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Je suis en post-doc au laboratoire SPHERE de Paris-Diderot où je prolonge les thématiques de mon doctorat qui traite de la question de la définition du terme « handicap » en le reliant à des enjeux d’éthique médicale notamment.
J’insiste dans cet article sur le fait que dans une situation de handicap, l’accès d’un lieu a nécessairement une certaine forme d’incidence sur la personne qui pratique le chemin et ce, contre toute attente. J’utilise pour cela ma propre expérience de personne en fauteuil, ce qui me permet de dégager les points qui me paraissent essentiels dans ce rapport entre la personne et le milieu dans lequel elle évolue.
Je me propose dans cet article d’étudier les enjeux de la qualité de l’accès d’un lieu : en quoi ce lieu peut-il générer une certaine forme de violence qui demeure imprimée dans l’expérience de vie du sujet?
L’idée un peu atypique que je défends ici, c’est qu’une des marques essentielles du stigmate (Goffman, 1975) dans le handicap réside tout autant dans la façon d’accéder aux ressources ordinairement utilisées, que dans l’accès lui-même. En d’autres termes, si rendre un lieu accessible est une finalité prioritaire, il ne faut pas se détourner de l’évaluation de la qualité du chemin qui permet cet accès. Les personnes en situation de handicap font souvent face à un nombre plus réduit de possibilités d’accéder à un lieu (bien souvent, un ascenseur est le seul recours possible), mais aussi à une qualité amoindrie de ces moyens d’accès (je traverse régulièrement des couloirs exigus, voire des locaux à poubelles), quand cet accès n’est tout simplement pas impossible (ni « rendu » impossible par le chemin impraticable qui l’entoure, comme l’absence de toilettes accessibles dans un lieu où les gens sont censés passer un certain temps par exemple). Ces traces d’un « autre » passage, différent de celui des autres membres de la société, marquent toujours, même tacitement, la personne qui traverse ces lieux. Cet article a pour ambition de réfléchir sur ce caractère apparemment anodin de l’accès. J’ai développé ces perspectives en réutilisant le concept issu des sciences cognitives, les affordances[1], appliquées à la situation de handicap, ce qui nous permet d’envisager une nouvelle grille de lecture pour reconsidérer l’élément du handicap et les problématiques qu’il convoque dans la réalité[2]. En effet, avant de pouvoir apporter des améliorations pertinentes à une situation donnée, il faut disposer au préalable d’outils efficaces pour les penser (Chabert, 2008).
J’ai choisi d’apporter mon témoignage de personne en situation de handicap moteur au travers d’une même activité, à savoir la natation, réalisée dans trois piscines parisiennes municipales, dans les années 2010. Il faut savoir que toutes trois affichent le logo handicap à leur accueil ou sur leur site internet lorsque je décide de les expérimenter. Ces quelques éléments me permettront de réaliser une typologie sommaire de ce qui me semble prioritaire dans l’accès, au vu de ma situation de personne utilisant un fauteuil[3].
Ces quelques éléments de vécu rapportés déboucheront et enrichiront un questionnement plus large autour des problématiques de l’accès : qu’entend-on traditionnellement par la locution « avoir accès »? Quelle est alors la place de l’être humain? À quel point doit-il être associé à la qualité de l’accès proposé? Enfin, quelle y est sa part de responsabilité?
