Abstracts
Résumé
Les procédures judiciaires d’hospitalisation et de soins forcés en psychiatrie sont en pleine augmentation depuis une quinzaine d’années dans les pays du Nord global. Les recherches démontrent que ces pratiques judiciaires visent des groupes sociaux marginalisés et sont caractérisées par la violation de leurs droits judiciaires et civils. Quatre ethnographies judiciaires ont mis en lumière la multijudiciarisation des personnes soumises à ces procédures au Québec, tant en santé mentale que dans d’autres domaines comme le droit pénal et la protection de la jeunesse. Elles ont également permis de documenter le contenu des débats judiciaires, axés sur les conditions socioéconomiques des personnes visées plutôt que sur le droit. À partir de ces terrains ethnographiques analysés inductivement, cet article décrit comment, dans un contexte de distance sociale entre les juges et les parties défenderesses, la justice civile et administrative en santé mentale s’exerce sur la base d’un risque indéfini profondément ancré dans une conception stéréotypée des genres et des races.
Mots-clés :
- Justice civile,
- justice administrative,
- classe sociale,
- genre,
- race,
- intersectionnalité
Abstract
Judicial procedures for involuntary admission and forced psychiatric treatment have been on the rise over the past 15 years in Quebec, as well as across Global North countries. Research reveals that these judicial practices tend to target marginalized social groups and are characterized by the violation of their judicial and civil rights. Judicial ethnographies have highlighted the multi-judicialization of individuals subject to such procedures, in the mental health area, as well as in others such as criminal law and youth protection. These ethnographies also documented the content of court proceedings, which were focused on the socio-economic conditions of the involved individuals, rather than on the law. Based on these inductively analyzed ethnographic fields, this article describes how, in the context of social distance between judges and defendants, civil and administrative justice in the mental health area is exercised on the basis of an indefinite risk deeply rooted in a stereotyped conception of gender and race.
Keywords:
- Civil justice,
- administrative justice,
- social class,
- gender,
- race,
- intersectionality
Resumen
Los procedimientos judiciales de hospitalización y atención forzosa en psiquiatría han ido en aumento en los últimos quince años en los países del Norte global. Las investigaciones muestran que estas prácticas judiciales se dirigen contra grupos sociales marginados y se caracterizan por la violación de sus derechos judiciales y civiles.
Cuatro etnografías judiciales han puesto de manifiesto la multijudicialización de las personas sometidas a estos procedimientos en Quebec, tanto en materia de salud mental como en otros ámbitos como el derecho penal y la protección de menores. También han permitido documentar el contenido de los debates judiciales, que se centran en las condiciones socioeconómicas de las personas afectadas más que en la ley.
A partir de estos campos etnográficos analizados inductivamente, este artículo describe cómo, en un contexto de distancia social entre jueces y justiciables, la justicia civil y administrativa en salud mental se ejerce sobre la base de un riesgo indefinido profundamente arraigado en una concepción estereotipada del género y la raza.
Palabras clave:
- Justicia civil,
- justicia administrativa,
- clase social,
- género,
- raza,
- interseccionalidad
Article body
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale émerge un mouvement transnational de revendication des droits dont la première réalisation est l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948 (Beitz, 2009). Le même mouvement est observable à l’intérieur des États du Nord global, où la lutte pour la reconnaissance de droits universels se concrétise par des transformations politiques, sociales et juridiques majeures, dont la mise en place de services publics et de programmes sociaux. Ces changements sociaux s’accompagnent de mécanismes administratifs et judiciaires pour assurer leur juste application (Sard, 1988 ; Teubner, 1985) et les tribunaux, qui constituent les espaces privilégiés du débat sur les droits (Miron, 2009), se prononcent désormais sur des questions de protection de l’enfance, de rentes, de logement ou d’aptitude.
S’agissant de la psychiatrie, en raison des spécificités de la discipline tant sur les plans de sa pratique que de son objet, le mouvement de revendication pour les droits se focalise sur l’humanisation des soins et l’autodétermination des personnes psychiatrisées (Watters, 2012). Les interventions psychiatriques sont critiquées pour leur caractère coercitif (O’Brien et Golding, 2003 ; Szasz, 2007), le peu de fiabilité et de validité des diagnostics (Rosenhan, 1973) et des soins proposés (Szasz, 1970), ainsi que des expérimentations abusives telles que les amnésies provoquées et les cures du sommeil sont dénoncées (Collins, 1988 ; Ross, 2006). À partir des années 1960, sous l’influence du mouvement antipsychiatrique mené entre autres par les psychiatres Thomas Szasz et Franco Basaglia – mais également soutenu par des enquêtes scientifiques et journalistiques spectaculaires (Goffman, 1961 ; Wiseman, 1967) – les asiles ferment progressivement, remplacés par des départements de psychiatrie dans des hôpitaux généraux, voire des cliniques de type communautaire (Foot, 2014). Si les droits des personnes psychiatrisées à s’autodéterminer font l’objet d’une reconnaissance de plus en plus explicite, ils sont cependant toujours opposés à ceux de la société à se protéger, malgré l’absence de données scientifiques démontrant le lien entre violence et maladie mentale (Ahonen, Loeber et Brent, 2019). Ce débat a été judiciarisé dans un nombre croissant de pays suivant diverses procédures encadrant l’hospitalisation et les soins forcés (Weisstub, 1987).
