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CONTEXTE

De nombreux évènements, tels que des conflits armés, des génocides et des catastrophes naturelles, ont engendré le déplacement forcé (déplacements internes et migrations internationales) de 110 millions de personnes à travers le monde en juin 2023, alors que ce nombre était de 21,3 millions en 2017 (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR], 2017, 2023). En 2022, le Canada a accueilli un nombre record de 76 545 personnes réfugiées et de 92 175 personnes demandeuses d’asile, dont la proportion de jeunes de moins de 18 ans frôle les 50 % (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], 2022). Entre 2016 et 2021, le Canada à lui seul a accueilli 218 435 personnes réfugiées et demandeuses d’asile, dont près du quart (81 610) avait moins de 19 ans (Statistique Canada, 2022). Parmi ses provinces, le Québec a été la deuxième à accueillir le plus grand nombre de personnes issues de l’immigration entre 2011 et 2016 avec 17,8 %, après l’Ontario (39,0 %) et suivi de l’Alberta (17,1 %), de la Colombie-Britannique (14,5 %) et du reste du pays (11,7 %) (Gouvernement de l’Ontario, 2023). En fait, les années suivantes, soit entre 2016 et 2021, le Québec a reçu 36 350 personnes réfugiées, parmi lesquelles plus du tiers (12 225) avait moins de 19 ans (Statistique Canada, 2022). Durant ces mêmes années, en 2017 et 2018, le Canada a reçu plus de 105 000 personnes demandeuses d’asile (Statistique Canada, 2019). À ce jour, il n’existe toujours pas de statistiques publiées par le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) sur le nombre d’élèves réfugiés et en demande d’asile fréquentant les écoles du préscolaire à la formation générale des adultes. Cependant, les données de Statistique Canada suggèrent que leur nombre est significatif et que les écoles québécoises ont dû répondre d’urgence aux besoins diversifiés de ces élèves ayant vécu de nombreuses conditions d’adversité. C’est dans ce contexte que se situe la recherche, dont nous présentons ici les résultats. Financée par le CRSH et menée entre 2019 et 2023, elle visait l’étude du parcours postmigratoire des élèves réfugiés et en demande d’asile arrivés au Québec entre septembre 2015 et novembre 2018.

PROBLÉMATIQUE

Selon Ndiaye (2020), l’immigration se définit par l’action de se rendre dans un État dont on ne possède pas la nationalité avec l’intention de s’y établir. Le parcours prémigratoire marque donc l’espace-temps du pays d’origine. Le parcours périmigratoire définit l’espace-temps dans lequel vit la personne entre le moment de quitter son pays d’origine et celui d’arriver dans le pays d’installation. Le parcours postmigratoire marque l’espace-temps dans ce pays d’accueil. Notre article porte sur une recherche menée auprès de jeunes réfugiés ou en demande d’asile. Ainsi, les personnes demandeuses d’asile sont entrées au Canada d’une manière régulière ou non, et la demande de statut de réfugié est en examen devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada (CISR). Quant aux personnes réfugiées, elles ont obtenu leur statut selon l’article 1 (paragraphe A, alinéa 2) de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 qui définit la personne réfugiée comme toute personne :

Qui, par suite d’évènements survenus avant le premier janvier 1951 et craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

HCR, 2007, p. 16

Ainsi, les parcours pré et périmigratoires, qui impliquent des déplacements pour les jeunes réfugiés et en demande d’asile, se font souvent dans des conditions d’adversité (p. ex. la pauvreté, la violence, la séparation de la famille, le recrutement au sein de groupes armés) et peuvent engendrer une importante détresse psychologique ainsi que l’interruption de leur parcours scolaire (Fazel et al., 2012; Hadfield et al., 2017; Pacione et al., 2012; Saltaji et Al-Nuaimi, 2016). Des études (Correa-Velez et al., 2017; Hadfield et al., 2017; Hoot, 2011; Pacione et al., 2012) illustrent que plusieurs de ces jeunes sont sous-scolarisés en raison, entre autres, d’une interruption de leur cheminement scolaire et d’une accessibilité restreinte à une éducation de qualité. Effectivement, la guerre, accompagnée de migrations forcées et de ses répercussions, réduit considérablement leur accès à l’école (Ehntholt et Yule, 2006; Sirin et Rogers-Sirin, 2015), en plus de les placer souvent en position de vulnérabilité (p. ex. besoins élémentaires non comblés, enjeux de précarité, de promiscuité) (Ehntholt et Yule, 2006; Hos, 2016; Pacione et al., 2012).

De multiples études menées au Québec soulignent qu’après leur arrivée dans le pays d’accueil, certaines familles font également face à des situations de précarité (p. ex. défavorisation socioéconomique, discrimination, difficultés d’intégration sociale et d’insertion professionnelle), qui s’ajoutent aux conditions d’adversité déjà présentes dans leur contexte pré et périmigratoire (Fazel et al., 2016; Kanouté et Lafortune, 2011; Papazian-Zohrabian et al., 2018). Dans le cas des familles demandeuses d’asile s’ajoute, en outre, une longue période d’incertitude quant à l’issue de leur demande de statut de réfugié, ce qui représente une source majeure de stress (Cleveland et al., 2013). En fait, des jeunes et leur famille se retrouvent en cours de demande de statut de réfugié, un processus visant à les faire reconnaitre comme personnes à protéger (Delisle, 2020; Lebrun, 2019). Ces résultats rejoignent ceux des recherches menées ailleurs dans le monde qui soulignent que cette situation de précarité a des effets potentiellement négatifs sur leur santé mentale (Laban et al., 2004; Ryan et al., 2009) et tend à retarder leur processus d’intégration dans la société d’accueil, notamment en raison de la difficulté de projection pour ces jeunes et ces familles dans un nouveau contexte de vie qu’ils devront peut-être quitter finalement (Lee et Brotman, 2011; Ziersch et al., 2017).