J’ai porté une attention particulière à distinguer ce qui relevait d’une assistance matérielle, et ce qui relevait d’une aide proprement humaine dans le domaine de l’accès. En effet, contrairement à des pays comme l’Allemagne, nous considérons en France qu’un ensemble est accessible à un fauteuil dès lors qu’il n’y a besoin d’aucune intervention humaine autre que celle de l’usager ou de celui qui l’accompagne, et que la technique pourvoit seule aux besoins (Larrouy, 2011). Je remettrai en question cette perspective typiquement française dans le cheminement de mon article. Cette image de l’accès est effectivement très réductrice dans la mesure où, le jour où la technologie est défaillante, l’accès devient impossible. Cette idée imprègne en outre tant les mentalités que les professionnels estiment même parfois qu’en cas de dysfonctionnement, ils n’ont pas à intervenir pour relayer un matériel qui fait défaut. Définir ainsi l’accès nous rend tous très dépendants d’aléas techniques que nous ne pouvons jamais intégralement contrôler. Je soutiens la thèse que l’accès n’est pas qu’une affaire de porte large, de logo aménagé ou de plan incliné. C’est aussi une affaire humaine d’accueil et d’équipe, et de ce qui se joue dans des situations problématiques qui peuvent surgir dans les contextes les plus ordinaires. Que révèlent alors ces situations sur notre façon d’envisager l’accès dans le handicap? Quelles sont les réticences, voire les hostilités, ou les solidarités qui s’y jouent? Pour chacun des établissements, je décline l’aide technique, l’aide humaine puis le vis-à-vis des deux. Je mets en regard l’influence néfaste ou bénéfique qu’aura cet accès sur la personne en situation de handicap.
Le premier établissement que je commence à décrire présente tous les avantages pratiques de l’accès si l’on réduit la signification du terme « accès » à sa dimension matérielle et technique. L’équipe y est de manière générale relativement peu accueillante. Je sais par ailleurs d’expérience qu’en cas de dysfonctionnement de l’un des appareils techniques qui conditionnent l’accès au vestiaire (un ascenseur) ou au bassin (un siège de mise à l’eau électrique), aucune aide du personnel ne me sera apportée. Davantage, ces professionnels en sont parfois venus à dissuader des nageurs prêts à m’aider dans une situation où la technique faisait défaut. Je ne me sens donc pas très à l’aise à chaque fois que je fréquente cette piscine.
L’accès matériel y est pourtant relativement confortable : un ascenseur me mène à un vestiaire spacieux isolé du reste du public. La douche qui lui fait face à l’extérieur m’offre également une certaine aisance spatiale. Lorsque j’arrive avec un fauteuil spécifiquement conçu pour les déplacements près du bassin, un appareil de mise à l’eau haut-de-gamme, spécialement conçu pour le public en situation de handicap moteur, est utilisé.
Ce matériel très coûteux se trouve toutefois de l’autre bord de la ligne de surveillance des maîtres-nageurs, ce qui les rend inaccessibles dans le cas où j’aurais besoin de leur intervention. Par ailleurs, je n’ai jamais été autorisée à emprunter cette ligne d’eau « surveillée ». J’aurais eu la possibilité d’y nager à mon rythme, comme j’ai pu en bénéficier dans plusieurs autres piscines. Certains créneaux horaires ne sont pas propices à une séance de natation sereine et à la mesure de mes capacités motrices, car trop de nageurs affluent dans ces moments. Il m’est d’ailleurs arrivé de me sentir en danger certains après-midis où des enfants sautent dans l’eau sans porter attention aux nageurs voisins.
Les maîtres-nageurs n’ont jamais accepté de m’asseoir au bord du bassin, pour des raisons dites de sécurité[4], et ce, en outre, malgré mon petit gabarit. Le fauteuil de mise à l’eau dont on m’impose l’utilisation me paraît être une pratique très stigmatisante dans la mesure où ce fauteuil expose ceux qui l’utilisent au regard des autres nageurs pendant plusieurs minutes.
Je me souviens d’un jour où j’étais arrivée tout équipée au bord du bassin, accompagnée de plusieurs amis. Le maître-nageur en service s’est exclamé en me voyant : « Ils laissent passer les handicapés à l’accueil ! ». Le siège de mise à l’eau ne marchait effectivement pas ce jour-là, et il paraissait évident d’après ce maître-nageur que l’accueil aurait dû me refuser l’accès sous le motif de cette panne. L’équipe entière m’a bien fait comprendre qu’il était hors de question de m’asseoir au bord de l’eau pour que je puisse nager. Mes amis étaient tout disposés à le faire, cependant ce jour-là, l’équipe nous l’a formellement interdit en alléguant la sécurité. Je suis retournée, très contrariée, me changer au vestiaire.
