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Le système de protection de la jeunesse vise à protéger les enfants qui se retrouvent dans des situations familiales maltraitantes et/ou négligentes. Au Québec, les enfants avec de graves troubles de comportement et auprès desquels les parents n’arrivent pas à intervenir peuvent aussi recevoir des services du système de protection. La protection de la jeunesse est régie par une loi d’exception qui guide, mais également limite, les marges de manoeuvre des intervenant(e)s. L’intervention en protection de la jeunesse est donc un travail délicat qui peut engendrer du stress et de l’instabilité chez les professionnel(le)s qui y oeuvrent. Une revue de la littérature portant sur les facteurs personnels et organisationnels qui affectent le bien-être des intervenant(e)s au travail souligne que le roulement de personnel, la fatigue de compassion et le trauma secondaire y sont omniprésents (McFadden et coll., 2015). Le désir des intervenant(e)s d’adapter les interventions selon les besoins de chaque jeune s’oppose également souvent à la standardisation des pratiques en protection (Vargas Diaz et coll., 2022). En effet, la Loi sur la protection de la jeunesse impose un cadre strict et des interventions guidées par de multiples règles et procédures (Vargas Diaz et coll., 2022; Robichaud et coll., 2019). Le dilemme entre l’adhésion aux règles imposées par l’institution et la réponse adéquate aux besoins de la clientèle peut créer de la détresse morale en réaction à l’inadéquation entre les valeurs morales des intervenant(e)s et celles de leur institution d’attache (Brend, 2020; Grenier et coll., 2016). Cette détresse crée alors une tension inconfortable entre la volonté des intervenant(e)s d’offrir plus de possibilités aux personnes aidées et les limites imposées par les organisations (Ackerson et Harrison, 2000; Vargas Diaz et coll., 2022). Ces sources de tension sont associées à la lourdeur bureaucratique, au manque de possibilités de discussion et de supervision, aux délais imposés, aux critères de performance, à l’individualisation des responsabilités de chacun(e) et au roulement important de personnel (Vargas Diaz et coll., 2022). La lourdeur bureaucratique incite parfois les praticien(ne)s à opter pour des interventions génériques, au détriment des besoins spécifiques de chaque usager et usagère (Nutt, 2002).

Les défis identifiés plus haut sont vécus par la majorité des intervenant(e)s en protection de la jeunesse. Chenot et coll. (2009) et Spath et coll. (2013) parlent d’une culture organisationnelle passive-agressive et défensive, c’est-à-dire d’« une structure conservatrice, bureaucratique et non participative, avec une prise de décision centralisée » (Spath et coll., 2013, p. 23, traduction libre). Les services offerts au Québec n’y font pas exception; les conditions des professionnel(le)s de la protection de la jeunesse font même l’objet d’un chapitre dans le Rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, 2021). On y dénonce la surcharge de travail mais aussi les « exigences administratives grandissantes » (p. 345). Ce rapport montre que le contexte dilue l’identité professionnelle des intervenant(e)s en protection de la jeunesse et le sens de leur travail dans une lourdeur bureaucratique. Grenier et coll. (2016) observent cette perte de sens et une augmentation de la souffrance chez les travailleuses et travailleurs sociaux québécois dans la dernière décennie; ces facteurs sont influencés par la venue des principes de nouvelle gestion publique, soit l’optimisation des processus de gestion par l’intégration de mesures de performance et de redditions de compte (Grenier et coll., 2016). Ces principes laissent transparaître une volonté de contrôle et de standardisation des pratiques (Belquasmi, 2014), susceptibles de réduire l’autonomie des professionnel(le)s du milieu. Dans une revue systématique sur le pouvoir d’agir des jeunes en centres résidentiels, McPherson et coll. (2021) abordent aussi l’installation d’une forme de ritualisme, c’est-à-dire une acceptation et même un confort associé au fonctionnement et objectifs administratifs de l’institution, en opposition avec une réelle réflexion sur la protection des enfants.

La littérature sur le bien-être au travail suggère toutefois qu’un facteur pourrait adoucir les défis associés au système de protection : le sentiment de pouvoir d’agir chez les intervenant(e)s. En effet, certaines études démontrent que le sentiment de pouvoir d’agir atténue les risques de fatigue émotionnelle (Choi, 2017; Lee et coll., 2011), de traumatismes secondaires (Choi, 2017), d’épuisement professionnel (Boudrias et coll., 2012), et renforce l’intention de rester dans les services de protection (Choi, 2017). Ces résultats soulignent la nécessité d’approfondir notre compréhension du pouvoir d’agir spécifiquement chez les intervenant(e)s dans le système de protection de la jeunesse, surtout considérant la nature délicate de leur travail. Camden et Ridde (2009) déplorent cependant le manque de documentation sur le pouvoir d’agir des intervenant(e)s comparativement à celui des usagers et usagères. Notre étude propose de s’intéresser au pouvoir d’agir des intervenant(e)s, et plus particulièrement à ceux et celles qui oeuvrent en contexte institutionnel. La prochaine section permettra de mieux comprendre le pouvoir d’agir au travail sous les perspectives psychologiques et sociostructurelles.