Certaines études se penchent sur la réussite éducative des jeunes issus de l’immigration et soulignent que pour la majorité des familles récemment immigrées au Québec et ayant des enfants d’âge scolaire, la réussite du projet migratoire familial dépend de la réussite éducative de ces dernières et derniers (Charette et Kalubi, 2016; Kanouté et al., 2008; Kanouté et Vatz Laaroussi, 2008). Des chercheurs et chercheuses se sont penchés sur la situation de ces nouvelles personnes arrivant sous plusieurs angles : leurs besoins psychosociaux et éducatifs, leur bien-être psychologique et leur intégration sociale et scolaire (Beauregard et al., 2017a, 2017b; Kanouté et Lafortune, 2014; Lafortune, 2014; Papazian-Zohrabian et al., 2019). D’ailleurs, certains écrits (Azdouz, 2003; Kirk, 2002; Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2021; Vatz-Laaroussi et al., 2008) se sont aussi intéressés au parcours scolaire des élèves réfugiés en traitant plus précisément de la trajectoire migratoire et des séquelles psychologiques (traumatismes, deuils, séparations, etc.) pouvant entrainer des répercussions sur leur scolarité. Considérant qu’à l’heure actuelle, il existe encore peu de recherches et de données sur le parcours postmigratoire des élèves réfugiés et en demande d’asile au sein des institutions qui les accueillent (Avoine, 2017), nous visons, à travers notre recherche, 1) à documenter le parcours postmigratoire des jeunes réfugiés et en demande d’asile arrivés au Québec entre septembre 2015 et juin 2018; 2) à dégager les éléments favorisant ou non leur expérience socioscolaire; et 3) à proposer des pistes pour la mise en place de pratiques permettant de soutenir leur expérience socioscolaire. Afin d’étudier l’influence du contexte postmigratoire sur le parcours et l’expérience socioscolaire de ces jeunes, nous avons eu recours à la théorie écosystémique ou Théorie du développement humain de Bronfenbrenner et Morris (1998), plus spécifiquement son modèle Processus-Personne-Contexte-Temps [PPCT], qui sont présentés dans la partie suivante.

CADRE DE RÉFÉRENCE

Le concept d’expérience socioscolaire, la théorie écosystémique ainsi que son modèle PPCT sont expliqués dans les paragraphes qui suivent.

L’expérience socioscolaire

Selon la conception de Charette et Kalubi (2016), l’expérience socioscolaire compte plusieurs composantes, dont les composantes scolaires, psychologiques, affectives et sociales. En effet, l’expérience socioscolaire se dessine à travers l’interaction des environnements dans et avec lesquels le jeune évolue : l’école, la famille et la communauté. L’apport de cette définition englobante de l’expérience socioscolaire est certainement de dépasser les conceptions restreintes à la réussite scolaire, plutôt axée sur les résultats et la diplomation (Charette et Kalubi, 2016), pour comprendre les processus et les dynamiques qui peuvent moduler l’expérience des jeunes en contexte scolaire. Dans le même sens, Lafortune (2012) souligne l’importance de prendre en compte les facteurs personnels, sociofamiliaux et scolaires pour mieux comprendre l’expérience socioscolaire des élèves réfugiés. Ce sont les interactions entre ces facteurs ainsi que le cumul de vulnérabilités dues aux conditions d’adversité vécues par les jeunes qui ont le potentiel d’influencer leur expérience socioscolaire.

Des études menées auprès de jeunes élèves issus de l’immigration soulignent que l’expérience socioscolaire est influencée par de multiples facteurs. Ainsi, Gosselin-Gagné (2012) fait ressortir l’influence de caractéristiques personnelles de l’élève, telles que la confiance en ses capacités, la motivation scolaire, le désir d’apprendre le français, l’habileté à demander de l’aide. De plus, la qualité de la collaboration école-famille a été aussi relevée comme un élément favorisant cette expérience (Kanouté et al., 2016).

Ainsi, plusieurs défis attendent ces jeunes, tels que l’adaptation aux attentes scolaires et aux différences culturelles de la société d’accueil (Kanouté et al., 2016; Kupzyk et al., 2016; Tyrer et al., 2014) et l’apprentissage de la langue de scolarisation (Armand, 2005), qui peut prendre plusieurs années (Armand et al., 2009). L’apprentissage de l’écriture en particulier constitue un défi de taille en contexte de langue seconde (Armand, 2011). Ces enjeux se trouvent accentués auprès des jeunes élèves réfugiés ou en demande d’asile à cause des parcours migratoires difficiles, des deuils et des traumatismes vécus et, parfois, des interruptions de la scolarisation. En effet, à la suite de deuils et des traumatismes, ces jeunes peuvent rencontrer des difficultés d’adaptation et d’apprentissage scolaires (Papazian-Zohrabian, 2015; Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2021). En plus de ceux-ci, ils peuvent vivre de la discrimination dans leur société d’accueil, ce qui peut engendrer des conséquences sérieuses sur leur santé mentale (Beiser et Hou, 2017) et sur leur adaptation sociale (Montgomery et Foldspang, 2008; Papazian-Zohrabian et al., 2018). Parmi les éléments favorisant le parcours postmigratoire, le sentiment d’appartenance envers l’école a été identifié par les jeunes réfugiés et en demande d’asile comme étant le facteur le plus important leur permettant d’adopter des stratégies efficaces quant aux difficultés vécues (Beiser et Hou, 2017; Hadfield et al., 2017).

Face à ces enjeux, les milieux scolaires relèvent leurs propres défis : ils en rencontrent souvent lors des processus d’évaluation des besoins et de classement des élèves réfugiés ou en demande d’asile (Borri-Anadon et al., 2018). Au Québec, les travaux de Borri-Anadon et al. (2018) et de Borri-Anadon (2021) soulignent l’importance de certaines conditions afin de favoriser le parcours et l’expérience socioscolaire de ces élèves. Ainsi, le processus d’évaluation des besoins et de soutien devrait reposer d’une part, sur une solide collaboration avec la famille et la communauté ainsi qu’entre les personnes professionnelles (Borri-Anadon et al., 2018), et d’autre part, sur une organisation et des modèles de services souples et préventifs. À cet égard, la mise en oeuvre de stratégies évaluatives : a) compréhensives, tenant compte des spécificités linguistiques, culturelles et migratoires du jeune; b) différenciées, centrées sur chaque élève, notamment sur ses forces; et finalement, c) dynamiques, permettant de mettre à jour le processus d'apprentissage et les progrès des élèves en favorisant la mise en place de conditions favorables à l'apprentissage, est proposée (Borri-Anadon, 2021).

