Abstracts
Résumé
L’objectif de cet article est de mieux comprendre les attitudes et les perceptions des professionnels dans le milieu des bibliothèques du Québec à l’égard des approches d’amélioration continue. Une enquête utilisant la méthode du questionnaire rempli par voie électronique a été déployée. Si les approches d’amélioration continue abondent vers des visées qui sont en adéquation avec celles des bibliothèques québécoises, les attitudes et les perceptions des professionnels de ce milieu demeurent prudentes, voire négatives, envers ces approches. Cet état de fait pourrait prendre sa source dans la culture organisationnelle de même que la méconnaissance des approches d’amélioration continue. Aussi, l’ouverture au changement des professionnels dans le milieu des bibliothèques québécoises s’avère positive de façon générale, mais prudente dès lors qu’il s’agit d’un changement affectant le travail des professionnels eux-mêmes.
Abstract
The purpose of this article is to better understand the attitudes and perceptions of Québec library professionals with respect to continuous improvement approaches. A survey, supported by an electronic questionnaire, was conducted. If the continuous improvement approaches are compatible with the vision of Québec libraries, the attitudes and perceptions of the library professionals with respect to these approaches remain guarded and, at times, negative. This state of affairs may be grounded in the organisational culture as well as in a poor understanding of these approaches. Overall, the readiness for change of Québec library professionals is generally positive but they become prudent when the proposed change personally affects the professionals themselves.
Article body
Les politiques de démocratisation de la culture de la majorité des gouvernements occidentaux ont entraîné les institutions culturelles, notamment les bibliothèques publiques, dans une quête de développement de leurs publics. En effet, le droit à la culture est devenu un axe fort de toutes les politiques culturelles dans les sociétés démocratiques à travers le monde. L’incitation à lire, à visiter les musées et à fréquenter les théâtres (Journet 2002) constitue la première étape d’un désir de placer le visiteur, le public ou l’usager au centre des préoccupations, en le considérant notamment comme un apprenant.
La démocratisation de la culture a provoqué un changement important dans presque toutes les institutions culturelles, ces mutations ayant d’ailleurs été nommées « tournant communicationnel » par les chercheurs français ayant travaillé surtout sur les musées (Jacobi 1997 ; Davallon 1997 ; Jacobi & Luckerhoff 2014). De façon plus spécifique aux bibliothèques québécoises dites « publiques[1] », leur origine même serait à trouver dans une volonté « d’élargissement des publics des bibliothèques des collectivités professionnelles ou volontaires » (Gallichan 1997, 23) de la fin du XIXe siècle, moment de la toute première loi constituante des bibliothèques du Québec, soit en 1851 (Gallichan 1997).
Le développement du réseau des bibliothèques publiques québécoises aura pris son véritable envol au moment de l’adoption de la loi sur les bibliothèques publiques en 1959 (Savard 1997). Après près d’un demi-siècle de services aux usagers et « malgré un effort en termes financiers deux fois plus important au Québec, les performances des bibliothèques [publiques québécoises] y sont inférieures à celles de l’Ontario » (Savard 1997, 141). Cette situation perdure aujourd’hui, alors que « tous les indicateurs d’utilisation des services des bibliothèques québécoises affichent des valeurs inférieures à celles des bibliothèques étrangères, mais cet écart tend à rétrécir » (Allaire 2015, 1).
D’égale importance, soulignons que les bibliothèques publiques du Québec sont essentiellement financées par les fonds publics. En effet, en 2012, 96 % de leur financement global était assuré par ceux-ci, le palier municipal contribuant à hauteur de 76 % et le palier provincial, de 20 % (Allaire 2015, 12).
Par ailleurs, l’émergence de l’environnement numérique a précipité les bibliothèques publiques dans le développement de collections numériques et d’une panoplie de nouveaux services, notamment dans le domaine de la formation, et ce, dans un contexte où les ressources financières sont soit en diminution, soit stables (Allaire 2015). Qui plus est, l’environnement numérique entraîne avec lui de nombreuses mutations et engendre de nouvelles réalités, notamment en matière de développement technologique, de transformation des publics ainsi que des modes de production et de diffusion des produits et services culturels (Bouquillion & Combès 2007).
Problématique
L’objectif de développement des publics, conjugué aux impératifs d’arrimage des services et des collections des bibliothèques publiques à l’environnement numérique, sous-tend des investissements récurrents dans les technologies, les collections et la formation du personnel. Ces investissements s’ajoutent au budget des institutions et exercent une pression financière qui devrait inviter les gestionnaires à envisager des exercices visant l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience de leur organisation.
Depuis quelques années, nombre d’organisations publiques québécoises composant avec des réalités budgétaires difficiles ont recours à des approches d’amélioration continue, comme les approches Lean, Toyota, Six Sigma, Qualité totale ou encore les cercles de la qualité (Forget et al. 2015), et ce, afin de réduire leurs coûts, d’améliorer la qualité des services offerts ou la satisfaction de leurs usagers et de leurs employés.
Les bibliothèques publiques québécoises sont des organisations publiques offrant des services à la population. Celles-ci doivent maximiser la valeur des services offerts à leurs usagers afin de demeurer pertinentes (Murphy 2009). De la même manière, si les bibliothèques publiques sont des organisations sans but lucratif, « they must work within the funds allocated to provide successfully the goods and the services their customers demand. If not, circulation (or use) goes down. If over time, circulation growth and budget containment do not meet the library’s body’s requirements, management will be replaced, or libraries will be shut down » (Huber 2011).
Or, les écrits scientifiques et professionnels ne font état que de très rares adoptions d’approches d’amélioration continue au sein des bibliothèques, notamment des bibliothèques publiques. Ces quelques cas ont toutefois été documentés et il se dégage de ces expériences d’implantation d’approches d’amélioration continue en bibliothèques des résultats résolument positifs.
En effet, un article relativement récent relate les succès rencontrés à l’occasion de l’implantation de l’approche d’amélioration continue de type Lean sur les processus de rotation des inventaires des collections empruntées par les usagers de la bibliothèque de l’Université de Chicago (Kress 2007). L’auteur fait également état de deux autres cas où l’implantation d’une approche Lean a participé à l’amélioration des processus dans le milieu des bibliothèques : un cas concernant l’amélioration des processus de réservation en ligne, lequel a été étudié par Tuai (2006), et un cas concernant l’amélioration des processus de traitement des nouveaux documents, lequel a été analysé par Alexander et Williams (2003).