Le pouvoir d’agir en contexte de travail

Lorsqu’il est question du pouvoir d’agir au travail, les travaux de Spreitzer (1996, 2008) sont les plus cités. Cette autrice a entrepris de revoir 20 ans de littérature sur le concept et identifie deux approches complémentaires pour l’étudier, soit sous la perspective psychologique et sous la perspective sociostructurelle.

La perspective psychologique du pouvoir d’agir

La perspective psychologique met l’accent sur la perception et l’expérience des employé(e)s (Spreitzer, 1996, 2008). Cette perspective comporte quatre dimensions testées par des analyses factorielles : a) le sentiment d’avoir un impact ; b) le sentiment d’être compétent(e) et la confiance en sa capacité de réussir ; c) le sentiment d’autodétermination (marge discrétionnaire / autonomie) ; et d) le sentiment de faire quelque chose qui a un sens (Spreitzer, 1996).

C’est à partir de ces quatre dimensions que plusieurs chercheurs et chercheuses ont étudié le pouvoir d’agir psychologique (Boudrias et coll., 2012; Choi, 2017; Lee et coll., 2011; Seibert et coll., 2004; Tremblay, 2009). Les résultats varient cependant selon les variables à l’étude. Certaines analyses permettent de conclurent que la dimension relative au sens a le plus d’influence sur l’augmentation des comportements de mobilisation des employé(e)s (Tremblay, 2009) et sur la réduction des symptômes d’épuisement professionnel dans le système de santé (Boudrias et coll., 2012). Choi (2017) trouve quant à elle un lien significatif négatif entre le sentiment d’avoir un impact et le stress traumatique secondaire vécu par les employés(e)s. Robichaud et coll. (2019) remarquent pour leur part que les marges de manoeuvre et l’autodétermination sont utilisées de façon variable selon les intervenant(e)s et reflètent le niveau d’adhésion aux règles établies par le système. Spreitzer (1996, 2008) rappelle toutefois que chacune des dimensions listées plus haut doit être présente dans l’expérience de l’employé pour expérimenter le pouvoir d’agir, faisant référence à l’approche de la Gestalt (ou « psychologie de la forme ») pour supposer que l’expérience devient plus que la somme des quatre dimensions. L’autrice affirme également que pour bien saisir le concept de pouvoir d’agir, la perspective psychologique à elle seule ne suffit pas; la perspective sociostructurelle doit également être considérée.

La perspective du pouvoir d’agir

La perspective sociostructurelle (ou contextuelle) du pouvoir d’agir est associée aux conditions de travail des employé(e)s (Spreitzer, 2008). Selon cette perspective, le pouvoir d’agir concerne le partage du pouvoir et de la prise de décision entre les membres d’une équipe et les gestionnaires de l’organisation. Il est en effet impossible de traiter du pouvoir d’agir des intervenant(e)s sans traiter du système dans lequel ils et elles gravitent (Robichaud et coll., 2019). En s’intéressant au pouvoir d’agir dans une perspective davantage sociostructurelle, Kirrane et coll. (2018) remarquent que le pouvoir d’agir de groupe joue un rôle dans l’engagement (vigueur et dévouement) des employé(e)s. Leurs résultats démontrent que le pouvoir d’agir du groupe protège les employé(e)s d’une supervision abusive et leur permettent de maintenir leur engagement. Or, l’étude de Kirrane et coll. n’est pas spécifique au système de protection, ce qui réduit la possibilité d’appliquer ses conclusions à ce contexte seulement. Slattery et Goodman (2009) démontrent que le pouvoir d’agir partagé par les membres d’une même équipe d’employé(e)s dans un contexte de pratique judiciaire en violence conjugale représente la seule variable capable d’atténuer le stress traumatique secondaire, et ce, au-delà des variables individuelles (antécédents de maltraitance et exposition aux traumas). Dans ce contexte, le pouvoir de l’équipe devient prépondérant et les équipes qui ont le plus de pouvoir d’agir sont davantage productives et proactives (Kirkman et Rosen, 1999).

La perspective sociostructurelle comporte la notion de climat de pouvoir d’agir. À l’instar du pouvoir d’agir psychologique, le climat de pouvoir d’agir dans une organisation peut être développé en plusieurs dimensions (Blanchard et coll., 1995). D’abord, Blanchard et coll. (1995) soulèvent la nécessité du transfert d’informations des gestionnaires vers les employé(e)s afin de créer une relation de confiance. Ensuite, ils proposent de développer des structures qui permettent de baliser l’autonomie des employé(e)s (bounded autonomy). Ces structures sont nécessaires, non pour réduire les libertés des employé(e)s, mais plutôt pour définir l’espace dont ils et elles disposent. Enfin, Blanchard et coll. (1995) abordent la nécessité de renverser la hiérarchie pour donner plus de pouvoir et de responsabilités (accountability) aux équipes.

