Dalhousie French Studies
Revue d'études littéraires du Canada atlantique
Number 121, 2022 L’abjection : entre dégoût et sublime Guest-edited by Marie Pascal
Table of contents (28 articles)
Articles
-
Introduction
-
Figures et formes de l’indétermination – De Vase de Noces à Long Live the Flesh
Lison Jousten
pp. 7–18
AbstractFR:
Depuis sa sortie en 1974, Vase de Noces de Thierry Zéno a été au centre de différentes polémiques qui en révèlent le caractère marginal. Dépassant de loin la simple histoire d’amour zoophile surréaliste à laquelle il a parfois été réduit, le film s’attelle, plus fondamentalement, à mettre à mal une série de partages (haut/bas, pur/impur, humanité/animalité, p. ex.), à requalifier les frontières et à se jouer des catégories. Après avoir introduit Vase de Noces comme film de l’indétermination, cet article abordera ce long-métrage à partir du détail en formulant d’abord quelques propositions relatives au motif de la nausée, qui remet lui-même en jeu une série d’oppositions structurantes et fait émerger un principe exorbitant d’oscillation. Cette étape liminaire rend possible un déplacement conceptuel et analytique en ouvrant la réflexion à Long Live the New Flesh (Nicolas Provost, 2009), où la question de l’abject se joue sur un autre plan. En faisant du point aveugle de l’analyse un point de continuité entre ces deux films belges absolument différents, l’article envisage la complémentarité de ces deux objets pour penser une indétermination fondamentale propre à l’abjection, telle qu’elle a été approchée par Julia Kristeva dans Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection (1980).
EN:
Since its release in 1974, Thierry Zéno’s Vase de Noces has been at the center of many controversies that reveal its marginal character. Although it has sometimes been reduced to a simple surrealist zoophilic love story, this film goes much deeper by undermining a series of paired concepts (e.g., high/low, pure/impure, humanity/animality), requalifying borders and boundaries and disregarding categories. After introducing Vase de Noces as a film of indeterminacy, this article will approach it in a more detailed way by first of all formulating some propositions related to the motif of nausea, which itself brings into play a series of structuring oppositions and brings out an exorbitant principle of oscillation. This introductory step makes possible a conceptual and analytical shift by leading its subject to Long Live the New Flesh (Nicolas Provost, 2009), where the question of the abject is played out on another level. By using the blind perspective of analysis to draw a continuity between these two Belgian films in spite of their absolute difference, the article considers the complementarity of these two objects to elaborate a thought of the fundamental indeterminacy proper to abjection, as it was approached by Julia Kristeva in Pouvoirs de l'horreur. Essai sur l'abjection (1980).
-
« Un formidable tonneau de vidange » : les figures et les formes de l’abjection dans À la recherche du temps perdu
Ludovico Monaci
pp. 19–32
AbstractFR:
Cette contribution se penche sur la représentation de l’abject dans À la recherche du temps perdu. À travers la présentation de certains passages tirés des premiers travaux de Marcel Proust nous prouverons que l’écrivain français travaille cette thématique dès ses débuts littéraires. Ensuite, l’analyse des attestations de la série morphologique d’« abject » dans la Recherche mettra en relief la manière dont l’auteur exploite le champ sémantique du mot en dépit de la rareté des occurrences qu’il convoque dans le texte. Enfin, à la lumière du lien entre la matière abjecte et la violence verbale, les caractéristiques formelles des insultes et des médisances présentes dans l’œuvre proustienne seront ciblées sur l’aventure romanesque de (l’amie de) Mlle Vinteuil. L’objectif de cet aperçu est de montrer comment la matière basse peut converger vers le sublime, et devenir donc un vecteur de conversion esthétique.
EN:
This contribution focuses on the representation of the abject in À la recherche du temps perdu. Through the description of some sections of Marcel Proust’s early writings, I will demonstrate that the French writer has worked on this topic since his literary debut. On the other hand, the assessment of the few occurrences referring to the morphological series of “abject” in Recherche will show how the author develop the semantic field of the word. Finally, in light of the link between abject matter and verbal violence, the formal features of insults and backbitings in Proust’s novel will be centered on the episode of Mlle Vinteuil’s friend. The mission of this article is to point out how the abject matter could converge towards the sublime and become, therefore, a carrier of aesthetic conversion.
