2002) et canadiens (Belleau, 2015; Bergeron et al., 2011). Certains chercheurs et chercheuses mettent toutefois de l’avant la nécessité de la formation continue du personnel enseignant afin de mettre en oeuvre les principes de la PU (Baldiris Navarro et al., 2016; Poirier, 2019). Cela dit, à notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à l’influence que pourrait avoir la mise en oeuvre de la PU sur le bienêtre des personnes enseignantes. C’est dans cette perspective que ce projet de recherche-action poursuit l’objectif de documenter la perception du personnel enseignant à l’égard de l’influence de la PU sur leur propre bienêtre.

CADRE DE RÉFÉRENCE

Les deux principaux concepts nous permettant d’atteindre notre objectif de recherche sont la PU et le bienêtre du personnel enseignant.

La pédagogie universelle

Le Center for Applied Special Technology (CAST) (2011) définit la PU comme une approche de planification et d’élaboration d’un programme d’enseignement de manière à favoriser l’accès, la participation et les progrès de toutes les personnes apprenantes. La PU ne doit toutefois pas être vue comme une nouvelle approche pédagogique : il s’agit plutôt de la mise en commun de pratiques inclusives ayant fait leurs preuves en éducation (Burgstahler, 2013; Meyer et al., 2014). Pour ce faire, la PU propose trois principes de flexibilité guidant la planification et l’enseignement : offrir plusieurs moyens d’engagement, offrir plusieurs moyens de représentation et offrir plusieurs moyens d’action et d’expression (voir Meyer et al., 2014). Ces principes soutiennent le personnel enseignant pour qu’il propose différentes modalités d’enseignement et d’évaluation aux élèves, mais aussi pour qu’il propose une variété d’activités d’apprentissage afin de répondre à leurs besoins et à leurs intérêts. La Figure 1 présente de manière schématisée les trois principes de flexibilité.

Figure 1

Principes de flexibilité de la PU

Principes de flexibilité de la PU
Source : Desmarais (2022)

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Ces trois principes de flexibilité deviennent un outil pour les personnes enseignantes permettant d’offrir diverses occasions aux élèves de développer leur compétence à devenir des personnes apprenantes expertes (Navaitiene et Stasiunaitiem, 2021), c’est-à-dire des personnes qui se connaissent comme apprenant et qui savent quels choix faire pour mieux apprendre (CAST, 2018; Meyer et al., 2014). Effectivement, le premier principe, soit offrir plusieurs moyens d’engagement, est relatif aux aspects émotifs de l’apprentissage et propose d’offrir aux élèves des choix qui leur permettent d’être déterminés et motivés (Craig et al., 2022). Le second principe propose d’offrir plusieurs moyens de représentation. Ce sont ici des choix quant à l’accès à l’information présentée qui sont offerts aux élèves, ce qui leur permet d’être débrouillards et informés (Murphy et al., 2020). Le troisième principe repose sur les moyens d’action et d’expression, et propose aux élèves différentes façons d’être actifs dans leurs apprentissages, mais aussi de faire des choix quant aux stratégies à mettre en oeuvre afin d’apprendre. Ce troisième principe permet aux élèves de devenir des apprenants stratégiques et axés sur l’objectif (CAST, 2018; Meyer et al., 2014).

Le bienêtre du personnel enseignant

Mentionnons d’emblée qu’il n’existe pas de consensus au niveau de la définition du bienêtre en milieu scolaire (Acton et Glasgow, 2015; Gaudonville et al., 2017). En effet, de nombreuses définitions se retrouvent dans les écrits scientifiques, chacune présentant ses propres indicateurs ou ses propres instruments de mesure. Par exemple, Dagenais-Desmarais (2010) a recensé une vingtaine de conceptualisations différentes du bienêtre psychologique au travail. Les chercheurs et chercheuses tendent tout de même à s’accorder sur certains points, notamment sur le caractère multifactoriel, multidimensionnel et systémique du bienêtre (Baudoin et Galand, 2021; Conseil supérieur de l’éducation, 2020; Dobrica, 2015). Les recherches actuelles en éducation ont également en commun l’idée selon laquelle le bienêtre renvoie au degré de satisfaction individuelle du personnel scolaire par rapport à différentes composantes de la vie scolaire (Espinosa et Rousseau, 2018; Murat et Simonis-Sueur, 2015). Acton et Glasgow (2015) définissent le bienêtre du personnel enseignant comme « un sentiment individuel d’épanouissement personnel et professionnel, de satisfaction, d’utilité et de bonheur, construit dans un processus collaboratif avec des collègues et des élèves » (traduction tirée de Vlasie, 2021).

