Abstracts
Résumé
La différence entre une cure chamanique et une cure psychanalytique, écrivait Claude Lévi-Strauss en 1956, tient au fait que dans la première le médecin parle tandis que dans la seconde, ce soin est dévolu au patient. La différence vaut, dans la société awajun, entre pratiques ayahuasqueras passées et contemporaines. Avec les premières, le chamane « voyait » au-delà de l’opacité des corps et « racontait » les objets pathogènes et leur propriétaire, l’agression chamanique étant un prolongement des conflits entre groupes locaux et bassins fluviaux. Avec les secondes, le malade boit. À lui de « voir » et de « raconter » ; manière aussi pour le « chamane moderne » de ne pas prendre de risque dans un contexte social marqué par un imaginaire sorcellaire, introduit par les missions. Dans cet article, je présente et analyse les usages awajun (famille linguistique jivaro), traditionnels et nouveaux de l’ayahuasca, tels que j’ai pu les observer sur le Haut Marañón (Pérou) depuis une douzaine d’années. J’aborde les questions de l’apparition de nouvelles catégories de praticiens et de l’adaptation des rituels thérapeutiques aux maladies nouvelles ou considérées comme telles, ainsi que la façon dont le chamanisme awajun s’est modifié pour faire face au mépris dont il a été et est l’objet.
Mots-clés :
- awajun,
- Pérou,
- ayahuasca,
- chamanisme,
- transformation culturelle
Abstract
The difference between a shamanic cure and a psychoanalytic cure, wrote Claude Lévi-Strauss in 1956, is that in the first case the doctor speaks, while in the second case this is the patient. I apply this difference in Awajun society between the past and contemporary ayahuasca practices. Historically, the shaman “saw” beyond the opacity of the bodies and “depicted” the pathogenic objects and their owner. In this respect, shamanic aggression is an extension of the conflicts between local groups and river basins. Today, the patient drinks. It is up to the patient himself to “see” and “tell”; a way for the “modern shaman” to not take any risks in a social context characterized by sorcery imaginary (introduced by the missions). In this paper, I present the Awajun (Jivaro linguistic family) uses, traditional and new, of ayahuasca, as I observed them in the Upper Marañón (Peru) for the last twelve years. I analyze the emergence of new categories of practitioners and the adaptation of therapeutic rituals to new diseases or considered as such, as well as how Awajun shamanism changed to deal with the contempt it has been and is subject to.
Keywords:
- Awajun,
- Peru,
- ayahuasca,
- shamanism,
- cultural transformation
Resumen
La diferencia entre curaciones chamánica y psicoanalítica, escribió Claude Lévi-Strauss en 1956, es que en la primera habla el médico, mientras que en la segunda lo hace el paciente. Esa diferencia, lo hago en la sociedad awajun entre prácticas ayahuasqueras pasadas y contemporáneas. Con las primeras, el chamán “veía” más allá de la opacidad de los cuerpos y “decía” los objetos patógenos y su propietario, siendo la agresión chamánica una prolongación de los conflictos entre grupos locales y cuencas fluviales. Con las segundas, el enfermo bebe. Depende de él “ver” y “narrar”; forma también para el “chaman moderno” de protegerse en un contexto social marcado por un imaginario sobre la hechicería introducido por las misiones. En este artículo, presento los usos awajun (familia lingüística Jivaro), tradicionales y nuevos, de la ayahuasca, tal como los he observado en el Alto Marañón (Perú) durante una docena de años. Analizo la aparición de nuevas categorías de curanderos y la adaptación de los rituales terapéuticos a las nuevas enfermedades o consideradas como tales, así como la forma en que el chamanismo awajun cambió para enfrentar el desprecio de que ha sido y es objeto.
Palabras clave:
- awajun,
- Perú,
- ayahuasca,
- chamanismo,
- transformación cultural
Appendices
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