Volume 13, Number 1, 2013 Changement et diversité au Japon Guest-edited by Vincent Mirza and Catherine Laurent Sédillot
Table of contents (9 articles)
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Introduction. Changement et diversité au Japon
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Déclassement et transformation de la structure de classes au Japon de 1945 à 2013
Bernard Bernier
pp. 9–26
AbstractFR:
Le Japon avant la Seconde Guerre mondiale avait une distribution des revenus très inégalitaires, signe de différences de classes importantes. Après la défaite de 1945, l’écart dans les revenus s’est dissipé laissant la place à une pyramide des revenus relativement plate. Cette situation a donné lieu à une vision du Japon comme société sans classe, étant constitué d’une immense classe moyenne. Cependant, les inégalités ont considérablement augmenté après le début de la crise financière en 1990, quand les grandes entreprises ont effectué des mises à pied et ont limité de façon draconienne l’embauche de jeunes salariés à la sortie des écoles et de l’université. Le chômage et la pauvreté ont augmenté. Le Japon de 2013 se retrouve donc avec des inégalités de classes qui s’approchent de celles de l’avant-guerre.
EN:
Before 1945, Japan had a very unequal income distribution, a sign that important class distinctions were present at the time. After the defeat of 1945, income disparities were cut drastically and there emerged a rather flat income pyramid. This situation lead many to define Japan as a large middle class society. However, inequalities increased markedly after the financial crisis of the 1990s and 2000s. Income disparities and class differences became clearer when large companies fired workers and lowered the number of young men recruited directly out of school. Unemployment and poverty increased, while those with the highest income kept on accumulating. Japan in 2013 now has income and class inequalities that resemble those that prevailed before 1945.
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L’action collective protestataire dans le Japon contemporain : analyse spatiale d’une tradition cachée
David-Antoine Malinas
pp. 27–43
AbstractFR:
Depuis la crise des années 1990, une des transformations les plus importantes du Japon concerne le rôle de la société civile. Si de nombreuses études ont été réalisées pour analyser et réfléchir à la montée du bénévolat, peu de recherches ont analysé la dimension proprement politique de ce renouveau. Plus exactement, les travaux qui traitent de la dynamique des mouvements sociaux au Japon insistent surtout sur son déclin continu. Comment rendre compte alors du mouvement des sans-abri des années 1990, du très médiatique « haken mura (village des intérimaires) » de 2008, ou plus récemment encore d’actions de protestations localisées, mais intégrées au mouvement international des « indignés » ?
Le recours à l’analyse spatiale permet de mettre en évidence que, même en période de faible activisme, certains sites peuvent être particulièrement politisés et assurer le maintien et le renouvellement de l’engagement. La mobilisation autour de la question de la pauvreté, si elle semble débuter au début des années 1990, possède ainsi toute une histoire, celle d’une fraction de la nouvelle gauche jusqu’alors oubliée.
EN:
Since the 90s, one of the major transformations that affected Japanese society is the growing importance of civil society. In this regard, many researchers have focused on the rise of volunteer action. Few have examined its political dimension but most conclude that it is weak or even structurally impossible. A common point of these studies is that they fail to account for the growth of a strong, national and disruptive anti-poverty social movement that started in the 90s.
I propose a spatial analysis of social movement sustainability to understand how, even during periods of low social mobilization, some specific sites support a high level of politicization. These local sites assure the continuity and the renewal of the activist’s engagement, the evolution of the action repertory and the ideological framework. I emphasize that mobilization against poverty, though recognized in the beginning of the 90s, has a long history. It is the one faction of the new left that has largely been forgotten until now.
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Aïnous de Tokyo : une nouvelle géographie politique autochtone au Japon ?
Mark K. Watson
pp. 45–64
AbstractFR:
Historiquement, au Japon, les mesures politiques concernant les Aïnous ont toujours été restreintes au territoire d’Hokkaidō. Toutefois, en reconnaissant officiellement les Aïnous en tant que peuple autochtone du nord du Japon et de ses environs en 2008, le gouvernement a pris la décision sans précédent – et pourtant souvent négligée – d’inclure les Aïnous résidant hors du territoire d’Hokkaidō dans l’élaboration d’une politique nationale aïnoue. Cet article expose le rôle qu’a joué le mouvement politique aïnou à Tokyo au cours des quatre dernières décennies, dans une campagne visant l’égalité des droits des Aïnous indépendamment de leur lieu de résidence. Il aborde également les politiques trop bien connues qui sous-tendent la reconnaissance du peuple aïnou ; reconnaissance qui promettait beaucoup plus que ce que le gouvernement n’avait l’intention d’accomplir.
