Éditorial

À l’heure d’un changement de paradigme de régulation des substances psychoactives[Record]

  • David-Martin Milot and
  • Alain Poirier

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  • David-Martin Milot, M.D., C.M., MSc, FRCPC
    Médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive
    Professeur adjoint, Université de Sherbrooke
    Chercheur régulier, Institut universitaire sur les dépendances
    Membre du comité de rédaction, Revue Drogues, santé et société

  • Alain Poirier, MD, MSc, FRCPC
    Directeur de santé publique par intérim, CIUSSS de l’Estrie – CHUS

Décès prématurés, comorbidités complexes, inégalités sociales et stigmatisation sont des conséquences de santé familières à la pandémie de COVID-19 qui accapare l’attention internationale depuis mars 2020. Elles caractérisent également une crise qui perdure depuis plusieurs années déjà en Amérique du Nord, soit celle de la dépendance aux opioïdes et des surdoses. Peu auraient imaginé que l’élargissement de l’accessibilité aux opioïdes pour le traitement de la douleur chronique dans la seconde moitié des années 1990 aurait fait des ravages d’une telle ampleur. Pourtant, plusieurs composantes d’une crise parfaite étaient rassemblées. Tout d’abord, alors que le contrôle de la douleur constitue un des principaux motifs de consultation dans les milieux cliniques de santé, les États-Unis et le Canada sont devenus les plus grands prescripteurs d’opioïdes dans le monde. En plus des fausses allégations initiales d’innocuité de l’OxyContin par Purdue Pharma (The United States Department of Justice, 2020), les pratiques féroces de marketing des opioïdes par l’industrie pharmaceutique (Van Zee, 2009) et l’augmentation importante de la distribution médicale d’opioïdes par la prescription (Fischer et al., 2020) ont donné lieu à un terreau fertile pour la surconsommation de ces substances et les surdoses. Au même moment, la répression de la possession de telles substances à des fins non médicales continuait de stigmatiser bon nombre de consommateurs d’opioïdes qui étaient déjà grandement fragilisés par de multiples comorbidités et une précarité sociale considérable. Les mécaniques prohibitionnistes, tant symboliques que structurelles, ont quant à elles contribué à invisibiliser les consommateurs et à limiter leur accès à des services publics de santé et des services sociaux adaptés à leurs besoins, dont le développement est parsemé d’obstacles légaux, politiques, économiques et socioculturels. Ces facteurs et plusieurs autres ont contribué à un fardeau de mortalité par surdoses aux opioïdes sans précédent. Au Canada, près de 23 000 décès apparemment liés à une intoxication aux opioïdes sont survenus entre janvier 2016 et mars 2021. Le fentanyl et ses analogues sont impliqués dans la grande majorité de ces décès (Gouvernement du Canada, 2021a). Aux États-Unis, les opioïdes étaient impliqués dans près de 50 000 décès par surdose, seulement en 2019 (Centers for Disease Control and Prevention, 2021). La situation pandémique de la COVID-19 a exacerbé cette crise de surdoses, alors que le Canada et les États-Unis ont constaté des nombres records de décès, d’hospitalisations et de signalements liés aux opioïdes (Centers for Disease Control and Prevention, 2020 ; Gouvernement du Canada, 2021b). La COVID-19 a en effet complexifié plusieurs enjeux sociaux et d’iniquités en santé déjà présents dans la crise de surdoses aux opioïdes (Jenkins et al., sous presse). Face à cette crise, des interventions intégrées et cohérentes avec l’état actuel des connaissances, tant empiriques que théoriques, doivent être déployées à différents niveaux (Office of the Provincial Health Officer of BC, 2016). Plusieurs de ces interventions ciblent la demande en opioïdes, leur usage et ses déterminants. C’est le cas notamment d’une approche clinique mieux informée et plus adaptée aux maux impliquant une douleur physique ou psychologique et de l’accès à des services réactifs et sans jugement pour les personnes aux prises avec un trouble d’usage de substances psychoactives. Sans oublier une campagne populationnelle de sensibilisation visant à diminuer le stigma, une accessibilité élargie et sans barrière à la naloxone et le déploiement d’un éventail de mesures en réduction des risques et des méfaits telles que les services d’analyse de substances, les services de consommation supervisée, l’approvisionnement médical plus sécuritaire et la distribution de matériel stérile de consommation dans différents milieux tels que ceux carcéraux. Bien que ces mesures palliatives soient essentielles et urgentes, particulièrement dans la situation actuelle de crise, leur déploiement …

Appendices