-
Le système kyriarkal à l’épreuve de l’abjection chez Tahar Ben Jelloun et Assia Djebar
Justine Scarlaken and Antonio Viselli
pp. 33–45
AbstractFR:
Cet article examine ce que nous caractérisons comme l’abject carcéral (abject kyriarkal) dans Cette aveuglante absence de lumière (2001) de Tahar Ben Jelloun et « La femme en morceaux » (1997), conte tiré d’Oran, langue morte d’Assia Djebar. Ces deux ouvrages francophones, sous le paradigme théorique ultra-contemporain du système kyriarkal tel qu’il se manifeste dans la fiction théorique de Behrouz Boochani (No Friend but the Mountains, 2018) et dans les travaux de son traducteur Omid Tofighian, nous permettent de nous interroger sur la relation entre l’indicible et l’abject, sur la contamination de l’abjection à l’instance générique de ces deux ouvrages, ainsi que le rapport espace-temps chez Djebar et Ben Jelloun. Il sera particulièrement question de la manière dont l’indicible se positionne vis-à-vis de la langue coloniale ; de la textualité de l’abject—et d’une tentative de création d’un texte-prison—ainsi que du territoire ambigu que partagent la prison et l’abjection où être et non-être se confrontent, et où l’espace liminal entre la subjectivité et l’altérité domine.
EN:
This article analyzes what we interpret as a prison-abject (kyriarkal abject) present within Cette absence aveuglante de lumière (2001) by Tahar Ben Jelloun and “La femme en morceaux” (1997), a tale published in Oran, langue morte by Assia Djebar. We examine these two works of francophone literature under the ultra-contemporary theoretical paradigm of the kyriarkal system, which Behrouz Boochani and his translator, Omid Tofighian, respectively explore in their theoretical fiction (No Friend but the Mountains, 2018) and research. This theory allows us to question the relationship between the abject and the unspeakable, the contamination of the abject at a generic level in these works, as well as its spatio-temporal connotations in the works of Djebar and Ben Jelloun. Particular attention is paid to the manner in which the unspeakable functions in relation to the colonial language; the textuality of the abject—and the attempt to create a text-as- prison—as well as the ambiguous territory shared by the prison and the abject where being and non-being unite, and where the liminal space between subjectivity and alterity dominates.
-
« Ramasser ses mots parmi les détritus » : l’écriture de l’abjection dans Za de Raharimanana et La Vie de Joséphin le fou d’Ananda Devi
Marion Ott
pp. 47–61
AbstractFR:
Partant du postulat que l’écriture de l’abjection produit chez le lecteur un vertige, voire un choc, tout à fait particulier, notre article s’intéresse à la façon dont celle-ci constitue dans les romans La Vie de Joséphin le fou d’Ananda Devi (2003) et Za de Raharimanana (2008) une formidable puissance de remise en question des normes et des limites qui fondent ce qu’on peut appeler avec Julia Kristeva « l’ordre social et symbolique ». Il s’agit en d’autres termes d’explorer la puissance propre à l’abjection qui permet au récit de dépasser à la fois la simple satire socio-politique et la jubilation de l’obscène, au profit de représentations plus ambivalentes, mouvantes et dérangeantes, qui touchent aux fondements mêmes de notre humanité. Nous nous efforcerons ainsi de dépasser la sidération dans laquelle plonge la violence parfois difficilement soutenable de l’écriture pour envisager la façon dont l’abject, la pourriture et le grouillant apparaissent en creux comme le terreau fertile d’un contre-pouvoir sur les plans aussi bien éthique qu’esthétique. Parce que ces bas-fonds abjects sont aussi le lieu d’une vie proliférante, multiple et anarchique, la parole qui s’y ancre et s’en revendique peut en effet être comprise comme une poche de résistance face à la menace de la tyrannie de l’Un, du vide et de la pétrification qui caractérisent le pouvoir postcolonial.
EN:
Starting from the observation that abjection in literature produces a specific kind of vertigo in the reader, this article focuses on the way in which this type of writing possesses, in the Indo-Oceanic novels La Vie de Joséphin le fou by Ananda Devi (2003) and Za by Raharimanana (2008), the formidable capacity to question the norms and limits that found what can be called, alongside Julia Kristeva, “the social and symbolic order”. In other words, it is a matter of exploring the power of abjection that makes it possible for the story to go beyond mere socio-political satire and the jubilation of the obscene, to the benefit of more ambivalent, shifting and disturbing representations that reach into the very foundations of our humanity. We will thus seek to go beyond the stupefaction into which the violence of the writing dives, in order to consider the ways in which the abject, and the processes of rotting and swarming emerge as fertile ground for a counter-power, on both the ethical and the aesthetic levels. Because these abject shallows are also the site of a proliferating, multi-faceted anarchic life form, the speech that emerges from them, and claims to be their own, can indeed be understood as a pocket of resistance to the threat of the tyranny of the One, of the void and of the petrification that characterize postcolonial power.
