Volume 17, Number 1, April 2018 La drogue : aux limites de la société (2) Pratiques Guest-edited by Marc Perreault
Table of contents (6 articles)
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Mot de présentation : drogue et société : par-delà les frontières du sens
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De l’alcool et des histoires : perceptions diachroniques et multigénérationnelles entourant la consommation d’alcool et sa régulation chez les Anicinabek
Leila Inksetter and Marie-Pierre Bousquet
pp. 1–20
AbstractFR:
Cet article se penche sur différents intervenants, contemporains et passés, pour examiner leur positionnement par rapport à l’alcool consommé par les Anicinabek entre le début du XIXe siècle et aujourd’hui : les commerçants de fourrure, les chamanes, les prêtres catholiques, les membres de la Gendarmerie royale du Canada, les agents des Affaires indiennes et les leaders communautaires anicinabek. Nous explorons d’abord les comportements adoptés par chacun d’eux à l’aide de sources historiques, puis observons la perception contemporaine qu’ont différentes générations d’Anicinabek sur ces mêmes intervenants historiques à partir de sources orales. Ce faisant, nous montrons qu’à la fois chez les Anicinabek et les intervenants eurocanadiens, certaines personnes ont encouragé la consommation d’alcool, alors que d’autres ont plutôt inhibé sa consommation. Nous montrons que les perceptions contemporaines de ces différentes interventions passées peuvent varier en fonction de l’âge de l’informateur et de son vécu.
EN:
This article examines the position taken by various actors, past and present, with reference to Anicinabek alcohol consumption, between the early nineteenth century and today: fur traders, shamans, Catholic missionaries, members of the Royal Canadian Mounted Police, agents from the Department of Indian Affairs, and Anicinabek community leaders. First, we examine the behaviour adopted by representatives of each category through the lens of historical documentation, which we then compare to the ways contemporary Anicinabek people of different generations perceive these same historical actors. We show that among both Anicinabek people and outsiders, some have encouraged alcohol consumption whereas others have tried to limit or inhibit it. We also show that contemporary perceptions of past attitudes regarding alcohol vary according to the age of the informant and his or her background.
ES:
Este artículo estudia diferentes actores, tanto contemporáneos como pasados, con el fin de examinar cuál es su posición con respecto al alcohol que consumían los anicinabek entre comienzos del siglo XIX y la actualidad: comerciantes de pieles, chamanes, sacerdotes católicos, miembros de la Gendarmería Real, funcionarios del ministerio de asuntos indigenas y líderes de la comunidad anicinabek. En primer lugar, exploramos los comportamientos adoptados por cada uno de ellos recurriendo a fuentes históricas y luego observamos la percepción contemporánea que diferentes generaciones de anicinabeks tienen sobre dichos agentes históricos a partir de fuentes orales.
Al hacerlo, mostramos que tanto entre los anicinabeks como entre los participantes eurocanadienses, hay quienes alentaron el consumo de alcohol mientras que otros lo han inhibido. Mostramos asimismo que las percepciones contemporáneas sobre estas diferentes intervenciones pasadas pueden variar según la edad del informante y su experiencia.
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« Pas juste un soûlon » : le boire et l’agentivité chez les Eeyous de Chisasibi chez les Eeyous de Chisasibi / “Not just a drunk”: Eeyou drinking and agency in Chisasibi
Jacky Vallée
pp. 21–69
AbstractFR:
Il arrive souvent que le comportement et l’identité des Eeyous (Cris) de Chisasibi (Québec) qui consomment de l’alcool et sont ivres en public soient réduits à ceux de victimes : victimes de la colonisation et des tentatives d’assimilation, victimes de violence familiale, victimes de dépendances. Les autres membres de la communauté déconseillent fortement de s’adresser directement aux buveurs et les chercheurs en anthropologie les ignorent la plupart du temps. Cet article ethnographique s’appuie sur l’observation participante et sur des entrevues semi-formelles effectuées auprès de femmes et d’hommes adultes qui se disent buveurs ou ex-buveurs. Il met en lumière le point de vue de personnes dont la consommation d’alcool actuelle ou passée est considérée comme un « problème » par leur communauté et par les chercheurs en sciences sociales. En adoptant une approche phénoménologique, l’auteur utilise les concepts de « monde vécu » (lifeworld) et d’agentivité pour illustrer le fait que les individus réfléchissant à leurs propres comportements participent activement à la vision du monde de leur communauté. Bien que ces personnes soient qualifiées de « soûlons » ou de « zombies », elles parlent d’elles-mêmes en référant aux divers autres aspects de leurs identités et à leur propre capacité d’agir. Ce faisant, elles s’approprient leurs identités en tant que membres de leur communauté et revendiquent leur capacité d’agir en dépit des sous-entendus voulant qu’elles aient renoncé à ces identités et à cette capacité en buvant de manière excessive.