Au début des années 1990, le Québec réforme son Code civil en donnant une place plus importante aux droits des personnes – les droits civils relatifs à la personne humaine tels que l’intégrité et l’inviolabilité, dont découle le droit de consentir et de refuser des soins. Dans la foulée, il crée une procédure spécifique pour l’hospitalisation forcée qui repose sur le danger en lien avec l’état mental, et une procédure distincte pour les soins forcés en cas d’inaptitude à consentir aux soins. Pour obtenir le droit exceptionnel d’hospitaliser ou de traiter une personne contre sa volonté, les établissements de santé doivent présenter une requête à un tribunal civil qui tranchera selon la balance des probabilités à l’issue d’un procès où la personne visée – la partie défenderesse – pourra être représentée par un·e avocat·e et présenter preuve et arguments.
Jusqu’au début des années 2000, l’absence de données publiques et la diminution radicale du nombre de lits hospitaliers sous l’impulsion de politiques inspirées de la nouvelle gestion publique ne permettent pas d’établir si la judiciarisation a entraîné une baisse du recours aux mesures involontaires en psychiatrie, au Québec comme ailleurs. Cependant, depuis une quinzaine d’années, à l’image de la tendance dans les pays du Nord global (Lee et Cohen, 2021 ; Rains et al., 2019), l’usage de l’hospitalisation et des soins forcés est en pleine augmentation au Québec (Bernheim, 2022). Alors que les dispositions juridiques encadrant ces pratiques divergent grandement selon les juridictions (Rains et al., 2019), les recherches statistiques et les analyses juridiques documentant leur mise en oeuvre dans les structures hospitalières et le milieu judiciaire arrivent à des constats similaires : les personnes soumises à ces pratiques sont disproportionnellement marginalisées, vivent dans des conditions précaires, sont moins susceptibles d’avoir une formation professionnelle, sont socialement isolées et racisées (Barnett et al., 2019 ; Haussleiter et al., 2022 ; Moloney et al., 2022 ; Ogilvie et Kisely, 2022 ; Rodrigues et al., 2019 ; Salam et al., 2022 ; Tran, Ryder et Jarvis, 2019 ; Weich et al., 2020) ; les violations des droits fondamentaux et procéduraux sont courantes (Bernheim, 2022 ; Brooks, 2010 ; Dudley, Silove et Gale, 2012 ; Hiday, 1990, 1988, 1977 ; Johnston, 2017 ; Sheldon et al., 2016 ; Sheldon et Spector, 2019) ; l’efficacité clinique de ces pratiques n’ayant pas été prouvée, elles semblent servir davantage des objectifs de contrôle et de surveillance que des objectifs thérapeutiques (Bernheim, 2024 ; Iudici et al., 2022 ; Kisely et al., 2021 ; Rugkasa et Burns, 2017).
La genèse de l’analyse présentée dans cet article est issue de quatre terrains ethnographiques ayant mis en évidence la « multijudiciarisation » civile et administrative subie par les personnes hospitalisées et traitées contre leur volonté au Québec. J’entends par multijudiciarisation le fait pour une personne de subir de multiples contacts judiciaires dans un contexte défavorable de rapports de pouvoir. Autrement dit, les personnes multijudiciarisées sont soumises à de nombreuses procédures judiciaires civiles ou administratives mettant en jeu des droits fondamentaux – la liberté, l’intégrité, la dignité – ou des enjeux liés à leur survie – des prestations sociales, le maintien dans leur logement, etc. Ces procédures sont le plus souvent entreprises par des organismes publics ou parapublics – des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), des ministères ou des autorités administratives telles que la Société de l’assurance automobile ou Retraite Québec – mais également par des personnes telles que des propriétaires. En raison d’obstacles documentés à l’accès à la justice tels que les coûts associés aux contre-expertises, la rapidité des audiences, l’organisation des services judiciaires, les conditions d’accès à des services juridiques et de pratique des avocat·es agissant en défense, les personnes multijudiciarisées se trouvent structurellement désavantagées par ces processus judiciaires (Bernheim, 2022, 2023 ; Coupienne, 2023 ; Gallié, Brunet et Laniel, 2016).
Le phénomène est bien connu en justice pénale où les recherches démontrent comment le phénomène des « portes tournantes » est provoqué par le système de justice lui-même (Sylvestre, Blomley et Bellot, 2020 ; Sylvestre et al., 2015), mais également par le profilage social et racial exercé par les services policiers à l’encontre des groupes marginalisés (Mofette et Bruckert, 2023), notamment les personnes vivant en situation d’itinérance (Bellot et Sylvestre, 2015 ; Kauppi et Pallard, 2016), 2SLGBTQIA+ (Daum, 2019 ; Girardi, 2023), racialisées (Chan, 2011 ; Comack, 2012 ; Rutland, 2020 ; Wilson, 2023) ou considérées comme « vulnérables » (Ouellet, Bernheim et Morin, 2021). Or, si la justice pénale est historiquement un instrument de répression et de contrôle, les recherches tendent à démontrer depuis une quinzaine d’années que la justice civile et administrative, censée arbitrer ou protéger, est utilisée à des fins similaires (Fortin, Chesnay et Gressleir, 2021 ; Jannard, 2023 ; Velloso, 2013). Pour Karine Beckett et Naomi Murakawa (2012), les sanctions civiles et administratives constituent un « état carcéral parallèle » (the shadow carceral state). En matière de santé mentale par exemple, les ordonnances civiles permettent de détenir, d’imposer un lieu de résidence, des examens médicaux et des traitements pharmacologiques, et ce, durant plusieurs années.
