Abstracts
Résumé
Alors qu’elles constituent la plus grande part de la production cartographique depuis le milieu du XIXe siècle, les séries de cartes ont été fortement délaissées par la bibliothéconomie pendant plusieurs décennies, car les outils informatiques disponibles jusqu’à une période récente ne correspondaient pas aux attentes des cartothécaires. Ce contexte est en train de changer. Le catalogage des séries cartographiques ne va cependant pas de soi dans la mesure où la description de la totalité des feuilles d’une série n’est pas suffisante pour décrire la série elle-même. Sans prétendre épuiser le sujet, cet article propose quelques éléments de définition.
Abstract
While they represent a large portion of the cartographic production since the mid-nineteenth century, cartographic series have been largely neglected by library science for several decades because, until recently, the computerised tools available to librarians have not met their expectations. This situation is changing. The cataloguing of cartographic series is not a simple task insofar as the description of the totality of the leaves in a series does not completely describe the series itself. This article does not intend to be an exhaustive examination of the issue but proposes several helpful definitions.
Resumen
A pesar de que las series cartográficas constituyen la mayor parte de la producción cartográfica desde mediados del siglo XIX, la biblioteconomía dejó de utilizarlas durante numerosas décadas, debido a que las herramientas informáticas disponibles hasta hace muy poco no cumplían con las expectativas de los bibliotecarios. Este contexto se encuentra actualmente en un proceso de cambio. Sin embargo, la catalogación de las series cartográficas no se lleva a cabo de manera lógica, en la medida en que la descripción de todas las hojas de una misma serie no alcanza para describir la serie completa. Sin pretensiones de exhaustividad, este artículo propone algunos elementos que permiten su definición.
Article body
Introduction
Depuis le milieu du XIXe siècle, la plus grande part de la production cartographique est organisée en séries. Il s’agit d’une production de masse réalisée à la faveur des progrès de l’imprimerie et d’une demande croissante de précision de la part des commanditaires civils et militaires. Ces documents sont cependant les parents pauvres des cartothèques. Alors qu’ils constituent la plus forte part des collections, leur signalement est souvent défectueux, car les outils informatiques disponibles jusqu’alors ne correspondaient pas aux attentes des cartothécaires et des lecteurs. Ce contexte est en train de changer; les progrès technologiques récents permettent maintenant de construire des bases de données qui rendent compte de ces documents de manière satisfaisante. Mais les séries cartographiques constituent un type particulier de documents dont les contours restent à préciser.
La documentation cartographique imprimée se partage entre deux catégories principales : les monographies et les séries. Une monographie est une carte en une seule feuille; de manière générale, elle figure la zone géographique désignée par son titre. Elle peut être à n’importe quelle échelle; on trouve à la fois des cartes de France et des plans de Paris qui correspondent à cette définition. Une série cartographique est une carte dont le rapport entre l’échelle de réduction, l’étendue du territoire représenté et le format du papier disponible impose son découpage en plusieurs feuilles. Les séries peuvent être à des échelles très différentes : depuis un plan cadastral à l’échelle 1:500 jusqu’à une carte du monde au 10 millionième.
Ainsi, la principale différence entre ces deux catégories est leur présentation matérielle : les monographies sont constituées d’un seul document chacune, les séries de plusieurs. Cette catégorie n’a pas d’équivalent dans le monde des bibliothèques : la plus proche dans le domaine des livres est la collection. Cependant, l’organisation d’une série cartographique est bien plus complexe. Une collection d’ouvrages – ou une suite – regroupe des documents qui traitent de thèmes voisins et dont la publication s’échelonne dans le temps. De manière générale, ces ensembles se développent suivant une seule dimension, celle du temps; une simple liste permet d’en rendre compte. Pour leur part, les publications d’une série cartographique s’organisent à la fois dans les deux dimensions de l’espace planimétrique – elles pavent le plan – et aussi dans une dimension temporelle suivant deux déterminants. Le premier est le temps nécessaire à la réalisation – relevé, cartographie, édition – de l’ensemble des feuilles de chaque série. Par exemple, la publication de la carte topographique de la France à l’échelle 1:80 000 en 274 feuilles s’est étalée sur un demi-siècle. La seconde incidence sur l’axe temporel est déterminée par les modifications apportées aux espaces représentés – on crée de nouvelles routes, les villes s’étendent, l’occupation des sols change… Ces transformations donnent lieu à des révisions de chaque feuille et à de nouvelles éditions suivant un rythme déterminé par les besoins des utilisateurs, l’importance des transformations et les moyens dont l’éditeur dispose pour en rendre compte. Ainsi, alors que l’ensemble du territoire français n’était pas encore totalement couvert par la série citée plus haut, on comptait déjà six versions différentes pour la feuille qui représente Paris[1].
Suivant la norme AFNOR n° Z 44-067, une série cartographique est un « [d]ocument cartographique comportant un nombre déterminé de feuilles ou de coupures et dont la publication est envisagée comme un tout. » (Catalogage des documents cartographiques 1991, 62)[2] Cette définition a le mérite d’être simple et assez générale pour correspondre à des documents très différents. Ainsi, on peut mobiliser la notion de série cartographique pour décrire à la fois une carte politique du monde en deux feuilles publiées simultanément, la carte topographique détaillée d’un pays en plusieurs milliers de feuilles publiées au cours d’une longue période ou encore le plan cadastral d’une ville. Malgré cette diversité apparente des objets susceptibles de correspondre à une série cartographique, la définition proposée par la norme se révèle insuffisante face à la réalité de la production d’une part et de l’organisation des collections d’autre part. Ainsi les cartothécaires rencontrent-ils de multiples difficultés pour définir les périmètres – géographique, temporel et juridique – des séries dont ils conservent des feuilles.