EN:
Historically, Ainu policy measures in Japan have always been limited to Hokkaido. However, in the Japanese government’s recognition of the Ainu people as indigenous to northern Japan and its environs in 2008, the decision was made to include Ainu living outside of Hokkaido in negotiations over a national Ainu policy. In this paper, I survey the role played by the Ainu political movement in Tokyo in a forty years campaign aimed at equalizing the rights for Ainu irrespective of location and discuss the politics of the government’s new position.
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La laïcité de reconnaissance s’enracine-t-elle au Japon ?
Kiyonobu Date
pp. 65–84
AbstractFR:
Cet article a pour but de présenter les linéaments de la question laïque au Japon, où le terme « laïcité » lui-même n’est guère utilisé dans la vie quotidienne. Pour cela, les problématiques de la séparation de l’État et de la religion (seikyô bunri) et du vivre-ensemble multiculturel (tabunka kyôsei) seront pensées conjointement. D’abord, nous exposons les éléments de la laïcité consacrés par la Constitution de 1946, et situons ce régime laïque dans l’histoire du Japon. Ensuite, l’étude de quelques cas de figure qui paraissent aller à l’encontre du principe laïque de séparation nous conduit à réfléchir à la nouvelle configuration du politique et du religieux. Ainsi, on observe aujourd’hui une tendance à reconnaître le rôle public des religions, au risque de les exposer à une instrumentalisation politique. Enfin, nous analysons la manière dont s’organisent divers groupes ethnoculturels et religieux du point de vue de la laïcité de reconnaissance.
EN:
This article aims to delineate the problematic nature of laïcité in Japan, where the word is hardly ever used ordinarily. I will try to show that the question of laïcité needs to be explored by linking the separation of the state and religion (seikyô bunri) with the coexistence of diverse cultures (tabunka kyôsei). First, I will show that in an attempt to establish a secular regime in Japan, the elements that constitute laïcité were already part of the Constitution of 1946. Next, I bring up some cases that appear to contradict the principle of separation of the state and religion. This brings us to reexamine the relationship between the political and the religious. Increasingly in Japan, the role of religious institutions has become publicly recognized at the expense of being politically useful. Lastly, I will assess the way in which diverse ethnocultural and religious communities are being organized from the viewpoint of a “laïcité of recognition.”
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Le Japon est-il une démocratie multinationale ? Portrait de la diversité multinationale et intranationale au Japon : approches théoriques et implications pratiques
Jackie F. Steele
pp. 85–110
AbstractFR:
L’objectif de cet article est de dépasser les limites conceptuelles et typologiques de la littérature sur les minorités, le Japon multiculturel, et le Japon multiethnique en menant une réflexion critique quant aux mécanismes politiques, juridiques et discursifs d’exclusion et d’inclusion délimitant les normes de la subjectivité japonaise. À partir d’une analyse féministe de l’intersectionalité de la diversité situant la « race », la culture, le genre et l’hétéro-normativité comme systèmes d’oppressions qui se constituent mutuellement, nous examinerons également la littérature comparée sur la démocratie multinationale. Une fouille généalogique du passé colonial japonais, et l’étude d’un mariage multinational entre une japonaise et un Zainichi coréen nous permet de découvrir et de critiquer les contradictions juridiques et politiques des diverses facettes de la subjectivité et de l’appartenance (nation, diaspora, etc.) que le système du registre familial et la loi sur la nationalité reproduisent constamment.
EN:
A critical reflection on the legal, political and discursive mechanisms of inclusion and exclusion delimiting the norms of Japanese subjectivity, the current article aims to push beyond the conceptual and typological limitations of the literature on Japanese minorities, multicultural Japan, and multi-ethnic citizenship. Working from a feminist intersectional analysis of diversity that understands nation, race, culture, gender and hetero-normativity as mutually constitutive systems of oppression, we look also to the comparative literature on multinational democracy as a more comprehensive approach to thinking about the complex intranational and multinational diversity constituting contemporary Japanese citizenship. Through a genealogical exploration of Japan’s colonial past, and a case study of a contemporary multinational marriage between a Japanese woman and a Zainichi Korean resident, we uncover and critically explore the juridical and political contradictions about subjectivity and belonging across multiple axes (nation, diaspora peoples, indigeneity, minorities, race, multiculturalism, gender and sexuality) that are actively reproduced and perpetuated through the Japanese family registry system and nationality law.
