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Bien que l’oral occupe une place centrale dans les interactions au quotidien, force est de constater que son enseignement demeure lacunaire à l’école (Dumais, 2015a; Colognesi et Deschepper, 2019). Lorsque du temps est consacré à l’oral en classe, il se limite souvent à des consignes et à une évaluation sans enseignement préalable (Lafontaine et al., 2016). Parents, personnel scolaire et élèves reconnaissent l’importance de l’oral et du développement de cette compétence, mais son enseignement demeure pourtant marginal alors qu’il constitue un pilier important des apprentissages en français, en plus d’être nécessaire pour l’ensemble des apprentissages scolaires (Bianco, 2015; Dumais, 2015b). L’oral est d’ailleurs reconnu comme une composante essentielle du concept de littératie et fait partie des compétences essentielles du 21e siècle (Soucy, 2016; Lafontaine et Pharand, 2015).

Pour expliquer le fait que l’enseignement de l’oral soit la plupart du temps relégué au second plan à l’école, plusieurs hypothèses peuvent être émises. Tout d’abord, l’oral est un concept multidimensionnel et difficile à définir, ce qui rend sa compréhension et son enseignement complexes (Eriksson et de Pietro, 2011; Hassan, 2015; Schneuwly, 2017). Cela amène les enseignantes et les enseignants à avoir leur propre représentation de l’oral, celle-ci étant souvent définie par rapport à la langue écrite, alors que cette dernière « ne peut pas être prise comme référence pour apprécier une prise de parole. L’oral a son propre code et il faut le prendre en compte dans l’enseignement de la langue parlée ainsi que dans les évaluations des prises de parole […] » (Dumais et Ostiguy, 2019, p. 3). Ensuite, contrairement à l’écrit, dans la francophonie, il n’existe pas de tradition de l’enseignement de l’oral, à l’exception peut-être de l’exposé oral (Nonnon, 2000; Fisher 2007). Cette situation fait en sorte que les activités d’oral évaluées en classe sont peu diversifiées et sont souvent limitées au genre de l’exposé oral (Nolin, 2013; Colognesi et Deschepper, 2019; Sénéchal, 2020). De plus, la didactique de l’oral est un jeune champ d’études où de nombreuses recherches sont encore à mener. Il est d’ailleurs possible d’affirmer que la didactique de l’oral a pris réellement son envol seulement depuis le début des années 1990, ce qui en fait un domaine d’études récent malgré toute la légitimité qui lui est reconnue (Dupont, 2019; Sénéchal et Dolz-Mestre, 2019). Enfin, des travaux de recherche nous apprennent que l’oral occupe une place restreinte dans la formation initiale des enseignants (Plessis-Bélair et al., 2017; Sénéchal, dans ce numéro). Dans certains milieux, cette formation à la didactique de l’oral n’est seulement que de quelques heures pendant toute la formation initiale, et plusieurs enseignantes et enseignants sur le terrain affirment n’avoir jamais reçu de formation en didactique de l’oral (Nolin, 2013; Simoneau, 2019). Pour ce qui est de la formation continue en lien avec cette didactique, malgré une demande et un intérêt de la part du personnel enseignant (Côté et Pellerin, 2017), celle-ci demeure rare et peu accessible (Nolin, 2013; Sénéchal et Chartrand, 2012).

Lorsqu’il est question d’oral à l’école, il est souvent question de l’école primaire et de l’école secondaire (élèves de 6 à 17 ans). Pourtant, en ce qui concerne l’oral, la maternelle (enfants de 4 ans et 5 ans) représente un milieu de vie privilégié pour permettre le développement du langage oral des enfants et pour permettre au personnel scolaire de soutenir ce développement. Comme l’affirment Parent et Bouchard (2020a), le personnel scolaire joue « un rôle essentiel pour promouvoir la communication avec les enfants et enrichir leur langage par le déploiement de pratiques de qualité en la matière » (p. 31). Cependant, au cours des dernières années, des recherches ont démontré que le personnel enseignant ainsi que les futurs enseignantes et enseignants ont besoin d’une meilleure formation initiale et continue en ce qui concerne le développement du langage oral des enfants et les façons de le soutenir (Dumais, 2019; Dumais et Soucy, 2020; Parent et Bouchard, 2020b). Une meilleure connaissance des pratiques enseignantes et la mise en place de recherches participatives à l’éducation préscolaire avec le personnel enseignant ont également été relevées comme des besoins, notamment en ce qui a trait au développement du langage oral (Archambeault, 2017; Bouchard, 2020; Dumais et Soucy, 2020).