Bien qu’il existe différents cadres conceptuels permettant de définir le bienêtre professionnel du personnel enseignant (par exemple, Dagenais-Desmarais, 2010; Viac et Fraser, 2020), nous avons choisi de nous appuyer sur celui de Collie (2014). Cette chercheuse a conceptualisé, développé et validé une échelle (Teacher Well-Being Scale) permettant de mesurer le bienêtre professionnel des personnes enseignantes. Cette échelle mesure plus précisément trois dimensions reliées au bienêtre des personnes enseignantes : 1) le bienêtre lié à la charge de travail, 2) le bienêtre organisationnel et 3) le bienêtre lié à l’interaction avec les élèves. Premièrement, le bienêtre lié à la charge de travail a trait aux tâches que les personnes enseignantes sont tenues d’accomplir dans le cadre de leur profession, par exemple la correction des travaux, la participation aux réunions et le travail en dehors des heures de classe. Deuxièmement, le bienêtre organisationnel fait référence aux relations entre les personnes enseignantes et d’autres membres de l’école, au soutien et à la reconnaissance de la direction, à la participation à la prise de décisions ainsi qu’aux règles et aux procédures scolaires en place. Troisièmement, le bienêtre lié à l’interaction avec les élèves fait référence aux relations entre les personnes enseignantes et leurs élèves, aux comportements des élèves, à leur motivation et à la gestion de la classe.

MÉTHODOLOGIE

La recherche-action est axée sur la résolution des défis vécus par un groupe d’individus (Cohen et al., 2018). Elle a été choisie comme méthodologie pour ce projet puisqu’elle permet non seulement de répondre à l’objectif de recherche, mais elle assure aussi une implication réelle des partenaires du milieu scolaire (Denscombe, 2014). Par sa flexibilité, elle permet la mise en oeuvre d’une variété d’outils de collecte de données.

Personnes participantes

Soulignons que c’est l’école primaire participante qui a approché la chercheuse principale avec le désir de mettre en oeuvre les principes de la PU. Un courriel a été envoyé à toutes les personnes enseignantes de cette école franco-manitobaine pour les inviter à participer à la recherche-action. Dix d’entre elles se sont portées volontaires : il s’agit de quatre femmes et de six hommes âgés de vingt-cinq à cinquante-deux ans qui enseignent de la deuxième à la huitième année du primaire. Ces personnes détiennent entre trois et vingt-neuf années d’expérience en enseignement et proviennent de quatre pays différents.

Déroulement de la recherche

Pendant l’année scolaire 2019-2020, tout le personnel enseignant de l’école primaire a participé à trois journées de formation portant sur la PU. Le projet de recherche a eu lieu pendant l’année scolaire suivante (2020-2021). Les personnes enseignantes participant au projet ont pris part à une communauté d’apprentissage professionnelle (CAP) portant sur la mise en oeuvre de la PU dans leur salle de classe. Plus précisément, trois CAP ont été créées selon les niveaux scolaires : chacune regroupait trois à quatre personnes, en plus du conseiller de l’école qui supervisait les rencontres[1].

Outils de collecte de données

Bien que différents outils aient servi à la collecte de données pendant la recherche-action, seuls ceux en lien avec l’objet du présent article sont décrits, soit les entretiens individuels semi-dirigés et un questionnaire portant sur le bienêtre, ce dernier ayant été rempli de manière virtuelle à trois reprises pendant l’année scolaire par les personnes participantes (novembre, mars et juin).