EN:
Eeyou (Cree) people in Chisasibi, Quebec who engage in public drinking and drunkenness often have their behaviour and identity reduced to those of victims: victims of colonialism and assimilation attempts, victims of family violence, victims of addiction. Talking to the drinkers themselves is highly discouraged by fellow community members and often not considered by anthropological researchers. This ethnographic article is based on participant-observation and semi-formal interviews with adult women and men who self-identified as drinkers or former drinkers. It highlights the perspectives of people who currently engage, or have engaged in the past, in drinking behaviour that is perceived as “problematic” by their community and by social science researchers. Through a phenomenological approach, the concepts of lifeworlds and agency are used to illustrate how people actively engage with prominent community worldviews in thinking about their own behaviour and identities. Community members may refer to them as “drunks” or “zombies”. But these individuals refer to wider aspects of their identities and to their own agency in discussing their lives. As such, they appropriate identities as community members and claim their agency in spite of implications that they have forsaken these identities and this agency by engaging in extreme drinking.
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Les déclencheurs du suicide chez les atikamekw et les anishnabek
Lívia Vitenti
pp. 70–84
AbstractFR:
Cet article est consacré à la discussion sur les déclencheurs du suicide chez deux communautés représentant des Premières Nations du Québec, soit les Atikamekw de Manawan et les Anishnabek du Lac Simon. Ces déclencheurs, aussi appelés « facteurs immédiats », sont, grosso modo, au-delà des dépendances – alcool et drogues – la dépression et la violence – physique, psychologique et sexuelle. Il traitera aussi du manque d’affection et du système de pensionnat, qui seront analysés comme susceptibles d’avoir un lien avec les causes de la mort volontaire. L’analyse sera surtout basée sur notre expérience de recherche sur le terrain dans les deux communautés, à partir d’une approche anthropologique et ethnographique. La méthode de l’observation participante et des entrevues non structurées avec des membres de deux communautés a été principalement utilisée. Nous avons obtenu plusieurs informations sur le sujet, ce qui nous a permis de comprendre les effets négatifs de ces déclencheurs, mais aussi de constater qu’ils ne sont pas déterminants de l’acte suicide. Néanmoins, et quoique cet article soit dédié aux déclencheurs du suicide, il nous est fondamental de souligner qu’ils font partie d’un répertoire de questions beaucoup plus élargie, et qu’il s’agit d’un sujet très complexe.
EN:
This article is devoted to the discussion about suicide’s trigger in two communities with representatives of First Nations of Quebec: the Atikamekw, from Manawan, and the Anishnabek from Lac Simon. Broadly speaking, these triggers, also known as “immediate factors”, are, beyond addictions – alcohol and drugs – depression, and violence – physical, psychological, or sexual. We also offer a discussion of the lack of affection and the residential school system, which is analyzed as having a potential link with the causes of voluntary death. Analyses will be based largely on our fieldwork in both communities from an anthropological and ethnographical approach. We primarily used methods of participant-observation and unstructured interviews with members of both communities. On the subject of suicide, we obtained different points-of-view, which have led us to understand the negative effects of these triggers, but at the same time, showed us that they do not determine the act of suicide. While this article is dedicated to suicide triggers, we stress that such triggers are part of a greater range of events.