La situation est d’autant plus difficile que les bases de données exploitées par les bibliothèques sont généralement organisées pour enregistrer des monographies. À ce titre, elles ne permettent pas facilement de regrouper les unités de catalogage en ensembles de niveau supérieur[3]. Le plus souvent, les titres de séries cartographiques sont considérés comme des compléments aux descriptions des feuilles, mais ils ne sont l’objet d’aucun contrôle bibliographique, ni en amont à travers des listes de séries ni en aval à l’issue du catalogage des feuilles. Ainsi, chaque cartothécaire choisit ou compose le titre qui lui semble le plus pertinent en fonction des mentions portées sur les documents et de sa collection. Lorsque le catalogage d’une série est partagé entre plusieurs intervenants, ce mode de fonctionnement donne lieu à des disparités qui, de facto, annulent l’intérêt de cette pratique[4].
L’enjeu est cependant important dans la mesure où, depuis le milieu du XIXe siècle, avec la montée en puissance des administrations civiles et militaires et l’expansionnisme de plusieurs pays d’Europe, les séries sont devenues le principal mode de représentation cartographique : 80 % à 90 % des feuilles imprimées depuis 1850 ressortissent à des séries. Au-delà de cet aspect, la définition des séries cartographiques constitue aussi un enjeu en matière de gestion des bibliothèques et de partage de l’information. Les cartothécaires effectuent des regroupements ou des partages qui se révèlent d’autant plus difficiles à opérer que la collection à traiter est partielle. Ils doivent arbitrer entre deux possibilités : d’une part, le rassemblement, au sein d’un même groupe, de documents qui présentent parfois d’importantes différences et, d’autre part, l’éclatement des collections en de multiples sous-catégories. Entre ces deux extrêmes, la bonne voie n’est pas toujours facile à tracer.
La question de la définition des séries constitue aussi un enjeu pour le partage des informations. Tant que les critères de définition sont laissés à l’appréciation de chacun, tant que des listes contrôlées et normalisées ne sont pas disponibles, chaque établissement, chaque cartothécaire, procède au mieux en fonction de sa collection. Ce mode opératoire n’est évidemment pas favorable au partage des données. Ce n’est pas un hasard si dans la plus grande part des cartothèques, les catalogues des cartes en séries ne sont pas informatisés[5].
De manière générale, plus une série compte un nombre important de feuilles ou plus sa production s’est étalée sur une longue durée, plus elle présente d’exceptions ou de bizarreries. Par exemple, pour la carte de Bulgarie à l’échelle 1:200 000 la plus récente, ses 22 feuilles ont toutes été publiées pour la première fois en 1994 par le même éditeur, suivant la même facture, un mode de découpage unique et un seul principe de numérotation des feuilles[6]. À l’opposé, d’autres séries ont nécessité plusieurs décennies de travaux. Pendant d’aussi longues périodes, la conjoncture politique et les établissements producteurs sont susceptibles de changer, les titres propres de séries portés sur les feuilles peuvent évoluer ou encore le tracé des frontières être modifié.
La suite de cet exposé ne propose pas une nouvelle définition des séries cartographiques « par le haut », au contraire, elle rend compte de problèmes concrets rencontrés au cours d’une longue expérience de classement et de catalogage de cartes en séries[7]. Sur cette base, cet article envisage de détourer la notion de série cartographique. À partir de multiples exemples, il présente les difficultés que les cartothécaires sont susceptibles de rencontrer pour organiser leurs collections. Après une première partie consacrée à la formation historique des séries cartographiques, nous examinerons leur définition d’un point de vue géographique à travers deux thèmes : la diversité des modes de découpage du territoire entre les feuilles et le périmètre de chaque série. La dernière partie traite des mentions portées sur les documents et, en particulier, de la manière dont elles constituent des indicateurs de fiabilité variable pour organiser le classement des feuilles.
Les séries cartographiques, une catégorie récente
Les séries cartographiques trouvent leur origine dans une contrainte technique. Pour les imprimer, on découpe le champ de la représentation en unités compatibles avec le format du papier et la capacité des machines. Ce procédé trouve son origine dans les estampes. Par exemple, la vue à vol d’oiseau de Rome publiée par Antonio Tempesta (1664) à la fin du XVIe siècle compte douze planches de gravure. Les tirages doivent être assemblés pour composer l’ensemble du tableau dont la taille dépasse très largement celle du papier et des presses, soit 105 cm par 241 cm.
Cette technique est appliquée aux documents cartographiques lorsque leur format dépasse la taille du support. Les premiers exemples imprimés datent de la première moitié du XVIIe siècle. Cependant, à ce moment-là, les planches de tirage ne constituent pas des unités éditoriales indépendantes; elles ne comportent pas d’indications particulières : ni titre, ni mention de responsabilité, ni date. Ces informations sont placées sur une seule planche avec le titre général de la carte, le nom de l’auteur, etc. En ce sens, ces cartes ne constituent pas vraiment des séries cartographiques, ce sont plutôt des monographies dont le découpage en feuilles est d’abord déterminé par le format du papier disponible. Le fait que ces cartes n’étaient pas vendues en planches séparées témoigne de leur unité.
Ainsi, la première véritable série cartographique date de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il s’agit de la carte de France dressée et publiée par la famille Cassini à partir de 1749. Cette carte, à l’échelle 1:86 400, ne compte pas moins de 180 feuilles; elle se développe sur 125 mètres carrés environ. Compte tenu de son étendue, il est impensable d’en assembler la totalité des feuilles. Ainsi, chaque feuille ne constitue pas seulement une unité de fabrication, c’est aussi une unité éditoriale et une unité de négoce. En fonction de ses besoins et de ses moyens, on pouvait acquérir une seule feuille ou un groupe de feuilles correspondant à une région donnée, ou encore l’ensemble de la série. Les feuilles de la carte de Cassini présentent toutes les caractéristiques d’une série cartographique, elles sont découpées suivant une grille régulière, chacune porte un titre particulier, un numéro propre, une échelle graphique et une date.