La deuxième piscine que j’ai expérimentée présente un certain nombre de paradoxes architecturaux en ce qui concerne les aménagements pour personnes à mobilité réduite (PMR). Le vestiaire, au rez-de-chaussée, n’est pas isolé du reste du public et la douche y est intégrée. En revanche, plusieurs contradictions apparaissent : une marche pour accéder à la cabine, une configuration du vestiaire qui ne respecte pas l’amplitude angulaire du fauteuil quand il doit tourner, et un fauteuil de douche difficile à manipuler près de la piscine car n’ayant habituellement pas vocation à être déplacé – et dont les freins ne marchaient pas du tout, comme dans nombre d’établissements que j’ai rencontrés, sans doute eu égard au caractère vétuste et peu utilisé des équipements PMR.
On sentait néanmoins que l’ensemble du personnel de la piscine avait un réel souci d’accueillir au mieux les personnes en situation de handicap, en dépit de ses contradictions techniques. Par exemple, la piscine étant très fréquentée, les maîtres-nageurs avaient eu spontanément la présence d’esprit de me laisser nager dans la ligne de cours, cela participait à des séances sereines, et justifiait de mon point de vue le moment décisif de ma venue : malgré les difficultés du vestiaire, de l’accès au bassin, j’étais venue pour nager, ce que je pouvais réaliser sans inquiétude.
La piscine a été fermée pour rénovation et j’espère que dans les plans de restructuration seront pris en compte davantage de paramètres PMR.
Je n’avais jamais eu d’écho de la troisième piscine dont j’expose ici mon expérience, avant de m’y rendre. Pourtant, elle présente de mon point de vue un accueil particulièrement bienveillant et bien pensé à l’égard des personnes à mobilité réduite[5]. Cet accueil me satisfait au point que je n’ai plus ressenti le besoin d’essayer l’accès, toujours risqué, de nouveaux établissements.
L’équipement matériel est de loin le mieux pensé. En effet, il n’a pas été improvisé et bricolé sur le tard : la cabine du vestiaire est grande, comporte une douche. Elle n’est pas isolée du reste du public. Une fois en maillot, une rampe d’accès me permet de me rendre, avec un siège de piscine adéquat, près du bassin. Les maîtres-nageurs m’ont spontanément orientée dès mes premières venues vers la ligne des séances de cours, où je peux donc nager sans craindre que mon rythme ne soit un obstacle pour les autres[6]. C’est d’ailleurs sur cette ligne qu’est fixé le fauteuil de mise à l’eau électrique dont disposent également les deux autres piscines présentées dans cet article, disposition qui me paraît plus cohérente avec l’attribution des lignes d’eau.
Ce même dispositif électrique du fauteuil de mise à l’eau existe donc dans cette piscine, mais il y est considéré comme facultatif, à disposition du public qui en a besoin. L’équipe des maitres-nageurs m’a d’ailleurs demandé, lors de mes premières séances, si je préférais utiliser ce matériel ou si j’acceptais d’être portée au bord de l’eau. La réponse était relativement évidente pour moi qui n’aimais pas l’usage de ce fauteuil, mais la question valait quand même la peine d’être posée : elle confirmait que l’accès des personnes en situation de handicap était davantage considéré comme un chemin jalonné de multiples « mises à disposition » et non comme le produit d’un parcours imposé.
L’équipe de l’accueil était tout aussi chaleureuse et serviable que celle du personnel du bassin. Je me rends désormais dans ce lieu, non pas seulement pour satisfaire mon besoin impérieux de nager, mais aussi pour profiter de l’accueil si bienveillant qui m’est accordé dans cet univers à la mesure de mes capacités.
La piscine a fermé ses portes pendant une année suite à un incident technique qui engageait de longues réparations. J’ai donc fréquenté d’autres établissements dont aucun n’a égalé à mon sens cet accès bien mis en oeuvre. J’ai alors été confrontée à d’autres équipements, d’autres réactions de la part des nageurs ou du personnel de la piscine. Dans ce contexte, d’autres dysfonctionnements, d’autres comportements médiocres, mais également d’autres belles solidarités ont émergé.
