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Mon âme porte le témoignage de la violence mondiale : des travailleurs.euses sociaux prennent la parole et livrent leurs regards dans des espaces fugitifs[Record]

  • Paul Banahene-Adjei

La douleur et la souffrance, pour reprendre les mots de Saidiya Hartman, « fournissent une langue commune à l’humanité; [elles] accordent l’humanité aux dépossédés et, en retour, sont un remède à l’indifférence des insensibles » (1997, p. 18). L’humanité est effectivement programmée pour avoir de l’empathie à l’égard des gens qui vivent de la souffrance et de la douleur tout en condamnant et, à certains moments, en combattant les responsables de cette douleur et de cette souffrance humaines (Goldstein, 1989). Toutefois, pour que la douleur et la souffrance suscitent des réactions d’empathie et de compassion, elles doivent faire l’objet de témoignages qui relatent et rendent concrètement l’horreur du moment, mais aussi, comme le fait remarquer Ulrich Baer (2002), qui « défient la fascination aveugle pour l’horreur et les traumatismes qui résulte souvent d’une esthétique de l’outrageant » (p. 113). En tant que travailleurs.euses sociaux, nous sommes appelé.e.s à offrir des réponses profondément teintées d’empathie et de compassion et à défendre la justice sociale et les droits de la personne. Le monde vit une grande période de tourmente, et la violence semble endémique à l’échelle mondiale. Tandis que nous rédigeons ce commentaire, les populations du Darfour, du Soudan du Sud, de l’Éthiopie, de la République démocratique du Congo, de la République centrafricaine, du Tchad et du Bassin du lac Tchad, de la Somalie, de Haïti, de l’Ukraine, du Myanmar, de Taiwan, du Pakistan, de l’Afghanistan, d’Israël, de Gaza, du Liban, de l’Iran et du Sahel au Burkina Faso, au Mali et au Niger, pour n’en nommer que quelques-unes, sont témoins de la destruction de vies humaines, de la dignité humaine et de propriétés dans une proportion qui n’a vraisemblablement pas été observée depuis la Seconde Guerre mondiale. Les Nations Unies ont même sonné l’alerte, indiquant que la paix mondiale est plus menacée qu’elle ne l’a jamais été depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que plus de deux milliards de personnes se trouvent sous le feu croisé des combats qui font rage dans ces régions aux prises avec des conflits. En tant que citoyen.ne.s du monde, nous sommes chaque jour confrontés dans notre quotidien (dans nos collectivités, nos quartiers et nos rues) et par l’entremise des médias à des images de personnes blessées et en larmes, à la destruction de la vie et de la propriété, à l’érosion, voire à l’élimination de cultures, de langues et de traditions, à la montée d’une politisation généralisée à l’échelle mondiale de l’antisémitisme, du racisme envers les personnes musulmanes, noires et autochtones, de l’islamophobie, de la violence coloniale, de la xénophobie et des sentiments homophobes. En tant que chercheur.e.s et enseignant.e.s dans le domaine du travail social, nous constatons que, dans plusieurs zones de conflits, l’accès à l’éducation primaire, secondaire et postsecondaire est gravement compromis en raison de la violence tangible et des enjeux de sécurité, et parfois même de la destruction pure et simple des établissements d’enseignement. Dans les cités universitaires, nous voyons également des manifestations organisées en réponse à cette violence mondiale. Plusieurs étudiant.e.s et membres du corps professoral qui ont, par esprit de solidarité, tenté de souligner et de dénoncer la répression et l’oppression qui règnent ailleurs dans le monde ont dû payer un lourd tribut pour avoir remis le statu quo en question, faisant notamment l’objet d’actions en justice et, dans certains cas, d’une inquisition injustifiée. Dans ce contexte, de plus en plus de gens expriment des préoccupations devant le silence et l’indifférence des entités qui ont le pouvoir d’agir et de produire des changements. Alors que les établissements universitaires du Canada s’engagent à défendre les droits de la …

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