UN CHAMP D’ÉTUDE EN PROGRESSION

Malgré ces différents constats, dans toute la francophonie, des recherches sont menées afin de faire progresser ce champ d’études. Depuis le début des années 2000, un regain d’intérêt a été observé et la recherche en didactique de l’oral a évolué, faisant passer l’oral d’un « Objet Verbal Mal Identifié [OVMI] », pour reprendre les propos de Halté (2005, p. 12), à un véritable objet d’étude (Dupont, 2019). Depuis peu, il est même question d’une « ingénierie didactique de seconde génération » en ce qui concerne l’oral (Schneuwly, 2017, p. 316). En effet, les recherches ne se limitent plus à une ingénierie didactique qualifiée de « première génération », où l’on retrouve principalement « un schéma expérimental basé sur des “réalisations didactiques” en classe, c’est-à-dire sur la conception, la réalisation, l’observation et l’analyse de séquences d’enseignement » (Artigue, 1990-1991, p. 3). De nouvelles recherches tentent de « comprendre l’influence de l’enseignant dans la situation didactique, plus précisément l’influence de ses représentations sur l’apprentissage » (Sénéchal, 2020, p. 28). Pour cela, « les praticiens impliqués dans la recherche ne sont pas considérés comme des “sujets” que le chercheur étudie ou des agents chargés de mettre en place des expérimentations conçues par des chercheurs, mais comme des coparticipants à l’ensemble du processus de recherche […] » (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015, p. 85). Cela fait en sorte, entre autres, que les outils didactiques existants sont « revisités » et mis en pratique dans différents contextes tout en tenant compte des principales personnes concernées (voir notamment Soucy, 2019). Il est donc question d’une amélioration ou d’une modification des différents outils didactiques déjà proposés (Ticon et al., 2020). Enfin, de récentes recherches tiennent compte du point de vue des apprenantes et apprenants dans leurs résultats (entre autres Tremblay et Turgeon, 2019). Les chercheuses et chercheurs s’intéressent donc de plus en plus aux actrices et acteurs concernés lorsqu’il est question d’oral à l’école.

À l’éducation préscolaire, il est permis de penser que les propos de Bédard (2010) tendent à être de moins en moins d’actualité. En effet, en 2010, Bédard affirmait qu’« on sait peu de choses de la réalité du travail enseignant au préscolaire au Québec ainsi que des effets de l’intervention éducative à cet ordre d’enseignement sur l’apprentissage enfantin » (p. 2). Depuis, en ce qui a trait au développement du langage et plus précisément du langage oral, de plus en plus de chercheuses et chercheurs s’y intéressent, et un meilleur portrait des pratiques enseignantes et des effets de l’intervention éducative à l’éducation préscolaire se dessine au Québec, mais également dans toute la francophonie. Ce numéro thématique ne fait pas exception en ce qui concerne cette tendance. Une majorité d’articles concerne le langage oral à l’éducation préscolaire, et ce, dans une variété de contextes.

L’ORAL À L’ÉDUCATION PRÉSCOLAIRE ET À L’ÉCOLE PRIMAIRE

Ce numéro intitulé L’oral à l’école met de l’avant des contributions qui concernent tant l’éducation préscolaire (enfant de 4 ans et 5 ans) que l’école primaire (élèves de 6 à 12 ans). Il fournit un éclairage renouvelé et actuel des recherches autour de l’oral, et ce, par une mise en commun de deux ordres d’enseignement rarement réunis lorsqu’il est question d’oral à l’école. Les articles s’organisent autour de trois axes thématiques : l’oral à l’éducation préscolaire, l’enseignement de l’oral au primaire et l’évaluation de l’oral au primaire.