La conclusion qui émerge de ces trois types d’accès est simple : l’accès doit être pensé dès le début d’une construction et ne peut être bien réalisé s’il est entrepris sur le tard, composé de multiples rafistolages et arrangements. Là réside la distinction entre un accès spécialisé et un accès intégré (Larrouy, 2011). L’accès doit également faire primer avant tout la personne humaine qui en fait l’usage : ce n’est pas parce qu’un matériel est extrêmement coûteux que l’accès lui-même se trouve plus réussi[7]. Nous avons tenté de schématiser les trois types d’accès que j’ai rencontrés dans la figure ci-dessous.
Sur un plan humain, de tels univers ne sont évidemment pas sans laisser de marques : accéder à un lieu par l’intermédiaire d’expédients de fortune improvisés sur le tard, c’est renvoyer en négatif à l’individu une image de lui-même comme celle d’un surplus où il est à la fois inclus et exclus[8]. Cette situation d’isolement prend des allures paroxystiques lorsque l’accès est tout simplement rendu impraticable et isole l’individu en situation de handicap du reste de la société. C’est alors à une image de lui-même comme de celui qui est mis en quarantaine, loin d’une humanité dont il fait pourtant partie, que le reste de la société le renvoie.
Dans l’accès, il ne faut donc pas simplement prendre en compte les équipements proposés, mais considérer aussi la qualité de cet accès dans sa portée humaine, et la manière dont elle rejaillit sur le vécu de l’individu en situation de handicap. Le stigmate qu’un mauvais accès, et/ou qu’un accueil distant ou indifférent, voire hostile, peut induire sur la personne ayant des incapacités est bien réel. Ceux dont l’inconséquence pousse à emprunter les locaux – toilettes, vestiaires ou places de parking – où figure pourtant le logo handicap, ne mesurent pas toujours la portée de leur attitude. La raison la plus souvent alléguée dans ces situations du quotidien, est que le dit-lieu n’est alors pas occupé; mais il s’agit là d’un cercle vicieux, car si ce lieu n’est jamais disponible, étant pris d’assaut par les citoyens ordinaires, aucun citoyen ayant des incapacités ne sera en mesure de l’occuper. Ces locaux, ces places existent car des personnes n’ont pas accès aux autres emplacements : quand elles s’y rendent, elles en ont besoin, ne pouvant utiliser les emplacements ordinaires.
Une architecture dont l’accès n’est pas pensé et donc conçu pour tous, est une architecture qui manque à sa vocation première, à savoir d’offrir aux individus sans exception un espace vivable et praticable[9]. Une architecture non accessible est une architecture qui repousse vos manières d’être et d’agir dans le monde, qui ne vous accepte pas tel que vous êtes et qui fait de vous une persona non grata.
Nous ne contrôlons certes pas tout dans l’accès, et bien souvent l’histoire d’une construction architecturale qui n’a pas été pensée en vue d’accueillir des personnes à mobilité réduite, nous met en défaut au moment précis où se joue une situation d’accès. Pourtant, malgré ces points d’achoppement, nous ne pouvons nous dédouaner d’un meilleur accès en nous contentant d’une accessibilité défaillante. À chaque fois que je bats en retraite après m’être heurtée à un lieu inaccessible, un sentiment de révolte m’envahit : on a porté atteinte à ce que je suis, à mon droit d’investir l’espace public au même titre que les autres. Il ne faut pas sous-estimer le caractère traumatisant[10] de chaque chemin que nous empruntons, chemins quasiment invisibles, même si notre époque de performance nous enjoint de nous focaliser sur l’objectif à atteindre. Au-delà d’un échec individuel, loin de convoquer seulement un moment à la piscine ou une séance de cinéma, c’est la question de la responsabilité collective de tous ceux qui prennent part, de près ou de loin, à la situation, qui est en jeu.