Selon Charette et Kalubi (2016), la collaboration école-famille-communauté peut soutenir l’expérience socioscolaire des élèves issus de l’immigration. Celle-ci prend une valeur particulière dans une société socioculturellement diversifiée (Mondain et Couton, 2011). À un niveau plus global, l’expérience scolaire s'inscrit dans un contexte historique et social, dans un système scolaire spécifique et est affectée par des orientations éducatives gouvernementales, étatiques et mondiales (Lafortune et Kanouté, 2007). Toutes ces recherches soulignent l’influence de l’environnement sur l’expérience socioscolaire des élèves, que nous étudions en nous basant sur le modèle écosystémique.

Le modèle écosystémique (PPCT)

La théorie écosystémique permet d’étudier les éléments contextuels tant proximaux (école-famille-communauté), que distaux (systèmes éducatif, législatif et de santé et services sociaux) et temporaux (parcours pré, péri et postmigratoire). Plus précisément, l’utilisation du modèle PPCT de Bronfenbrenner et Morris (1998) permet d’appréhender les changements dans le temps ainsi que l’interinfluence de l’individu et de son environnement dans une perspective développementale. Dans ce modèle, les processus (P) font référence à l’interrelation entre l’individu en développement et son environnement. Cela dit, dans le cadre de notre recherche, nous étudions l’ensemble des processus d’influence des facteurs favorisant et défavorisant l’expérience socioscolaire du jeune. De plus, puisque la personne (P) est centrale dans ce modèle, nous étudions l’expérience socioscolaire et le parcours migratoire précisément des élèves ayant participé à notre étude. Le contexte (C), soit l’environnement dans lequel ils évoluent, inclut, dans le cadre de notre projet, la famille, l’école et la communauté. De façon plus spécifique, nous prenons en considération les systèmes proximaux qui permettent des interactions directes, et les systèmes distaux qui induisent des interactions indirectes entre l’individu et son milieu. Finalement, la composante temps (T) nous permet de comprendre l’expérience socioscolaire du jeune dans une perspective temporelle. Ce projet de recherche est mené en partenariat avec quatre CSS et vise l’atteinte de trois objectifs spécifiques.

  1. Dresser les portraits des élèves réfugiés et en demande d’asile arrivés entre septembre 2015 et juin 2018.

  2. Documenter le parcours scolaire et l’expérience socioscolaire de ces jeunes ayant différents profils.

  3. Documenter et analyser les éléments systémiques favorisant ou défavorisant leur parcours et leur expérience socioscolaire.

Vu l’ampleur du projet, nous optons, dans le cadre de cet article, de ne présenter que la voix des élèves et qu’une partie des résultats qualitatifs qui permettent l’atteinte des objectifs 2 et 3, soit l’étude des éléments systémiques proximaux favorisant ou non l’expérience socioscolaire des élèves réfugiés et en demande d’asile arrivés au Québec entre 2015 et 2018.

MÉTHODOLOGIE

Cette recherche a recours à une méthode mixte parce qu’elle combine les forces des méthodes qualitatives et quantitatives, en plus d'être indiquée pour des recherches visant tant l’observation dans le temps de cohortes que la compréhension de phénomènes et de processus (Pluye, 2018). Le premier objectif de la recherche est atteint grâce à l’analyse des données quantitatives recueillies dans les systèmes informatiques des quatre CSS partenaires. Cela dit, les résultats ne font pas l’objet de cet article.

Les données qualitatives sont collectées auprès de 79 personnes participantes : 31 jeunes élèves réfugiés ou en demande d’asile fréquentant ou ayant fréquenté des écoles des quatre CSS, 19 parents et 29 personnes intervenantes scolaires des quatre CSS. L’outil de collecte des données qualitatives est l’entrevue semi-dirigée individuelle et familiale avec les jeunes et les parents, ainsi que l’entrevue de groupe avec les personnes intervenantes scolaires. Les questions posées visent l’atteinte des objectifs 2 et 3 (âge et caractéristique à l’arrivée, première classe, première personne enseignante, premières et premiers amis, parcours scolaire, difficultés d’apprentissage et d’adaptation, services reçus, soutien reçu, etc.). L’analyse des données qualitatives se fait grâce au logiciel QDA Miner. Une grille de codage conçue selon le modèle PPCT, tout en prenant en considération les dimensions de l’expérience socioscolaire (p. ex. relations avec les personnes enseignantes et avec les pairs, difficultés ou facilités d’apprentissage, soutien reçu, etc.), sert de trame pour l’analyse des verbatim. Un contre-codage est assuré par les trois premières autrices de cet article. Considérant que dans ce qui suit nous présentons les résultats qualitatifs collectés auprès de 31 élèves, nous optons pour des numéros et non des noms fictifs (EP1-EP31).

RÉSULTATS

La présentation des résultats suivra le modèle écosystémique. Pour chacune des dimensions, nous soulignerons les éléments ayant favorisé ou non l’expérience socioscolaire postmigratoire et nous les illustrerons avec des extraits de verbatim en précisant le numéro de l’élève ayant participé (EP).