Seibert et coll. (2004) se sont intéressés au climat de pouvoir d’agir défini par Blanchard et coll. (1995) et à son lien avec le pouvoir d’agir psychologique défini par Spreitzer (1996). Les résultats d’analyses factorielles démontrent un lien de corrélation entre les deux concepts, bien que ceux-ci demeurent tout de même distincts. Alors que cette étude ne porte pas sur le système de soins et encore moins sur le système de protection, elle suggère une vision du climat de pouvoir d’agir en tant que contexte à l’intérieur duquel le pouvoir d’agir psychologique peut se développer. Dans la figure 1, nous proposons une illustration synthèse des deux perspectives et de leur relation.

Figure 1

Illustration synthèse des perspectives psychologique et sociostructurelle du pouvoir d’agir

Illustration synthèse des perspectives psychologique et sociostructurelle du pouvoir d’agir

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Objectif et contexte de l’étude

Globalement, le pouvoir d’agir est un facteur qui soutient le bien-être au travail. La majorité des études recensées identifient une association entre le pouvoir d’agir et différents défis et enjeux vécus au travail. Bien que ces études ne traitent pas toujours directement du système de protection, elles soutiennent toutes la place importante que devrait occuper le pouvoir d’agir dans l’organisation. Cela dit, la plupart des études rapportées emploient un devis quantitatif, qui permet certes de mettre en lumière les liens entre le pouvoir d’agir et d’autres concepts clés du bien-être en organisation, mais qui ne permet pas de savoir comment les employé(e)s font l’expérience de leur pouvoir d’agir. Il est donc nécessaire de construire à partir des connaissances actuelles du pouvoir d’agir en milieu de travail afin de raffiner notre compréhension du concept et comprendre comment il s’exprime concrètement en contexte de protection de la jeunesse. En fait, le caractère parfois urgent et dangereux du travail de protection d’enfants vulnérables sous une loi d’exception profère une spécificité au travail des intervenant(e)s en protection (Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, 2021). Comprendre ce contexte spécifique est indispensable pour améliorer leurs conditions de travail.

Notre étude s’intéresse à une équipe particulière qui emprunte une approche basée sur le pouvoir d’agir, ce qui permet d’explorer plus en profondeur cette réalité complexe, un peu à la manière d’une étude de cas. Bien que cette approche de recherche n’ait pas la prétention de viser la généralisation des résultats, elle présente un potentiel de transférabilité (Thomas, 2010). Les partisans de cette approche soutiennent que les études de cas visent principalement à produire « des connaissances nuancées, particulières et axées sur la pratique concernant des contextes spécifiques et des actions humaines » (Hodgetts et Stolte, 2012, p. 381, traduction libre). Puisqu’à notre connaissance, aucune étude n’a encore abordé la manière dont le pouvoir d’agir est vécu par des intervenant(e)s en protection de la jeunesse, nous croyons que cette stratégie exploratoire peut alimenter la réflexion sur cette question. Notre étude vise donc à décrire l’expérience d’intervenant(e)s et, plus précisément, la manière dont ils et elles sont en mesure de développer leur propre pouvoir d’agir dans le contexte actuel des services sociaux au Québec.

Comme mentionné, nous nous intéressons à une équipe particulière qui a récemment fait une transition vers une approche clinique axée sur le développement du pouvoir d’agir. D’après nos recherches, il s’agit de la seule équipe du système de protection au Québec qui est entièrement formée et supervisée selon une approche axée sur le développement du pouvoir d’agir. Une présentation détaillée de cette équipe permet de mieux contextualiser l’étude. Cette équipe est spécialisée en transition vers l’âge adulte et travaille dans un milieu résidentiel pour des garçons âgés de 16 à 18 ans. L’équipe a développé, de son propre chef et en collaboration avec les gestionnaires concerné(e)s, un programme qui emprunte une vision horizontale axée sur la collaboration et la négociation entre les partenaires et avec le jeune, et qui limite l’utilisation des services institutionnels.

Afin de soutenir le développement de ce programme d’intervention, tou(te)s les membres de l’équipe ont été formé(e)s à l’approche centrée sur le « développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités » (Le Bossé, 1998, 2012, 2017 ; Vallerie et Le Bossé, 2006) et bénéficient d’une supervision clinique en ce sens. Cette approche préconise que, pour que les individus se développent, les structures sociales qui les entourent doivent également rester en développement (Vallerie et Le Bossé, 2006). Cette approche trouve son origine dans la réflexion du philosophe Paul Ricoeur sur la souffrance, qui proviendrait principalement de la perception de ne pas pouvoir agir (Jouffray, 2018).