À partir de 1760, les éditeurs de cette carte sont confrontés à une difficulté d’un nouveau genre. Il ne s’agit plus seulement de compléter le périmètre du royaume par la publication de nouvelles feuilles, mais aussi de tenir à jour les feuilles publiées antérieurement en prenant en compte les transformations de l’organisation territoriale (Pelletier 2013, 146). Ces mises à jour sont ponctuelles, elles portent seulement sur les feuilles dont l’organisation spatiale de la zone représentée a été suffisamment modifiée pour justifier une nouvelle édition. À partir de ce moment-là, chaque feuille devient une unité d’édition à part entière. Celles qui représentent les villes, les ports, etc., sont susceptibles de mises à jour plus fréquentes que celles qui figurent les régions de montagne encore peu habitées et exploitées. Ainsi, à la fois parce qu’il est matériellement impossible de produire toutes les feuilles d’une série simultanément et parce que chaque feuille constitue une unité de mise à jour, la série devient un ensemble dont l’assemblage – tel qu’il était pratiqué avec les monographies en feuilles – produirait un monstre temporellement aberrant. La juxtaposition des feuilles, en mettant vis-à-vis des états de périodes différentes, donnerait lieu à des discontinuités dans les tracés des nouvelles voies de communication – routes, canaux, etc. – ou encore dans les limites des zones urbanisées[8].
Par ailleurs, pour certaines séries, les mises à jour ne couvrent pas de manière systématique tous les domaines figurés par la carte. Par exemple, au début du XXe siècle, le Service géographique de l’Armée française (SGA) poursuit la publication de cartes dont le canevas géodésique – dressé au siècle précédent – laisse à désirer, mais qui, en l’absence de documents plus récents, sont toujours utiles. En attendant qu’elles soient remplacées par des cartes établies sur de nouvelles bases géodésiques, le SGA effectue régulièrement la mise à jour des tracés des lignes de chemin de fer sans intervenir sur les autres informations[9]. Cette méthode est assez économique, car elle ne nécessite pas de relevés complémentaires sur le terrain. Par contre, elle produit des figurations diachroniques : les voies ferrées sont tracées sur un fond topographique désuet et la date attribuée à la feuille, quelle qu’elle soit, n’est pas à même d’en rendre compte. Sur d’autres cartes, c’est la toponymie qui n’est pas à jour, elles portent alors une date particulière qui correspond à celle du relevé des toponymes[10].
Ainsi, le découpage d’un grand document en plusieurs feuilles constitue bien le premier acte de création d’une série cartographique, mais l’autonomie éditoriale de chaque feuille en constitue le second, tout aussi important. Sur cette base, nous distinguerons dans la suite de cet exposé les monographies en plusieurs feuilles et les séries.
Aspects géographiques
Les aspects géographiques d’une série cartographique sont synthétisés par un type particulier de document appelé « tableau d’assemblage ». Il s’agit d’un document graphique qui figure les positions relatives des différentes feuilles d’une carte organisée en série. Il peut être dressé sur un fond blanc ou bien sur un fond de carte à petite échelle qui indique des points de repère tels que les lignes de côte, les frontières ou encore les principales agglomérations. Un tableau d’assemblage peut être imprimé sur une feuille indépendante ou bien en marge de chaque feuille de la carte. Dans ce cas, il est parfois partiel et indique seulement les feuilles voisines de celle sur laquelle il est imprimé.
À l’origine, avec les monographies découpées en feuilles, le tableau d’assemblage était un guide de montage destiné au relieur, il disparaissait après usage. Les véritables tableaux d’assemblage sont apparus en même temps que les séries cartographiques et avec l’autonomie éditoriale de chaque feuille. Ils permettent d’évaluer la zone effectivement représentée par l’ensemble de la série et par chaque feuille dont ils indiquent aussi le titre ou le numéro. Sur cette base, ce sont des outils polyvalents. Pour les usagers, ils permettent d’effectuer le choix des feuilles qui les intéressent; pour les cartothécaires, ils constituent l’outil le plus efficace pour enregistrer des états de collection[11]; pour les établissements producteurs, ils permettent de gérer et d’organiser les travaux. Ainsi les rapports annuels et les catalogues des services de production cartographique du monde entier comptent-ils de nombreux tableaux d’assemblage qui indiquent l’avancement des opérations de géodésie, de relevé topographique, de cartographie et d’impression des feuilles pour chaque série.
Qu’ils soient imprimés ou manuscrits, les tableaux d’assemblage sont tout d’abord des documents faciles à utiliser et à produire. Sans formation particulière, la plupart des cartothécaires savent construire un tableau d’assemblage sur une feuille de papier quadrillé. Mais autant les versions papier de ces tableaux sont d’un usage aisé localement, autant ils sont difficiles à enregistrer dans une base de données informatisée.
Si les outils pour le faire n’étaient pas disponibles il y a 30 ans, ils le sont depuis une dizaine d’années[12]. Cette évolution récente du contexte n’a pas encore donné lieu à d’importantes transformations du métier de cartothécaire : cependant, comme en témoignent plusieurs expériences en cours (Arnaud 2014), les pratiques sont en train de changer.
Découpage du territoire
Le premier élément de diversité des séries est la manière dont elles partagent le territoire à représenter entre les feuilles de la carte. Les éditeurs disposent de plusieurs modes de découpage qui donnent lieu à des résultats et à des usages particuliers. Pour chaque série, ils choisissent celui qui correspond le mieux à leurs besoins.
En deçà du découpage proprement dit, les feuilles d’une série peuvent s’assembler bord à bord ou bien se superposer. Dans le premier cas, chaque portion de territoire est représentée une seule fois. Ce principe présente l’avantage d’éviter les confusions pour partager les informations. Par contre, il est nécessaire de consulter plusieurs feuilles simultanément pour disposer d’une vue d’ensemble des zones géographiques situées à proximité des bordures. Cette difficulté est levée lorsque les feuilles se superposent, mais, dans ce cas, elles sont plus nombreuses et leur tenue à jour est plus complexe dans la mesure où chaque région située dans un angle de feuille est figurée par quatre documents différents.
Au-delà de cette première distinction, les lignes qui séparent les feuilles peuvent suivre différents principes. Elles peuvent s’appuyer sur des limites topographiques, juridiques ou administratives, ou bien sur une grille régulière indépendante de l’organisation des lieux représentés. Le premier cas est plus rare. On le trouve principalement pour les plans cadastraux dont les limites entre les feuilles suivent des rues ou des routes de manière à délimiter des îlots. Suivant ce principe, les unités de propriété – objet principal du cadastre – ne sont jamais partagées entre plusieurs feuilles. À plus petite échelle, le découpage de la carte de France par départements suit aussi des limites administratives[13]. Il donne lieu à un tableau d’assemblage assez compliqué et à des feuilles dont le format varie du simple au double. Pour éviter ces inconvénients, les grilles régulières constituent le mode de découpage du territoire le plus utilisé pour les séries cartographiques.