-
La poétique de l’abjection dans Les Trésors de la mer Rouge de Romain Gary
Diana Mistreanu
pp. 63–74
AbstractFR:
Moins étudié que son oeuvre romanesque, le récit écrit par Romain Gary à la suite de son voyage de Djibouti au Yémen est placé sous le signe de l’abjection, qui y est exprimée dans une multitude d’états et semble avoir englouti presque toutes les dimensions – politique, sociale, historique, médicale, hygiénique – de la vie. En effet, l’ancienne Côte française des Somalis y est représentée comme un enfer hypertrophié peuplé de gens pauvres et sans espoir, de marchands de travailleuses du sexe, de femmes mutilées et d’âmes en peine, mais aussi de quelques figures lumineuses et sacrificielles qui ressemblent toutefois plutôt à des Sisyphes qu’à des Rédempteurs. Si ce récit de voyage renvoie à une descente aux enfers, la poignante réflexion de Gary sur la condition humaine se transforme au fil des pages en art poétique. L’objectif de cet article est d’analyser la poétique de l’abjection mise en scène dans ce texte méconnu, ainsi que de dévoiler les mécanismes par lesquels cette dernière constitue le point de départ d’une réflexion métalittéraire sur le rôle de l’écrivain et de la littérature.
EN:
Written following a trip from Djibouti to Yemen, Romain Gary’s travelogue The Treasures of the Red Sea (1971) has received limited critical attention to date. The text can be placed under the heading of abjection, which is expressed in a multitude of states and seems to govern almost all dimensions – political, social, historical, medical, hygienic – of life. Indeed, the former French Somaliland is depicted as a hypertrophied hell, populated by poor and hopeless people, human traffickers, mutilated women and lost souls. A few sacrificial figures feature, although they look more like Sisyphuses than Redeemers. The poignant reflection on the human condition triggered by this descent into hell that the narrator strives to get through, despite his emotions, in order to make it accessible to his reader, is eventually turned into an ars poetica. The aim of this article is to explore the poetics of abjection in this little-known text, as well as to reveal the mechanisms through which the latter becomes the starting point for a metaliterary reflection on the role of the writer and of literature.
-
Entre unheimlich et abjection : instabilité identitaire et intertextualité dans Holy Motors de Leos Carax
Jeri English
pp. 75–88
AbstractFR:
Cet article explore le croisement entre unheimlich et abjection dans le film Holy Motors (2012) de Leos Carax. Si l’abjection et l’unheimlich semblent être presque synonymes, Kristeva, dans Pouvoirs de l’horreur, précise que l’abjection est « [e]ssentiellement différente de ‘l’inquiétante étrangeté’ » théorisée par Freud en 1919. Nous montrerons pourtant que l’angoisse ressentie par le spectateur lors du visionnement de Holy Motors relève des deux phénomènes. Nous verrons comment Carax déstabilise le spectateur en représentant l’identité du personnage de M. Oscar comme fondamentalement changeante tout au long du film ; nous nous consacrerons ensuite à une analyse de deux épisodes de Holy Motors visant à renforcer chez le spectateur une distanciation radicale de M. Oscar (due au sentiment d’abjection) et une incertitude à l’égard de son identité (due à la sensation d’unheimlich). Enfin, nous examinerons comment, par la création d’un lien explicite au film d’épouvante Les yeux sans visage (Georges Franju 1959), lui aussi fortement ancré dans l’abjection et dans l’unheimlich, Carax renforce l’impossibilité chez ses personnages d’incarner une identité stable et maintient ses spectateurs dans un état d’aliénation par rapport à la diégèse du film.