Méthodologie

Échantillon

Les neuf intervenant(e)s de l’équipe du milieu résidentiel, soit sept hommes et deux femmes, ont participé aux entretiens individuels. Pour des raisons de confidentialité et de simplicité, tous leurs commentaires sont rapportés à la forme masculine. La plupart des intervenant(e)s ont une formation universitaire en travail social, en psychoéducation ou en criminologie. Deux participants jouent un rôle différent au sein de l’équipe : l’un est spécialiste en activité clinique et l’autre est éducateur en intégration sociale. La majorité des membres de l’équipe travaillent ensemble depuis plusieurs années. L’équipe reçoit environ 15 jeunes par an dans un lieu qui peut accueillir 7 jeunes à la fois. L’unité de vie fait partie d’un complexe d’unités plus grand qui abrite un gymnase, une cafétéria et une clinique pour jeunes. Cet échantillonnage de convenance nous offre un point de vue unique que nous jugeons pertinent pour étudier le pouvoir d’agir des intervenant(e)s qui travaillent en institution avec des jeunes placés.

Procédure

Des entretiens individuels ont été menés avec chacun des membres de l’équipe afin d’aborder sa philosophie d’intervention, ses fondements et les stratégies déployées pour la mettre en oeuvre. Dans ce contexte, nous mettons en lumière la perception des intervenant(e)s de leur propre pouvoir d’agir dans un contexte organisationnel parfois rigide. Les enregistrements audios des entrevues ont ensuite été retranscrits à des fins d’analyse. Chaque entrevue avait une durée moyenne d’environ une heure et demie. Nous avons également veillé à assurer la confidentialité des membres de l’équipe, notamment en leur attribuant des numéros pour les identifier.

Stratégie d’analyse

Notre approche analytique est inspirée de l’approche qualitative consensuelle (Hill et coll., 2005 ; Hill et coll., 1997). Suivant cette méthode, un livre de code a été élaboré en équipe (formée d’une chercheuse et de deux assistants de recherche) et les transcriptions ont été codifiées par consensus à l’aide du logiciel QDA Miner (Provalis Research, 2018). Ce logiciel permet de calculer des accords interjuges et pointe vers les thèmes les plus ambigus dans la codification. Cela permet aux membres de l’équipe de recherche de discuter des points en litige pour arriver à un consensus.

Plusieurs thèmes sont ressortis de cette première ronde d’analyse. Cette présente étude se centre sur le thème du « pouvoir d’agir des intervenant(e)s » (Hébert et coll., 2022). Ce code a été abordé directement dans le guide d’entretien par des questions telles que « comment qualifierais-tu ton propre pouvoir d’agir dans ton travail ? » Deux codes ont toutefois émané de l’analyse des discours des intervenant(e)s et sont abordés dans l’étude pour leur proximité avec le pouvoir d’agir, soit le « système » et l’« autonomie professionnelle ».

Le tableau 1 offre un aperçu des accords interjuges obtenus pour les trois codes. Ces niveaux ont été atteints à la suite de discussions, d’abord sur la procédure commune de codification, puis sur chacun des passages qui différaient d’un(e) analyste à l’autre. Après une première tentative d’accord, les membres de l’équipe de recherche se rencontraient d’abord deux par deux pour analyser les codes dissidents, puis se rencontraient à trois pour statuer sur les codes qui restaient ambigus. À la fin de cette démarche, plus de 80 % d’accords interjuges ont été obtenus, avec un critère de chevauchement des passages[1] fixé à 90 % pour l’ensemble des codes utilisés. Un accord interjuge de plus de 80 % est généralement considéré comme élevé (McHugh, 2012). La presque totalité des différences entre les résultats des deux analystes s’explique par des stratégies de codification légèrement différentes (par exemple, inclure deux passages rapprochés dans un seul code plutôt que de les distinguer) que par une mésentente entre les analystes quant au contenu des codes.

L’équipe a ensuite entrepris d’extraire ces codes du logiciel QDA Miner pour effectuer des analyses intra-code et inter-code plus approfondies. Lors de ces analyses, l’équipe s’est particulièrement intéressée à la manière dont les codes « système » et « autonomie professionnelle » étaient liés au « pouvoir d’agir de l’intervenant ».

Tableau 1

Pourcentage d’accords interjuges et coefficient Marges libres[2] pour les trois codes

Pourcentage d’accords interjuges et coefficient Marges libres2 pour les trois codes

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Résultats

Créer de l’espace pour l’individu à travers les balises du système

Lorsque nous avons demandé aux intervenants de nous parler de leur pouvoir d’agir, la majorité a d’abord décrit les différents éléments qui les limitent et les balisent dans leur travail. Ils réfèrent notamment à la standardisation des interventions lorsqu’ils soulèvent les « patterns », les « automatismes » ou les « règles de site », illustrant la formalisation des procédures[3] d’intervention du système de protection, perçues comme des contraintes. La citation qui suit, provenant d’un des intervenants, donne un bon aperçu des différentes couches de contraintes qui caractérisent leur réalité d’intervention :

Reste qu’on est un centre de réadaptation, reste qu’on a une loi aussi, qui est la protection de la jeunesse, donc on a un cadre qui est très établi, très clair. […] Donc, il ne faut pas oublier aussi qu’il y a une gestion de risque, puis faut pas oublier qu’il y a une loi, puis faut pas oublier qu’il y a des attentes sociales face à nous comme intervenants.