La personne

Les résultats de notre recherche soulignent l’importance de l’existence ou non de certaines caractéristiques ou de ressources personnelles chez les jeunes. Ainsi, selon nos analyses, les habiletés sociales, la confiance en soi, l’âge à l’arrivée et le bagage linguistique sont des éléments pouvant favoriser ou non l’expérience socioscolaire. Pour l’EP2, l’expérience a été positive en raison de certaines de ses qualités et de ses forces : « Je suis sociable, donc ça m’a beaucoup aidé à faire des amitiés et avoir de bonnes relations avec mes profs. » (EP2) Pour l’EP10, c’est sa confiance en elle qui l’a aidée : « L’année de mon secondaire 4, j’ai laissé la francisation et j’étais concentrée sur moi-même. J’ai appris à avoir confiance en moi, je me suis développée et je me suis dit que je n’allais pas rester comme ça. J’ai appris que si quelque chose m’énerve, je vais le dire. » (EP10)

Les différences d’âge et de culture ont aussi été relevées certains élèves comme étant des facteurs ayant influencé leur expérience. « Je suis plus vieux, je ne pense pas comme les gens d’ici, je ne suis pas comme eux » (EP1), dit un jeune, alors qu’une autre souligne sa difficulté à se sentir appartenir au milieu scolaire : « Je parlais pas français du tout, donc je comprenais rien et quand je suis venue à l’école, j’étais, comme, surprise. Ils étaient tous différents de moi […] j’étais la seule voilée. Oui, il y avait […] quelques filles, ma soeur et deux filles encore, on était […] seules les quatre voilées à l’école. » (EP18)

La méconnaissance du français à l’arrivée est soulignée comme étant un obstacle important, surtout pour la socialisation : « J’avais peur de parler avec les gens parce que je ne savais pas parler. Je n’étais pas capable de me faire facilement des amis dans mon école. » (EP13)

Si la connaissance de la langue de la société d’accueil est mentionnée comme étant un atout, il semble toutefois qu’elle ne soit pas toujours suffisante :

C’était pas vraiment difficile parce que moi, je suis francophone, je parlais déjà français. Mais pour des personnes qui parlaient pas français, je trouve que c’est vraiment difficile parce que l’accent déjà du Cameroun et ici, c’est vraiment différent [...] C’est vraiment difficile, mais après, je me suis adaptée.

EP5

Les jeunes élèves réfugiés arrivent avec des ressources et un bagage personnels variés générant des besoins diversifiés auxquels les personnes intervenantes scolaires sont appelées à répondre. Dans ce qui suit, nous relèverons l’influence du contexte et des processus proximaux sur l’expérience socioscolaire de ces élèves.

Le contexte et les processus proximaux

Nos résultats mettent en relief l’influence positive ou négative de nombreuses composantes du contexte scolaire sur l’expérience des élèves. Nous commencerons par le contexte proximal familial pour passer par la suite au contexte scolaire.

Le contexte familial

La famille

Selon nos analyses, des relations familiales positives favoriseraient le parcours postmigratoire et l’expérience socioscolaire des jeunes. L’affection, les encouragements et le soutien des parents lors de circonstances difficiles ont surtout été soulignés par les jeunes.

Je veux aussi rester près de mes parents. Ils savent tout sur moi. Nous sommes vraiment proches. Ce sont mes meilleurs amis et ils ne veulent pas que je retourne là-bas [au pays]. Ils ont dit : « Nous sommes venus pour toi ».

EP23, traduction libre de l’anglais

[…] mes parents aussi, ils étaient vraiment ouverts quand je suis venue ici. Ils voulaient que j’essaie plein de trucs. Ils m’ont inscrite à plein de trucs au début : au basketball, au soccer. Ils voulaient vraiment que je m’intègre bien. Ils voulaient aussi pratiquer, alors eux aussi sont allés aux cours de français, ils ont pratiqué très fort. Ma mère ne parlait pas et, maintenant, elle parle très bien.

EP2

Je ne voulais pas les inquiéter. […] C’est ça, mais ils savaient que j’étais traumatisée par ça [l’exposition à une tuerie en contexte de guerre]. Ils essaient de me faire rire et d’oublier ce qu’on a vécu.

EP8

Cependant, il semble que certaines dynamiques familiales puissent aussi influencer négativement l’expérience socioscolaire des jeunes. Des conflits intrafamiliaux en lien avec les valeurs ont été nommés.

[…] mon frère, il va avoir 21 ans. Il a vécu environ 16 ans en Jordanie, alors à la base, il est arabe, il a des mentalités et des valeurs, alors que moi, je suis venue à 12 ans. Alors, avec les amis et tout, j’ai des valeurs différentes que mon frère. C’est sûr que parfois, je ne suis pas trop d’accord avec mes parents, on se dispute.

EP17

En lien avec le respect de son intimité, des jeunes disent ne rien raconter aux membres de leur famille au sujet de ce qui se passe à l’école, par manque de confiance (extrait 1) ou à cause des différences générationnelles (extrait 2) :

[…] mes parents, je ne leur fais pas confiance non plus. Je ne peux pas faire confiance à personne. Je dis quelque chose à quelqu’un et toute l’école l’a su, toute l’école a vu la photo, donc je n’ai jamais fait confiance à quelqu’un après. C’était il y a trois ans. Même mes parents, je ne leur fais pas confiance. […] Ils étaient nouveaux au Canada et ne savaient pas comment se comporter avec moi. Chaque fois que je leur disais quelque chose, ils le disaient à tous les autres membres de la famille. Cela me dérangeait beaucoup, alors je ne voulais plus parler.

EP24

Ma mère, il y a une différence de génération. Je ne raconte pas beaucoup de qu’est-ce qui se passe dans ma vie, mais juste les choses spéciales. Donc, elle ne sait pas ce qui se passe.

EP3

L’absence d’encouragements et des comparaisons entre les membres de la fratrie sont aussi nommées comme des éléments du contexte familial : « Non, rien. Les membres de ma famille sont des gens négatifs, ils me disent : “Ta soeur a fini son diplôme. Toi, tu es rendu où? Tu n’as pas encore fini?” C’est quelque chose qui ne peut pas aider les autres, c’est négatif. » (EP12)

Bien que les élèves ayant participé n’aient pas abordé le thème de la collaboration école-famille – qui est, comme on l’a vu dans le cadre de référence, l’un des facteurs environnementaux pouvant influencer l’expérience socioscolaire des jeunes –, celui de la relation famille-communauté a été amené par quelques jeunes.