Ces succès s’expliquent par de nombreux facteurs. Parmi ceux-ci, Murphy (2009) évoque notamment l’importance du soutien de la direction, d’un investissement suffisant en ressources humaines et financières et d’un arrimage de l’initiative aux stratégies de l’organisation visée. Il souligne, par ailleurs, que la formation du personnel, dont la collaboration est indispensable à une approche d’amélioration continue, nécessite des investissements importants en temps et en argent.
Il est essentiel de souligner toute l’importance que revêt la collaboration du personnel d’une organisation dans l’implantation d’une approche d’amélioration continue, et ce, plus spécifiquement dans le cadre d’une approche Lean, que nous aborderons plus bas. Wagner et al. (2011) suggèrent à cet égard que l’attitude des employés constitue l’une des principales barrières à l’innovation organisationnelle, laquelle a été assimilée à l’approche Lean (Dubouloz 2013). L’amélioration continue sous-tend le changement, notamment des processus. Or, la plupart des gens et des organisations n’aiment pas le changement, et les bibliothèques publiques et leur personnel n’y échappent pas (Huber 2011). Ainsi, l’implantation éventuelle d’une approche d’amélioration continue dans le contexte actuel des bibliothèques publiques québécoises devrait prendre en considération les attitudes et les perceptions des professionnels du milieu face au changement en général et face aux approches d’amélioration continue de façon plus précise. Une meilleure compréhension de ces attitudes et de ces perceptions pourrait participer à l’adaptation des approches d’amélioration continue au sein des bibliothèques publiques et contribuer à l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience de ces dernières.
Objectif
Cet article dresse le portrait des perceptions et des attitudes des bibliothécaires professionnels et des techniciens en documentation dans le milieu des bibliothèques du Québec face aux approches d’amélioration continue. Les résultats de cette recherche contribueront à l’adaptation des approches d’amélioration continue aux contextes et aux réalités des bibliothèques publiques du Québec.
Méthodologie
Nous avons fait le choix d’étudier les attitudes et les perceptions des professionnels du milieu des bibliothèques québécoises par le biais d’un questionnaire rempli par voie électronique[2].
Le questionnaire comportait 48 questions réparties en sept sections : 1) l’amélioration ; 2) l’organisation, le changement et le participant ; 3) les connaissances des approches d’amélioration continue ; 4) les expériences des approches d’amélioration continue ; 5) les bénéfices (perçus) des approches d’amélioration continue ; 6) les défis (perçus) qu’amènent les approches d’amélioration continue, et enfin ; 7) une section concernant les données sociodémographiques. Il est à noter que la confidentialité des participants a été assurée, conformément aux normes éthiques en vigueur.
La prise de mesure des attitudes et des perceptions, dans le cadre de ce questionnaire, a été collectée et analysée à l’aide d’une échelle de Likert à neuf niveaux. Une telle échelle a comme prémisse que les attitudes présentent une distribution normale dans la population (Likert 1932). L’échelle de Likert mesure les attitudes des participants à l’égard d’énoncés non factuels, c’est-à-dire d’énoncés qui appellent les participants à se positionner personnellement face à un énoncé (Likert 1932). Si l’échelle originale de Likert comportait cinq niveaux (Likert 1932), la plus utilisée dans le monde comporte neuf niveaux et est connue sous le libellé The 9-Point Hedonic Scale du chercheur David Peryam (Peryam & Kroll 1998). De nombreux chercheurs ont analysé le nombre optimal de niveaux à utiliser dans une telle échelle et le recours à une échelle à neuf niveaux s’est avéré idéal ; une échelle en utilisant davantage ne permettrait pas de nuancer plus finement les attitudes des participants (Krosnick & Presser 2010).
Le questionnaire a été expédié à tous les bibliothécaires professionnels membres de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ) et aux techniciens en documentation membres de l’Association professionnelle des techniciennes et techniciens en documentation du Québec (APTDQ). Trois modes de diffusion du sondage ont été déployés : la CBPQ a publié une invitation à participer à l’enquête dans le bulletin diffusé à tous ses membres ; l’APTDQ a également publié une invitation à participer dans le bulletin diffusé à tous ses membres ; enfin, l’Association des bibliothèques publiques du Québec (ABPQ) a fait parvenir à deux reprises à ses membres un courriel invitant ceux-ci à participer à l’enquête. Le questionnaire a été mis en ligne le 1er février 2016. Les professionnels ont pu accéder à celui-ci jusqu’au 25 avril 2016, soit pour une période totale de près de trois mois. Au total, 118 participants ont rempli le questionnaire en ligne.
Le Lean : une approche d’amélioration continue
Plusieurs approches d’amélioration continue ont été développées depuis les années 1950 : Qualité totale, Lean, Production à valeur ajoutée, Six Sigma et Toyota Production System en sont quelques exemples. Certaines de ces approches sont très près l’une de l’autre, d’autres dérivent directement d’une plus ancienne (par exemple, le Lean est directement inspiré du Toyota Production System). De même, de nombreux auteurs et spécialistes ont développé des variantes s’inspirant des principes de base des approches les plus anciennes. Elles ont toutes en commun d’avoir été implantées majoritairement dans les industries manufacturières du monde entier, à partir des années 1950 jusqu’à aujourd’hui. Chacune de ces approches propose sa philosophie de gestion de la performance et recourt à différents outils visant une meilleure qualité et l’excellence organisationnelle. Dans le cadre de cet article, nous avons porté notre attention sur l’une de ces approches, soit l’approche Lean, laquelle a fait l’objet de développements et d’adaptations pour certaines organisations de services (Forget et al. 2015) et a été déployée au sein de quelques bibliothèques dans le monde.
L’approche Lean provient du monde industriel, plus spécifiquement de l’industrie automobile, et dérive du ToyotaProduction System, développé à l’origine par le fabricant Toyota. Il s’agit d’un « système conçu pour donner aux hommes les moyens d’améliorer sans cesse leur travail. Le modèle Toyota implique de s’appuyer davantage – et non moins – sur les hommes. C’est une culture, beaucoup plus qu’un ensemble de techniques d’efficience et d’amélioration » (Liker 2006, 48).