Ce découpage peut aussi s’appuyer sur la notion plus labile de terroir ou d’ensemble territorial et donner lieu à des feuilles qui se superposent sans pour autant suivre une grille, comme c’est le cas avec la carte des îles britanniques à l’échelle 1:253 440.
La complexité des tableaux d’assemblage atteint son comble lorsque les feuilles, telles qu’elles sont prévues par le découpage initial du territoire à représenter, se révèlent trop grandes pour les presses disponibles. C’est le cas, par exemple, pour plusieurs cartes du Maroc et d’Indochine publiées entre 1900 et 1930 par les autorités coloniales françaises. Le cas de l’Indochine, et en particulier de sa couverture générale à l’échelle 1:400 000, est sans doute le plus édifiant. Pour cette carte, chaque feuille a été partagée entre deux unités d’impression – coupure est et coupure ouest – destinées à être assemblées par collage. Ainsi, chaque unité éditoriale correspond à deux unités d’impression. Suivant ce principe, les mentions qui se trouvent au milieu de la feuille sont partagées en deux et imprimées pour partie sur la coupure est, pour partie sur la coupure ouest. Par exemple, la mention de date se partage de la manière suivante : « Édition de » à l’ouest, « Juillet 1928 » à l’est. Par ailleurs, sur les marges de la série, les coupures qui devaient représenter la mer ou une région située en dehors du périmètre d’intérêt n’ont pas été produites. Pour les feuilles correspondantes, l’autre coupure a été imprimée comme une feuille entière de demi-format.
De nombreuses collections conservent des exemplaires qui n’ont jamais été assemblés et, dans certains cas, la multiplicité des éditions ne permet pas de restituer les couples originaux. Ainsi, plusieurs coupures ouest – qui ne portent pas de date – ont des références bibliographiques semblables alors qu’elles ont peut-être été publiées à des moments différents. Toujours pour la série d’Indochine, après dix ans de publication sous forme de feuilles en deux coupures, l’éditeur a décidé de faire correspondre les unités d’édition – les feuilles – avec les unités d’impression – les coupures. Grâce à cette transformation, chaque document devient une unité bibliographique à part entière, sa description en est fortement simplifiée. En tout état de cause, il n’est pas envisageable de rendre compte de l’organisation de cette série sans un tableau d’assemblage.
Cette diversité intéresse peu un catalogueur, qui s’en tient à la description des documents telle qu’elle est pratiquée dans de nombreux établissements. Cependant, les nouveaux outils de recherche par localisation géographique font appel à des tableaux d’assemblage géoréférencés dont la construction nécessite de repérer la zone géographique effectivement représentée par chaque unité de publication. Autrement dit, les cartothécaires des décennies à venir ne pourront plus négliger cet aspect.
Périmètre d’une série
Chaque monographie découpée en feuilles et chaque série sont caractérisées par le périmètre géographique qu’elles figurent. Ce périmètre est un élément important de sa description dans la mesure où il constitue un critère de recherche et de sélection pour les utilisateurs. Or, pour les séries, ce périmètre n’est pas toujours facile à définir. De manière générale, les monographies en plusieurs feuilles forment chacune un ensemble rectangulaire complet. L’assemblage des feuilles constitue un tableau qu’il est envisageable d’encadrer et d’exposer. À ce titre, les espaces correspondant aux zones géographiques non représentées et aux zones maritimes ne sont pas laissés en blanc; ils sont occupés par une information qui complète le document principal. Dans ces espaces, comme le montre l’exemple de la figure 4, les auteurs indiquent la référence du document, son titre, sa légende, son tableau d’assemblage, une dédicace, des détails cartographiques, des notes, des listes ou encore des tableaux statistiques.
Par ailleurs, les monographies en feuilles sont aussi caractérisées par la distribution des bordures d’encadrement. Le long des lignes d’assemblage, elles sont réduites à un simple trait de coupe. Le long des limites extérieures du tableau, elles sont souvent assez larges et enluminées d’écoinçons, de godrons, d’entrelacs, etc. Quelle que soit la richesse d’exécution de ces bordures, leur répartition indique clairement que ces feuilles ne sont pas composées pour constituer des unités autonomes. Ainsi, chaque monographie découpée en feuilles résulte d’un projet d’ensemble, dressé en amont, qui détermine le périmètre de la zone représentée et la distribution des informations dans le tableau.
Au contraire, le périmètre d’une série cartographique est plus ouvert. Dans la mesure où chaque feuille constitue une unité éditoriale à part entière, le périmètre de chaque série peut prendre n’importe quelle forme; il peut aussi varier dans le temps et connaître une diminution ou bien une augmentation de son nombre de feuilles[14]. Tous les cas de figure sont envisageables.
Pour chaque série, on trouve plusieurs tableaux d’assemblage qui indiquent souvent des périmètres différents. Ces tableaux peuvent être des documents de travail et, à ce titre, présenter des projets de publication plutôt que des réalisations effectives. Par ailleurs, pendant le temps nécessaire à la production des feuilles, le contexte politique ou militaire pouvait varier de manière assez forte pour donner lieu à la modification du projet de publication initial. Ces variations étaient d’autant plus importantes que les régions représentées ne correspondaient pas à celles du territoire national de l’éditeur – souvent militaire –, mais qu’elles étaient situées dans un pays étranger convoité. Par exemple, ce n’est pas un hasard si, à partir de 1915, l’armée anglaise élargit vers le sud (Syrie et Irak) une série dressée au début du siècle et qui couvrait alors l’est de l’actuelle Turquie[15]. Exemple inverse, la carte d’Afrique centrale à l’échelle 1:500 000, dont le catalogue des publications de l’Institut géographique national (IGN) de 1968 annonce qu’elle doit comporter 31 feuilles, en compte finalement neuf. Le projet publié en 1968 résulte de toute évidence d’une sous-évaluation de la capacité des pays concernés (Cameroun, Centrafrique et Congo, indépendants depuis 1960) à se doter de leurs propres organismes de production cartographique. Ainsi le périmètre d’une série est-il toujours susceptible d’être ajusté au gré de l’évolution des rapports de force et des décisions politiques. Cette variabilité rend parfois difficile l’évaluation du nombre des feuilles d’une série.