La relation famille-communauté

Certains élèves ont souligné l’importance de la présence et des encouragements de compatriotes ou de personnes appartenant à la même communauté culturelle dans leur vie quotidienne.

Il y avait deux personnes syriennes et arabes, et elles nous ont expliqué, car elles aussi sont réfugiées, comment nous aider et tout. Elles disaient à mon père qu’on allait vite apprendre le français parce qu’on est venus jeunes, mais que c’est à eux aussi d’apprendre la langue comme nous. Il faut que toute la famille essaie de parler le français ensemble, et tout, pour s’améliorer. Elles disaient de bonnes choses sur ici, qu’on aurait une meilleure vie que ce qu’on vivait au Liban ou en Syrie.

EP24

Cet extrait met en relief le rôle que peut jouer la communauté dans l’expérience socioscolaire des élèves à travers le soutien et les encouragements proposés tant à eux qu’à leur famille. Dans un prochain article, nous donnerons la voix aux familles réfugiées et demandeuses d’asile et aux personnes intervenantes scolaires ayant oeuvré auprès de ces jeunes. Dans ce qui suit, nous allons présenter d’une manière synthétisée ce qu’elles disent de leur contexte scolaire postmigratoire.

Le contexte scolaire

L’effet personne enseignante

L’attitude encourageante ou stressante de la personne enseignante, la relation qu’elle propose, positive ou non, ainsi que la qualité de son écoute, bienveillante ou non, ont affecté positivement ou négativement l’expérience socioscolaire des élèves. Des élèves soulignent aussi l’importance du débit de la parole du personnel enseignant, de la flexibilité ou de la rigidité des pratiques d’enseignement ou de l’attitude du personnel envers les élèves.

Voici quelques extraits qui mettent en lumière une influence négative de la personne enseignante, perçue par les élèves, sur leur expérience socioscolaire. Dans certains cas, nous remarquons comment l’attitude de la personne enseignante ainsi que son style d’enseignement peuvent détériorer la confiance en soi de l’élève. L’extrait suivant en est un exemple : « C'est une enseignante stricte. Je pense juste que les enseignants pourraient être meilleurs en expliquant davantage, en restant calmes, en n'étant pas si stricts et en ne mettant pas autant de pression, ce qui te fait te dire : “je vais abandonner”. » (EP23, traduction libre de l’anglais)

Le passage des classes d’accueil vers les classes ordinaires ne se fait pas non plus toujours facilement et nécessite une prise en compte des besoins particuliers de ces jeunes, comme en témoigne cet extrait : « Les profs vont très vite, ils suivent les gens qui sont nés ici. Ils ne remarquent même pas qu’il y a des gens qui sortent de classes d’accueil et qu’ils devraient parler plus lentement et utiliser des mots de vocabulaire plus simples. C’était un peu difficile. » (EP5)

Certains élèves ont relevé qu’en classe d’accueil, leurs personnes enseignantes ne prenaient pas au sérieux leurs études. En effet, l’extrait suivant souligne le manque de professionnalisme d’une personne enseignante :

Mais maintenant, je me sens comme si j’ai fait des choses mauvaises parce que je suis resté avec un prof tellement mauvais! Un prof qui apporte avec lui une E-sport, qui joue avec nous. Il nous amenait à la bibliothèque chaque mercredi et vendredi pour étudier, mais on n’étudiait pas. Il nous amenait jouer au hockey.

EP19

Toutefois, l’effet personne enseignante n’est pas toujours négatif. L’effort fourni par une enseignante pour connaître son élève a été soulevé par une participante : « La façon qu’on me traite. Des fois, aussi, je suis un peu… Si aujourd’hui, je suis contente et demain, je suis un peu plus calme, [l’enseignante] s’en rend compte tout de suite. Elle me dit : “Aujourd’hui, je te vois moins active”, puis elle commence à me connaitre. » (EP6)

D’autres effets positifs dégagés dans les discours des jeunes sont évoqués dans la partie qui suit, davantage en lien avec les pratiques pédagogiques.

Les pratiques pédagogiques

L’analyse des résultats souligne l’importance des diverses dimensions des pratiques pédagogiques dans la construction d’une expérience positive ou négative chez l’élève : les explications, les travaux demandés (de groupe ou non), les méthodes flexibles ou rigides, les savoirs et le contenu des enseignements, les évaluations et les règles. À propos d’une expérience plutôt négative, nous avons obtenu le témoignage détaillé d’une jeune réfugiée arrivée au Québec à l’adolescence en lien avec son expérience relative à l’évaluation de ses compétences et de ses connaissances, et de son classement en classe d’accueil. Selon elle, c’est grâce à sa confiance en elle-même et à sa ténacité qu’elle a pu passer en classe ordinaire et réussir. En voici des extraits :

C’était le début de l’été et là, elle m’a dit : « Ah, oui, tu ne vas pas aller au régulier. Tu vas rester un an supplémentaire ici ». J’ai dit : « Pourquoi? ». […] Elle m’a dit : « Tu n’es pas prête. Moi, je suis l’enseignante et je sais ce qui est bon et ce que tu mérites vraiment et c’est quoi ton niveau. Moi, je sais comment évaluer ». Elle me parlait de cette façon. Mais, en fait, elle ne savait pas. Elle ne [me] connaissait pas du tout. […] Elle m’a dit : « tu vas échouer » […] Moi, j’ai dit à mes parents que c’est impossible : soit je change l’école, soit je change de pays. Je ne reste pas comme ça, non. Je ne peux pas […] On a communiqué avec le directeur […] J’ai expliqué toutes les situations qui se sont passées pendant ces sept mois consécutifs et je lui ai dit que je ne peux pas. Et moi, je me connais bien, si je peux vraiment… Si vous me mettez maintenant dans une classe régulière […] je sais que je ne vais pas échouer, je vais vraiment être prête, je suis prête. Il m’a dit : « Je te fais confiance. » Et c’est lui qui m’a envoyée au secondaire. L’enseignante a dit : « Je n’accepte pas, je ne signe pas. » […] et il m’a envoyée en 2e secondaire. J’ai commencé mon 2e secondaire, j’avais 15 ans et les gens, 12-13 ans, on peut dire. Ce n’est pas grave, l’important [c’est] que je suis en régulier. Maintenant, j’ai 18 ans, ce n’est pas grave. […] Mais ça fait cinq ans que je suis ici dans cette école, cinq hivers.