Le modèle Toyota sous-tend encore que « la réduction du temps de défilement par l’élimination du gaspillage à chaque stade d’un processus élève la qualité et réduit le prix de revient, en améliorant la sécurité et le moral des opérateurs » (Liker 2006, 32). Dit autrement par Taiichi Ohno, inventeur du Toyota Production System : « Tout ce que nous faisons, c’est de surveiller le temps qui s’écoule, depuis le moment où le client nous passe commande, jusqu’à celui où nous encaissons l’argent. Et nous réduisons ce temps en éliminant tout ce qui est gaspillage et n’apporte pas de valeur ajoutée. » (cité par Liker 2006, 9) Les gaspillages ont été catégorisés sous sept types : la surproduction, l’attente, le transport, la manutention, les erreurs, l’inventaire et la surqualité (Liker 2006).
Au coeur de l’approche Lean, on retrouve une philosophie basée sur le respect des ressources humaines, l’élimination du gaspillage, l’atteinte de l’excellence et, d’une importance capitale, la valeur telle qu’elle est perçue par l’usager. De fait, selon Womack et Jones, l’approche Lean
provides a way to specify value, line up value-creating actions in the best sequence, conduct these activities without interruption whenever someone requests them, and perform them more and more effectively. In short, Lean thinking is Lean because it provides a way to do more and more with less and less – less human effort, less equipment, less time, and less space – while coming closer and closer to providing customers with exactly what they want. Lean thinking also provides a way to make work more satisfying by providing immediate feedback on efforts to convert muda into value. And, in striking contrast with the recent craze for process reengineering, it provides a way to create new work rather than simply destroying jobs in the name of efficiency.
1996, 15
Enfin, une récente variante de l’approche Lean, le Lean Startup Method, fait passer l’approche Lean originale visant l’innovation incrémentale des différents processus d’une organisation à une approche visant l’innovation radicale (Bieraugel 2015). En effet, le Lean Startup Method peut être défini comme « a set of processes to reduce time, money and risk when starting a new company » (Bieraugel 2015, 352).
Résultats
La description de l’échantillon
Cette première sous-section des résultats vise essentiellement à décrire les qualités de l’échantillon. Nous observons que 58 % des participants oeuvrent dans le milieu des bibliothèques publiques[3] contre seulement 14 % en milieu institutionnel[4] et 12 % en milieu scolaire[5]. Nous observons également que la moitié (50 %) des participants occupent un poste de direction ou de gestion au sein de leur institution, oeuvrant pour la plupart (85 %) en bibliothèques publiques. De la même manière, 48 % des participants ont un diplôme universitaire et 37 % un diplôme d’études collégiales (DEC). Précisons ici qu’au Québec, la profession de bibliothécaire professionnel nécessite l’obtention d’un diplôme de deuxième cycle universitaire (maîtrise) alors que celle de technicien en documentation nécessite l’obtention d’un DEC. Enfin, les participants oeuvrent dans le milieu des bibliothèques depuis 14,52 années en moyenne, la médiane étant de 11 années. Les participants sont âgés de 43 ans en moyenne, la médiane étant de 40 ans.
Les perceptions de l’amélioration
Les premiers énoncés du questionnaire (Q1 à Q4) ont permis de recueillir les perceptions et les attitudes des participants en matière d’amélioration. Précisons ici que ces premières questions traitaient d’amélioration dans le sens général du terme, par opposition à l’amélioration continue de façon plus précise, ce sujet étant abordé plus loin dans le questionnaire. À cet égard, une forte majorité des participants ont déclaré être en accord avec l’affirmation selon laquelle les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés (78 % des participants occupant un poste de direction, 88 % occupant un poste d’employé). En concordance avec ces résultats, une forte majorité des participants estiment que l’amélioration d’une organisation ne mène généralement pas à l’abolition de postes (81 % des participants occupant un poste de direction, 80 % occupant un poste d’employé).
Nous observons toutefois une différence de point de vue chez les participants à l’égard de la possibilité que l’amélioration d’une organisation implique un surplus de travail pour les employés. En effet, un peu plus d’employés que de membres de la direction estiment possible que l’amélioration d’une organisation nécessite plus de travail de la part des employés (44 % des participants occupant un poste d’employé contre 24 % occupant un poste de direction).
Nous avons également analysé les perceptions et les attitudes des participants sur ce qu’implique l’amélioration d’une organisation sur les ressources de cette dernière, et ce, selon le rôle des participants dans leur institution, leur âge, ainsi que le dernier diplôme obtenu. Nous observons que ceux qui estiment que l’amélioration d’une organisation implique une utilisation abusive des ressources sont minoritaires (15 %). Parmi ceux-ci, nous retrouvons une proportion légèrement plus élevée d’employés (24 %), de jeunes (19 % des 35 ans et moins) et de participants dont le dernier diplôme obtenu est de niveau collégial (25 % des diplômés du collégial).
Ces résultats nous ont poussés à creuser davantage. Nous avons effectué une mise en relation entre les perceptions des participants qui se sont déclarés en accord avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés et leurs perceptions quant aux éventuelles abolitions de postes et à l’utilisation abusive des ressources que ces améliorations pourraient engendrer, de même qu’avec leurs perceptions quant à la possibilité que les employés soient appelés à travailler plus fort dans le cas de la mise en oeuvre d’une amélioration.
Les participants ayant déclaré être en accord[6] avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés ont déclaré, en moyenne, être en désaccord avec le fait que l’amélioration d’une organisation mène généralement à une abolition de postes. La moyenne sur l’échelle est de 1,90 et la médiane est de 2. De la même manière, les participants ayant déclaré être neutres ou en désaccord[7] avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés ont déclaré, en moyenne, être en désaccord avec le fait que l’amélioration d’une organisation mène généralement à une abolition de postes. La moyenne sur l’échelle est de 1,60 et la médiane est de 1. Ainsi, que les participants croient ou non en l’implication des employés dans l’amélioration d’une organisation, ils ne craignent pas l’abolition de postes lors de la mise en oeuvre d’une amélioration.