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Du genre à la diversité. Le contrôle du changement de la main-d’oeuvre dans les grandes entreprises japonaises
Claude-Eve Dubuc and Vincent Mirza
pp. 111–129
AbstractFR:
Cet article analyse les pratiques de gestion de la diversité mises en place dans les grandes entreprises japonaises. À partir du milieu des années 1990, plusieurs de ces entreprises ont progressivement fait face à la nécessité d’incorporer une plus grande diversité dans les rangs de leurs employés en raison des transformations majeures du contexte économique et social. Ce sont les moyens que les entreprises utilisent pour gérer cette diversité que nous examinerons dans cet article. Nous montrerons que cette gestion de la diversité a commencé par l’instauration de mesures visant à incorporer la main-d’oeuvre féminine dans les rangs de l’entreprise. Ces mêmes mesures seront ensuite réutilisées dans une même logique pour gérer les employés étrangers.
EN:
The present article introduces an analysis of diversity management practices and perceptions within major Japanese companies. Since the mid 1990’s, important changes in the socio-economic context have forced major Japanese companies to face the necessity of incorporating greater diversity into their labour force. In the present article, we will analyse the practices undertaken by such companies regarding diversity management. We will show how diversity management first began with measures aiming at the advancement of working women within companies and have subsequently been used, with a similar logic, to manage foreign workers.
Essai / Essay
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Cool, Creepy, Moé: Otaku Fictions, Discourses, and Policies
Thomas Lamarre
pp. 131–152
AbstractEN:
This essay looks at the otaku phenomenon in terms of the production of consumption (what produces consumption, and what consumption produces) primarily three registers: fictions of otaku that stage the repression of otaku desires and identities in order to form erogenous zones; cultural discourses that pathologize otaku consumption; and government policies related to Cool Japan that strive to reconfigure otaku consumption in terms of markets and self-satisfying subjects. Considering these different registers brings into a focus a neoliberal socius or social being, which allows constant intervention into everyday life in the name of the fragility of the global free market by typologizing and pathologizing consumers.
FR:
Cet essai porte sur le phénomène otaku en termes de production de la consommation (ce qui produit la consommation, et ce que la consommation produit) en examinant principalement trois registres : les fictions otaku qui mettent en scène la répression de leurs désirs et de leurs identités afin de former des zones « érogènes » ; les discours culturels qui présentent la consommation otaku comme pathologique ; et les politiques gouvernementales reliées à l’idée du « Japon Cool » qui visent à reconfigurer la consommation otaku en termes de marchés et de sujets d’autosatisfaction. Considérer ces différents registres permettra de mettre en lumière un « socius néolibéral » ou un être social qui favorise une intervention constante dans la vie de tous les jours au nom de la fragilité de l’économie du marché mondial en classant et diagnostiquant les consommateurs.
Note de recherche / Fieldnote
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La fierté d’être anormal : valorisation des stigmas comme nouvelle identité chez les lolita et angura à Tokyo
Akané D’Orangeville
pp. 153–168
AbstractFR:
Les quartiers du centre de Tokyo sont reconnus mondialement pour l’excentricité esthétique de certains individus qu’on y retrouve, notamment à Shinjuku, Harajuku, Shibuya ou Roppongi. Ils forment des communautés de sous-culture et participent activement à la vie culturelle de la ville à travers des évènements de mode, des spectacles, des soirées de danse ou des expositions artistiques. Les lolita, les gothiques, les angura (« underground ») et les fétichistes forment, à travers ces évènements, une communauté esthétiquement et culturellement marginale. Cette note de recherche se penche sur la construction identitaire des membres de ces communautés et sur le discours de l’« anomalie » et de la « perversion » comme élément clé de leur identité « marginale ». Leur identité en tant qu’« anormaux » est centrale à leurs activités et se veut une résistance esthétique contre la culture dominante.
EN:
Downtown districts of Tokyo are well known for the eccentric fashion style of some individuals, especially around Shinjuku, Harajuku, Shibuya or Roppongi. Some of them are part of large subcultural communities and have an active role in the cultural life of Tokyo, expressing themselves through fashion events, shows, dance parties or art exhibits. The lolita, gothics, angora (“underground”), fetishists and others have formed a culturally and aesthetically marginal community. This study explores identity formation of subculture community members and the discourse of “perversion” and “abnormality.” The latter has become a key word in their “marginal” identity, grounding their activities and serving as esthetical resistance to the dominant culture.