L17

Au fil des entrevues avec les intervenants, on comprend que ceux-ci ont choisi, en cohérence avec leur programme, de se défaire des automatismes proposés par l’institution où ils travaillent en s’en éloignant idéologiquement le plus possible. Ils n’utilisent plus les services offerts « à l’interne » et n’empruntent plus systématiquement les protocoles d’intervention proposés sur le site. C’est de cette manière que, de façon générale, les intervenant(e)s s’octroient la possibilité de développer leur pouvoir d’agir. En effet, en s’éloignant des différentes balises légales et institutionnelles, les intervenant(e)s créent une zone franche, un espace de « créativité » et de négociation avec les jeunes et les partenaires de l’intervention. Pour illustrer cette situation, un intervenant parle d’une « page blanche », alors que d’autres parlent de « marge de manoeuvre », de « latitude » ou de « liberté ». Questionné sur son pouvoir d’agir, un intervenant explique : « Bien c’est tout dans la… je dirais dans la créativité, l’inventivité que… de pas être trop avisé pis pris dans une espèce de “faut faire ci, y faut faire ça”. Puis d’avoir une espèce de liberté, de partir de certaines choses, mais aussi de partir de moi encore plus qu’avant » – A12.

Certains intervenants nous expliquent avoir ainsi plus de place pour leur autonomie professionnelle dans l’intervention. Ils perçoivent avoir l’occasion d’utiliser davantage leurs ressources personnelles et schèmes relationnels, tels que la « sécurité personnelle », la « disponibilité » et l’ « empathie ». En d’autres mots, ils sont ramenés à eux-mêmes comme personnes : « On a beaucoup été ramenés à nous-mêmes, notre propre façon de voir, nos propres mécanismes de défense, nos propres résistances, pour se rendre compte qu’il y avait un impact dans nos interventions, qui on était comme personne » – H03.

L’envers de l’espace de pouvoir

Or, ouvrir et maintenir cet espace de pouvoir nécessite beaucoup de travail dans le contexte de la protection de la jeunesse. Résister aux automatismes exige un effort important et vient avec une plus grande imputabilité. En effet, en évitant le plus possible l’utilisation de processus formalisés par l’institution, les intervenants portent davantage la responsabilité des choix cliniques. Accroître son pouvoir d’agir veut aussi dire évoluer dans un environnement clinique plus souple, mais également plus flou et plus inconfortable : « Faut se remettre en question, faut consulter, faut réfléchir beaucoup, faut oser. Faut essayer, faut se mettre en position de vulnérabilité, de se lancer. C’est tout ça, le pouvoir d’agir. C’est sortir de sa zone de confort, c’est d’expérimenter, de faire autrement » – R16.

Cette réalité nécessite une adaptation majeure chez certains intervenants. Les extraits d’entrevue suivants illustrent la difficulté que peut représenter un travail de réflexion constant sur leur pratique : « Je pense que, par la bande aussi, par contre des fois on se sent plus dépassé parce que justement y a beaucoup plus de choses qui partent de nous » – A12. Un autre intervenant mentionne « beaucoup de remises en question, d’impuissance dans certains moments » (R16), alors qu’un autre explique que « ça peut être éreintant se questionner un moment donné, fait que c’est ça, un peu découragé plus je suis éreinté » (E15).

En fait, la prise de distance avec les automatismes et les processus formalisés du système entraîne une « perte de repères » plus ou moins déstabilisante selon les intervenants rencontrés. L’extrait suivant illustre bien le défi d’adaptation auquel certains intervenants sont confrontés :

Donc là c’est sûr que moi j’ai perdu des repères. Avant dans tout le système qu’il y a, le système des retraits, ça faisait moins de sens mais moi j’avais… j’étais arrivé quand même à m’adapter à ce système-là pis à tirer mon épingle du jeu à travers ça, ce que je peux plus faire parce que le… parce que c’est plus le même système.

E15

Puisque les rôles d’« expert », de « policier qui surveille », de « sauveur » ou de « protecteur » étaient davantage associés aux automatismes et aux protocoles du système de protection et de ceux de l’institution, les intervenants doivent donner un nouveau sens à leur travail. Cette quête de sens se traduit par l’adoption de rôles plus alignés avec leurs valeurs personnelles :

J’ai toujours été inconfortable avec l’esprit « dominant-dominé ». Puis d’asseoir une autorité, de contrôler l’autre ou… Tu sais, c’est un petit peu péjoratif là, la façon dont c’est dit, mais malheureusement ça ressemble à ça : « Peut-être qu’il serait temps qu’on lui laisse un peu de place dans sa vie ». Donc, ça revient au rapport égalitaire.