ES:
Este artículo está dedicado al análisis de los desencadenantes de suicidio en dos comunidades de las primeras Naciones de Quebec, los atikamekw de Manawan y les anishnabek de Lac Simon. Estos desencadenantes, llamados también “factores inmediatos”, son, grosso modo y más allá de las dependencias al alcohol y la droga, la depresión y la violencia física, psicológica y sexual. Se tratará también la falta de afecto y el sistema de pensionados, que se considerarán como susceptibles de tener una vinculación con las causas de la muerte voluntaria. El análisis se basará principalmente en nuestra experiencia de investigación en el terreno en las dos comunidades, a partir de un enfoque antropológico y etnográfico. El método principalmente utilizado es el de la observación participativa y las entrevistas no estructuradas con miembros de la comunidad. Hemos obtenido numerosas informaciones sobre el tema, lo que nos ha permitido comprender los efectos negativos de los desencadenantes y constatar que no son determinantes en el acto del suicidio. Sin embargo, y si bien este artículo está dedicado a los desencadenantes del suicidio, es fundamental para nosotros destacar que los mismos forman parte de un repertorio de problemas mucho más amplio y que se trata de un tema muy complejo.
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Pour en finir avec les crimes sans victimes : l’approche minimaliste en éthique des drogues
Martin Gibert
pp. 85–98
AbstractFR:
Dans cet article en éthique appliquée, je souhaite montrer comment l’opposition entre minimalisme et maximalisme moral peut éclairer le débat sur la prohibition des drogues. Le principe – défendu par Ruwen Ogien – de l’indifférence morale du rapport à soi-même implique en effet qu’on ne condamne pas l’usager de drogue au nom d’un paternalisme moral. Plus généralement, en ne reconnaissant pas les « crimes sans victimes », le minimalisme écarte un certain nombre d’arguments en faveur de la prohibition. On peut donc dire que l’intérêt de l’approche minimaliste en éthique des drogues consiste moins à trancher des cas difficiles qu’à écarter certaines mauvaises raisons et autres intuitions maximalistes et confuses.
EN:
In this paper in applied ethics, I want to show how the contrast between moral minimalism and maximalism can inform the debate on drug prohibition. Indeed, the principle of moral indifference toward oneself - defended by Ruwen Ogien - implies that we do not condemn the drug user on behalf of paternalism. More broadly, by not recognizing harmless crimes, minimalism puts aside some arguments for prohibition. That’s why the interest of the minimalist approach in drug ethics is less to decide puzzling cases, than to rule out some bad reasons and other maximalist and confused intuitions.
ES:
En este artículo sobre ética aplicada deseo mostrar de qué manera la oposición entre minimalismo y maximalismo moral puede esclarecer el debate sobre la prohibición de las drogas. El principio – defendido por Ruwen Ogien –de la indiferencia moral de la relación consigo mismo implica en efecto que no se condene al consumidor de drogas en nombre de un paternalismo moral. Generalmente, al no reconocer los “crímenes sin víctimas”, el minimalismo descarta un cierto número de argumentos en favor de la prohibición. Podemos decir entonces que el interés del enfoque minimalista en la ética de las drogas consiste no tanto en resolver los casos difíciles como en excluir ciertas malas razones y otras intuiciones maximalistas y confusas.
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Souffrance, jugement moral et « société addictogène » : les registres de sens du traitement de la dépendance
Line Pedersen
pp. 99–116
AbstractFR:
Cet article explore la teneur de l’évaluation morale dans les modes de traitement du « trouble addictologique » en s’intéressant aux trajectoires des personnes en prise avec des produits psychoactifs inscrites dans une démarche d’arrêt ou de diminution des consommations d’alcool ou des drogues illicites. En suivant ces trajectoires de sortie, j’ai pu questionner leur passage dans deux entités de traitement, les Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) et les groupes d’entraide associatifs (Vie Libre, Narcotiques et Alcooliques Anonymes). À partir d’une posture ethnographique, à la fois compréhensive et critique, nous explorons la construction de la « sortie » des addictions au regard des contraintes morales, sociales et institutionnelles. L’article se fonde sur des données de recherche recueillies de 2010 à 2013. Elle combine à la fois l’observation directe des milieux, ainsi que des entretiens biographiques et semi-directifs réalisés avec des intervenants (nb 15) et des personnes dépendantes (nb 41).