L’objectif de cet article est de décrire comment, dans un contexte de distance sociale entre les juges et les parties défenderesses, la justice civile et administrative en santé mentale s’exerce sur la base d’un risque indéfini (Rose, 1996, 1998) profondément ancré dans une conception stéréotypée des genres et des races (Hill Collins, 2019 ; Hill Collins et Bilge, 2016). Après avoir présenté la méthode et les contextes judiciaires étudiés (section 1), j’explorerai comment la différence de classes sociales entre les juges et les personnes judiciarisées est susceptible d’expliquer autant la nature des ordonnances que la facilité avec laquelle elles sont rendues (section 2). Je démontrerai ensuite que la surveillance et le contrôle s’exercent de manière genrée et racialisée (section 3), pour conclure avec une brève discussion sur la logique de marché comme contexte fertile au profilage et à la violence judiciaire.
Quatre ethnographies judiciaires en contexte de multijudiciarisation
L’ethnographie est une « façon d’étudier le monde et de le raconter », une « traduction de l’expérience en texte » (Fortin, 2021, p. 35 et 41). Elle cherche à comprendre la signification sociale d’activités et d’interactions humaines par une immersion prolongée dans un terrain de recherche que la chercheuse, par sa présence, contribue à construire (Brewer, 2000). Cette immersion passe le plus souvent par l’observation, participante ou non.
Permettant une mise à distance tant du droit dans les livres que du discours que tiennent les acteurs et actrices sur leurs pratiques, l’ethnographie est une technique de collecte des données particulièrement pertinente pour dévoiler les rapports de pouvoir à l’oeuvre au sein de l’institution judiciaire (Thomas, 1993). Elle est couramment utilisée, le plus souvent en matière criminelle et pénale, pour documenter avec précision le déroulement des procédures et les attitudes des acteurs et actrices judiciaires (Conley et O’Barr, 1993 ; Coutin et Fortin, 2015). Elle a cependant été peu mobilisée pour documenter l’expérience des parties défenderesses dans des procédures civiles et administratives.
L’objectif de départ de mes recherches étant de documenter les pratiques psychiatriques et judiciaires en matière d’hospitalisation et de soins forcés à partir des discours des psychiatres et des juges recueillis en entrevue, mais également de leurs interactions en salle de cours, l’ethnographie était l’approche tout indiquée. C’est en assistant aux audiences que j’ai pris la pleine mesure de la violence du processus judiciaire, tant dans sa dimension institutionnelle qu’individuelle. Mes premières séances d’observation ont été des moments très pénibles émotivement – la détresse y était palpable, clairement exprimée – mais aussi intellectuellement – alors que le débat judiciaire ne portait pas sur les enjeux juridiques mais sur les conditions de vie déplorables des défendeurs et défenderesses, traitées comme des choix.
L’expérience que j’ai vécue en salle d’audience m’a amenée à modifier profondément l’orientation de mes recherches pour porter mon attention sur le discours, le non-dit et l’expérience des personnes soumises à ces procédures judiciaires. Mes terrains de recherche se sont déroulés dans le district judiciaire de Montréal entre 2009 et 2021 et sont intimement liés les uns aux autres.
Descriptions des terrains et de l’analyse
Durant les deux premiers terrains qui se sont déroulés à la Chambre civile de la Cour du Québec en matière d’hospitalisation forcée (« garde en établissement », article 30 du Code civil du Québec) et à la Cour supérieure en matière de soins forcés (« autorisation de soins », article 16 du Code civil du Québec), j’avais constaté que les femmes rapportaient régulièrement être impliquées dans des litiges relatifs à la garde de leurs enfants, le plus souvent en matière de protection de la jeunesse, et les hommes faire l’objet d’accusations de nature pénale. Ces constats sont cohérents avec la surreprésentation documentée des femmes dans le système de protection sociale, plus particulièrement avec la maternité, et des hommes dans le système de justice pénale. Dans les deux cas, les personnes en situation de pauvreté et ayant reçu un diagnostic psychiatrique y sont surreprésentées (Bernheim, 2023 ; Owusu-Bempah, 2014 ; Wacquant, 2009).
À la suite de cette première recherche, j’ai entrepris un terrain en matière de protection de la jeunesse où j’ai constaté que la santé mentale et la médication psychiatrique sont des sujets récurrents, de même que la prégnance d’un discours sur les rôles parentaux fortement stéréotypé. Ainsi, les mères sont beaucoup plus souvent présentes que les pères à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec et sont particulièrement visées par les ordonnances (Gauthier-Boiteau, 2023). La moitié des dossiers concernent les familles monoparentales dont l’écrasante majorité est dirigée par des mères (Protecteur du citoyen, 2013).
Finalement, j’ai mené un quatrième terrain à la Commission d’examen, le tribunal administratif chargé du suivi et des décisions relatives aux personnes déclarées criminellement non responsables pour cause de troubles mentaux ou inaptes à subir leur procès par un tribunal pénal (articles 2 et 16 du Code criminel). Devant ce tribunal, où les hommes représentent 85 % des défendeurs (Crocker et al., 2015), il est régulièrement question de décisions judiciaires relatives à des gardes en établissement, mais surtout à des autorisations de soins.
