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Cet article est de nature exploratoire. En partant du constat qu’un écrasement historique de la frontière entre la vie et la mort a eu lieu dans le monde occidental libéral avec l’avènement de la modernité et la préséance de la rationalité instrumentale qui la caractérise, un étrécissement de la conscience de l’au-delà, concomitant au déclin généralisé des moeurs mortuaires, est postulé. S’appuyant sur des savoirs achés, madijas et emberás médiés par l’ethnographie et la littérature occidentale, une réflexion sur les points de passages possibles entre les vivants et les morts est développée. Une syntaxe des mondes (monde des vivants, monde des morts) y est défendue, à laquelle s’articulent des modalités de communication entre eux, elles-mêmes régies par des idéologies sémiotiques définies. Le problème du raccord des mondes d’expérience ou de subsistance des morts et des vivants est abordé sémiotiquement en prenant en compte la performativité sociale des signes dont l’origine est imputée aux morts par les vivants, appelés ici signes sépulcraux. À partir des travaux ethnographiques de Pierre Clastres sur les Aché et de Donald Pollock sur les Madija, de la pensée perspectiviste défendue par Eduardo Viveiros de Castro autour du chamanisme sud-américain, ainsi que de textes littéraires de J.M.G. Le Clézio relatant son expérience initiatique auprès des Emberá, une compréhension de la mort comme frontière est atteinte, qui la laisse entrevoir comme une région à part entière, épaisse, poreuse et générative de sens, à l’instar de tout seuil jouxtant deux univers de sens, ou systèmes sémiotiques.