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Ce qui suit est un entretien entre Alexia Moyer, rédactrice adjointe de CuiZine, et Simon Mayer, bibliothécaire à la Collection nationale de la Grande bibliothèque et curateur de « Le livre de cuisine au Québec. » Cette exposition nous fait voir le Québec − ses institutions, ses industries, ses préoccupations idéologiques, ses habitudes alimentaires − au travers de ses recettes.

Q : Qu’est-ce qui vous a amené à rassembler ces textes sous forme d’exposition ?

R : Déployées à raison de quatre ou cinq fois par année, les sélections bibliographiques sont confectionnées par les bibliothécaires de la Collection nationale (CN). Ces sélections constituent un outil de découverte du patrimoine documentaire de la BAnQ conformément au mandat de diffusion de la CN. Depuis longtemps, les bibliothécaires de la CN préparent des sélections bibliographiques qu’ils exposent en salle de lecture. Depuis 2010, les sélections sont publiées en ligne.

La sélection actuelle fait suite à deux sélections: une sur l’histoire des sciences au Québec et l'autre intitulée Lire Montréal : promenades en mots et en images. Le prochain groupement d'oeuvres aura pour thème la philosophie au Québec. Une sélection sur la mode au Québec sera aussi mise en ligne au cours des prochains mois.

L’idée de traiter précisément du livre de cuisine s’est imposée par la très grande présence médiatique de la cuisine ces dernières années. Nous avons donc saisi l'opportunité de faire connaître notre patrimoine sur ce thème.

Outre ma propension à faire bonne chère, mon intérêt pour la question s’est attisé récemment à la lecture de l’Histoire de la cuisine familiale du Québec, ouvrage monumental de Michel Lambert, qui a parcouru le Québec à la manière d’un ethnologue pour retracer l’histoire des cuisines régionales.

La lecture d’un article publié dans la Revue d’histoire de l’Amérique française écrit par Caroline Coulombe a aussi alimenté ma volonté de dresser ce portrait sélectif du livre de cuisine au Québec.[1]

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Histoire de la cuisine familiale du Québec

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Q : Comment peut-on comparer cette collection à celle des bibliothèques de McGill et du Musée McCord ?

R : À première vue, les collections de livres de cuisine des bibliothèques de l’Université McGill et du Musée McCord contiennent plusieurs livres de cuisine importants de l’histoire de l’édition québécoise.

La particularité de BAnQ, et plus particulièrement de la CN, est sa vocation d'institution documentaire patrimoniale nationale. Elle est dépositaire, et ce depuis 1968, de tout document publié au Québec ou relatif au Québec.[2] Plus spécifiquement, les publications assujetties au dépôt légal et recueillies par BAnQ sont les suivantes : affiches, cartes géographiques et plans, cartes postales, documents électroniques sur support et logiciel, enregistrements sonores, estampes, livres d’artiste, monographies, partitions musicales, programmes de spectacles, journaux et revues, reproductions d'oeuvre d'art. En 2006, la cinémathèque québécoise s’est vue investie du même mandat pour les productions cinématographiques et télévisuelles québécoises. Sauf exceptions, le dépôt légal s'effectue en deux exemplaires : un exemplaire au Centre de conservation, qui sera conservé pour les siècles à venir, et un autre à la CN pour diffusion.

Q : Qu’est-ce qui n’est pas présentement dans la collection, mais qui devrait l’être ?

R : Ne sont inclus dans cette exposition les livres qui n’ont pas été déposés conformément à la Loi sur le dépôt légal ou qui, pour différentes raisons, sont passés sous le radar du service des acquisitions. C’est le cas, on peut croire, de livres de recettes réalisés par de petites associations locales (comme par exemple les cercles de fermières), de livres publiés à compte d’auteur et de publications modestes, souvent des brochures, éditées par diverses entreprises agroalimentaires, qui cherchent ainsi à favoriser l’utilisation de leurs produits.

Certains livres anciens manquent aussi à l'appel. La bibliothèque n’a pas, par exemple, la première édition de la Nouvelle cuisinière canadienne publiée en 1840. Cependant, des éditions plus récentes offrent un alléchant portrait de la cuisine bourgeoise d’inspiration française du XIXe siècle et peuvent être consultées à la CN. En règle générale, il est difficile de trouver des exemplaires de livres de cuisine anciens en bon état, car la plupart des exemplaires ont souffert de l’usage intensif qui en a été fait.

