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Ce recueil d’articles et d’entretiens est paru en décembre 2012 pour clore les célébrations entourant les 20 ans de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (enssib). Un heureux prétexte pour inciter architectes, conservateurs et décideurs politiques à se pencher sur la trajectoire architecturale de la bibliothèque française, depuis deux décennies.
Christelle Petit, coordonnatrice éditoriale, rappelle en préface que c’est le réputé Mario Botta qui signa en 1988, à Villeurbanne, la première médiathèque de l’Hexagone, osant une architecture particulièrement emblématique. Les 21 textes de cet ouvrage rassemblent les réflexions croisées de 25 intervenants, organisées en trois segments. Le premier scrute la signification et la puissance du geste architectural, le second explore différents aspects plus techniques comme la lumière, le développement durable et la place du patrimoine, et le troisième soupèse la place de la bibliothèque dans la Cité.
La coordonnatrice a pris soin d’approcher des acteurs impliqués de longue date dans l’univers des bibliothèques, ainsi que d’autres aux expériences plus récentes. Leurs observations, leurs interrogations et leurs commentaires prennent en exemple des médiathèques de petites et de grandes superficies, ainsi que quelques bibliothèques universitaires qui se sont démarquées au cours des vingt dernières années. Ce regard porté sur les expériences passées est le fil conducteur pour mieux aborder le présent et l’avenir.
Chaque rédacteur, en solo ou en plume partagée, adopte les préoccupations de sa profession. Au fil des pages se dégage, avec force, l’indispensable nécessité du dialogue entre les programmeurs, les bibliothécaires et les élus afin que la bibliothèque en gestation puisse répondre aux besoins actuels et anticiper, un tant soit peu, ceux de demain. Cet appel à la concertation, si évident pour le lecteur, est plutôt discrètement évoqué par les auteurs que clairement affirmé. L’intérêt de l’ouvrage repose notamment sur la diversité des postures, aussi tangible que leur complémentarité.
En toile de fond de tous les discours se dressent la dématérialisation des supports, la mixité des publics, la multiplicité des missions et l’évolution modulée des espaces. Gaëlle Guechgache, directrice de la médiathèque de Bagneux, dresse en quelques lignes un portrait lucide de ces bibliothèques pionnières des années 1980, aujourd’hui datées, et implore leur revitalisation :
[…] la crise de notre modèle de bibliothèque à la française, nourrie par la baisse de la fréquentation, la chute du nombre de prêts de documents, l’essor des pratiques individuelles liées au numérique et à la culture de l’écran, mais aussi le succès d’autres modèles (anglo-saxon et nordique), remet au premier plan l’importance du bâtiment et les enjeux liés à son organisation et son aménagement. (p. 197)
L’ouvrage débute par un entretien avec Pierre Franqueville, philosophe de formation qui oeuvre au sein d’une agence d’ingénierie culturelle depuis 1986. Franqueville recommande d’accorder davantage d’attention et de temps à la phase de la programmation, trop souvent précipitée comparativement à celle de la conception architecturale même. Pour briser les habitudes, pour renouveler la relation usagers-services, pour comprendre la Cité de demain, il encourage la confrontation des perceptions et des regards, l’observation d’autres espaces de flux (gares, galeries marchandes, etc.) que ceux propres à la bibliothèque, afin de contrer les effets de mode et « dépasser les traductions simplistes qui sont souvent faites du troisième lieu » (p. 16). Cette incitation à la réflexion donne le ton au collectif. On y trouve la matière pour bien circonscrire le lien entre le citoyen, la bibliothèque et le tissu urbain.
Dans bon nombre de textes, on rend compte, clairement ou en filigrane, des dualités prononcées de l’espace bibliothèque, à la fois lieu d’agitation et de recueillement, lieu de conservation et de mutation, lieu d’ordonnance et de liberté. D’un article à l’autre sont ciselés, individuellement ou en combiné, les éléments de l’essentiel triptyque : esthétique, fonctionnalité, convivialité.
Au-delà de ce regard porté sur 20 ans de construction de bibliothèques, pointe la rupture induite par le virtuel. En toile de fond, la communauté des bibliothèques publiques françaises et les architectes se soucient de mettre en scène tant les collections patrimoniales que les bâtiments anciens, en jonglant entre modernité et passé revisité. L’une des auteurs, Fanny Clain, met l’accent sur les aspects écologiques, désormais intégrés à toute démarche architecturale, et sur la qualité du dialogue entre professionnels, pour une cohérence optimale en ce domaine.
Le dernier segment, intitulé « Les bibliothèques dans la cité », donne surtout la parole au personnel politique engagé dans leur communauté, livrant des plaidoyers fervents sur la place de la culture, et plus particulièrement de la médiathèque, comme lieu phare identitaire, comme vecteur de rayonnement et de développement. On souhaiterait lire des textes aussi inspirants signés par des élus municipaux du Québec.
Ce regard panoramique sur deux décennies incite à redéfinir la médiathèque d’aujourd’hui et encore plus celle de demain. Pour soutenir l’ensemble des propos, à fortes touches impressionnistes, philosophiques et sociologiques, on a élégamment choisi le dessin comme matière visuelle. L’artiste Franck Bonnefoy a sillonné les routes de France en rapportant photographies et quelques croquis des 20 bibliothèques visitées. Ce matériel de base a été transposé en une suite d’illustrations à encrage coloré qui émaillent l’ouvrage et témoignent de l’expérience de l’artiste, de ses perceptions, de l’atmosphère gardée en souvenir. Un complément d’âme en écho avec les dessins des architectes qui illustrent tout projet en gestation.
Architecture et bibliothèque : 20 ans de constructions n’est pas un recueil de prescriptions pragmatiques. Il captera l’intérêt de ceux qui aiment jongler avec les concepts, les intuitions et les pistes de réflexion pour bien ancrer le geste architectural. Enfin, soulignons que tant les références bibliographiques mises en contexte dans les différents articles qu’une sélection thématique en fin d’ouvrage invitent à tracer des parcours ciblés.