Axe thématique 1 : l’oral à l’éducation préscolaire

À l’éducation préscolaire, plus particulièrement à la maternelle, plusieurs programmes de la francophonie s’appuient sur une approche développementale et favorisent le développement global des enfants (Bernier et al., 2017). Parmi les différentes sphères du développement global se trouve le développement du langage et plus particulièrement le langage oral. Ce dernier occupe une place importante dans le développement des enfants puisqu’il leur permet de s’intégrer socialement et de construire leur identité (Soucy, 2019). Il est le socle sur lequel repose le développement du langage écrit (Bianco, 2015) et il influence la réussite éducative et scolaire ultérieure (Duncan et al., 2007). Les recherches qui s’intéressent aux façons de favoriser le développement du langage oral des enfants de 4 ans et 5 ans ne sont donc pas à négliger. Elles occupent d’ailleurs une place de choix dans ce numéro thématique. Dans ce premier axe, ce développement est étudié sous différents angles, notamment à travers les pratiques enseignantes. L’article d’Annie Charron, Caroline Bouchard, Myriam Villeneuve-Lapointe et Anne-Sophie Parent présente des pratiques déclarées de personnes enseignantes de la maternelle 5 ans au Québec en ce qui concerne le soutien au développement langagier des enfants. Il est intéressant, entre autres, de constater les différences entre les types de pratique mises en place selon qu’il s’agit du langage écrit ou du langage oral. Par la suite, le texte de Christian Dumais et Emmanuelle Soucy aborde les actes de parole à la maternelle. Le chercheur et la chercheuse ont voulu savoir comment il est possible de favoriser le développement du langage oral des enfants de la maternelle 4 ans et 5 ans par l’entremise des actes de parole dans le cadre d’une recherche collaborative. Cette contribution présente notamment une démarche coconstruite avec les enseignantes pour favoriser ce développement en plus de rendre accessibles les actes de paroles considérés comme incontournables à aborder avec les enfants par les participantes de la recherche. Cet axe comprend également un article de Lauren Houben, Caroline Bouchard, Rochana Mroué et Christelle Maillart. Celui-ci brosse un portrait de la qualité des interactions dans les classes de maternelle francophones de la Belgique en plus de présenter des profils d’interaction présents chez le corps enseignant. Les résultats de la recherche fournissent des données fort pertinentes quant au soutien du langage oral de la part du personnel enseignant belge. Aussi, dans cet axe, le texte d’Elaine Turgeon, Françoise Armand, Catherine Gosselin-Lavoie et Sarah Jane Mc Kinley présente les résultats d’une intervention mettant en pratique la lecture incidiaire, et ce, afin de soutenir le développement langagier d’enfants de la maternelle en milieu pluriethnique et plurilingue. Cette contribution permet entre autres de mieux comprendre le développement des conduites discursives orales auprès d’enfants bilingues et plurilingues. Pour terminer cet axe, il est question d’un thème rarement traité dans les recherches : le soutien, dans le déroulement des interactions en classe, du développement du langage oral d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme et n’ayant pas un langage verbal fluide à leur entrée à l’école. Andréa Lavigne, Delphine Odier-Guedj et Céline Chatenoud, à travers cette contribution, décrivent les principales stratégies interactionnelles qu’utilise une enseignante pour soutenir le développement langagier d’une enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme.