Le service des acquisitions patrimoniales est toutefois en contact permanent avec un réseau de libraires de livres anciens ou d’occasion grâce auquel BAnQ fait des acquisitions régulières dans ce domaine. Nous recevons également des dons en provenance de particuliers, de bibliothèques, d’associations ou de communautés religieuses.

Figure 2

Nouvelle Cuisinière Canadienne

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Q : Avez-vous noté une évolution dans les textes de la collection au fil du temps – en matière de photos/illustrations ? du public visé ? du schéma des recettes et des directives ?

R : Les illustrations au XIXe siècle, lorsqu’il y en avait, se résumaient à l’illustration visuelle des coupes de boucherie. Au début du XXe siècle, diverses illustrations apparaissent dans les livres de recettes d’entreprises. La cuisinière Five Roses, par exemple, contient, fait rare à l’époque, plusieurs photographies couleur de grande qualité de desserts. Une iconographie monochrome illustre aussi, tout au long de l’ouvrage, de petits enfants mettant la main à la pâte. Partout apparaît la marque de commerce Five Roses. C’est aussi le premier exemple dans nos collections d’une couverture colorée et attrayante, qui, de plus, utilise une image de femme jolie et sensuelle.

À cette époque, on ciblait expressément la femme au foyer, puis la femme de société, ayant une vie sociale extra-familiale. C'est aussi le cas dans les livres de cuisine bourgeoise française des siècles précédents. Ensuite, la notion de genre s’est tranquillement atténuée, alors que les hommes sont aussi devenus des consommateurs de livres de cuisine.

Au XIXe siècle, les quantités sont peu explicitées. Le texte est continu. Du côté des directives, on met surtout l’emphase sur le choix des aliments, des viandes et des poissons en particulier.

Avant le développement de l’industrie québécoise du beurre à la fin du siècle, les lectrices de la Nouvelle cuisinière canadienne pouvaient y trouver toutes les instructions nécessaires à sa fabrication artisanale.

Dans la Nouvelle cuisinière canadienne, il y a déjà présence de mesures, mais c’est surtout l’influence du Livre de cuisine de Boston publié aux États-Unis au tournant du XXe siècle qui amène les mesures à se standardiser en Amérique du Nord.

Au XXe siècle, la présentation des recettes est plus aérée et segmentée, on élabore plus sur les méthodes de cuisine.

Enfin, depuis la fin du XXe, et plus particulièrement ces dernières années, les livres de cuisine, tout en maintenant une schématisation claire et méthodique, rivalisent de couleur et d’originalité pour accrocher l’oeil et le ventre des bouquineurs et des gourmands.

Figure 3

La cuisinière Five Roses

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Figure 4

Livre de cuisine de Boston

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Figure 5

Coupes de boucheries, Livre de cuisine de Boston

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Q : Le livre de cuisine – est-il le moyen primaire par lequel les connaissances culinaires sont transmises et diffusées au Québec ?

R : Traditionnellement, les trucs de cuisine se sont transmis à l’intérieur des familles et des communautés. Au XIXe siècle, mais surtout au XXe siècle les revues et journaux incluaient souvent une chronique culinaire. Ce fut là, avec le livre, une importante source de transmission des connaissances culinaires. Avec le développement du Web, la requête Google est souvent maintenant le premier réflexe de recherche. Ces dernières années, on peut toutefois observer un grand engouement pour le livre de cuisine au Québec, des magazines s’y intéressant (voir encadré à la fin du texte) et des émissions télévisuelles. Les émissions télévisuelles sont nombreuses et propulsent certains chefs et animateurs au rang de vedettes.

Il semble que nous assistions à la montée d’une tendance de fond d’un intérêt gastronomique, mais quelles influences cela a-t-il sur les habitudes culinaires et alimentaires des Québécois? Des journalistes tentent couramment d’y répondre…

Q : « tout livre de cuisine, lu dans son intégralité, crée sa propre vision de son monde » écrit Margaret Atwood. Parlez-nous un peu du monde selon The Skillful Housewife’s guide et/ou La cuisine raisonnée[3].

R : Ces deux ouvrages sont de nature différente et n’ont pas eu la même portée. The Skillful Housewife’s guide n’a été publié qu’une seule fois, en 1848, alors que La cuisine raisonnée est toujours rééditée à ce jour.