Les participants ayant déclaré être en accord avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés ont déclaré, en moyenne, être en désaccord avec l’affirmation selon laquelle l’amélioration des processus d’une organisation implique que les employés travaillent plus fort. La moyenne sur l’échelle est de 2,74 et la médiane est de 3. De la même manière, les participants ayant déclaré être neutres ou en désaccord avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés ont déclaré, en moyenne, être en désaccord avec l’affirmation selon laquelle l’amélioration des processus d’une organisation implique que les employés travaillent plus fort. La moyenne sur l’échelle est de 1,85 et la médiane est de 2. Ainsi, nous pouvons suggérer l’idée selon laquelle le fait de donner ou non un rôle aux employés dans la mise en oeuvre d’une amélioration ne sous-tend pas que ces derniers devront travailler plus fort pour réaliser cette amélioration.
Enfin, les participants ayant déclaré être en accord avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés ont déclaré, en moyenne, être en désaccord avec le fait que l’amélioration d’une organisation implique une utilisation abusive des ressources au profit de ladite organisation. La moyenne sur l’échelle est de 1,66 et la médiane est de 1. De la même manière, les participants ayant déclaré être neutres ou en désaccord avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés ont déclaré, en moyenne, être en désaccord avec le fait que l’amélioration d’une organisation implique une utilisation abusive des ressources au profit de ladite organisation. La moyenne sur l’échelle est de 0,90 et la médiane est de 1. Nous observons donc que le fait de donner ou non un rôle aux employés dans la mise en oeuvre d’une amélioration n’entretient pas de lien avec la perception des participants quant à une surutilisation des ressources.
Les perceptions de la situation actuelle de l’institution d’attache
Cette sous-section (Q5 à Q9) des résultats aborde les perceptions des participants vis-à-vis de la situation actuelle de leur institution d’attache. À cet égard, nous avons tenté de mieux comprendre leur perception générale quant aux possibilités d’amélioration des bibliothèques en mettant en relation celle-ci avec différentes variables telles que le type de l’institution d’attache des participants, leur rôle dans l’institution, ainsi que l’efficience et l’éventuelle nécessité de recourir à des ressources externes pour atteindre lesdites améliorations.
Les participants se sont majoritairement déclarés (81 %) en accord avec le fait que les bibliothèques peuvent faire l’objet d’améliorations, et ce, dans des proportions similaires selon que les participants assument un rôle de direction ou de supervision (85 %), ou un rôle d’employé (76 %). De la même manière, ces proportions ne varient pas selon le type de l’institution d’attache des participants, à l’exception de ceux étant rattachés à une bibliothèque en milieu institutionnel, ces derniers s’étant déclarés en accord dans une proportion légèrement moindre que les participants rattachés à d’autres types d’institution.
Par ailleurs, si les résultats convergent vers un accord majoritaire envers les possibilités d’amélioration des bibliothèques, force est de constater que les participants croient que ces améliorations ne sauraient être réalisées de façon efficiente, c’est-à-dire en rendant les services promis en optimisant les ressources, ou, dit autrement, en faisant plus avec moins. En effet, les participants ayant déclaré être fortement en accord[8] avec le fait que l’organisation pour laquelle ils travaillent pourrait améliorer certains de ses processus ou de ses activités ont déclaré être en désaccord avec le fait que l’organisation pour laquelle ils travaillent pourrait faire plus avec moins. La moyenne est de 2,89 et la médiane est de 3. De la même manière, les participants ayant déclaré être neutres ou en accord[9] avec le fait que l’organisation pour laquelle ils travaillent pourrait améliorer certains de ses processus ou de ses activités ont déclaré être en désaccord avec le fait que l’organisation pour laquelle ils travaillent pourrait faire plus avec moins. La moyenne est de 1,91 et la médiane est de 2. Enfin, les participants ayant déclaré être en désaccord[10] avec le fait que l’organisation pour laquelle ils travaillent pourrait améliorer certains de ses processus ou de ses activités ont déclaré être en désaccord avec le fait que l’organisation pour laquelle ils travaillent pourrait faire plus avec moins. La moyenne est de 2,27 et la médiane est de 2. Peu importe si les participants estiment possible l’amélioration de leur organisation, nous pouvons ainsi conclure que les participants croient que cette éventuelle amélioration ne saurait être réalisée sur le plan de l’efficience, c’est-à-dire en faisant plus avec moins.
Enfin, les résultats montrent que les participants à l’enquête sont en accord avec le fait que leur organisation nécessiterait le recours à une aide externe pour améliorer leur organisation. Il semble d’ailleurs que le besoin de recourir à une aide externe soit légèrement plus présent dès lors qu’il s’agit d’améliorer l’efficience (65 %) plutôt que l’efficacité (59 %).
Le changement
Nous avons également étudié les perceptions des participants vis-à-vis du concept de changement et de ses éventuels impacts (Q10 à Q14). À cet égard, nous avons analysé la relation entre la perception des participants face aux impacts engendrés par le changement et leur ouverture au changement, entre la perception des participants quant à leur apport possible dans un processus de changement et leur désir d’y prendre part, et enfin entre l’ouverture au changement des participants et leur perception quant à la possibilité d’améliorer leur propre travail.
Nous avons observé que plus une personne se déclare ouverte au changement, plus celle-ci croit que le changement dans une organisation peut mener à des améliorations. En effet, les participants ayant déclaré être fortement en accord avec le fait qu’ils se considèrent comme des personnes ouvertes au changement ont déclaré être neutres ou en accord avec le fait que le changement dans une organisation mène généralement à des améliorations. La moyenne est de 4,70 et la médiane est de 5. De la même manière, les participants ayant déclaré être neutres ou en accord avec le fait qu’ils se considèrent comme des personnes ouvertes au changement ont déclaré être neutres ou en accord avec le fait que le changement dans une organisation mène généralement à des améliorations. La moyenne est de 4,02 et la médiane est de 4. Enfin, les participants ayant déclaré être en désaccord avec le fait qu’ils se considèrent comme des personnes ouvertes au changement ont déclaré être en désaccord avec le fait que le changement dans une organisation mène généralement à des améliorations. La moyenne est de 2,57 et la médiane est de 2. Il y a donc corrélation significative entre l’ouverture au changement et une perception positive des impacts reliés au changement.