Lorsque la numérotation des feuilles n’est pas organisée de manière systématique, comme c’est le cas par exemple pour le découpage international du monde qui indique a priori le périmètre et le numéro de chaque feuille, l’examen de cette numérotation peut permettre de restituer l’évolution géographique d’une série. Par exemple, pour la carte du Transvaal publiée au tout début du XXe siècle, la numérotation des feuilles indique la chronologie de la progression géographique des travaux de relevé – et de conquête – du territoire considéré (Liebenberg 2014, 224).
De manière moins flagrante et plus difficile à documenter, les périmètres des séries sont souvent l’objet d’ajustements sur leur marge, le long des côtes et des frontières en particulier. La régularité des grilles de découpage des séries produit parfois des feuilles qui doivent représenter seulement quelques bribes de territoire. Dans ce cas, elles sont souvent supprimées et la zone qu’elles auraient dû représenter est intégrée à une feuille voisine dont le périmètre est agrandi. Mais une telle décision n’est pas toujours facile à prendre et on note des hésitations. Par exemple, pour la carte d’Algérie à l’échelle 1:50 000, la feuille « Cap Sigli », qui couvre seulement quelques kilomètres carrés (au nord de la ligne de côte, le reste de la feuille figure la mer), a été publiée en quatre versions entre 1888 et 1922. Mais, à partir de 1913 et jusqu’en 1964, la zone qu’elle représente est aussi intégrée à la feuille « Djeblaa », située immédiatement au sud. Dans cette situation, il n’est pas aisé de compter le nombre de feuilles d’une série. L’ambiguïté peut être accrue par la numérotation des feuilles. Dans l’exemple cité, la feuille « Cap Sigli » porte le numéro 10, la feuille « Djeblaa » porte le numéro 25 entre 1894 et 1921, tandis que la feuille étendue est désignée « Cap Sigli - Djeblaa » et porte le numéro10-25. Autrement dit, sur le plan de la production, il s’agit bien de deux feuilles alors que sur le plan de la publication, on compte trois documents et autant de périmètres différents.
Le nombre de feuilles d’une série peut aussi être difficile à évaluer lorsque son découpage est basé sur une grille théorique dont les cases deviennent des feuilles publiées au gré des besoins et des opportunités. C’est le cas pour la plupart des cartes à grande échelle des pays émergents dont certaines régions – peu habitées le plus souvent – ne nécessitent pas qu’on les figure à cette échelle. Ainsi, suivant son tableau d’assemblage, la carte de Tanzanie à l’échelle 1:50 000 ne compte pas moins de 1 803 feuilles. Ce tableau suit un mode de découpage normalisé issu de la carte internationale du monde, les numéros des feuilles sont déterminés a priori. Mais on a repéré seulement 1 117 feuilles publiées pour cette série. Les autres sont en devenir; s’il est certain que l’objectif n’est pas de couvrir l’ensemble du territoire national, il est envisageable qu’au gré des aménagements et des besoins, on ajoute des feuilles à la liste au cours des prochaines années. Dans ce cas, on peut définir le nombre de feuilles de la série de deux manières différentes, soit en considérant les 1 803 cases du tableau d’assemblage, sachant qu’il est peu probable que le nombre de feuilles effectivement publiées atteigne un jour ce chiffre, soit en considérant le nombre de feuilles publiées au moment de leur catalogage, sachant que ce chiffre est susceptible d’augmenter.
Le périmètre des séries cartographiques est aussi soumis aux recompositions politiques. Certaines séries peuvent avoir été l’objet de partages entre différents états-nations nés de la fin d’une souveraineté. Par exemple, à l’issue de la Première Guerre mondiale, les territoires de la double monarchie austro-hongroise ont été partagés entre plusieurs nouveaux états. La carte d’Europe centrale à l’échelle 1:200 000, publiée à Vienne jusqu’à la fin de la guerre, a ensuite été reprise par la Hongrie en 118 feuilles, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, etc., et bien entendu par l’Autriche en 23 feuilles seulement. Les feuilles de cette carte ont aussi été reprises par la plupart des armées européennes pendant la Seconde Guerre mondiale. Au total, on a identifié plus de 80 séries issues de la même matrice.
Entre les catalogues et les publications effectives
Certaines feuilles de cartes en série comportent des informations sur les feuilles contiguës. Leur nom est indiqué soit directement dans les marges – la marge droite porte le nom de la feuille située à l’est, etc. –, soit à travers un tableau partiel de la série. Lorsqu’il n’existe pas de tableau d’assemblage général, ces informations sont précieuses pour le restituer de proche en proche. Cependant, elles témoignent aussi de la variabilité du périmètre d’une série au cours de sa période de production. La confrontation de ces tableaux avec les listes de feuilles effectivement publiées montre que de nombreuses feuilles attestées par des mentions indiquées sur les feuilles voisines ne portent pas le nom qui avait été prévu ou bien qu’elles n’ont jamais été publiées.
Certaines séries peuvent avoir été l’objet de regroupements. Par exemple, entre 1910 et 1914, le SGA publie une carte de Tunisie à l’échelle 1:500 000; elle compte sept feuilles qui suivent le découpage international. À l’issue de la Première Guerre mondiale, il engage la publication d’une nouvelle série à la même échelle et suivant le même découpage pour l’Algérie; elle compte 44 feuilles, dont trois sont communes avec la carte de Tunisie. Dans les rapports annuels du Service, les travaux relatifs à ces deux documents sont exposés de manière indépendante dans deux chapitres différents. Au contraire, le catalogue des publications de l’IGN de 1949 en regroupe la présentation (Catalogue des cartes... 1949, 11). Compte tenu du peu d’ampleur de la carte de Tunisie et de son recouvrement avec celle d’Algérie, elles sont alors rassemblées sous un titre unique « Carte d’Afrique du Nord ». Mais cette désignation est propre au catalogue. Pour leur part, les titres de série portés par les feuilles ne sont pas modifiés, ils ne tiennent pas compte de ce regroupement qui semble seulement commercial. Dans une telle situation, un cartothécaire chargé d’organiser une collection dispose de plusieurs lignes de partage toutes aussi pertinentes les unes que les autres.