EN:
In this article, I examine the interplay between the unheimlich (the uncanny) and the abject in Leos Carax’s film Holy Motors (2012). While the two phenomena seem at first to be nearly synonymous, Kristeva, in Powers of Horror, emphasizes that abjection is fundamentally different from the strange familiarity theorized by Freud in 1919. However, I contend that the anxiety and alienation that this anarchic and sometimes violent film provokes in the spectator stems from both states. I begin by showing how Carax destabilises the spectator by representing the identity of the main character, M. Oscar, as unreliable throughout the film. I then analyse two specific episodes from Holy Motors, one that looks to affirm the spectator’s dissociation from M. Oscar through the use of starkly abject elements, and the other that increases the spectator’s uncertainty with regards to M. Oscar’s true identity by creating a heightened sensation of unheimlich. Finally, I will show how a specific intertextual reference to the horror film Les yeux sans visage (Georges Franju 1959), a film that also plays on both the abject and the uncanny, places the spectator in a state of radical alienation from the fictional universe of the film.
-
Le Chronos contaminé dans deux transcréations d’Erik Canuel – Lac Mystère et Cadavres
Marie Pascal
pp. 89–101
AbstractFR:
Le travail de transcréation opéré par le réalisateur québécois Erik Canuel est au centre de ce chapitre portant sur les procédés, topoï et techniques abjectes entre hypotexte et hyperfilm. Nous investiguerons ces récits afin de rendre compte de l’étendue de l’abjection dans des œuvres, anodines en apparence : Cadavres (François Barcelo, 1998 ; Canuel, 2008) et Mirror Lake (Andrée Michaud, 2006 ; Canuel 2013). Si le paratexte des romans laisse présumer l’intrusion de la thématique (à travers les topoï du miroir et, surtout, du cadavre), il est néanmoins impossible d’imaginer l’allure que prendra l’abjection dans les hyperfilms que nous offre le réalisateur. La contamination du chronos, déstabilisé par différentes techniques cinématographiques, recentre la réflexion sur les troubles identitaires des protagonistes, pour finalement laisser à l’histoire du cinéma ces deux films aussi dangereux que salvateurs.
EN:
This article studies the different audio-visual techniques the Québecois director Erik Canuel uses to transcreate the abject procedures, topoï and techniques, from text to film. I will investigate these works in order to account for the span of abjection and the way it can morph from apparently tame texts to Canuel’s films – Cadavres (François Barcelo, 1998; Canuel, 2008) and Mirror Lake (Andrée Michaud, 2006; Canuel 2013). Though the novels’ paratexts (their titles) let one presume the intrusion of abjection through the ideas of the mirror and corpse, it is however impossible to imagine what the theme will look like, in Canuel’s movies, prior to having studied them. The contamination of the chronos, destabilized by the cinematic medium, centers the debate on the protagonists’ identity crises in order to give to the History of Cinema two movies which are as dangerous as they are thrilling.
-
Explorer les marges du « gothic villain » dans Le Moine (1796) de Lewis et Dracula (1897) de Stoker : représentations de l’abjection dans les « transcréations » cinématographiques de Dominik Moll (2011) et Francis Ford Coppola (1992)
Swann Paradis
pp. 103–122
AbstractFR:
Bien que les époques, lieux et protagonistes qui sous-tendent la diégèse ces deux best-sellers (écrits en anglais mais dont la traduction française a été tout aussi retentissante) soient différents, Lewis & Stoker, à un centenaire d’intervalle, procèdent à une représentation de l’abjection qui se nourrit à une même esthétique de l’horreur (théorisée par Ann Radcliffe), qui a servi de pilier au développement de tout un pan de la catégorie todorovienne du « fantastique-merveilleux » procédant du surnaturel inexpliqué, dans un contexte où le diable semble tirer explicitement ou implicitement plusieurs ficelles. Dans cette optique, à l’aide de quelques cas figures centrés principalement sur deux manifestations de l’abject — le cadavre et la présence satanique —, nous proposons d’interroger l’adaptation filmique de ces deux romans pour répondre à la question suivante : l’abjection — tant dans sa dimension psychologique et phénoménologique telle que l’a développée Julia Kristeva, que dans aspect culturel ou anthropologique, tel que l’a proposé Georges Bataille —, pourtant bien sollicitée dans les deux romans, s’exporte-t- elle de manière aussi efficace chez les cinéphiles qui, d’une part, sont exposés à une surenchère d’images macabres dans le Dracula de Coppola, alors que, d’autre part, ils doivent se contenter de les imaginer dans le Moine de Moll ?