Nous avons également remarqué une corrélation positive entre le fait qu’un participant estime pouvoir contribuer au changement de son organisation et son désir d’y prendre part. En effet, les participants ayant déclaré être fortement en accord avec le fait qu’ils peuvent apporter beaucoup à leur organisation si on leur demande de participer à un projet de changement ont déclaré être fortement en accord avec le fait qu’ils aimeraient participer activement à des projets d’amélioration au sein de leur organisation. La moyenne est de 6,23 et la médiane est de 6. De la même manière, les participants ayant déclaré être neutres ou en accord avec le fait qu’ils peuvent apporter beaucoup à leur organisation si on leur demande de participer à un projet de changement ont déclaré être neutres ou en accord avec le fait qu’ils aimeraient participer activement à des projets d’amélioration au sein de leur organisation. La moyenne est de 4,70 et la médiane est de 5. Enfin, les participants ayant déclaré être en désaccord avec le fait qu’ils peuvent apporter beaucoup à leur organisation si on leur demande de participer à un projet de changement ont déclaré être en désaccord avec le fait qu’ils aimeraient participer activement à des projets d’amélioration au sein de leur organisation. La moyenne est de 2,80 et la médiane est de 3. Ainsi, plus un participant estime pouvoir contribuer au changement de son organisation, plus son désir d’y prendre part est fort.
Par ailleurs, nous avons remarqué qu’il ne semblait pas y avoir de lien entre l’ouverture au changement des participants et leur perception quant à la possibilité d’améliorer leur propre travail. En effet, les participants ayant déclaré être fortement en accord avec le fait qu’ils se considèrent comme des personnes ouvertes au changement ont déclaré être neutres ou en accord avec le fait que leur travail pourrait être amélioré. La moyenne est de 5,32 et la médiane est de 5,5. De la même manière, les participants ayant déclaré être neutres ou en accord avec le fait qu’ils se considèrent comme des personnes ouvertes au changement ont déclaré être neutres ou en accord avec le fait que leur travail pourrait être amélioré. La moyenne est de 4,25 et la médiane est de 4. Enfin, les participants ayant déclaré être en désaccord avec le fait qu’ils se considèrent comme des personnes ouvertes au changement ont déclaré être neutres ou en accord avec le fait que leur travail pourrait être amélioré. La moyenne est de 4,42 et la médiane est de 4. Nous pouvons donc observer que l’ouverture au changement ne semble pas liée à la perception des participants quant à la possibilité d’améliorer leur propre travail.
Les processus identifiés comme pouvant être améliorés
Cette sous-section vise à présenter les perceptions des participants à l’égard des processus qu’ils identifient comme pouvant bénéficier d’une amélioration au sein de leur bibliothèque d’attache (Q15 à Q19).
Les processus ou les activités ayant été le plus souvent identifiés comme pouvant bénéficier d’une amélioration sont, des plus fréquemment identifiés aux moins fréquemment identifiés : 1) les processus et les activités ayant un lien avec le taux de fréquentation de l’institution, par exemple les activités de médiation (en moyenne 5,38 sur l’échelle) ; 2) les services en ligne, par exemple le catalogue en ligne ou l’outil de recherche et de réservation (en moyenne 5,36 sur l’échelle) ; 3) le service à la clientèle, par exemple l’aide à la recherche, le conseil de lecture ou la formation (en moyenne 4,83 sur l’échelle) ; 4) le développement des collections, c’est-à-dire l’acquisition de documents de tout type et la gestion des documents existants (en moyenne 4,54 sur l’échelle), et enfin ; 5) le traitement documentaire, par exemple les processus nécessaires à la mise en rayon des nouveaux documents et des documents retournés par les usagers (en moyenne 4,43 sur l’échelle). Ainsi, il apparaît que les participants estiment que les processus ou les activités mentionnés bénéficieraient d’une amélioration, mais à des degrés différents.
Les connaissances et les expériences à l’égard des approches d’amélioration continue
Cette sous-section des résultats présente un portrait des connaissances et des expériences des participants à l’enquête en matière d’approches d’amélioration continue (Q20 à Q31). Aussi, nous avons produit des analyses afin de mettre en relation le niveau de connaissance et d’expérience des participants avec leurs perceptions quant aux impacts que ces approches d’amélioration continue peuvent engendrer.
Les questions relatives aux connaissances et aux expériences des participants en matière d’approches d’amélioration continue ont été élaborées par gradation. Ainsi, en matière de connaissance des approches, la gradation et les résultats qui l’accompagnent se sont traduits comme suit : connaître au moins une approche (40 %) ; connaître les objectifs d’au moins une approche (41 %) ; connaître les outils et les processus d’au moins une approche (30 %) ; savoir comment mettre en application au moins une approche (21 %) ; avoir participé à une formation traitant d’une de ces approches (15 %). De la même manière, mais cette fois en matière d’expérience, la gradation s’est traduite comme suit : avoir travaillé pour une organisation qui a mis en application une approche d’amélioration continue (22 %) ; avoir participé à une de ces approches (17 %) ; avoir été amené au moins une fois à coordonner ou à diriger une de ces approches (8 %).
Nous avons observé que plus un participant déclare un niveau d’expérience élevé en matière d’approches d’amélioration continue, plus ce participant estime que ces approches peuvent mener à de véritables améliorations. Le pourcentage des participants estimant que les approches d’amélioration continue peuvent mener à de véritables améliorations est présenté ici à l’aide de la gradation liée au niveau d’expérience des participants en la matière. Nous pouvons en effet constater une corrélation positive : avoir travaillé pour une organisation qui a mis en application une approche d’amélioration continue (54 %) ; avoir participé à une de ces approches (68 %) ; avoir été amené au moins une fois à coordonner ou à diriger une de ces approches (89 %). Aussi, nous avons observé que les participants ayant reçu une formation sur au moins une approche d’amélioration continue estiment, à raison de 68 %, que ces approches peuvent mener à de véritables améliorations.