L’analyse qualitative de données met en évidence que le travail biographique déployé par les personnes dépendantes permet une mise à distance de l’expérience de l’emprise. Il s’agit de constituer un jugement moral sur ses comportements passés sous l’effet des produits. La catégorie de trajectoire de déprise permet donc de rendre compte des formes subjectives de (se) composer avec ou sans les produits sans renvoyer à l’idéal d’abstinence. C’est seulement au moment de la mise en récit devant les pairs ou les professionnels que l’on peut parler d’une rupture biographique. En ce sens les entités médiatisent les récits des personnes dépendantes, parce qu’elles contribuent à construire un cadre d’énonciation des récits, et donc de distinguer ce qui peut être dit ou pas. Cet article interroge l’aspect contraignant de ce processus, en ce sens que l’obligation de se raconter participe aussi à construire un sujet moral capable de s’autocontrôler.
EN:
This paper explores the content of moral evaluation operating in different treatment models of addiction in France by focusing on the trajectories of persons dependent on psycho-active products and actively searching for a solution to get free of its hold (partially or totally). We’ll specially be questioning the treatment models the addicts pass through : specialized treatment centers (called CSAPA in France) and self-help groups such as Narcotics Anonymous and “Vie Libre” (for people with alcohol problems). By adopting an ethnographic position, both comprehensive and critical, we’ll explore the construction of the “exit” of addiction with regard to the moral, social and institutional constraints. This article is based on data collected between 2010 and 2013. It combines observation of the environments of the treatment models, as well as biographical and semi-directive interviews with the professional caregivers (=15) and with the “addicts” (=41).
The qualitative analysis of the data shows that the biographical work by the “addicts” allows a distancing of the experience of addiction. It’s a question of establishing a moral judgment of one’s past behavior while consuming the products. The category of “trajectoire de déprise” then allows to summarize the subjective ways of composing (oneself) with or without the use of drugs, without immediately referring to the ideal of abstinence. It’s when narrativizing oneself in front of the caregivers or members of self-help groups, that we can observe a biographical disruption. The treatment models mediate this narration, because they contribute in deciding what can be told and what’s unsayable. The narration becomes a condition to enter the society : by narrativizing oneself, the capable subject morally testifies him/herself as a responsible subject. This article questions the constraining aspect of this process, in this sense that the obligation of narrativizing oneself also participates in the construction of a moral subject capable of controlling him/herself.
ES:
Este artículo explora el contenido de la evaluación moral en los modos de tratamiento del “problema adictológico” interesándose en la trayectoria de las personas dependientes de productos psicoactivos que se inscriben en un camino de parar o disminuir el consumo de alcohol o de drogas ilícitas. Al seguir estas trayectorias de salida he podido interrogar sobre su pasaje en dos entidades de tratamiento, los Centros de Atención, Acompañamiento y Prevención en Adictología (CSAPA) y los grupos de ayuda mutua asociativos (Vie Libre, Narcotiques et Alcoholiques Anonymes [vida libre, narcóticos y alcohólicos anónimos]). A partir de una postura etnográfica, a la vez comprensiva y crítica, exploramos la construcción de la “salida” de las adicciones con respecto a las restricciones morales, sociales e institucionales. El artículo se funda en datos de investigación recogidos entre 2010 y 2013 y combina a la vez la observación directa de los medios, así como las entrevistas biográficas y semi-dirigidas realizadas con los intervinientes (nb 15) y los “adictos” (nb 41).
El análisis cualitativo de los datos demuestra que el trabajo biográfico realizado por los “adictos” les permite colocarse a distancia de la experiencia de la dependencia. Se trata de constituir un juicio moral sobre sus comportamientos pasados bajo el efecto de los productos. La categoría de la trayectoria del abandono permite entonces dar cuenta de las formas subjetivas de arreglar (se) con o sin los productos sin hacer referencia al ideal de abstinencia. Es solamente en el momento del inicio del relato ante los pares o los profesionales que se puede hablar de una ruptura biográfica. En este sentido, las entidades mediatizan los relatos de los adictos porque contribuyen a construir un marco de enunciación de los mismos y, por lo tanto, permiten distinguir lo que se puede o no se puede decir. Este artículo investiga el aspecto limitante de este proceso, en el sentido de que la obligación de contarse participa también en la construcción de un sujeto moral capaz de autocontrolarse.