D’une part, pour le questionnaire sur le bienêtre, l’équipe de recherche a procédé à la traduction du Teacher Well-Being Scale (TWBS), une échelle de mesure ayant d’abord été développée et validée par Collie (2014), mais ayant aussi été validée dans d’autres contextes (Zewude et Hercz, 2022). Cette échelle comprend 16 items demandant aux personnes enseignantes de se prononcer sur la façon dont certains aspects de leur profession affectent leur bienêtre. Ces items sont répartis en trois dimensions : le bienêtre lié à la charge de travail, le bienêtre organisationnel et le bienêtre lié à l’interaction avec les élèves. Chaque item est noté sur une échelle de type Likert en sept points : négativement (1), surtout négativement (2), plus négativement que positivement (3), ni positivement ni négativement (4), plus positivement que négativement (5), surtout positivement (6) et positivement (7). Nous avons privilégié cet outil étant donné qu’il mesure précisément le bienêtre professionnel des personnes enseignantes et non pas leur bienêtre subjectif, c’est-à-dire une mesure globale du bienêtre qui n’est pas spécifique à un domaine. En effet, certains chercheurs, dont Seligman (2012), s’interrogent sur les limites des outils qui mesurent le bienêtre subjectif et qui mesureraient plutôt l’humeur de la personne au moment où elle répond au questionnaire.

D’autre part, pour les entretiens individuels semi-dirigés, le protocole comprenait sept questions ouvertes portant sur le niveau de bienêtre des personnes enseignantes à l’école et sur l’influence de la PU sur ce niveau de bienêtre. Les onze entretiens[2] ont eu lieu en mai 2021 et ils ont été conduits virtuellement par l’application Zoom par une assistante de recherche. Ils ont duré entre 32 et 73 minutes, pour une moyenne de 48,5 minutes. Un enregistrement audio des entretiens et une transcription des verbatims ont été effectués. Le choix des entretiens individuels comme outil de collecte de données a été fait afin de comprendre plus en profondeur les perceptions des personnes participantes par rapport à leur bienêtre professionnel, mais aussi pour qu’elles puissent s’exprimer librement sur l’influence de la PU sur ce niveau de bienêtre. En outre, les entretiens donnent un accès direct à l’expérience des individus en produisant des données de recherche riches et détaillées (Savoie-Zajc, 2021).

Analyse des données

Pour le questionnaire, nous avons procédé à une analyse statistique descriptive à l’aide du logiciel SPSS (version 27.0.1.0). Pour les entretiens, à la suite de la transcription des verbatims, nous avons procédé à une analyse thématique des données qualitatives à l’aide du logiciel ATLAS-ti (version 9.1.3). L’analyse thématique consiste à procéder au repérage, au regroupement et à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus (Paillé et Mucchielli, 2021). La thématisation a été effectuée en continu, c’est-à-dire que l’arbre thématique s’est construit progressivement pendant l’analyse et qu’il n’a été parachevé qu’à la toute fin. Bien qu’une telle démarche soit plus complexe et nécessite plus de temps, nous l’avons privilégiée à une thématisation séquencée, puisqu’elle permet une analyse plus riche (Paillé et Mucchielli, 2021).

Considérations éthiques

Toutes les dispositions éthiques ont été prises afin de respecter l’intégrité morale et physique des personnes participantes. Un certificat éthique a été obtenu auprès du Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Saint-Boniface et un formulaire de consentement libre et éclairé a été signé par toutes les personnes participantes. Le consentement continu a aussi été assuré de manière verbale avant chaque étape de la recherche-action. Les données ont été codées afin d’en assurer la confidentialité : les informations nominatives ont été remplacées par des noms fictifs.

ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

Dans cette section, nous présentons d’abord les statistiques descriptives issues du questionnaire portant sur le bienêtre professionnel des personnes enseignantes (Collie, 2014). Ensuite, nous précisons ces résultats quantitatifs à partir de l’analyse et de l’interprétation des résultats qualitatifs issus des entretiens individuels. Seuls les thèmes permettant de répondre à l’objectif de recherche faisant l’objet de cet article sont exposés. Le discours des personnes participantes quant au bienêtre s’organise plus particulièrement autour de trois thématiques : les éléments contribuant à leur bienêtre, les éléments nuisant à leur bienêtre et l’influence de la PU sur leur bienêtre.

Les statistiques descriptives issues du questionnaire portant sur le bienêtre

Les résultats des analyses descriptives du bienêtre du personnel enseignant sont présentés dans le Tableau 1. Rappelons que les personnes enseignantes ont répondu au questionnaire à trois reprises durant l’année scolaire. On remarque dans ce tableau que le score global de bienêtre des personnes participantes est resté sensiblement le même entre les temps 1 et 2. Il a ensuite légèrement diminué entre les temps 2 et 3 : il est passé de 5,08 à 4,88, soit une diminution de 0,2 point. En observant plus particulièrement les dimensions qui composent le score global de bienêtre, on observe que le bienêtre organisationnel a connu la plus grande diminution : il est passé de 5,3 au temps 1 à 4,8 au temps 3 (-0,5 point). Le bienêtre lié à la charge de travail est quant à lui demeuré sensiblement le même entre les temps 1 et 3 (-0,01 point), bien qu’il eût légèrement augmenté au temps 2 (+0,07 point). Enfin, le bienêtre lié à l’interaction avec les élèves est demeuré le même entre les temps 1 et 2, et il a même légèrement augmenté au temps 3 (+0,07 point).