Les impacts des approches d’amélioration continue
Nous abordons ici les résultats de l’enquête qui traitent des impacts des approches d’amélioration continue tels que perçus par les participants (Q32 à Q48). Nous présentons les résultats obtenus dans trois sous-sections : une première regroupant les résultats généraux, une seconde mettant en relation ces résultats généraux avec d’autres perceptions des participants, enfin une troisième sous-section mettant en relation les résultats généraux avec les rôles des participants dans leur organisation.
Sept questions ont été posées sur le sujet aux participants. Ceux-ci se sont déclarés majoritairement en accord avec le fait que le succès d’une approche d’amélioration continue réside dans une bonne communication entre les équipes (5,62 sur l’échelle) ainsi que dans l’investissement de plusieurs heures de travail (4,14 sur l’échelle). Les participants se sont déclarés plutôt neutres quant à la possibilité que les approches d’amélioration continue permettent de réaliser des économies financières (3,90 sur l’échelle) ou d’effectuer des tâches avec moins de ressources (3,72 sur l’échelle). Ils se sont également déclarés plutôt neutres quant à la possibilité que ces approches puissent mener à une abolition de postes (3,34 sur l’échelle). Enfin, les participants se sont déclarés plutôt en désaccord avec le fait que l’implantation de ces approches puisse nécessiter plus de travail de la part des employés (2,87 sur l’échelle) de même qu’avec celui qu’elle puisse impliquer une surutilisation des ressources au profit de l’organisation (2,55 sur l’échelle).
Nous avons mis en relation les perceptions des participants quant aux impacts engendrés par l’amélioration d’une organisation avec leurs perceptions quant à une éventuelle abolition de postes liée à ces changements. Nous avons fait de même, plus précisément, avec les perceptions des participants quant aux impacts engendrés par l’implantation d’approches d’amélioration continue. Les résultats démontrent que les perceptions des participants sont plus défavorables quant aux impacts que peuvent engendrer les approches d’amélioration continue qu’envers les impacts que peut engendrer l’amélioration stricto sensu d’une organisation. En effet, plusieurs participants (39 %) s’étant déclarés en désaccord avec le fait que l’amélioration d’une organisation mène généralement à une abolition de postes se sont déclarés en accord avec le fait que l’implantation d’une approche d’amélioration continue peut mener à une abolition de postes.
De la même manière, nous avons mis en relation les perceptions des participants quant aux impacts engendrés par l’amélioration d’une organisation avec leurs perceptions quant au fait que les employés doivent travailler plus fort, ce qui peut éventuellement mener à une surutilisation des ressources. Nous avons fait de même, plus précisément, avec les perceptions des participants quant aux impacts que peut engendrer l’implantation d’approches d’amélioration continue. Ici également, les perceptions des participants se sont avérées un peu plus défavorables envers les approches d’amélioration continue. Par exemple, parmi les 41 participants s’étant déclarés plutôt en désaccord avec le fait qu’améliorer les processus d’une organisation implique que les employés doivent travailler plus fort, huit d’entre eux (soit 20 %) se sont déclarés en accord avec le fait que les approches d’amélioration continue impliquent que les employés doivent travailler plus fort.
Le rôle assumé par un individu dans son organisation ne semble pas relié de manière importante aux impacts perçus des approches d’amélioration continue. En effet, les écarts de perceptions entre les participants assumant un rôle de direction ou de supervision et ceux assumant un rôle d’employé sont faibles : une proportion un peu plus élevée d’employés estiment que les approches d’amélioration continue impliquent la réalisation de tâches avec moins de ressources et un investissement de nombreuses heures de travail pour plusieurs individus alors qu’une proportion un peu plus élevée de directeurs ou de superviseurs estiment que les employés doivent travailler plus fort et que ces approches peuvent mener à une abolition de postes ainsi qu’à une surutilisation des ressources.
L’âge des participants semble toutefois influer leurs perceptions au regard des impacts éventuels des approches d’amélioration continue. En effet, plus les participants font partie d’un groupe d’âge supérieur, plus ils sont en accord avec le fait que ces approches permettent de réaliser des économies financières et d’effectuer des tâches avec moins de ressources ainsi qu’avec le fait qu’elles nécessitent un investissement de nombreuses heures de travail pour plusieurs individus.
Enfin, le dernier diplôme obtenu par les participants fait varier leurs perceptions de deux manières. D’abord, plus un participant possède un diplôme élevé, plus il estime que les approches d’amélioration continue permettent d’effectuer des tâches avec moins de ressources. Ensuite, nous observons une distribution statistique en U des réponses des participants : les participants ayant déclaré posséder un diplôme moins élevé ainsi que ceux ayant déclaré posséder un diplôme élevé se sont déclarés en accord avec le fait que les approches d’amélioration continue permettent de réaliser des économies financières et qu’elles nécessitent un investissement de nombreuses heures de travail pour plusieurs individus, alors que les participants ayant déclaré détenir un diplôme médian se sont déclarés plutôt en désaccord. Nous observons également un résultat similaire concernant l’impact de ces approches sur l’abolition de postes.
Autres analyses
Cette dernière sous-section des résultats expose des analyses croisant des perceptions relatives à des sujets proches, complémentaires ou parallèles.
Alors que les participants ont déclaré en moyenne être neutres ou en accord avec le fait que l’organisation pour laquelle ils travaillent nécessite une aide concrète pour améliorer son efficacité (4,05) et son efficience (4,17), ils ont déclaré majoritairement être en désaccord avec le fait que les individus au sein de leur organisation possèdent les connaissances (2,69) et les compétences (3,14) nécessaires à l’implantation d’une approche d’amélioration continue.
Aussi, de façon générale, les participants ont déclaré être neutres ou en accord (4,80) avec le fait que les bibliothèques peuvent améliorer certains de leurs services, et ils considèrent que les bibliothèques, comme d’autres organisations, peuvent mettre en place des approches d’amélioration continue (5,17).
De la même manière, alors que les participants ont déclaré être neutres ou en accord (4,79) avec le fait que les améliorations les plus efficaces sont le plus souvent proposées par les employés, ils ont déclaré être faiblement (2,57) sollicités par leur organisation pour proposer des idées d’amélioration.
Enfin, les participants ont déclaré être en accord (5,50) avec le fait qu’ils pourraient apporter beaucoup à leur organisation si on leur demandait de participer à un projet de changement, bien qu’ils aient déclaré être faiblement (2,57) sollicités par leur organisation pour proposer des idées d’amélioration.