EP25

Cette tendance à tirer vers le bas est perçue par plusieurs jeunes, par exemple : « Le prof, à chaque fois qu’elle donnait des choses aux autres, elle ne m’en donnait pas à moi. Genre, elle voulait toujours que je garde un niveau plus bas que les autres. En examen, elle me donnait un examen différent que les autres, et c’était pas très correct. (EP4)

La répétition dans les contenus enseignés et les supports pédagogiques utilisés en classe d’accueil ont été critiqués aussi :

Je pense qu’après, les deux cahiers sont la même chose. Il n’y a pas vraiment de différence. C’était une perte de temps […] C’est le même cahier de secondaire 1 et secondaire 2. Il y a beaucoup de répétitions dans la matière. Je ne vois aucune différence, et c’est juste une perte de temps.

EP15

Par ailleurs certains jeunes soulignent que les pratiques pédagogiques témoignent des attentes élevées que le personnel entretient à leur égard. Ainsi, une élève indique comment son enseignante (en classe ordinaire) était capable de reconnaitre sa différence sans la réduire à celle-ci :

Ma prof de français, elle savait que je venais de l’accueil, mais elle n’a pas utilisé ça comme faiblesse, elle ne m’a pas donné de chance ou de trucs sous la table. Parfois, les profs font ça. Elle a, d’une façon, ignoré, mais pas trop ignoré le fait que je sois venue en accueil. Moi, j’étais triste à ce moment-là. Maintenant, je suis heureuse qu’elle ait fait ça parce qu’elle m’a aidée à travailler. On avait des cercles de lecture, on lisait des romans et on devait s’asseoir autour d’une table et discuter et résumer. À mon tour, je devais résumer tout le roman, toute l’histoire en français.

EP5

Alors qu’une autre élève partage une expérience positive marquée par les encouragements et le soutien de ses personnes enseignantes :

Ils sont déterminés à ce que je réussisse, même quand ils voient que ma note est diminuée ou que je suis en échec, ils sont là et ils me demandent une rencontre. Ils me demandent ce qui se passe, si je vais bien, qu’est-ce qui fait que ma note diminue. Je leur réponds, et ils sont là à m’aider à réussir et à me soutenir.

EP9

Parallèlement à l’effet personne enseignante et aux pratiques pédagogiques déployées, nous pouvons souligner le rôle important joué par les pairs.

L’influence des pairs

Plusieurs élèves ayant participé ont soulevé le soutien par les pairs comme un élément favorisant leur expérience socioscolaire : « Les étudiants dans les classes régulières nous ont beaucoup aidés. À chaque pause, ils venaient nous voir et nous demander si on avait besoin d’aide, nous proposer de venir nous faire pratiquer le français. Ils étaient vraiment gentils. » (EP6)

Partager un répertoire linguistique vient faciliter l’adaptation sociale et scolaire des élèves des classes d’accueil, selon leurs points de vue : « Oui, j’ai des amis qui viennent de l’Inde, mais aussi du Pakistan et du Bangladesh. On parle la même langue, donc on se comprend mieux. » (EP11)

D’autres élèves nomment avoir vécu des expériences sociales très négatives à l’école; des expériences de rejet, de discrimination et de violence subies par les pairs à l’école :

C’est quand j’ai commencé à être avec des gens que j’ai compris que des fois, ils ont du mal à accepter comment je suis. Des fois, ils pouvaient me parler et on riait ensemble, mais toujours me rappeler que je ne suis pas comme eux et que je fais partie d’un autre pays, que je ne vais jamais être comme eux, que je ne parle pas le français comme eux, que j’ai un accent, des fois, rigoler de mon accent.

EP26

C’est même arrivé trois fois où il y avait des personnes qui filmaient quand j’étais aux toilettes pour faire mon hijab. Ils me filmaient sans voile. Aussi, il y avait deux gars de secondaire 5, quand j’étais en secondaire 2 ou 3, ils ont essayé d’enlever mon voile trois fois, même quand je leur dis. Des fois ils ne comprennent pas, ils ne savent pas que c’est une valeur tellement importante pour moi. Eux, ils s’en foutent!

EP18

Les interactions entre élèves reflètent plus largement le climat scolaire des écoles fréquentées.

Le climat scolaire

L’analyse des résultats a permis de mettre en évidence que lorsque le climat scolaire est positif, qu’il y règne une ambiance marquée par la bienveillance et l’acceptation, où les jeunes peuvent se sentir en sécurité et se sentir respectés, où des activités collectives leur permettent de développer des relations sociales ainsi qu’un sentiment d’appartenance à l’école, l’expérience socioscolaire est améliorée. Par contre, un climat marqué par la discrimination, l’intimidation, la violence et le rejet accentue le sentiment d’exclusion et pousse les jeunes à l’isolement. Les extraits suivants illustrent ces résultats.

Notons, par exemple, que pour une des élèves, le port du voile a été une expérience positive avec les pairs, mais négative avec une personne actrice scolaire :

J’ai dit que mes amis et mes profs étaient gentils avec moi. Je me sentais comme les autres dans l’école, même si j’étais la seule voilée dans la classe. Je me sentais contente avec ça, belle avec ça.