Alors que l’ethnographie est caractérisée par une certaine « improvisation » qui permet à la chercheuse d’« aller là où le sujet ethnographique l’amène » (Fortin, 2021, p. 39), les terrains se sont déroulés en fonction des collaborations avec les tribunaux puisque plusieurs des audiences observées – garde en établissement, autorisation de soins, protection de la jeunesse – se déroulent à huis clos. L’accès aux audiences dépend donc du consentement des juges et des parties. Dans ces cas, c’est par les juges en chef adjoint·es ou les juges coordonnateurs et coordonnatrices que j’ai obtenu les contacts avec des juges acceptant de m’accueillir dans leurs salles.
Tous les terrains ont procédé à l’aide d’une pluralité de techniques de collecte des données – observations, entrevues, documents –, mais les observations d’audiences judiciaires en constituent les données principales, l’ancrage dans le terrain. Les observations étaient centrées sur les parties défenderesses pour documenter leurs réactions et leurs propos, mais également la manière dont les acteurs et actrices judiciaires s’adressaient à elles. Aucune grille d’observation n’a été utilisée. Le tableau 1 synthétise les données collectées sur les quatre terrains.
Suivant une posture ethnographique et inductive, c’est sur le terrain, lors des séances d’observation, que les premières pistes d’analyse ont émergé, à partir de la richesse des interactions et des dialogues, mais aussi des émotions exprimées verbalement ou non, de l’ambiance, etc. (Paillé, 2006). Ainsi, les autres données ont toutes fait l’objet d’une analyse en relation plus ou moins étroite avec les observations. Dans certains cas, le matériel de collecte des autres données, notamment des entrevues, a été développé à partir des constats issus de l’observation. Dans d’autres cas, c’est en se servant des données d’observation que les autres données ont pu être analysées et mises en contexte.
Les grilles d’analyse ont été construites à partir des pistes identifiées sur le terrain, mais également inductivement, dans une démarche inspirée de la théorisation ancrée (Paillé, 1994). Le logiciel NVivo a été utilisé pour le codage des données, ce qui a permis une rigueur alors que les deux derniers terrains ont été menés en équipe.
Avant de discuter des résultats de ces recherches sous l’angle du profilage, je vais présenter quelques constats généraux utiles à la compréhension de la pratique judiciaire en matière de garde en établissement, d’autorisation de soins, de protection de la jeunesse et de commission d’examen. En effet, bien que l’objet juridique, les procédures et les critères décisionnels soient différents, la nature et l’issue des débats judiciaires présentent plusieurs points communs. Le tableau 2 présente les critères, les procédures et les parties en cause dans les procédures judiciaires sur les quatre terrains.
Contexte d’urgence et paradigme psychiatrique
En raison du nombre important de dossiers présentés quotidiennement, les cours ont des horaires très chargés et ne peuvent allouer trop de temps à chacune des audiences ; les décisions sont donc prises sur le banc, séance tenante. En raison de cette urgence, la preuve n’est le plus souvent disponible que dans les heures avant les audiences, et tant les juges que les personnes visées et leurs avocat·es n’ont souvent pas le temps d’en prendre connaissance en profondeur avant que les audiences ne débutent. La préparation d’une défense efficace est ardue dans ce contexte et il n’est pas rare que les personnes concernées manifestent leur incompréhension quant à l’objet et au déroulement des procédures. Par exemple, lors des audiences de garde en établissement et d’autorisation de soins, les personnes demandent régulièrement de quoi elles sont accusées. Les juristes présent·es, y compris leur propre avocat·e, ne prennent généralement pas la peine de leur donner d’explication.
Le débat juridique est quasiment absent de ces audiences et il arrive même que des juges disent à des avocat·es de la défense voulant invoquer des dispositions légales : « Maître, parlez-moi des faits, le droit, je le connais. » Ainsi, il n’est pas rare que des audiences entières se déroulent sans que les critères légaux soient nommés explicitement, sans arguments juridiques, sans référence à la jurisprudence des tribunaux supérieurs pourtant abondante. Les droits des personnes visées ne sont plaidés qu’exceptionnellement, le plus souvent sans résultat. Il n’est pas étonnant dans un tel contexte que les tribunaux outrepassent régulièrement leurs compétences pour, par exemple, se prononcer sur la nécessité, voire l’obligation, pour la personne visée de prendre de la médication psychiatrique. Selon des avocat·es de la défense spécialisé·es en santé mentale rencontré·e·s en entrevue, leur clientèle ne connaît généralement pas les limites des compétences des tribunaux et, si elle les connaît, elle se considère tout de même comme liée par leurs décisions. Des décisions judiciaires, même hors de la compétence des tribunaux, agissent donc comme pression sur le consentement de personnes qui conservent pourtant le droit de faire des choix, notamment en matière de traitement.
En outre, ces quatre procédures judiciaires débouchent toutes sur les mêmes quatre exigences à l’égard des personnes qu’elles visent. Premièrement, prendre la médication psychiatrique comme recommandé par les psychiatres, peu importe le droit de consentir, et donc de refuser, des traitements et peu importe les effets secondaires ou les préférences. Le fait de discuter de la posologie, de la voie d’administration ou de proposer une médication différente est considérée comme la preuve d’un consentement partiel, stratégique ou de l’absence de consentement. Deuxièmement, la collaboration complète avec les équipes médicales ou sociales, ce qui signifie ne pas pouvoir faire le choix des professionnel·le·s ou des établissements impliqués, bien que ce soit un droit, et ne pas exprimer d’opinion différente ou de désaccord. Troisièmement, l’abstinence complète de consommation de drogue ou d’alcool, même en l’absence de preuve pertinente. Et quatrièmement, la nécessité de s’engager dans la vie active et de travailler.