Ces exemples montrent que pour restituer et définir le périmètre d’une série, pour évaluer le nombre de feuilles, il est toujours fructueux de confronter plusieurs sources. Les rapports, les catalogues et les autres publications des éditeurs se révèlent souvent complémentaires des collections cartographiques proprement dites, quelle que soit leur importance. Par ailleurs, ces exemples montrent aussi que la description de la totalité des feuilles qui composent une série n’est pas suffisante pour décrire la série elle-même. Autrement dit, il est nécessaire de croiser deux approches pour saisir les particularités d’une série. Une approche par le bas – à partir des unités qui la composent, les feuilles – et une approche globale, par le haut, pour définir les règles qui organisent les relations entre les unités de niveau inférieur. Le tableau d’assemblage constitue un des principaux instruments de l’approche globale.
Usage des mentions
Chaque feuille d’une série comporte plusieurs mentions. Par ailleurs, les notions de « série » et de « feuille » constituent deux niveaux de description des documents. Ainsi, en fonction de la manière dont chaque mention renvoie à ces niveaux, on peut les classer dans trois catégories différentes :
Mentions communes à l’ensemble de la série ou bien à plusieurs feuilles : titre de série, responsabilité collective, etc.;
Mentions particulières à chaque feuille qui renvoient à une organisation sérielle : numéro de feuille (organisation spatiale de la série), numéro d’édition (organisation temporelle d’une suite de feuilles);
Mentions particulières à chaque feuille : titre propre, responsabilité individuelle, date, etc.
Les deux premières catégories sont susceptibles d’être utilisées pour décrire et définir une série cartographique. Au même titre que le tableau d’assemblage, les mentions particulières qui renvoient à une organisation sérielle constituent un bon moyen de saisir les liens entre chaque feuille et l’ensemble d’une série. La suite de cet exposé examine les modalités d’exploitation des mentions des deux premières catégories et leur caractère parfois trompeur.
Numéros d’édition
En matière de cartographie, la notion d’édition est assez élastique et ses limites avec les notions de tirage, retirage, réédition, réimpression, etc. – et de leurs équivalents dans les autres langues – varient en fonction des éditeurs, voire des habitudes de chaque rédacteur. Au-delà de cette question, certaines feuilles de séries portent, de manière explicite, des numéros d’édition. Généralement, les numéros se suivent et la troisième édition succède à la seconde. Sur cette base, on peut être tenté de restituer la généalogie de chaque feuille en suivant la liste de ses multiples éditions. L’exercice n’est cependant pas aussi simple. Tout d’abord, assez souvent, la première version de chaque feuille ne porte pas de numéro d’édition, c’est seulement au moment de l’édition de la seconde version que l’éditeur introduit cette mention. Parfois, certaines versions seulement portent une mention d’édition. Par exemple, pour la carte austro-hongroise d’Europe centrale à l’échelle 1:200 000, la feuille « Laibach » ne porte pas de mention d’édition sur les 11 premières versions publiées entre 1893 et 1907. On trouve ensuite la mention « Provisorische Ausgabe » sur une version de 1909, puis aucune mention sur les six versions publiées entre 1910 et 1913. Enfin, les cinq versions publiées entre 1913 et 1916 portent la mention « 2. Ausgabe ». Cette périodisation ne correspond en rien aux autres dates portées sur les feuilles et exprimées par les mentions « Nachträge » ou bien « Teilweise berichtigt bis ». Une investigation plus poussée montre que la notion de Ausgabe (édition) est utilisée par l’institut géographique de l’armée autrichienne pour rendre compte des modifications apportées à la structure géométrique de chaque feuille, cela de manière indépendante de la mise à jour de son contenu topographique qui est exprimée par les deux autres mentions.
Titres des séries
De manière générale, les feuilles des cartes organisées en séries portent chacune le titre de la série dont elles dépendent. Lorsque c’est le cas, ce titre constitue un indicateur pour regrouper les feuilles. Il peut cependant être trompeur. Par exemple, au cours de la première moitié du XXe siècle, le SGA a publié un ensemble d’une soixantaine de feuilles qui ont pour titre générique « Asie 1 000 000e », sans plus de précision. Ainsi, dans la plupart des cartothèques, ces feuilles sont regroupées. D’un point de vue géographique, elles composent pourtant deux groupes discontinus; le premier couvre une région qui s’étend entre la Turquie et l’Inde, le second figure le nord du Viet Nam, la Chine et une partie du Japon. De manière générale, les cartothécaires semblent penser que les quelques feuilles qui assureraient le raccord entre ces deux ensembles manquent dans leurs collections. Les rapports d’activités du SGA indiquent que ce n’est pas le cas et que ces feuilles dépendent de deux séries non contiguës. Suivant ces rapports, celle qui correspond aux 20 feuilles du premier groupe est désignée « Asie centrale », le second groupe « Asie orientale ». Les tableaux d’assemblage publiés dans les rapports confirment cette répartition géographique. Mais cette documentation – peu diffusée – est difficile d’accès pour les cartothécaires chargés d’organiser les collections. Ainsi, des titres semblables ne signifient pas toujours que les feuilles correspondantes appartiennent à une même série.
L’inverse est cependant plus fréquent. Par exemple, au début des années 1940, l’armée allemande publie plusieurs cartes d’Europe centrale à l’échelle 1:200 000, leurs feuilles suivent une même grille de découpage du territoire. Les unes portent le titre « Generalkarte v. Mitteleuropa », les autres sont désignées « Generalkarte v. Mitteleuropa Balkan ». Sur la base de la différence d’indication géographique portée par ces titres, il semble possible de constituer deux séries différentes. Mais l’examen de la répartition géographique des deux groupes de feuilles indique que la différence entre les titres ne correspond pas à une différence de localisation; par ailleurs, il montre aussi que l’on trouve indifféremment l’un ou l’autre des deux titres pour de nombreuses unités. Enfin, par leur complémentarité, les tableaux d’assemblage témoignent bien de l’unicité constituée par l’ensemble des feuilles, de manière indépendante de leurs titres.