H03

L’équipe pour favoriser et consolider le pouvoir d’agir

Afin de stabiliser et consolider leur pouvoir d’agir, les intervenants expliquent que l’équipe joue une place prépondérante. La majorité des intervenants nous ont parlé de l’importance de la communication et de la coréflexion avec les collègues, qui semblent jouer le rôle que jouaient les processus formalisés, c’est-à-dire de sécuriser et de rassurer les intervenants : « Parmi les moyens qu’on essaie de se donner, c’est qu’on essaie de se trouver un peu plus d’espace pour communiquer en équipe. Des fois, c’est plus pour s’apaiser par rapport au fait que… qu’on pense souffrir de ces incertitudes-là. » – H03.

Mon pouvoir d’agir, j’ai l’impression que je peux parler de n’importe quoi avec tous les éducateurs, que je vais toujours être entendu, que je peux faire une demande à l’équipe, puis qui vont me soutenir par rapport à ça. […] L’équipe, elle est ouverte, alors veut, veut pas, et bien si moi j’ai besoin de plus de latitude, j’ai l’impression qu’on va se comprendre.

A04

Cette communication est essentielle à l’action collective de l’équipe. Tel que l’illustre le prochain passage, sans une bonne communication en profondeur, l’équipe risque l’inertie : « Parce que si on ne nomme pas, bien c’est ça qui fait qu’on ne peut pas avancer. Si on n’arrive pas à reconnaitre certains de nos enjeux, bien ça va revenir, puis c’est pour ça qu’on tourne en rond des fois » – H03. Ce même intervenant explique que pour dénouer les impasses, l’équipe s’est dotée de supervisions collectives qui se sont avérées un outil pour permettre aux membres de l’équipe d’approfondir leurs relations et de maintenir une bonne communication. Certains nous ont expliqué que la supervision d’équipe est un ingrédient essentiel pour maintenir l’équipe hors des automatismes :

C’est un élément, que je trouve crucial dans un projet comme on est. Vu qu’on est en dehors des automatismes, c’est encore plus important d’offrir un soutien aux employés, aux intervenants, sous forme de supervisions, de rencontres, de rétroactions, de requestionnements. C’est très, très, très, très important. Il ne faut pas laisser les intervenant(e)s tout seul(e)s avec ça. C’est important de leur offrir un bon support.

R16

L’envers du pouvoir de l’équipe

Le travail d’équipe semble donc soutenir le développement du pouvoir d’agir. Certains propos de l’équipe d’intervention viennent cependant apporter une nuance en soulignant les limites du travail d’équipe. En effet, certains intervenants rappellent qu’une équipe est composée d’individus parfois fort différents qui doivent travailler et faire des compromis : « On est tous quand même très différents, pis on a, comme je te disais, un peu toutes nos couleurs, mais c’est ce qui fait, je pense, que des fois ça peut être chiant, pis que d’autres fois, ben je veux dire, justement, ça amène une belle dynamique d’équipe » – A12. Les tractations internes nécessaires au maintien de l’unité et les frustrations qui peuvent être associées à des niveaux d’engagements différents envers l’équipe ressortent également comme des freins au pouvoir de l’équipe :

Tout le monde n’est pas au même niveau dans l’équipe. Puis, dans toutes les équipes, ceci dit, mais il y a vraiment des gens qui, je trouve, dans leur vie personnelle ou professionnelle, ne sont pas non plus affranchis de certaines choses. […] Puis, tu sais, chacun son rythme, évidemment. Mais dans les formations, pour moi, c’était un obstacle. Que certains individus dans l’équipe refusent d’enlever des pelures [d’expliquer ses enjeux], puis demeurent un peu campés, puis très méfiants. […] Puis, tu sais, oui, ça été nommé, ça été abordé, ça été adressé de toutes les façons, mais moi mon pouvoir d’agir se limitait à ça.

M22

Être membre de l’équipe vient donc avec certaines attentes ou exigences et les intervenants en sont bien conscients. Pour que l’équipe garde son pouvoir, chacun doit trouver comment y contribuer, ce qui n’est pas chose simple pour certains : « Je ne veux pas être un boulet pour l’équipe, je ne veux pas être quelqu’un qui va juste critiquer, puis qui va juste nommer les choses qu’il est conscient qui ne vont pas bien. Je sais que dans chaque équipe de travail, il y a toujours les mêmes choses » – L17. Ainsi, au même titre que de maintenir l’éloignement des automatismes, entretenir une dynamique d’équipe propice au pouvoir d’agir nécessite une constante remise en question de l’individu face à l’équipe dont il fait partie.