Tableau 1

Statistiques descriptives du bienêtre du personnel enseignant

Statistiques descriptives du bienêtre du personnel enseignant

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Parmi les trois dimensions, le bienêtre lié à l’interaction avec les élèves obtient les scores les plus élevés tandis que le bienêtre lié à la charge de travail obtient les scores les moins élevés, ce qui va dans le même sens que les résultats obtenus par Collie (2014). Il convient toutefois de souligner que les moyennes obtenues dans notre échantillon sont nettement supérieures aux moyennes obtenues dans l’étude de Collie (2014) auprès d’un échantillon de 603 personnes enseignantes de la Colombie-Britannique, que ce soit pour le bienêtre lié à la charge de travail (χ̄ = 3,43), le bienêtre organisationnel (χ̄ = 4,52) ou le bienêtre lié à l’interaction avec les élèves (χ̄ = 4,72).

Les éléments contribuant au bienêtre issus des entretiens individuels

Pendant les entretiens individuels, les personnes participantes ont dit avoir un bon niveau de bienêtre. Les trois éléments principaux ressortis à ce sujet concernent les relations avec les collègues, les relations avec les élèves et le climat de travail dans l’école.

Au niveau des relations avec les collègues, plusieurs personnes ont souligné que leur bienêtre était directement affecté ou influencé par le bienêtre de leurs collègues. Elles mentionnent que ces derniers agissent comme un système de soutien qui apparait particulièrement important en contexte de pandémie.

Mon niveau de bienêtre aussi est affecté par […] l’influence de ma collègue, l’énergie de ma collègue, parce qu’on travaille tout le temps ensemble. [Ça] fait en sorte que je vais bien, parce qu’on s’entend super bien et on est très connectés. Ça fait en sorte que je suis vraiment heureuse au travail. (9:64)

Alors que les personnes enseignantes ont été amenées à collaborer plus étroitement pour implanter la PU dans leur salle de classe, cette influence positive des collègues sur leur niveau de bienêtre a pu avoir une incidence plus grande dans le cadre de cette recherche-action. À cet effet, certaines personnes ont mentionné que le partage des tâches entre collègues, notamment dans le contexte de mise en oeuvre de la PU, contribue positivement à leur bienêtre. Les résultats d’une métasynthèse de Rousseau et al. (2017) soulignent également que la collaboration entre les membres d’une équipe-école exerce une influence positive sur le bienêtre du personnel enseignant.

Les relations positives avec les élèves sont aussi nommées par les personnes participantes comme un élément contribuant à leur bienêtre.

Quand tu vois que les élèves sont bien, tu vois que ça roule bien et qu’ils apprennent, qu’ils ont du fun, ça remonte mon moral et mon bienêtre énormément aussi comme enseignante. (5:56)

Ce résultat est en cohérence avec le score de bienêtre lié à l’interaction avec les élèves, ce dernier étant le plus élevé parmi les trois dimensions du bienêtre, en plus d’être le seul ayant connu une amélioration. Il est également cohérent avec l’étude de Collie (2014) dans laquelle les personnes enseignantes estiment que leurs interactions avec les élèves influencent positivement leur bienêtre. Afin d’interpréter ce résultat, il serait possible de tisser un lien entre cette influence positive des relations avec les élèves sur le niveau de bienêtre des personnes enseignantes et la mise en oeuvre de la PU. En effet, d’autres études montrent que le fait de constater que les élèves sont contents d’être en classe et engagés dans leurs apprentissages est une source de bienêtre pour les personnes enseignantes (Dobrica, 2015; Gratton et Chiasson, 2014). À ce propros, l’une des réussites associées à l’implantation de la PU selon les personnes participantes est le plaisir que cela procure aux élèves et le développement d’un sentiment de communauté dans la classe. On peut donc penser que ce contexte favorable a permis d’améliorer les relations entre élèves et personnes enseignantes, ce qui influence positivement leur bienêtre.