Discussion
L’amélioration continue, qui a notamment été adaptée aux organisations de services, semble être une approche qui s’accorde tout à fait au milieu des bibliothèques. Plus précisément, l’approche Lean place au coeur de sa philosophie l’usager : les activités de l’organisation qui n’ont pas de valeur du point de vue de l’usager doivent être réduites au minimum, voire éliminées. L’objectif est d’enrayer les gaspillages tout en visant à satisfaire au mieux les attentes de l’usager. L’usager est au coeur des préoccupations des bibliothèques : de nombreux auteurs l’attestent. Weingand rappelle à cet égard le changement qui s’est opéré dans ce secteur, lequel a évolué d’un paradigme où « la bibliothèque est vue comme un édifice, un lieu où les usagers doivent venir afin de pouvoir accéder aux services de la bibliothèque » à un paradigme où la bibliothèque constitue « une organisation qui se concentre sur les besoins de ses usagers » (2002, 9). Qui plus est, Weingand (2002) associe l’efficacité d’une bibliothèque à sa capacité à répondre aux besoins de ses usagers. De la même manière, et cela en adéquation avec les principes de l’approche Lean, Gupta et Jambhekar rappellent qu’« on jugeait [auparavant] de la qualité d’une bibliothèque d’après la grosseur de sa collection de journaux, de livres et autres documents. De telles normes ne peuvent aujourd’hui plus gager de la qualité, parce que celle-ci est déterminée par l’usager et par sa satisfaction » (2002, 206). Il appert que cette philosophie, où l’usager final est placé au coeur des stratégies de l’organisation, est désignée dans le milieu des bibliothèques sous le libellé outcome measurement. Cette stratégie consiste en une « approche centrée sur l’usager qui vise la planification et l’évaluation des programmes ou services qui sont offerts aux usagers, et ce, dans l’objectif de les modifier en fonction de ceux-ci » (Rubin 2006, 3).
Si l’arrimage entre l’approche Lean, ou d’une façon plus générale l’amélioration continue, et le milieu des bibliothèques semble prometteur et naturel (naturel à partir du moment où on place effectivement l’usager au coeur des préoccupations de l’organisation), il demeure que les attitudes et les perceptions des professionnels de ce milieu à l’égard des approches d’amélioration continue ne sont pas tout à fait positives. En effet, nos résultats indiquent une ouverture positive face à l’amélioration per se de l’organisation, mais une attitude relativement plus réservée face aux approches d’amélioration continue. Ces réserves semblent notamment prendre leur source dans l’anticipation de nombreuses heures de travail à investir. Cet état de fait ressort bien de nos résultats, tout comme d’autres chercheurs l’ont observé dans d’autres secteurs, notamment dans le domaine de la santé (Davila et al. 2013).
D’égale importance, nos résultats indiquent que les participants se déclarent en accord avec la possibilité que leur organisation puisse améliorer leur efficacité, mais ils doutent que cette amélioration puisse être réalisée en faisant plus avec moins. Ils se positionnent ainsi de manière prudente, voire négative, face à l’amélioration de l’efficience de leur organisation. Cette attitude différenciée envers l’efficacité et l’efficience a probablement quelque chose à voir avec la culture organisationnelle dans le milieu des bibliothèques. En effet, Vanduinkerken et Mosley ont souligné que « les organisations, peu importe leur taille, ont une culture » (2011, 30), laquelle est définie comme un système de croyances partagées qu’un groupe intègre dans les processus de résolution de problèmes à la suite de l’obtention de résultats positifs (Vanduinkerken & Mosley 2011). Nous n’avons toutefois pas de données nous permettant d’analyser la relation entre la culture organisationnelle des bibliothèques et l’attitude des professionnels de ce milieu envers l’efficacité et l’efficience.
Par ailleurs, une majorité de participants se sont déclarés ouverts au changement, mais cette ouverture semble moins grande lorsqu’il s’agit d’éventuels changements ou d’éventuelles améliorations qui pourraient affecter le travail effectué par les participants eux-mêmes. Cet état de fait constitue un résultat important en ce que la peur du changement, la résistance à celui-ci et une attitude négative ou réservée envers le changement ont été identifiées par de nombreux auteurs comme faisant partie des principaux obstacles à l’amélioration d’une organisation (Balagué 2002 ; Dubouloz 2013). Dubouloz note à cet égard que « la résistance au changement semble nettement liée au manque de temps, notamment au manque de temps “management” » (2013, 139). Qui plus est, le changement serait vu différemment selon qu’il s’agit de dirigeants ou d’employés ; les premiers le considéreraient notamment comme une occasion de renforcer l’organisation, alors que les seconds, incluant les cadres intermédiaires, le verraient plutôt comme intrusif et perturbateur (Vanduinkerken & Mosley 2011).
Le changement ne constitue toutefois pas la seule barrière à l’amélioration ou à l’innovation organisationnelle. En effet, le manque de qualifications du personnel demeure un facteur important (Dubouloz 2013). À cet égard, nos résultats témoignent d’un niveau de connaissance et d’expérience relativement faible chez les participants à l’étude. Nous avons d’ailleurs remarqué que plus un participant déclarait un haut niveau d’expérience et de connaissance des approches d’amélioration continue, plus il estimait que ces approches pouvaient mener à de véritables améliorations. Dubouloz observe à ce sujet que « [l]e manque de qualifications, de connaissances et d’expertise sur le Lean a pour effet de retarder la prise de décision et de rendre la mise en usage plus difficile ou obligatoirement assistée, ce qui représente alors un coût » (2013, 135). Cette observation semble en adéquation avec les déclarations des participants selon lesquelles ils estiment que le recours à des ressources externes serait nécessaire en vue d’un éventuel déploiement d’une approche d’amélioration continue au sein de leur organisation. Par ailleurs, Bouthillier (2002) note que le nombre d’écoles de bibliothéconomie qui offraient des cours de gestion de la qualité ne représentait, en 2001, que 18 % de toutes les écoles aux États-Unis et au Canada, et ce, alors que les participants à ses recherches leur accordaient une importance relativement grande.