Augmentation de la judiciarisation et multijudiciarisation
Mes recherches confirment que les procédures judiciaires en matière de garde en établissement, d’autorisation de soins, de protection de la jeunesse et de commission d’examen visent les mêmes personnes qui sont multijudiciarisées à l’intersection de la classe sociale, du genre et de la race. Ainsi, sur le terrain, plusieurs des parties défenderesses faisant l’objet de garde en établissement subissent des procédures judiciaires à la Chambre de la jeunesse et plusieurs de celles visées par des demandes d’autorisation de soins ont été gardées en établissement dans les semaines précédentes ; le quart des personnes non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux ont été, sont ou vont faire l’objet d’une demande d’autorisation de soins (Bernheim et al., 2022) ; des problèmes de santé mentale, avérés ou hypothétiques, et des hospitalisations en psychiatrie, forcées ou non, sont régulièrement discutés devant la Chambre de la jeunesse, qui inclut parfois des suivis médicaux et la prise de médication dans ses recommandations ou ses ordonnances ; etc. Ces constats permettent de poser l’hypothèse qu’un groupe de personnes relativement restreint fait l’objet d’une multitude de procédures et d’ordonnances civiles et administratives.
Or, dans les dernières années, le volume de dossiers judiciaires a augmenté de manière très importante. Entre 2015 et 2021, la hausse du nombre de dossiers est de près de 50 % en matière de garde en établissement et d’autorisation de soins, de 44 % en Protection de la jeunesse et de 15 % en Commission d’examen. Le tableau 3 présente l’évolution du nombre de dossiers par tribunal.
Cette multijudiciarisation est en pleine progression dans un contexte où, suivant les préceptes de la doctrine néolibérale (Hood, 1991, 1995), le gouvernement québécois procède à des coupes structurelles dans les missions sociales de l’État depuis des décennies et à des réformes managériales de la justice caractérisées par la rationalisation des coûts et des objectifs d’efficacité (Mockle, 2013). Dans un contexte de précarisation de l’emploi, de hausse du coût de la vie et de raréfaction des services publics, les services policiers sont devenus les « premiers répondants » en santé mentale (Parker et al., 2018), ce qui participe certainement de l’amplification du recours à la coercition dans le domaine. Les services policiers constituent des relais de la judiciarisation civile – ils peuvent amener des personnes contre leur gré à l’urgence en raison du danger pour soi ou autrui qu’elles représentent en raison de leur état mental, ce qui peut déboucher sur des demandes de garde en établissement – et exécutent des ordonnances judiciaires civiles et administratives de la même manière qu’en matière pénale.
Alors que les décisions en matière de protection de la jeunesse relèvent des tribunaux depuis les années 1950, la judiciarisation des procédures de garde en établissement, d’autorisation de soins et de suivi des personnes déclarées criminellement non responsables pour cause de troubles mentaux ou inaptes à subir leur procès date des années 1990 par des réformes des codes civil et criminel. À l’époque, par ces nouveaux mandats judiciaires, les législateurs québécois et fédéral visaient explicitement une protection accrue des droits civils et judiciaires des personnes faisant l’objet de mesures coercitives en psychiatrie (Bernheim, 2022). Faisant de ces mesures des enjeux de droit, et non plus seulement des enjeux cliniques, les tribunaux devaient désormais agir comme rempart contre les potentiels abus. Or, l’augmentation de la judiciarisation en santé mentale, le profil des personnes visées et leur multijudiciarisation démontrent la faillite des tribunaux à assumer ce mandat. En plus de l’intersection des systèmes d’oppression tels que la classe sociale, le genre et la race, et de l’organisation sociale et politique des rapports de pouvoir (Crenshaw, 1991, 1989 ; Hill Collins, 2019 ; Hill Collins et Bilge, 2016) décrite par Patricia Hill Collins (2000) comme « matrice de domination » (p. 299), il apparaît pertinent, à la lumière des résultats de recherche, de considérer la classe sociale des professionnel·le·s en situation de pouvoir comme un élément structurel favorisant le profilage et la discrimination.
Le profilage social, un enjeu de classe (sociale)
Mes résultats concordent avec les connaissances établies sur le profil socioéconomique des personnes soumises à des hospitalisations et des soins forcés, à des mesures en protection de la jeunesse ou des procédures pénales (Barnett et al., 2019 ; Bellot et Sylvestre, 2015 ; Garett et al., 2023 ; Moloney et al., 2022). Ainsi, dans les quatre contextes judiciaires, les sujets abordés durant les audiences font foi de l’état de précarité dans lequel vivent la vaste majorité des défendeurs et défenderesses. État du logement, situation d’emploi ou d’études, niveau de scolarité, état des relations avec les proches : ils et elles sont sommé·es de s’expliquer sur leur situation d’itinérance, l’insalubrité de leur logement, leur alimentation déficiente, le fait de ne pas être en emploi ou de n’avoir pas fait de demande d’aide sociale. À cet égard, les audiences s’apparentent à un procès des conditions de vie des personnes, qui sont présentées comme un style ou un mode de vie voulu et choisi. La précarité dans laquelle les défenderesses et défendeurs vivent, la crise du logement en cours, l’insuffisance des prestations sociales et du salaire minimum ne sont pas même mentionnées, encore moins considérées. Une grande majorité des juges interrogé·es dans le cadre de mes recherches a affirmé que les personnes judiciarisées en santé mentale n’ont pas de profil socioéconomique particulier. Or, le fait d’ignorer les classes sociales et la stratification sociale qu’elles génèrent (class blindness) constitue le terreau du profilage et de la discrimination (Franklin, 2018).