Enfin, le climat de travail apparait comme un élément contribuant au bienêtre du personnel enseignant. Le fait de travailler dans une belle ambiance, à la fois dans l’école et dans la classe, semble particulièrement important pour les personnes participantes. Il est possible de penser que ce climat de travail positif a été facilité par l’implantation de la PU puisque les personnes enseignantes étaient engagées ensemble dans un objectif commun.

Moralement, je me sens vraiment bien, appartenir à un groupe et un super beau groupe qui s’intéresse à moi, à ma personne et qui me met à l’aise, qui me facilite d’aller vers eux […] pour demander de l’aide. Ça a vraiment facilité. C’est une belle ambiance de travail que j’aime beaucoup. (4:60)

Ce climat agréable, propice à l’apprentissage et à l’échange, est également ressorti comme un élément positif de l’étude de Poirier (2019) concernant la mise en place d’une communauté de pratique dans le but de favoriser le développement d’une approche pédagogique inclusive.

Les éléments nuisant au bienêtre issus des entretiens individuels

Bien que les personnes participantes aient mentionné dans l’ensemble un bon niveau de bienêtre, deux éléments ayant nui à ce dernier ressortent des entretiens. Premièrement, on dénote un certain épuisement et une baisse de motivation reliés au contexte pandémique. Rappelons que les entretiens ont eu lieu à la fin d’une année marquée par la pandémie de COVID-19. À ce propos, les personnes participantes mentionnent que l’enseignement virtuel, l’absence de contacts physiques et l’arrêt des activités parascolaires ont nui à leur bienêtre.

Il y a aussi la pandémie qui affecte évidemment le bienêtre […]. C’est sûr qu’on se sentait beaucoup plus… Je me sentais beaucoup plus épuisée cette année. J’étais tannée de dire : mets ton masque, garde ta distance, je suis tannée de dire ces choses-là aux élèves. Ça joue beaucoup avec la santé mentale, ça nous épuise. (5:52)

Cela dit, d’autres personnes soulignent que l’implantation de la PU a tout de même eu une influence positive sur leur bienêtre en contexte pandémique, comme en témoigne la citation suivante :

Le projet de pédagogie universelle cette année nous a donné un but, un objectif, quelque chose auquel s’accrocher parce que c’était une année plate. […] Mais avec la pédagogie universelle, on était capable de dire : « Hey, je suis vraiment fier de moi, vraiment fier de vous autres… » Tsé, on s’est rencontré, on a parlé, on a discuté, on a amélioré notre enseignement. (10:14)

Deuxièmement, un élément qui revient dans le discours de plusieurs personnes concerne la relation avec la direction. Certaines personnes soulignent qu’elles ne se sentent pas appuyées par leur direction, ce qui contribue négativement à leur bienêtre. Elles nomment par exemple un manque de leadeurship et un manque d’engagement de la part de la direction. Cette influence négative de la dimension organisationnelle sur le bienêtre des personnes enseignantes transparait aussi dans les résultats tirés du questionnaire. Dans le questionnaire, cette dimension est mesurée par des items portant notamment sur la relation avec la direction de l’école et la reconnaissance de l’engagement. Les données issues des entretiens individuels peuvent ainsi expliquer la baisse du score associé au bienêtre organisationnel. Ces résultats sont aussi cohérents avec d’autres études qui soutiennent que la perception de ne pas recevoir l’appui de la direction aurait une influence sur la réflexion entourant le décrochage du personnel enseignant (Desmeules et Hamel, 2017; Mukamurera et al., 2020; Smith et Ingersoll, 2004).

L’influence de la PU sur le bienêtre

Enfin, selon plusieurs personnes participantes, la PU a exercé une influence positive sur leur bienêtre. Certaines personnes l’expliquent par un meilleur appui théorique, d’autres par les résultats positifs constatés chez leurs élèves, notamment le fait de les voir engagés et motivés.