Plus la période de service d’une série a été longue, plus il est probable que le nombre de titres propres de série porté sur les feuilles soit important. Par exemple, pour la carte d’Algérie à l’échelle 1:50 000, dont la production s’est étalée sur pratiquement un siècle, on ne compte pas moins de 12 titres propres de série différents. On pourrait être tenté d’organiser les collections sur cette base et de partager les feuilles en autant de séries qu’il existe de titres propres. Mais une telle proposition ne résisterait pas à l’examen de la répartition géographique de chaque ensemble de feuilles; elle ne résisterait pas mieux à un examen de leur répartition temporelle puisque plusieurs titres ont été utilisés simultanément.
De la même manière que les titres de séries, les mentions de responsabilité portées sur les feuilles d’une même série peuvent aussi être multiples. C’est le cas, par exemple, avec la carte d’Afrique de l’Ouest à l’échelle 1:200 000 produite dans le cadre de la colonisation française. La production de cette carte était alors répartie entre différents bureaux situés à Dakar, à Brazzaville et à Yaoundé. Au gré des rédacteurs, ils sont désignés « Centre », « Annexe », « Service géographique », « de Dakar », « de Brazzaville » ou encore « de Yaoundé »
Autrement dit, pas moins de neuf désignations différentes peuvent être portées sur les feuilles de cette série.
Pour leur part, les numéros de séries sont plus fiables. De manière générale, ils sont exploités par les militaires et se présentent sous la forme d’une ou de plusieurs lettres suivies d’un nombre, par exemple : M 000 (pour « Militaire » en français), AMS 000 (pour Army Map Service de l’armée américaine) ou encore GSGS 000 (pour General Staff. Geographical Section de l’armée anglaise).
Question de temps
De la même manière qu’il n’est pas toujours facile de définir le périmètre d’une série et son nombre de feuilles, sa période d’édition – exprimée sous la forme d’une fourchette d’années – résiste aussi aux investigations.
Il est tout d’abord nécessaire de distinguer plusieurs moments dans la vie d’une série. Une série naît avec la décision de la mettre en oeuvre. La date correspondante n’est jamais reportée sur les feuilles; on la trouve plutôt dans les rapports d’activités, mais pas toujours. La date opposée, c’est-à-dire la date la plus récente, est celle de la fin du service d’une carte; elle est alors remplacée par une autre carte ou retirée de la vente. Cette date n’est pas non plus facile à documenter, car elle laisse peu de traces. Par ailleurs, au-delà de la décision administrative de cesser de produire une série, son remplacement par une autre est effectivement mis en oeuvre feuille par feuille. C’est seulement lorsque les feuilles de la plus récente série sont publiées qu’il est envisageable de retirer les plus anciennes du service. Ainsi, cette forme de remplacement s’étale nécessairement sur de longues périodes. Par exemple, pour la carte géologique de la France à l’échelle 1:50 000 dont les premières feuilles ont été publiées au cours des années 1950 pour remplacer la précédente carte à l’échelle 1:80 000, plusieurs feuilles n’ont pas encore été publiées de telle manière qu’une douzaine de feuilles de l’ancienne édition constituent toujours la seule carte géologique détaillée des régions considérées.
De manière plus pragmatique, les catalogueurs s’intéressent plutôt aux dates de publication des documents. Il n’est pas dans le propos de cet article d’entrer dans les détails relatifs à la datation de chaque document; on s’en tiendra donc au niveau des séries. La fourchette de dates généralement admises pour qualifier une série correspond aux dates extrêmes attribuées à ses feuilles[16]. Pour les définir, il est nécessaire de disposer d’une collection autant soit peu complète, ce qui est rarement le cas.
Conclusion
Les récentes évolutions technologiques qui permettent de publier et de partager en ligne des bases de données géographiques et aussi de développer des outils de recherche par localisation offrent des solutions d’informatisation des catalogues de séries cartographiques qui satisfont à la fois les cartothécaires et les lecteurs (Arnaud 2014). Dans ce contexte, le partage et la mutualisation des informations constituent un des principaux enjeux pour les prochaines années. Par ailleurs, la mise en oeuvre du modèle FRBR – Fonctionnalités requises des notices bibliographiques – va élargir le champ de description des documents aux contextes dans lesquels ils ont été produits.
Nous l’avons évoqué plus haut, les séries cartographiques souffrent d’un abandon bibliothéconomique depuis plusieurs décennies; la pauvreté de la bibliographie qui traite de ces documents en témoigne. Dans cette situation, les outils manuels, encore abondamment utilisés pour les décrire, ont été élaborés par chaque établissement en fonction des particularités de leurs collections, de leurs besoins et de leurs moyens. Il en résulte une grande diversité qui ne pose pas de problèmes pour un usage local.
Le nouveau cadre technique et conceptuel émergent change la donne dans la mesure où le partage et donc l’interopérabilité vont devenir des règles fondamentales. Or, que ce soit du point de vue des pays ou bien du point de vue des établissements producteurs, il n’existe pas de listes des séries cartographiques. Les seules qui sont disponibles ont été produites dans le cadre de publications indépendantes du monde des bibliothèques et en dehors de toute tentative de normalisation[17].
Les exemples cités plus haut ne constituent pas des exceptions, chaque série cartographique présente des spécificités dont il est nécessaire de rendre compte pour comprendre l’organisation de la grille d’assemblage, le mode de numérotation ou de désignation des feuilles, la présence de telle ou telle mention, etc. Ces informations intéressent peu les bibliothécaires dans le cadre d’un catalogage classique, mais elles prennent tout leur sens pour la mise en oeuvre des FRBR et, en particulier, pour définir les notions les plus abstraites du modèle – oeuvre et expression – pour les séries cartographiques. Les éléments de définition proposés dans cet article s’inscrivent dans ce nouveau contexte. Tout reste cependant à faire pour constituer une base documentaire des séries cartographiques à partir d’une structure commune et partagée.