  1. The Skillful Housewife’s guide

    Ce livre est essentiellement une compilation de recettes importées des îles britanniques auxquelles on a ajouté des recettes américaines. Avant de présenter l’inventaire sommaire de son contenu, je tiens à souligner qu’on y trouve un nombre particulièrement grand de recettes de desserts. Les vinaigres et la bière y occupent aussi un espace appréciable. Je ne m’étendrai pas plus amplement sur cet ouvrage, sinon pour vous faire remarquer qu’on y trouve un chapitre sur l’encadrement du travail des domestiques. En voici le contenu :

    • Choix des viandes

    • Façons de reconnaître une viande de bonne qualité

    • Astuces pour contrer les mauvaises odeurs

    • Trucs de cuisson générique, puis par bête

    • Légumes : présentation des techniques de base; pas d’élaboration en recettes

    • Scotch Haggis

    • Beaucoup de desserts

    • Vinaigre et bière

    • Pas d’instructions de mesures

    • Chapitre intitulé : Cookery for the sick and for the poor (remèdes de grand-mère)

    • Chapitre intitulé: Directions to servants

    • Tenue et entretien de la cuisine et de la salle à manger

  2. La cuisine raisonnée

    Ce manuel de cuisine adapté aux élèves des cours élémentaires de l’école normale classico-ménagère de Saint-Pascal-de-Kamouraska a été écrit en 1919, par les soeurs de la Congrégation de Notre-Dame. Ce livre est ensuite devenu un best-seller réédité plus de 20 fois. Il offre donc un plus grand potentiel d’analyse discursive.

    Ce livre présente une cuisine simple, utilisant des ingrédients économiques, faciles à trouver et hygiéniques. Il s’adresse aux maîtresses de maison et aux jeunes filles. On peut aussi noter que, contrairement à tous les auteurs étrangers ou canadiens, les recettes nécessitant l'utilisation d'alcool ont été bannies de cet ouvrage. En effet, au niveau pratique en ces temps de prohibition, il était difficile de s'en procurer. Au niveau hygiénique, voire même moral, les alcools sont de plus dépeints comme des matières dangereuses pour la cuisinière et son entourage.

    Au travers de cet ouvrage, sont énoncés certains principes de la science domestique de l’art culinaire:

    « Savoir manger, c’est savoir faire un choix judicieux des aliments de façon à se nourrir rationnellement, agréablement, hygiéniquement, économiquement »

    Le ton est aussi à l’ennoblissement du travail de la ménagère; en s'assurant de faire comprendre au lecteur que ce n’est pas une besogne d’ordre inférieur. « …la maîtresse de maison tient dans ses mains l’avenir de la famille et de la nation »[4]

    On apprend aussi les qualités pratiques nécessaires pour être une bonne ménagère : ordre, économie, amour du travail, savoir-faire.

    Ensuite, l’ouvrage prend la forme d’un manuel de cuisine, se penchant tout à tour sur l'organisation du travail, la batterie de cuisine, les mesures, les principaux termes de cuisine, les aliments, ou encore les principes généraux de cuisson. Les aliments et leur valeur nutritive sont aussi passés en revue, ainsi que les coupes de viandes, les sauces, et les types génériques de recettes.

    Dans les éditions subséquentes apparaissent beaucoup plus de recettes.

    Les éditions des années 1940 sont d’ailleurs toujours appréciables pour l’éventail et la qualité quasi-gastronomique de leurs recettes.

    Jusqu’aux années 1960, la préface de La Cuisine raisonnée encourage fortement la femme à rester au foyer et à maintenir l’ordre social traditionnel. Depuis, les rééditions ont pris soin de réviser…

Figure 6

La cuisine raisonnée

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Figure 7

La cuisine raisonnée

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Figure 8

La cuisine raisonnée

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Q : Quels étaient, et sont, les effets de l’enseignement culinaire des religieuses?

R : Comme nous l'avons évoqué précédemment, les religieuses ont mis une emphase particulière dans leur enseignement sur la conception de l’art culinaire comme science domestique. Elles ont aussi insisté sur l'importance de la passation de la tradition culinaire (classiques de la cuisine canadienne), tout comme sur la valorisation du confinement domestique de la femme au foyer.