EN:
Although the eras, places and protagonists underlying the diegesis of these two bestsellers (written in English but whose French translation was just as resounding) are different, Lewis and Stoker, a hundred years apart, achieve a representation of abjection that feeds on the same aesthetic of horror (theorized by Ann Radcliffe) which served as a pillar for the development of a whole section of the “fantastique-merveilleux”, a todorovian category rooted in the unexplained supernatural, in a context where the devil seems to explicitly or implicitly pull several strings. From this perspective, with the help of a few case studies centered mainly on two manifestations of the abject — the corpse and the satanic presence, we propose to question the film adaptation of these two novels to answer the following question: does abjection — both in its psychological and phenomenological dimension as developed by Julia Kristeva, and in the cultural or anthropological aspect, as developed by Georges Bataille, although solicited in both novels, export as effectively among moviegoers who, on the one hand, are overexposed to an escalation of macabre images in Coppola’s Dracula, while, on the other hand, they must imagine them in Moll's Monk?
-
Marcel Jouhandeau ou l’abjection comme passion
Fabio Libasci
pp. 123–132
AbstractFR:
Julia Kristeva au début de Pouvoirs de l’horreur écrit : « de l’objet, l’abject n’a qu’une qualité - celle de s’opposer à je […], l’abject, objet chu, est radicalement un exclu et me tire vers là où le sens s’effondre ». Ces phrases s’appliquent bien à De l’abjection que Marcel Jouhandeau publie de manière anonyme pour la première fois en 1939. Hugues Bachelot parle du livre comme de l’apocalypse de l’auteur qui ose tout dire avec une candeur proche de l’impudeur, une dissection de l’homme jusqu’à dire et écrire que la vraie supériorité n’est pas dans le salut mais dans la perdition. Le mal, qui selon Jouhandeau possède la beauté et la passion charnelle, homosexuelle, a toujours une justification divine dans son discours qui ne cesse de transformer l’abjection dans le sublime et le sublime dans l’abjection jusqu’à l’éloge final : « l’injure, l’insulte est perpétuelle. Elle n’est pas seulement dans la bouche de celui-ci ou de celui-là, explicite mais sur toutes les lèvres qui me nomment […]. Elle est moi-même et c’est Dieu en personne qui la profère ». Dans ma proposition je vais essayer de faire communiquer l’œuvre de Jouhandeau avec certaines théories influentes sur l’abjection, notamment Kristeva et Bataille et démontrer comment le recours à la catégorie de l’abject lui a permis de parler de la passion charnelle sans la renier pour autant : « pas moi, pas ça. Mais pas rien non plus ».
EN:
Julia Kristeva at the beginning of Pouvoirs de l’horreur writes: “de l’objet, l’abject n’a qu’une qualité - celle de s’opposer à je […], l’abject, objet chu, est radicalement un exclu et me tire vers là où le sens s’effondre”. These words could well define De l’Abjection by Marcel Jouhandeau, published anonymously in 1939. For Hugues Bachelot, De l’Abjection is the author apocalypse, a way to write without shame but also without scandal about his desires and passions. The Evil and the homosexuality as an evil emanation possess a divine explanation; aware of that, he could move abjection into sublime and sublime into abjection till the final acclaim: “l’injure, l’insulte est perpétuelle. Elle n’est pas seulement dans la bouche de celui-ci ou de celui-là, explicite mais sur toutes les lèvres qui me nomment […]. Elle est moi-même et c’est Dieu en personne qui la profère”. In my essay, I would like to analyze Jouhandeau’s book through the lens of the theory of abjection, especially Kristeva and Bataille, in order to demonstrate that the category of abjection allows the author to talk about his passion without disavowing it: “pas moi, pas ça. Mais pas rien non plus”.
-
À l’épreuve du mal. Abjection et célébration chez Jean Genet
Jean-Christophe Corrado
pp. 133–144
AbstractFR:
L’enjeu de cet article est de mettre en lumière les stratégies littéraires qui permettent à Genet de faire tenir ensemble abjection et célébration. Genet ne se contente pas de représenter criminels, prostitués homosexuels et traîtres : il célèbre les parias, chante le mal, l’intègre dans une entreprise encomiastique. L’une des stratégies étudiées dans l’article, par exemple, consiste en l’inversion de la logique attributive entre l’objet chanté – le voyou célébré – et ses qualités : l’abjection n’atteint pas le personnage, parce que ce ne sont pas les qualités du personnage qui le déterminent mais, à l’inverse, c’est le personnage qui détermine le contenu moral de ses qualités. C’est-à-dire que le mâle désirable, s’il est lâche, ne devient pas moins désirable d’être lâche, mais, tout au contraire, la lâcheté devient belle d’être la lâcheté d’un bel homme.