Ça influence positivement mon bienêtre, parce que j’adore. Je ne suis vraiment pas une enseignante magistrale du style traditionnel. Alors, ça fait en sorte que chaque jour est complètement différent, parce que tout d’un coup un élève chante et l’autre est en train de faire une pièce de théâtre [rires]. Alors pour moi, c’est le fun, j’adore ce genre de projet, et comme élève, j’aurais vraiment aimé faire ça. Alors, je vis un peu à travers eux. (9:66)

Il semble aussi que la PU ait eu une influence sur le niveau de stress des personnes participantes. Ces dernières mentionnent qu’au départ, la mise en oeuvre de la PU leur a ajouté un certain stress, notamment par rapport à l’aspect de nouveauté. Elles soulignent toutefois que ce stress s’est dissipé pendant l’année scolaire et que la planification, qui est au coeur de la mise en oeuvre de la PU, leur permet d’être en confiance lorsqu’il est temps d’enseigner aux élèves.

DISCUSSION ET CONCLUSION

À la lumière des résultats obtenus dans cette étude, les trois dimensions du bienêtre professionnel des personnes enseignantes proposées par Collie (2014) mettent de l’avant plusieurs éléments qui sont ressortis du discours des personnes participantes afin de documenter leur perception de l’influence de la PU sur leur bienêtre. Parmi les éléments contribuant au bienêtre du personnel enseignant en lien avec la mise en oeuvre de la PU, on retrouve les relations avec les collègues, les relations avec les élèves et le climat de travail. À cet effet, il n’est pas surprenant de constater que les aspects relationnels contribuent positivement au bienêtre enseignant, ce qui s’inscrit en cohérence avec les résultats d’autres études sur le sujet (Dobrica, 2015; Gratton et Chiasson, 2014; Gray et al., 2017; Rousseau et al., 2017). Parmi les éléments nuisant au bienêtre du personnel enseignant en lien avec la mise en oeuvre de la PU, on retrouve notamment l’épuisement relié au contexte pandémique et la relation avec la direction, deux éléments reliés au bienêtre organisationnel. Pourtant, dans l’étude de Collie (2014), les personnes enseignantes estiment généralement que les aspects organisationnels de leur travail ont une influence positive sur le bienêtre, ce qui n’est pas le cas dans la présente étude. Ce résultat met en évidence le rôle essentiel que jouent les directions d’école dans le bienêtre des personnes enseignantes, et ce, notamment dans le contexte de la mise en place d’une nouvelle approche, ici la pédagogie universelle. Parmi les façons d’améliorer le niveau de bienêtre du personnel enseignant, les directions peuvent notamment offrir un soutien à différents niveaux – émotionnel, pédagogique, informationnel, etc. –, veiller à une participation commune aux prises de décisions, mettre en place des règles et des procédures appropriées et constructives, et reconnaitre les efforts soutenus des personnes enseignantes (Collie, 2014; Mukamurera et al., 2020).

Dans un autre ordre d’idées, soulignons également qu’en contexte de pandémie, nous aurions pu nous attendre à une diminution du bienêtre du personnel enseignant (Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2020). En effet, il s’agit d’une période pendant laquelle le personnel scolaire a vécu de nombreux bouleversements. Or, le bienêtre des personnes ayant participé au projet est demeuré stable, ce qui est à notre avis un résultat surprenant. Le discours des personnes enseignantes nous amène à penser que l’accompagnement continu offert pendant la mise en oeuvre de la PU sous différentes formes leur a permis de maintenir un bon niveau de bienêtre, et ce, malgré les défis reliés au contexte pandémique. Sachant que le développement professionnel continu contribue au bienêtre du personnel scolaire et qu’il est au coeur de la réussite éducative des élèves (Gouin et al., 2021), il est logique de penser que le soutien et l’accompagnement pédagogique en lien avec la PU pourraient aussi être des vecteurs de bienêtre professionnel chez les personnes enseignantes.

En terminant, cette étude comporte certaines limites qu’il convient de mentionner. Premièrement, le nombre peu élevé de personnes participantes rend sa généralisation impossible. Nous visons plutôt la transférabilité des résultats à des contextes similaires, mais il faut tout de même demeurer prudent, d’autant plus que l’étude présente des résultats autorapportés fondés sur la perception des personnes participantes. Deuxièmement, le contexte de pandémie a amené le personnel enseignant à alterner les périodes d’enseignement en ligne et en présentiel, ce qui a créé une discontinuité dans leur enseignement. Il serait donc pertinent de reproduire cette étude une fois la pandémie terminée pour mieux comprendre l’influence de la PU sur le bienêtre des personnes enseignantes.