Les recherches établissent que les personnes vivant dans la pauvreté sont perçues comme moins intelligentes, incompétentes, paresseuses, indignes de confiance et peu crédibles (Durante, Tablante et Fiske, 2017 ; Lindqvist, Björklund et Bäckström, 2017). Or, la crédibilité des savoirs est très contrôlée dans le domaine juridique et centrale dans le processus judiciaire. D’une part, le savoir juridique est opaque et largement inaccessible, ce qui explique la difficulté des personnes profanes à participer aux débats sur le droit et la justice, mais aussi aux débats judiciaires les concernant. D’autre part, les savoirs non juridiques, et plus particulièrement issus des expériences, ne bénéficient que de peu de visibilité et de considération (Fricker, 2007). L’absence de crédibilité des savoirs non juridiques a deux conséquences très concrètes sur le droit et son usage. D’abord, « le savoir juridique se construit non seulement sans tenir compte des réalités auxquelles sont confrontées les personnes qui ont une expérience avec la justice, mais parfois à l’encontre de ces réalités » (Bahary-Dionne et Bernheim, 2021, p. 185). Ensuite, il est d’usage pour les juristes d’évacuer des savoirs qui ne leur paraissent pas pertinents, invisibilisant par le fait même les personnes qui en sont porteuses (Honneth, 2005).
Dans l’espace judiciaire, l’invisibilisation se traduit par de longs échanges entre juristes – juges et avocat·es – ou entre juriste et témoins professionnels – psychiatres et travailleuses sociales – sans jamais solliciter, voire en ignorant, les personnes directement concernées. C’est ce qu’illustre cet échange s’étant déroulé au début d’une audience de Commission d’examen et relaté dans mes notes d’observation :
Comme il est d’usage en début d’audience, le juge-avocat, qui préside le banc, veut connaître l’adresse du défendeur. Il s’adresse à la témoin psychiatre alors qu’il est assis directement en face du défendeur. La psychiatre répond qu’elle n’est pas certaine, que son adresse officielle serait le garage d’un ami alors qu’il vivrait chez sa conjointe. Le défendeur veut intervenir mais tout le monde lui intime vivement de se taire, qu’il parlera lorsque la parole lui sera donnée, que ce n’est pas son tour. Le juge-avocat questionne la psychiatre sur l’adresse sans aucun résultat. Les juges ont l’air très embêtés par le fait que personne ne sait où vit le défendeur. Finalement, le juge-avocat s’adresse à lui en lui demandant son adresse, et il répond en précisant que c’est chez lui et non chez sa conjointe. L’échange a duré plus de cinq minutes.
Il est ainsi courant durant les audiences que les juristes, avec ou sans les témoins professionnels, échangent entre eux et elles, de situations dont ils et elles ne sont ni au courant ni les mieux placé·es pour en juger. C’est régulièrement le cas en matière de garde en établissement où les psychiatres rédigent en quelques lignes sur des formulaires des faits dont ils et elles n’ont le plus souvent pas été directement témoins. Ce sont plutôt les policiers ou des proches qui font part de ces faits au personnel infirmier de l’urgence qui les inscrit dans le dossier. Il peut s’agir de comportements, de propos ou d’altercations, mais aussi parfois de dettes, d’habitudes alimentaires ou de consommation, d’état du logement ou de refus de prendre une médication. Or, ni les psychiatres, ni les proches, ni les policiers, ni même le personnel infirmier ne sont présents pour témoigner lors des audiences. Les personnes concernées sont donc le plus souvent les seules à connaître ces faits et non seulement leur version est complètement ignorée, mais elle est considérée, lorsqu’elle contredit les propos des psychiatres, comme ayant « entaché leur propre crédibilité ».
Il faut dire que les parties défenderesses se présentent souvent à la cour peu préparées et tiennent parfois sans s’en rendre compte des propos qui leur sont nuisibles. Pourtant, une importante proportion d’entre elles est représentée par un·e avocat·e. Cette absence de préparation peut s’expliquer en partie par l’urgence des procédures, mais elle serait également volontaire en raison des risques associés à la maladie mentale, selon les propos d’un avocat de la défense rencontré en entrevue :
Moi, je sais qu’au criminel ou dans d’autres matières, on prépare le client. On leur dit : « Voilà ce qu’il faudrait dire ou ne pas dire. » Pas en santé mentale. Et ça c’est, dans notre bureau, on ne donne jamais la réponse. On pose les questions, ils nous donnent une réponse, et ils me posent toujours la question : « Est-ce que ça va ? » Si tu penses que c’est ta bonne réponse, que c’est ce que tu penses réellement, c’est la bonne réponse. Je ne veux pas du tout influencer, en disant : « Il faut que tu dises que tu vas prendre la médication. » Non. Jamais, ça. On est toujours très, très honnête parce qu’on est en santé mentale. Au-delà des droits fondamentaux qu’ils ont à faire respecter, c’est aussi une question de sécurité du public et puis une question de soins pour eux-mêmes.