EP30

Ce n’était pas parce que je suis Syrienne, c’est à cause de... depuis que j’ai mon voile. Ce n’étaient pas mes amis, c’était une intervenante dans l’école. C’était l’année passée, cette situation-là. Comme j’ai dit, je suis sociable. Elle est venue me parler, et je parle avec tout le monde. Je ne la connaissais pas, mais je parle avec tout le monde. Elle est venue me chercher en me disant : « Je veux te parler ». J’ai dit : « pas de problème ». Elle a dit : « il y a un programme pour les filles où il y a plusieurs filles dans ce programme, chaque semaine, deux fois, on va te prendre de tes cours pour faire des programmes, des activités ». J’ai dit : « pourquoi? », et elle a dit : « c’est juste comme ça, pour savoir comment ça se passe avec ta famille et tes amis et tout ça » […] Alors, ma professeure lui a parlé, et elle a expliqué à ma prof que c’est juste à cause de mon voile. Elle veut savoir si c’est ma famille qui m’a obligée à le mettre ou si c’est ma décision […] quand j’ai fait la recherche sur ce groupe-là, c’était toutes des filles voilées.

EP30

La difficulté de développer des relations sociales en classe a été nommée par un jeune : « Je n’avais pas mes amis qui étaient dans la même classe, et les étudiants dans mes classes, on dirait qu’ils n’aimaient pas beaucoup parler et se faire des amis. Chacun est dans sa bulle, donc j’étais triste dans les classes. J’écoutais le prof et après, je sortais. » (EP31)

Les deux extraits suivants montrent comment l’attitude de rejet des pairs ainsi que les pratiques d’exclusion peuvent fausser la relation que le jeune développe à sa classe, à son école :

Je ne savais pas où m'asseoir. Je me suis assise au fond et j'ai réalisé que c'est là que les élèves cool s'assoient. Ils ont commencé à parler de moi et à se moquer de moi, et j'ai juste changé de place. Ils ont été comme ça toute l'année. Les gens étaient simplement différents de moi. Je n'ai pas vraiment aimé cet endroit [l'école].

EP23, traduction libre de l’anglais

En général l’ambiance [...] J’ai vu qu’il n’y a pas vraiment beaucoup d’attention sur les immigrants qui sont venus. On était vraiment séparés, à côté. Même dans ma classe, malgré qu’on était tous des Syriens […] Je n’ai pas aimé l’ambiance. Avec l’enseignante aussi, il y avait beaucoup de chicanes, beaucoup de disputes, beaucoup de problèmes avec elle, avec la classe. Je n’ai pas aimé.

EP24

Dans ce qui suit, nous analyserons ces résultats non seulement à la lumière de la littérature scientifique, mais aussi de celle des politiques éducatives québécoises en lien avec la réussite des élèves réfugiés et en demande d’asile.

DISCUSSION

Dans le cadre de notre discussion, nous reviendrons sur le modèle écosystémique PPCT adopté dans notre recherche. En ce qui concerne la Personne, notre recherche montre qu’une expérience socioscolaire positive dépend en partie des caractéristiques personnelles de l’élève : par exemple, son âge à son arrivée au Québec, ses habiletés sociales, sa confiance en soi ainsi que, dans une certaine mesure, sa connaissance du français. En effet, il semble que plus l’élève est âgé, moins il a l’opportunité et le temps d’apprendre le français et de trouver sa place au sein de l’école (EP10 et EP1). Nous soulignons aussi que les aptitudes relationnelles peuvent favoriser l’expérience socioscolaire (EP10, EP2). De plus, avec une certaine connaissance de la langue de la scolarisation, l’élève est dans des conditions favorables au regard de son expérience socioscolaire (EP11), alors que l’anxiété liée à la non-maîtrise de la langue de scolarisation peut l’influencer négativement (EP13). Ces résultats rejoignent ceux de Gosselin-Gagné (2012), selon lesquels la confiance de l’élève en soi et ses capacités ainsi que sa motivation à apprendre sont des caractéristiques personnelles importantes pour sa réussite.

En ce qui concerne le Processus et le Contexte de l’environnement proximal, les résultats de notre recherche soulignent l’influence décisive tant du contexte familial que scolaire sur l’expérience socioscolaire de ces élèves. Sur le plan familial, les encouragements et le soutien des parents et de la fratrie sont relevés par plusieurs personnes participantes (EP23, EP2, EP3) comme des processus favorisant leur parcours scolaire, alors que les conflits fraternels, culturels et intergénérationnels (EP17, EP12, P29, EP3) l’influencent négativement.

En ce qui concerne le contexte scolaire, nos résultats nous amènent à dégager trois principaux processus : l’effet personne enseignante, l’effet pairs et l’effet école.

Ainsi, nos résultats attestent que les élèves estiment que l’effet personne enseignante et les pratiques pédagogiques mises en oeuvre sont déterminants dans leur expérience socioscolaire, notamment l’attitude de la personne enseignante (encourageante ou non), la relation éducative (bienveillante et positive ou non) proposée au jeune, le climat (inclusif, respectueux, stimulant ou non) créé en classe, ainsi que les pratiques d’enseignement (adaptées aux besoins et particularités des élèves ou non), d’évaluation et de classement. L’influence négative de ces dimensions est mise en évidence à travers les discours de certaines personnes participantes (EP23, EP5, EP19, EP25, EP4, EP15), tandis que leur influence positive est relevée par les personnes participantes EP6, EP5 et EP9. En effet, nos résultats rejoignent d’abord ceux de Borri-Anadon et al. (2018), qui mettent en exergue l’importance des processus d’évaluation des besoins et de classement des élèves réfugiés ou en demande d’asile permettant une identification juste et équitable de leurs besoins en services. Cet enjeu est relevé par plusieurs personnes participantes, dont EP25 qui raconte comment sa détermination et son insistance ont joué un rôle important dans la modification de son classement qui la tirait vers le bas.