Appendices
Notes
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[1]
La publication de la première édition de cette carte s’est étendue entre 1832 et 1880. Pendant cette période, la feuille de Paris a été publiée pour la première fois en 1843, puis mise à jour et publiée à nouveau en 1864, 1869, 1872, 1873 et 1876 (Rapport du service… 1889, 28-29).
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[2]
Pour l’application de cette norme en langue française, le chapitre publié par Duchemin (2003) constitue une référence majeure, même s’il a parfois tendance à simplifier la réalité.
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[3]
C’est d’autant plus vrai depuis l’abandon du catalogage à niveaux à la fin des années 1980 (Bernard 1988).
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[4]
Par exemple, la carte topographique de l’Algérie à l’échelle 1:50 000, publiée entre 1882 et 1984 par le Service géographique de l’Armée puis par l’Institut géographique national, constitue une seule série. Elle a été cataloguée dans le Système universitaire de documentation (SUDOC) (<www.sudoc.abes.fr>) par différents cartothécaires qui conservent chacun une collection très partielle. Ainsi, on trouve les feuilles de cette carte sous au moins huit titres d’ensemble différents. Cette multiplication donne l’impression d’une dispersion qui est totalement artificielle.
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[5]
Par exemple, à la Bibliothèque nationale de France, le directeur du Département des cartes et plans estime à 350 000 le nombre des documents cartographiques en série dont le catalogage n’est pas informatisé. Dans d’autres établissements, tels que la Bibliothèque du Congrès, chaque série est cataloguée à travers un seul bordereau qui n’indique pas le nombre de feuilles de la collection, qu’elle en comporte deux ou bien 2 000!
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[6]
Voir la carte de la Bulgarie (1:200 000, 1994, 22 feuilles) sur CartoMundi <www.cartomundi.fr/site/CDxx.aspx?view=D01&serie=14>.
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[7]
Le corpus traité couvre tout d’abord les pays de Méditerranée et d’Europe. Il s’agit de documents publiés par des éditeurs européens et conservés principalement à l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), en France.
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[8]
On l’oublie souvent, mais c’est aussi le cas des assemblages disponibles en ligne, qu’il s’agisse de planisphères tels que ceux proposés par Bing ou Google ou encore des cartes publiées à travers le géoportail de l’IGN.
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[9]
C’est le cas, par exemple, pour la carte de France à l’échelle 1:320 000, publiée en 1914 (Rapport du service… 1921, 47).
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[10]
Par exemple, plusieurs feuilles de la carte d’Algérie à l’échelle 1:50 000 publiées à la fin des années 1950 portent la mention « Toponymie mise à jour en 193- ».
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[11]
Dans de nombreuses cartothèques, quelle que soit leur taille, on continue d’utiliser des tableaux d’assemblage pour gérer les collections.
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[12]
Les systèmes d’information géographique, disponibles depuis le début des années 1960, permettent de construire des tableaux d’assemblage sous forme de base de données, mais il restait difficile de les partager en ligne avant la mise au point de la méthode du mashup, qui permet de napper le périmètre représenté par chaque document sur un planisphère en ligne. Cette méthode constitue la dernière étape de mise au point des outils nécessaires au développement d’un catalogue et d’un moteur de recherche par localisation géographique. Elle a été commercialisée à partir du milieu des années 2000.
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[13]
Voir la série « Départementale, routière et administrative », Institut géographique national, publication en service depuis le milieu des années 2000.
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[14]
Selon Duchemin (2003), une des caractéristiques des séries cartographiques, indicateur de différence avec les collections, serait que le nombre de feuilles de chaque série soit « déterminé à l’avance ». De toute évidence, cette assertion résiste mal à une confrontation avec les documents.
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[15]
La série intitulée « Eastern Turkey in Asia », publiée à partir de 1901 en 34 feuilles, est étendue de 16 feuilles vers le sud à partir de 1915, sans modification ni du titre propre de la série ni de son numéro de référence : IDWO 1522.
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[16]
Pour mémoire, on retient la date la plus récente portée sur chaque feuille, à moins qu’il ne s’agisse d’une mention explicite de retirage.
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[17]
Pour le Canada, l’ouvrage de Nicholson et Sebert (1981) constitue une référence dont il existe peu d’équivalent
Bibliographie
- Arnaud, Jean-Luc. 2014. Cataloguer, rechercher des cartes. Le référencement géographique en question. Documentaliste – Sciences de l’information 51 (3) : 68-79.
- Bernard, Annick. 1988. Sur l’abandon du catalogage à niveaux par la Bibliothèque nationale. Bulletin d’information – Association des cartothécaires français (141) : 26-27.
- Catalogage des documents cartographiques. 1991. Norme AFNOR n° Z 44-067. Paris : AFNOR.
- Catalogue des cartes en service... 1949. Paris : Institut géographique national.
- Duchemin, Pierre-Yves. 2003. Les documents cartographiques. In Le catalogage : Méthodes et pratiques, sous la direction de Marie-Renée Cabuzon. Paris : Éditions du Cercle de la Librairie, 375-549.
- Liebenberg, Elri. 2014. The «Major Jackson’s Transvaal and Natal Series» of the Anglo-Boers War (1899-1902): A cartobibliographic framework. In History of Cartography, International Symposium of the ICA, 2012, sous la direction de Elri Liebenberg, Peter Colier & Zsolt G. Török. Heidelberg : Springer, 211-232.
- Nicholson, Norman L. & Louis M. Sebert. 1981. The Maps of Canada. Folkestone : Dawson & Sons Ltd.
- Pelletier, Monique. 2013. Les cartes des Cassini. La science au service de l’État et des provinces. Paris : CTHS.
- Tempesta, Antonio. 1664. Disegno e prospetto dell’alma città di Roma. Rome : Gio. Lacomo Rossi.
Nous avons aussi exploité les rapports annuels du Service géographique de l’Armée publiés entre 1888 et 1939. Ils sont cités sous la forme « Rapport du Service… [année d’édition] : [pagination] ».