L’absence de préparation se traduit par des attitudes respectant peu le décorum de la cour, les personnes ne connaissant pas le déroulement des procédures et voulant par exemple s’exprimer à tout moment ou encore employant un vocabulaire familier. Leur comportement tranche avec celui des témoins professionnels, préparés par les avocat·es des centres intégrés de santé et de services sociaux et comparaissant souvent à la cour (Galanter, 1974). À l’instar des recherches menées en contexte de justice civile (Hétu et Marx, 1976 ; Kang et al., 2012 ; Sandefur, 2008), mes recherches démontrent que l’absence de capital social et économique est un important désavantage en salle d’audience. Non seulement il est interprété comme la preuve d’un dysfonctionnement social et d’une incapacité manifeste à se prendre en main, voire d’inaptitude ou de dangerosité, mais il contribue aux difficultés de communication entre les juges et les parties défenderesses. C’est ce qu’exprime clairement un défendeur faisant l’objet d’une demande d’autorisation de soins, lorsqu’il dit au juge qui lui lit le Code civil : « Il faudrait que j’aie étudié pour comprendre ce que vous dites. Il faudrait que j’aille à l’école pour pouvoir me défendre. » Cette difficulté à communiquer se concrétise par des malentendus et des incompréhensions mutuelles qui ponctuent les audiences.
La distance sociale entre juges et parties défenderesses entraîne des conséquences concrètes. Des recherches ont démontré que les juges fondent leurs interprétations sur le point de vue de la classe moyenne (Emmelman, 1994) : ils et elles sont bien souvent incapables de comprendre et de tenir compte des contraintes liées aux conditions de vie des personnes judiciarisées. C’est ce que démontre cet extrait de notes d’observation d’une audience à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec :
L’audience concerne une jeune mère et sa petite fille de deux ans. La mère sort d’une relation de violence conjugale qui semble avoir mené au signalement et aux mesures mises en place par la DPJ. Le père est absent de la vie de sa fille qui est confiée à la grand-mère maternelle. La mère a participé avec succès à une thérapie pour traiter sa dépendance affective. L’audience porte sur le retour de l’enfant chez sa mère, bien que la travailleuse sociale de la DPJ se dit inquiète parce que la mère et la grand-mère comptent vivre dans un appartement de trois pièces et que la mère envisage un retour aux études. Les préoccupations de la travailleuse sociale concernent le partage de l’unique chambre de l’appartement alors que la fillette devrait avoir sa propre chambre, de même que l’absence de la mère en raison de ses études.
La juge accorde le retour de l’enfant chez sa mère, affirmant du même souffle qu’il faudrait que cette dernière trouve un plus grand appartement. Alors que la mère n’a pas de formation et vit du bien-être social, son projet d’aller étudier pour améliorer sa situation financière constitue, du point de vue de la juge, un facteur d’instabilité pour l’enfant qu’il faudra surveiller dans les prochains mois.
À la fin de l’audience, je questionne la juge concernant le contexte actuel de rareté et de coût élevé des logements. Je lui demande si c’est un élément qui devrait être pris en compte dans la situation de cette mère. Elle me répond avoir en effet vaguement entendu parler de crise du logement, mais n’en sait pas davantage.
Aux rapports de classe manifestes par l’écart entre les codes sociaux et les références en termes de conditions de vie s’ajoute l’élitisme du milieu juridique et de la formation en droit. Les études, notamment québécoises, démontrent en effet que les étudiant·e·s en droit proviennent de milieux beaucoup plus aisés que la moyenne, en plus d’être régulièrement issu·es de familles de juristes (Kennedy, 2004 ; Noreau et Bonin, 2017). La formation offerte dans les facultés de droit est non seulement technique, mais elle est axée sur les problèmes juridiques des groupes sociaux les plus fortunés ayant pu s’offrir les services de procureurs jusqu’à la Cour suprême du Canada, les besoins et problèmes juridiques de la classe moyenne ou des personnes vivant dans la pauvreté étant généralement ignorés (Critchlow, 2015). Cette formation déconnectée de la réalité sociale renforce la légitimation de l’existence et des rapports de classe, de même que les croyances méritocratiques fondées sur les théories du choix rationnel et de la responsabilité individuelle. Elle permet également de justifier le recours à la justice pour gérer les problèmes sociaux (Sylvestre, Bellot et Chesnay, 2012), tout en ignorant, voire en niant, sa dimension coercitive.
Ainsi, en l’absence de productivité économique, les juges considèrent que les ordonnances judiciaires ne sont pas préjudiciables aux personnes visées, au contraire. Un juge affirme par exemple au sujet des gardes en établissement, « qu’ici, on ne rend pas justice, on rend service », expliquant fournir « gîte et couvert » à des personnes en situation d’itinérance ou de grande pauvreté. Durant les audiences, les juges ignorent les propos des parties défenderesses sur les pertes d’emploi et de logement que les ordonnances judiciaires peuvent provoquer. Ils et elles ont une toute autre réaction lorsqu’exceptionnellement, les personnes qui se présentent devant elles et eux sont comptables ou ingénieur·es. Dans ces cas, les faits ayant mené aux audiences judiciaires sont considérés comme isolés, liés à une crise passagère, et les juges tiennent compte du potentiel négatif des ordonnances judiciaires sur la carrière et la stabilité financière.