Le logo handicap signalant l’accès d’un lieu aux personnes en fauteuil n’est-il pas, finalement, un des stigmates contemporains les plus évidents dans l’accès? Son absence ne signifie-t-elle pas au fond dans la plupart des lieux, bien plus qu’une non-possibilité, une quasi-interdiction d’investir l’espace? Loin du « politiquement correct », où est alors la différence dans le ressenti de la personne qui en fait les frais? J’ai mes quartiers, différents en nombre et en qualité du reste de ceux de la société. Mais pourquoi me retirer cette marque d’appartenance à la même humanité, parce que je suis en fauteuil?
Comme j’ai tenté de l’exprimer, si la volonté humaine ne suffit pas toujours pour permettre l’accès immédiat à un lieu, elle peut néanmoins racheter en grande partie la trace extrêmement nocive qu’aurait pu laisser ce non-accès du lieu, en déployant une aide substantielle dans la mesure du possible, ou encore en prenant le temps de s’expliquer, si elle en dispose. Rien de pire qu’un désert de paroles et de dialogues quand on vous refuse un accès; et même davantage, cette intervention humaine ne rattrape pas seulement un équilibre mis à mal, elle tend à redonner à ce processus morbide une autre forme de richesse humaine. L’être humain n’arrive chronologiquement qu’après le dysfonctionnement des choses. Il peut alors choisir d’accentuer le processus engagé en préférant la sécurité ou d’autres éléments, mais il peut aussi choisir d’inverser le tournant de cette négativité. En effet, de façon inattendue, de belles solidarités entre les êtres peuvent parfois émerger d’une situation a priori mal engagée.
L’expérience blessante n’est pas toujours là où on la croit. Il y a donc nécessité, voire urgence, de mettre des mots sur des expériences de vie les plus ordinaires de la vie quotidienne, passées sous silence si elles ne sont pas exprimées, afin de renseigner l’autre sur le fait que la situation est problématique pour moi, ce sans quoi reste la possibilité que ce dernier n’en prenne jamais conscience malgré toute sa bonne volonté d’améliorer la situation. Comment sinon permettre à un interlocuteur qui n’a jamais accès – par définition – au ressenti de l’autre, d’en prendre la juste conscience, la pleine mesure? L’objectif n’est pas alors de juger ou de dénoncer mais plutôt de pointer, de désigner en aidant l’autre à mieux redistribuer le quota de vigilance dont il est capable dans sa vie. Nombre de choses invisibles, de choses que nous construisons tous les jours, que nous cautionnons quotidiennement de manière tacite, peuvent tour à tour meurtrir ou faire grandir. Tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons ou disons porte déjà la responsabilité de notre simple existence : nous ne cessons, souvent à notre insu, de générer du futur et rien n’est sans conséquence sur notre avenir.
Appendices
Notes
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[1]
Une affordance (de l’anglais to afford, offrir) est une invitation à l’action. Elle trouve une déclinaison concrète dans les interfaces des objets (un casse-noix par exemple), des surfaces (une surface plane où l’on peut marcher), du milieu (l’air dans lequel on respire, l’eau dans laquelle on peut nager). L’affordance présente le double-avantage de prendre en compte deux paramètres, les caractéristiques du milieu et les capacités (métriques, motrices, psychologiques ou autres) singulières de l’individu qui permet de les mettre en relation et rendre possible et effectif leur dialogue.
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[2]
La grille des affordances constitue l’un des moments pivots qui me sert à redéfinir l’occurrence du « handicap », notamment dans mon doctorat (« Transformer le "handicap" ou l’invention d’un usage détourné du monde. Essai de cheminement conceptuel à partir d’expériences de vie », soutenu en 2014).
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[3]
Une réserve me paraît importante à prendre en compte à la lecture de cet article : je n’y fais référence qu’à ma simple expérience de personne handicapée moteur dans des lieux très contextualisés de plus (Paris, dans les années 2010). Or, chaque handicap étant singulier, d’autres éléments prioritaires pourront émerger d’autres situations, même si à mon sens les enjeux restent sensiblement les mêmes.
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[4]
La sécurité est régulièrement invoquée comme un obstacle à l’accès d’un lieu. Détourné ou galvaudé à l’excès, cet argument peut aisément être utilisé comme un prétexte pusillanime qui laisserait penser que l’être humain est dédouané des responsabilités qui lui incombent.