Axe thématique 2 : l’enseignement de l’oral au primaire

L’oral peut avoir un statut de médium d’enseignement/apprentissage ou d’objet d’enseignement/apprentissage (Plessis-Bélair et al., 2017). Il peut être préparé ou spontané (Dumais et al., 2018), monogéré ou polygéré (Grandaty, 1998), en direct ou en différé, etc. L’oral peut aussi être mis en pratique en contexte majoritaire francophone, minoritaire francophone ou en milieu plurilingue et pluriethnique. De plus, il peut être travaillé en classe selon différentes approches didactiques : l’oral pragmatique, l’oral par les genres et l’oral intégré (Dumais et al., 2017). Il peut aussi être utilisé de façon diversifiée par les élèves : pour socialiser, pour construire leur identité, pour apprendre, pour réfléchir, etc. L’oral peut aussi être travaillé de façon isolée ou bien être intégré aux autres volets du français et même à d’autres disciplines. Également, la façon dont l’oral est utilisé par le personnel enseignant peut exercer une influence sur la réussite des élèves (utilisation de déictiques, de la reformulation, etc.) (Castany-Owhadi et Dumais, 2020). Étant donné toutes les caractéristiques de l’oral et toutes les possibilités qu’il offre, les recherches le concernant sont très variées. Dans ce numéro, l’enseignement de l’oral au primaire est abordé sous trois angles. Tout d’abord, Kathleen Sénéchal fait état, dans sa contribution, des besoins à combler en matière d’enseignement de l’oral à partir d’une recherche exploratoire menée avec des personnes enseignantes du primaire d’une région du Québec. Les résultats présentés permettent d’avoir une meilleure connaissance des pratiques et représentations de l’oral de personnes enseignantes du Québec. Ensuite, le texte d’Emmanuelle Soucy et Christian Dumais décrit le changement de pratique en enseignement de l’oral de deux enseignantes du primaire à la suite d’une recherche-action. Mettant de l’avant l’oral intégré comme approche didactique de l’oral, cette contribution propose des solutions pour pallier, du moins en partie, plusieurs difficultés vécues par les enseignants lorsqu’il est temps d’enseigner l’oral. De leur côté, Hélène Castany-Owhadi et Brahim Azaoui se sont intéressés à l’oral, mais du côté du personnel enseignant français. Plus précisément, la chercheuse et le chercheur ont étudié les reformulations orales de trois personnes enseignantes en ce qui concerne l’écrit à produire ou produit en contexte d’atelier de production d’écrits en première année du primaire. Cette contribution met notamment de l’avant l’intérêt de s’intéresser aux fonctions didactiques de la dimension multimodale de l’agir enseignant.

Axe thématique 3 : l’évaluation de l’oral au primaire

Souvent favorisée en classe du primaire au détriment de l’enseignement (Nolin, 2013), l’évaluation de l’oral occupe une place restreinte dans les recherches en didactique de l’oral. Ce numéro ne fait pas exception puisque deux articles seulement s’y intéressent. Cependant, ces deux articles apportent des données de recherche essentielles à l’avancement de la didactique de l’oral et pour la pratique enseignante. De leur côté, Caroline Vassart, Benoît Blondeau et Stéphane Colognesi se sont intéressés à l’évaluation par les pairs qui permet aux élèves d’être impliqués dans le processus d’évaluation en offrant une rétroaction à leurs camarades. La chercheuse et les chercheurs se sont attardés aux pratiques des élèves. Caroline Vassart et ses collaborateurs ont étudié des moments d’évaluation de l’oral par les pairs lorsque l’élève évalué est présent dans les échanges. En plus de donner accès à ce qui se passe lors de l’évaluation par les pairs au primaire en Belgique, cet article propose différentes pistes pour bonifier cette façon d’évaluer l’oral. Le deuxième texte de cet axe traite de l’évaluation de la compétence à communiquer oralement en contexte de cercles de lecteurs au primaire. Constance Lavoie, Isabelle Nizet, Adèle Gousset, Martin Lépine et Suzanne Hétu ont identifié les conceptions et les défis de l’évaluation de l’oral rencontrés lorsque ces cercles de lecteurs sont mis en pratique. Cette contribution a une double originalité puisqu’il est question d’un nouveau dispositif d’apprentissage, soit les cercles de lecteurs, et puisque des propositions didactiques pour l’évaluation de la compétence à communiquer oralement dans des situations spontanées et polygérées sont présentées, ce qui a peu été fait dans les écrits en didactique de l’oral.

CONCLUSION

Ce numéro thématique est l’occasion pour les praticiennes et praticiens, étudiantes et étudiants universitaires, de même que les chercheuses et chercheurs d’avoir accès à un portrait actuel de l’oral à l’école. Celui-ci saura sans doute être le point de départ de nouvelles recherches et assurément l’occasion de penser ou de repenser la continuité pédagogique entre l’éducation préscolaire et le primaire en ce qui a trait à l’oral. Encore trop peu de recherches à ce jour ont eu pour objet d’études cette continuité pourtant essentielle à la réussite scolaire des élèves. Les fondements de l’éducation préscolaire gagneraient à être considérés dans les premières années du primaire afin de favoriser une meilleure transition entre ces deux ordres d’enseignement (Duval et al., 2020), notamment pour ce qui est de l’oral.