Les participants à l’étude ont estimé majoritairement que le déploiement d’une approche d’amélioration continue nécessiterait de nombreuses heures de travail pour plusieurs individus dans l’organisation. Ces résultats sont intéressants en ce qu’ils font écho à ce qui a été identifié comme le second obstacle (le premier étant la résistance au changement) à l’amélioration d’une organisation, nommément le manque de temps. Dubouloz précise à cet effet que le « manque de temps a été ressenti plus fortement par les entreprises qui ont abandonné l’usage du Lean. Le fait d’en bénéficier, à l’inverse, a été relevé comme un déterminant de la pérennisation du Lean » (2013, 134).
Enfin, si nous avons pu observer que le rôle des participants dans leur organisation (employé versus dirigeant) ne faisait que peu varier les résultats, il s’est avéré que l’âge de ceux-ci constituait une variable influençant leurs attitudes et leurs perceptions à l’égard des approches d’amélioration continue. En effet, plus les participants faisaient partie d’un groupe d’âge supérieur, plus ils se sont déclarés en accord avec le fait que ces approches permettent de réaliser des économies financières et d’effectuer des tâches avec moins de ressources ainsi qu’avec le fait qu’elles nécessitent un investissement de nombreuses heures de travail pour plusieurs individus. Cela pourrait toutefois s’expliquer par le fait que plus un individu est âgé, plus il y a de possibilités qu’il assume un poste de gestion et qu’il ait accumulé des connaissances et de l’expérience en matière d’approches d’amélioration continue. Dubouloz souligne par ailleurs, au regard de l’âge des individus, que « la résistance au changement […] toucherait plus largement, mais non uniquement, les salariés qui ont une ancienneté plus élevée » (2013, 130).
Conclusion
L’objectif de cet article était de mieux comprendre les attitudes et les perceptions des professionnels du milieu des bibliothèques du Québec à l’égard des approches d’amélioration continue. Cet objectif fait écho à l’objectif plus général d’adapter l’approche Lean (une des approches d’amélioration continue ayant fait l’objet d’efforts d’harmonisation aux organisations de services) aux contextes du milieu des bibliothèques québécoises.
Si l’amélioration continue, et plus spécifiquement l’approche Lean, abonde vers des visées qui sont en adéquation avec celles des bibliothèques québécoises, celles-ci plaçant l’usager final au coeur de leurs préoccupations, force est d’admettre, à la lumière des résultats de cette recherche, que les attitudes et les perceptions des professionnels de ce milieu demeurent prudentes, voire relativement négatives. La culture organisationnelle pourrait participer à cette réserve, de même que la méconnaissance des approches d’amélioration continue. Il serait d’ailleurs fort avisé, pour toute bibliothèque envisageant l’intégration d’une approche d’amélioration continue, de prévoir une formation approfondie du personnel et de la direction en la matière.
L’ouverture au changement des professionnels oeuvrant dans le milieu des bibliothèques québécoises, telle qu’analysée dans le cadre de cette recherche, s’avère positive de façon générale, mais prudente dès lors qu’il s’agit d’un changement affectant le travail des participants eux-mêmes. Compte tenu de toute l’importance que revêt l’ouverture au changement dans les processus d’amélioration continue, cette attitude différenciée nécessiterait qu’on enquête de façon plus approfondie sur l’ouverture au changement, notamment par la réalisation d’entretiens individuels.
Enfin, ces résultats jettent un éclairage utile sur les perceptions et les attitudes des professionnels du milieu des bibliothèques québécoises face aux approches d’amélioration continue. Ces différents constats pourraient être enrichis par l’étude approfondie de l’intégration d’une approche d’amélioration continue au sein d’une bibliothèque québécoise.
Appendices
Notes biographiques
Stéphane Labbé est spécialisé dans l’industrie du livre. Il s’intéresse aux bibliothèques et à leurs usagers, à l’environnement numérique, à la géographie de la consommation et de la production culturelle, à la méthodologie et aux approches d’amélioration continue. Il est membre du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture.
Pascal Forget est spécialisé dans la productivité des organisations de services (privés et publiques). Ses intérêts de recherche portent sur les approches de gestion de la performance, dont les approches d’amélioration continue, les tableaux de bord de gestion, les technologies de l’information, la collaboration interorganisations, la simulation avancée et la recherche opérationnelle. Il est le fondateur et codirecteur du Laboratoire d’efficacité et d’efficience en éducation et en culture (avec Alain Huot).
Jason Luckerhoff est spécialisé dans l’étude des publics et des non-publics ainsi que dans la gestion des institutions culturelles. Il est cofondateur et codirecteur du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (avec Hervé Guay), de la revue Approches inductives (avec François Guillemette), de la collection « Culture et publics » aux Presses de l’Université du Québec (avec Anik Meunier) ainsi que codirecteur de l’Observatoire de la pédagogie en enseignement supérieur (avec François Guillemette et Marie-Eve Caty).
Notes
-
[1]
L’UNESCO définit une bibliothèque publique comme un « centre local d’information qui met facilement à la disposition de ses usagers les connaissances et les informations de toute sorte [et dont les missions sont] relatives à l’information, l’alphabétisation, l’éducation et la culture » (2016).
-
[2]
Le lecteur pourra obtenir copie du questionnaire en contactant les auteurs directement.
-
[3]
Comprend les bibliothèques publiques autonomes (BPA) à plus d’une succursale, les BPA à une seule succursale, les bibliothèques publiques affiliées et les centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP).
-
[4]
Comprend les bibliothèques relevant d’une institution publique ou privée (hôpitaux, musées, etc.) Les bibliothèques institutionnelles ne sont ni des bibliothèques publiques ni des bibliothèques scolaires.
-
[5]
Comprend toutes les bibliothèques oeuvrant dans le milieu scolaire (primaire, secondaire, collégial et universitaire).
-
[6]
Niveaux de réponse 4, 5, 6 et 7 sur l’échelle de Likert.
-
[7]
Niveaux de réponse -1, 0, 1, 2 et 3 sur l’échelle de Likert.
-
[8]
Niveaux 6 et 7 sur l’échelle de Likert.
-
[9]
Niveaux 4 et 5 sur l’échelle de Likert.
-
[10]
Niveaux 3 et inférieurs sur l’échelle de Likert.
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