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[5]
J’ai été déçue a posteriori de n’avoir pas eu cette information plus tôt, ce qui m’aurait évité de transiter dans de multiples piscines à l’accès compliqué. Aujourd’hui, cependant, j’ai connaissance d’un site internet très utile pour les PMR qui recense les différents établissements publics de toute sorte (restaurants, magasins, cinémas etc.), www.jaccede.com par Damien Birembau, utilisant lui-même un fauteuil.
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[6]
Ce n’est pas une expérience propre à la situation de handicap mais amplifiée par cette situation : j’ai souvent affronté le manque de considération des nageurs à l’égard de ma situation particulière, indifférence pouvant parfois mener à des comportements brutaux.
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[7]
C’est la problématique que convoque la notion récente d’« aménagements raisonnables » (actes du colloque de l’EHESP, février 2016) : le véritable enjeu de ce que devrait être un aménagement serait d’assurer un principe de parcimonie en satisfaisant au mieux les besoins de l’individu sans pour autant tomber dans la dérive du politiquement correct des mesures inutiles.
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[8]
La problématique de l’ambivalence de l’inclusion fait partie des thèmes récurrents qui gravitent autour de la question du handicap, dont l’identité est celle d’un entre-deux, telle celle de l’immigré que décrit Amin Maalouf dans les Identités meurtrières (1998), ou celle de l’étranger décrite par Guillaume Leblanc dans Dedans, dehors (2010). Amin Maalouf prend l’exemple d’un homme né en Allemagne de parents turcs : « Aux yeux de sa société d'adoption, il n'est pas allemand ; aux yeux de sa société d'origine, il n'est plus vraiment turc. » Il déplore surtout le fait que la société, d’accueil notamment, ne soit pas en mesure d’assumer ses individus aux appartenances multiples. Comme l’analyse Guillaume Leblanc, la seule mention d’étranger, avec laquelle on peut tisser une analogie avec la situation de handicap, est déjà une étiquette qui signifie l’extériorité de l’individu au groupe de référence, son impossibilité de prendre part à la vie de la nation.
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[9]
J’explique ce qu’est l’universal design dans mon article « À chacun son monde, à chacun son chemin » (Erès, 2008), où je décline les quelques grands principes de base d’un environnement accessible à tous : principe d’utilisation équitable (tout individu quelles que soient ses capacités doit pouvoir accéder à la ressource), principe de flexibilité d’emploi, de simplicité, de perceptibilité de l’information, de sécurité d’utilisation, de facilitation de l’utilisation, de dimension et espace suffisant (Margot-Cattin, 2007).
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[10]
Au sens étymologique de trauma en grec, la blessure, au sens de la marque qui est laissée.
Bibliographie
- Chabert A.-L. (2008). À chacun son monde, à chacun son chemin. Reliance, 28, 83-90.
- Chabert A.L. (2014). Transformer le « handicap » ou l’invention d’un usage détourné du monde. Essai de cheminement conceptuel à partir d’expériences de vie, Thèse, Paris : Université Paris VII.
- École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) (2016). Colloque Aménagements raisonnables et situations de handicap : quels usages d’un nouveau cadre juridique ?, 11 février 2016, Paris.
- Goffman E. (2012). Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris : Éditions de minuit.
- Henrich, E., & Kriegel, L. (1961). Experiments in survival, New-York : Association for the Aid of Crippled Children.
- Jullien, F. (2014). Vivre de paysage ou L’Impensé de la Raison, Paris : Gallimard, Coll. « Bibliothèque des Idées ».
- Larrouy, M. (2011). L'invention de l'accessibilité. Grenoble : PUG.
- Leblanc, G. (2010). Dedans, dehors. La condition d’étranger. Paris : Le Seuil.
- Maalouf, A. (1998). Les Identités meurtrières. Paris : Grasset.
- Margot-Cattin, P. (2007). De l’accessibilité au design universel, in Borioli J., Laub R. (dir.), Handicap : de la différence à la singularité. Enjeux au quotidien. Chêne-Bourg (Suisse) : Éditions Médecine et Hygiène, pp. 135-154.