EN:
This essay tackles the literary strategies that Genet uses to bind abjection and laudation together. Not only does Genet represent pariahs, male prostitutes and betrayers, but he also praises them, he places evil in the center of an encomiastic work. One of the strategies observed in this essay, for instance, consists in reversing the attributive logic between the criminal whom Genet celebrates and the qualities of the man that he praises: abjection doesn’t demean the character, because the character’s qualities don’t seem to determine him, instead, it is the character who determines the moral value of his qualities. Hence, a cowardly handsome man is not any less desirable due to his cowardice: on the contrary, his cowardice becomes beautiful because it belongs to a beautiful man.
-
Le sperme et le manque. L’utilité de l’abject dans la prose de Michel Houellebecq
Alicja Chwieduk
pp. 145–154
AbstractFR:
L’article soulève le problème de l’abject dans la prose de Michel Houellebecq, en s’appuyant sur les réceptions critiques polonaises et françaises. Nous posons deux questions principales : pourquoi la prose de Houellebecq est-elle considérée comme répugnante ? Est-ce que la catégorie de l’abject peut être utile pour l’écrivain (et si oui, comment) ? Nous distinguons et analysons quatre niveaux où opère le sentiment du dégoût lors de la lecture des romans houellebecquiens : la couche linguistique, le comportement des personnages romanesques, l’ordre du monde crée par l’écrivain, et enfin la manière d’être de Houellebecq dans l’espace public. Nous adoptons une perspective sociologique et anthropologique. Ce qui nous intéresse c’est, avant tout, le cadre culturel dans lequel fonctionnent : l’œuvre de Houellebecq, la critique littéraire, la voix de l’écrivain lui-même, et aussi le lecteur.
EN:
This article raises the problem of the abject in Michel Houellebecq’s prose, as regards Polish and French scholarly reactions. We will endeavour to answer two main questions: why is Houellebecq’s prose considered as repulsive? Can the category of abject be useful for a writer, and if so, how? We distinguish and analyze four levels at which one can experience disgust while reading Houellebecq’s prose: the linguistic layer of the novels, the characters’ behaviour, the world created by the writer, and, finally, Houellebecq’s way of being in the public sphere. Our perspective is sociological and anthropological. We primarily look at the cultural framework in which Houellebecq’s works, the literary criticism, the writer’s voice and also the reader all function together.
-
Rejeter l’abject
Comptes rendus / Book Reviews
-
Rattazzi, Marie (née Bonaparte-Wyse). L’Aventurière des colonies. Drame en cinq actes suivi de documents inédits. Présentation de Barbara T. Cooper
-
Stampfli, Anaïs. La coprésence de langues dans le roman antillais contemporain
-
Lorig, Aurélien. Le retentissant destin de Georges Darien à la Belle Époque. Vie et oeuvre d’un écrivain réfractaire
-
Voltaire. Essai sur les moeurs et l’esprit des nations (I) : introduction générale, Index analytique. Éd. Karen Chidwick, Nicholas Cronk, et al.
-
Althen, Gabrielle. La fête invisible
-
Zola, Émile. Chroniques politiques. Tome II (1871-1872). Oeuvres complètes
-
Rexer, Raisa Adah. The Fallen Veil: A Literary and Cultural History of the Photographic Nude in Nineteenth-Century France
-
Mees, Martin. Nerval ou la pensée du poétique
-
Louwagie, Fransiska. Témoignage et littérature d’après Auschwitz
-
Lancaster, Rosemary. Women Writing on the French Riviera: Travellers and Trendsetters, 1870-1970
-
Gélinas-Lemaire, Vincent. Le Récit architecte : Cinq aspects de l’espace
-
Leclerc, Yvan. Crimes écrits : la littérature en procès au XIXe siècle
-
St Clair, Robert. Poetry, Politics & The Body in Rimbaud
-
Guibal, Antoine. Stendhal biographe
-
Cahiers Alexandre Dumas n°47, 2020. « Dumas pour tous, tous pour Dumas ». Sous la direction de Julie Anselmini et Claude Schopp