Parallèlement à l’effet personne enseignante, nous soulignons l’effet pairs. Nos résultats montrent que des expériences d’indifférence, de rejet et de discrimination défavorisent l’expérience socioscolaire des élèves réfugiés et en demande d’asile ayant participé à notre recherche (EP31, EP23, EP24, EP30). Des comportements de solidarité et d’entraide ont cependant l’effet inverse, et nous le notons dans le discours des personnes participantes EP6 et EP11.

Quant à l’effet école, celui-ci comporte le climat général de l’école, mais aussi la présence ou non de discrimination, d’intimidation ou de violence à l’école, les relations entre les pairs ainsi que les relations avec les diverses personnes actrices scolaires. Nos résultats mettent en relief un sentiment important d’exclusion chez certains jeunes. Ce vécu d’exclusion se manifeste de façon saillante à travers deux principaux marqueurs : la langue (EP5 et EP26) et la religion (EP18 et EP30). Ces constats résonnent avec les études de Beiser et Hou (2017), menées au Canada, qui soulignent non seulement les conséquences négatives de la discrimination à l’école, mais aussi les conséquences positives des activités visant le développement du sentiment d’appartenance à l’école, voire à la société d’accueil.

Il est cependant important de mentionner que le marqueur de la langue traverse l’ensemble des données recueillies, ce qui témoigne de son caractère structurant dans leur expérience socioscolaire. En effet, la question linguistique occupe une place prépondérante dans les données présentées, notamment pour les élèves qui ne parlent pas ou parlent très peu le français, qui mentionnent rencontrer plus de difficultés et qui sont souvent considérés comme étant timides ou ayant moins d’habiletés sociales par le personnel scolaire. Ces résultats font écho à l’importance et à la place données au français au Québec (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2014; Misiorowska, 2011). Si nous prenons en considération que depuis 1998, le MEQ prône dans les lignes directrices de sa Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle la promotion de l'égalité des chances et recommande qu’une attention particulière soit portée aux élèves issus de l’immigration en situation de grand retard scolaire – un groupe majoritairement constitué d'élèves réfugiés –, nous réalisons que cet objectif d’équité est loin d’être atteint, puisque de nombreuses personnes participantes à notre recherche font part de leur sentiment d’exclusion et de leurs expériences de discrimination, basées sur la langue et la religion. Par ailleurs, la dernière Politique de la réussite éducative du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2017) s’appuie sur trois axes : 1) l’atteinte du plein potentiel de toutes et tous, 2) un milieu inclusif propice au développement, à l’apprentissage et à la réussite, et 3) des personnes actrices et partenaires mobilisées pour la réussite. Notre recherche montre que les jeunes élèves réfugiés et en demande d’asile sont loin de recevoir les services éducatifs de qualité auxquels ils ont droit et qui pourraient favoriser leur parcours postmigratoire scolaire et éventuellement, leur réussite. Cela est d’autant plus pertinent à souligner dans le contexte québécois marqué par une centration des recherches sur les traumas et deuils pré et périmigratoires (Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2021), alors que les données présentées rejoignent nos résultats de recherches antérieures (Papazian-Zohrabian et al., 2018) et laissent présager que ces derniers sont susceptibles de se prolonger, voire de se renforcer en contexte postmigratoire, vu les expériences d'intimidation et de discrimination vécues à l’école québécoise.

Notre étude montre en outre qu’une attitude bienveillante de la part de la personne enseignante, une relation éducative positive, des encouragements et un soutien adéquat, un climat de classe respectueux et sécurisant, des pratiques d’enseignement flexibles et adaptées aux besoins des élèves sont des éléments favorisant l’expérience socioscolaire des élèves réfugiés et en demande d’asile. Ces éléments, combinés avec un climat scolaire sécurisant, des relations positives avec les pairs, la famille et la communauté, et un respect des identités culturelles et religieuses des jeunes, peuvent exercer une influence positive sur leur expérience.

Limites de la recherche

Avant de conclure, nous tenons à préciser certaines limites de notre recherche, surtout en ce qui concerne les résultats présentés dans cet article. Étant donné les limites imposées quant à la longueur de l’article, nous n’y présentons que les éléments proximaux pouvant favoriser ou non l’expérience socioscolaire des jeunes, alors que le modèle écosystémique PPCT englobe aussi les processus et contextes distaux. Ceux-ci feront l’objet d’une future publication. Sur le plan de l’analyse et de l’interprétation des données, nous n’avons pas encore analysé la dimension Temps du PPCT afin de mettre en relief les enjeux liés à la durée de scolarisation de ces jeunes. De plus, dans cet article, nous ne présentons que la voix des jeunes, alors que croiser leurs discours avec ceux de leurs parents et des personnes actrices scolaires impliquées dans leur accueil et leur scolarisation aurait été d’une grande pertinence scientifique; ce qui sera réalisé dans le futur dans d’autres publications.

CONCLUSION

Les résultats de notre recherche soulèvent plusieurs enjeux relatifs à l’accueil des élèves réfugiés et en demande d’asile à l’école québécoise ainsi que leur expérience socioscolaire. Tant les caractéristiques individuelles des jeunes que leur environnement proximal avec lequel ils sont en contact direct influencent leur parcours postmigratoire à l’école et leur expérience scolaire. Si les recherches de Betancourt et Khan (2008) et de Mohamed et Thomas (2017) menées en Angleterre soulignent l’importance d’un soutien social, familial et scolaire pour une meilleure santé mentale des élèves réfugiés, la nôtre met en relief l’influence de ce soutien sur leur expérience socioscolaire. Elle permet de relever les diverses dimensions de l’environnement proximal (immédiat) et de dégager leurs processus d’influence positifs ou négatifs sur le jeune et son parcours scolaire postmigratoire, du point de vue des élèves. Améliorer l’expérience socioscolaire des élèves réfugiés et en demande d’asile dans le pays hôte, c’est leur permettre de reprendre une vie normale, de pouvoir se projeter dans un avenir meilleur, de donner un sens positif à leur migration (Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2021). Les implications de notre étude sont importantes tant pour la formation des acteurs et actrices scolaires que pour la gouvernance des écoles et l’organisation des services.