Discussion

Notre étude visait à explorer l’expérience de pouvoir d’agir chez les intervenant(e)s qui oeuvrent dans le système de protection, plus précisément auprès de jeunes en institution. À notre connaissance, aucune étude à ce jour n’examine spécifiquement l’expérience de développement du pouvoir d’agir des intervenant(e)s en contexte institutionnel. En gardant en tête le caractère exploratoire de notre étude, les résultats permettent d’illustrer le cas d’une interaction entre le pouvoir d’agir psychologique d’intervenant(e)s en protection de la jeunesse et le climat de pouvoir d’agir sociostructurel du système, proposée plus haut dans la figure 1. En fait, puisque le système de protection n’offre pas le climat propice au développement du pouvoir d’agir des intervenant(e)s, ces derniers ont dû s’en éloigner. L’espace créé par cet éloignement leur a offert la possibilité de faire davantage de place à l’équipe, qui ici joue en quelque sorte un rôle tampon (Kirrane et coll., 2018) entre le climat du système de protection et les intervenant(e)s. Ainsi, la création d’un espace loin des automatismes et des balises institutionnelles contribue au climat de pouvoir d’agir dans l’équipe qui, à son tour, est essentielle à l’exercice du pouvoir d’agir psychologique des intervenant(e)s. À ce propos, trois observations sont à faire.

Premièrement, les automatismes liés au système de protection de la jeunesse sont en opposition avec le pouvoir d’agir des intervenant(e)s. Ce constat fait écho aux tensions soulevées par Vargas Diaz et coll. (2022) entre logique clinique et logique managériale, ainsi qu’à la logique de reddition de compte décrite par Grenier et coll. (2016). Cela s’apparente également à la standardisation des procédés (ou au « ritualisme ») qui viendraient réduire l’autonomie des intervenant(e)s (Belquasmi, 2014) et leur niveau de réflexion sur le bien-être des enfants avec qui ils et elles travaillent (McPherson et coll., 2021). Notre étude a permis d’entrevoir que les intervenant(e)s ne peuvent pas complètement s’extraire du système de protection, mais qu’ils et elles peuvent se créer un espace d’autonomie professionnelle dans leur équipe immédiate. Poser des actions hors des processus formalisés peut d’ailleurs s’avérer un important vecteur de créativité (Bourassa et coll., 2011). Cette stratégie s’apparente à l’« autonomie balisée » proposée par Blanchard et coll. (1995) lorsqu’il est question de climat de pouvoir d’agir, faisant référence aux structures et aux pratiques organisationnelles qui encouragent l’action autonome. Dans le cas de notre étude, toutefois, c’est plutôt les intervenant(e)s qui ont dû négocier cet espace, qui demeure à être soutenu par la communication et la supervision collective. Plusieurs des propos recueillis illustrent que l’équilibre entre le respect des procédures institutionnelles et l’autonomie professionnelle est précaire et toujours sujet à créer de la fatigue, des questionnements et, donc, des tensions entre les intervenant(e)s et les gestionnaires du système de protection.

Deuxièmement, le pouvoir d’agir des intervenant(e)s est lié à une (re)connexion avec leurs schèmes relationnels. En effet, l’« espace » abordé par les intervenants de l’étude leur offre une marge de manoeuvre leur permettant davantage d’autonomie professionnelle et « de cohérence personnelle ». Cet espace leur permet de renouer avec leurs compétences en intervention (schèmes relationnels) tout en rendant plus saillante leur identité personnelle (Robichaud et coll., 2019; Skorikov et Vondracek, 2011). Plusieurs intervenants de notre étude ont mentionné l’importance de « revenir à soi » dans l’intervention plutôt que de se fier à leurs automatismes. Cette cohérence est importante en contexte de protection de la jeunesse, puisqu’elle influence l’impact que les intervenant(e)s perçoivent avoir sur les jeunes. Rappelons qu’une inadéquation entre ce que les intervenant(e)s perçoivent pouvoir offrir comme services et les besoins des jeunes peut créer de la détresse morale (Brend, 2020) et donner aux intervenant(e)s l’impression d’être complices d’un abus en étant incapables d’offrir des services qui répondent aux besoins des jeunes (Jameton, 2013). C’est dans ce contexte de cohérence avec leurs valeurs personnelles, mais également de rétablissement d’un rôle moins autoritaire, que les intervenants de notre étude ont perçu le sens de leur travail, un élément primordial du pouvoir d’agir psychologique (Spreitzer, 1996; Tremblay, 2009).

Troisièmement, l’équipe devient elle-même un pôle de pouvoir entre la structure institutionnelle et l’individu. Nous proposons l’hypothèse que dans un contexte institutionnel comme celui du système de protection de la jeunesse, connu pour sa lourdeur bureaucratique et sa structure hiérarchique vertigineuse, l’intervenant(e) préfère se percevoir comme étant membre de son équipe plutôt que comme étant employé(e) du système. C’est dans le partage de la responsabilité et de l’imputabilité et dans le sentiment d’appartenance à l’équipe immédiate que les intervenant(e)s sécurisent leurs décisions, consolidant du même coup leur pouvoir d’agir. Ce phénomène a également été observé dans d’autres études (Blanchard et coll., 1995; Fray et Picouleau, 2010; Slattery et Goodman, 2009). Les interactions avec les autres membres de l’équipe qui partagent une vision similaire facilitent la réflexivité et l’émergence chez les intervenant(e)s d’une vision distincte de l’intervention (Ruebottom et Auster, 2018). Or, le pouvoir d’agir d’équipe nécessite des négociations entre les individus. L’équipe est donc également animée de tensions internes, elles-mêmes associées aux exigences du système. Nous pouvons imaginer que lorsque la tension entre les logiques cliniques et managériales (Vargas Diaz et coll., 2022) seront assouplies, les tensions dans les équipes seront moindres.