Leur rôle social était alors prédominant. Par exemple, notez qu’en 1930, on comptait 160 écoles ménagères au Québec. Même si les écoles ménagères ne sont plus là aujourd’hui, on peut aisément croire qu’elles ont eu un impact important sur la transmission du savoir culinaire et ménager au Québec.

Q : Restent-ils des traces de ces publications, de cette éducation, dans nos habitudes alimentaires ici au Québec ?

R : La Congrégation de Notre-Dame, qui a produit La Cuisine raisonnée, a été fondée en 1659 par Marguerite Bourgeoys. Cette dernière y a enseigné les arts ménagers aux filles du roi à la ferme Saint-Gabriel et a, selon plusieurs récits, fabriqué la tire à la mélasse de la Sainte-Catherine comme on la connaît encore aujourd’hui.[5]

Il fut une époque où on pouvait trouver des livres de cuisine produits par les congrégations religieuses dans la plupart des foyers du Québec francophone.

Les multiples rééditions et réimpressions de La Cuisine raisonnée sont encore aujourd’hui d'excellents vendeurs.

La sécularisation de l’enseignement amenée par la Révolution tranquille n’a pas signifié la fin de l’influence des religieuses dans le champ culinaire. En effet, elles ont été sollicitées par les éditeurs de livres et de revues, ainsi que par la télévision, pour diffuser leur savoir-faire. Quelques-unes sont même devenues de véritables vedettes médiatiques: Monique Chevrier, soeur Berthe, soeur Angèle.

Soeur Angèle jouit toujours d’une certaine popularité au Québec, comme ambassadrice de la cuisine et des produits québécois. Elle a été investie membre de l’Ordre du Canada en 2012. Lors d’une balade récente au Marché Jean-Talon, j’ai suivi un peu par hasard soeur Angèle alors qu’elle faisait son marché; plusieurs dames la saluaient affectueusement.

Q : Quels sont vos textes préférés dans cette collection ? Lesquels avez-vous utilisés ?

R : D’abord, je dois dire que j’ai grandi alimenté par la cuisine complète et réconfortante de soeur Berthe; ses livres étant souvent ouverts dans la cuisine de ma mère. Il y a donc là un lien tout maternel avec cette cuisine, dont les souvenirs me font encore saliver, surtout à l’approche du temps des fêtes.

Une émotion similaire apparaît chez moi quand je pense à la cuisine haïtienne, prodigue en saveurs chaudes et piquantes, comme l’hospitalité des ressortissants de ce peuple. Quand je m’ennuie du nord de Montréal, soit je m’y rend pour manger dans un de mes casse-croûtes favoris, ou bien j’ouvre La cuisine haïtienne de tous les jours pour m’inspirer un repas rempli de soleil.

Le premier livre de cuisine que je me suis personnellement procuré, Saveurs du Québec : l'art d'apprêter les quatre saisons, est toujours mon favori. Au fil des saisons et des régions, d’éminents chefs du Québec y présentent de succulentes recettes, le tout accompagné d’un travail éditorial et de photographies desquels se dégage une poésie grisante et veloutée. La soupe à l’oignon de Saint-Hilaire, le pâté pantin d’anguille à la crème d’ortie et le gigot d’agneau à l’ail des bois sont autant de délices qui permettent de saisir la variété et la richesse de la gastronomie québécoise.

Figure 9

La cuisine haïtienne de tous les jours

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Figure 10

Saveurs du Québec

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Les 5 titres francophones les plus lus sont :

  1. Qu’est-ce qui mijote? (Kraft) : 1 234 000 lecteurs (contre 1 185 000 à l’automne)

  2. Coup de pouce (Transcontinental) : 1 105 000 lecteurs (contre 1 073 000 à l’automne)

  3. Touring français/anglais (CAA) : 1 092 000 lecteurs (contre 1 079 000 à l’automne)

  4. Châtelaine (Les Éditions Rogers) : 994 000 lecteurs (contre 986 000 à l’automne)

  5. L’actualité (Les Éditions Rogers) : 966 000 lecteurs (contre 907 000 à l’automne)[6]

Les magazines sont soit spécialisés, soit s’intéressant particulièrement à la cuisine. C’est le cas de Coup de pouce en particulier, qui est très populaire et est un bon indicateur des tendances en cuisine domestique depuis plus de 25 ans au Québec.

L’abonnement à la publication de Kraft est offert gratuitement et contient des recettes et des coupons rabais.

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Coup de Pouce

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