Limites et forces de l’étude

L’une des limites de notre étude est le choix que nous avons fait de nous concentrer sur une seule équipe d’intervenants. La chimie développée entre les différents membres de cette équipe pourrait avoir homogénéisé leurs propos. Nos résultats ne peuvent donc pas être transférés aux intervenant(e)s qui travaillent en contexte de protection de la jeunesse. Or, ce choix de cibler une équipe entière, dont le travail est consacré au développement du pouvoir d’agir des jeunes en transition vers la vie adulte, permet de bien délimiter la réalité de ces intervenants. Nous croyons aussi que nos sections d’analyse et de résultats comportent une certaine richesse d’informations.

Le point de vue de l’équipe de recherche a également pu influencer l’interprétation des résultats de l’étude, mais notre processus analytique assure selon nous la validité de nos résultats (Fortin, 2015). D’abord, les comptes rendus réguliers et la recherche constante de consensus contribuent à la crédibilité de nos résultats. Cette stratégie a, selon nous, permis d’assurer une cohérence entre les données théoriques sur le concept du pouvoir d’agir et le point de vue subjectif des participants à notre étude.

Conclusion

La littérature démontre que le système de protection de la jeunesse et les institutions qui accueillent les jeunes sont empreints de procédures bureaucratiques qui contribuent à disqualifier les réflexions professionnelles et à positionner les intervenant(e)s devant un constant dilemme (Vargas Diaz et coll., 2022). Notre étude est une autre illustration que les automatismes pourraient contribuer à éloigner les intervenant(e)s de leurs ressources personnelles et de leurs schèmes relationnels, s’ajoutant aux études qui caractérisent des services de plus en plus désincarnés de leur mission de protection (Ackerson et Harrison, 2000 ; Nutt, 2002) et un système de protection déserté par les intervenant(e)s (Lee et coll., 2011). C’est dans cette optique que les efforts organisationnels, notamment ceux qui visent le ralentissement du roulement de personnel dans les services de protection, devraient miser sur le pouvoir d’agir des intervenant(e)s (Lee et coll., 2011).

Les intervenants de notre étude ont exprimé leur besoin d’une certaine autonomie professionnelle leur permettant d’évaluer eux-mêmes la cohérence de leur travail. Notre étude offre une exemple que le pouvoir d’agir des intervenant(e)s peut passer par la création d’espaces d’autonomie balisée favorisant la créativité et la coréflexion. En termes de climat de pouvoir d’agir, il semble que redonner davantage de pouvoir d’agir aux équipes, voire de rééquilibrer l’ordre hiérarchique en institution pour permettre aux équipes d’être des lieux d’autorité décisionnelle est l’une des clés (Blanchard et coll., 1995). En ce sens, la supervision clinique encourage les intervenant(e)s à approfondir leurs réflexions sur des situations cliniques en fonction de leur propre individualité, de leurs émotions et du sens qu’ils et elles donnent aux événements. Notre étude permet d’ajouter du poids à la littérature déjà abondante sur la reconnaissance de la supervision clinique comme moyen d’augmenter le pouvoir d’agir des intervenant(e)s (Cearley, 2004).

En somme, bien que notre étude soit exploratoire, elle éclaire certaines questions qui devraient faire l’objet de recherches futures. Notamment, les recherches futures devraient se pencher sur l’effet des automatismes et des protocoles sur les intervenant(e)s en termes de pouvoir d’agir psychologique (sens, autodétermination, compétence et impact). Elles devraient également tenter d’approfondir notre compréhension de la culture du système de protection de la jeunesse et des manières de créer un climat de pouvoir d’agir, surtout considérant que le pouvoir d’agir des intervenant(e)s atténue la fatigue émotionnelle (Choi, 2017; Lee et coll., 2011), les traumatismes secondaires (Choi, 2017), l’épuisement professionnel (Boudrias et coll., 2012), augmente l’intention de rester au sein des services de protection (Choi, 2017) et favorise le développement du pouvoir d’agir des jeunes (Cearley, 2004). Le climat du système de protection de la jeunesse a souffert de l’application des critères de performance et des redditions de compte (Grenier et coll., 2016) alors que les communautés scientifiques et cliniques favorisent de plus en plus la participation des jeunes aux différentes décisions du consentement (Ball et coll., 2021; Batista et coll., 2018; Hébert et coll., 2016; McPherson et coll., 2021). Si l’on souhaite collectivement renforcer le système de protection, il faudra également se poser la question suivante : à qui les intervenant(e)s jugent-ils et jugent-elles cohérent de rendre des comptes ? Le sens de leur travail en dépend.