Au-delà de l’absence de préjudice, plusieurs des acteurs et actrices judiciaires – juges, avocat·es, témoins professionnels – sont convaincu·es du potentiel positif et transformateur du processus et des ordonnances judiciaires, que la multijudiciarisation potentialiserait. Une juge de la Chambre civile de la Cour du Québec explique en entrevue :
C’est pour ça que pour moi, c’est important d’aller chercher l’adhésion du défendeur. Je ne réussis pas toujours, je réussis souvent. Souvent. À cause de l’ascendance du tribunal, tout le décorum, le fait que c’est un juge. Dans la société, les juges sont un peu perçus comme les pères et mères de la société, hein, on est un petit peu les parents de la société. Alors il y a cette ascendance-là qui joue.
Les observations d’audiences et les propos de certain·es avocat·es de la défense permettent de mettre cette affirmation en doute. Non seulement le processus judiciaire est anxiogène, mais il est souvent opaque et les personnes concernées n’en comprennent généralement ni le fondement ni l’issue qui ne leur est la plupart du temps pas expliqué adéquatement. Alors que certains psychiatres ont affirmé en entrevue qu’« il est bon » pour les personnes d’entendre les mêmes recommandations par plusieurs tribunaux, et que la multiplication des décisions judiciaires constitue un levier pour les équipes traitantes, les ordonnances civiles et administratives produisent des effets très concrets en termes de surveillance et de contrôle.
Le risque et le contrôle, un enjeu de genre et de race
Bien que les sujets discutés en audience soient similaires dans les quatre tribunaux étudiés, les débats judiciaires mettent en scène de manière évidente des discours sur le genre et la race stéréotypés quant au risque. Pour Nikolas Rose (1996), le risque a une double face : « les individus eux-mêmes présentent un risque lorsqu’ils ne peuvent pas gérer adéquatement leur vie au sein de la communauté, tout en représentant un risque pour la communauté en raison de leur incapacité à se gouverner eux-mêmes » (p. 349).
Le risque posé par les hommes, d’autant plus jeunes et racialisés, est lié à la violence (Barnett et al., 2019 ; Ogilvie et Kisely, 2022 ; Wong et al., 2019), et la menace qu’ils représentent explique qu’il faut s’en protéger. Le risque posé par les femmes, au contraire, est lié à leur fragilité (Burstow, 2015 ; Chunn et Menzies, 1998 ; Clarck et al., 2005), et leur vulnérabilité nécessite de les protéger, ou d’en protéger leurs enfants, et plus particulièrement les garçons, qui, exposés à leur déviance, pourraient sombrer dans la délinquance ou la violence (Bernheim, 2023 ; Cardi, 2007). Les femmes racialisées paraissent à cet égard présenter un risque particulièrement important alors qu’elles font l’objet d’une marginalisation accrue (Crenshaw, 1989 ; Hill Collins, 2000). Les processus et les échelles d’évaluation utilisées dans les procédures judiciaires étudiées – tant les évaluations du risque que des capacités parentales et à consentir aux soins – ciblent d’ailleurs structurellement les personnes marginalisées, et plus particulièrement racialisées (Choate et Lindstrom, 2017 ; Douglas et al., 2017 ; Fazel, Sariaslan et Fanshawe, 2022 ; Garett et al., 2023 ; Large et al., 2016 ; Singh, Grann et Fazel, 2013), constituant aux yeux de certain·e·s des outils de gouvernance coloniale (Choate et Lindstrom, 2017 ; Muir, Viljoen et Sheperd, 2023).
Des extraits de notes de deux audiences de garde en établissement illustrent le traitement différencié fondé sur le genre :
Un homme de 25 ans est le prochain défendeur à comparaître devant le tribunal pour une ordonnance de garde en établissement. Le constable spécial [policier du palais de justice] annonce à la juge qu’il croit le reconnaître du temps où il travaillait comme policier dans une ville de banlieue, et qu’il pense qu’il souffre d’une maladie à déclaration obligatoire. Le malaise est palpable dans la salle d’audience. Tout le monde est en effet un peu inquiet, d’autant plus qu’il semble que le défendeur, qui vit dans un refuge pour personnes en situation d’itinérance, ait résisté à son arrestation et ait été hospitalisé avec mise en place de contentions physiques. Le constable spécial enfile des gants en latex « au cas où il devrait intervenir ».
Durant l’audience, le défendeur est visiblement en colère. Il s’exprime sur un ton revendicateur, mais reste calme. Il est très au courant de ses droits, explique par exemple qu’il est gardé illégalement depuis plusieurs jours et qu’il a été contraint de prendre une médication contre son gré. À la fin de l’audience, la juge lui dit sévèrement (en référant implicitement à la procédure d’autorisation de soins) qu’il a le droit de refuser les traitements « jusqu’à ce qu’un autre juge en décide autrement ».
Après l’audience, la juge me confie avoir eu peur que le défendeur « saute sur [s]a greffière ».
La défenderesse est une jeune femme de 22 ans. Elle fait l’objet d’une demande de garde en établissement en lien avec des altercations avec ses parents et le fait qu’elle s’est rendue à Toronto sans les en informer. L’avocat de l’hôpital annonce qu’une demande d’autorisation de soins sera déposée à la Cour supérieure la semaine prochaine.
La défenderesse déclare avoir été battue par ses parents, vivre dans un refuge et ne pas avoir de pensées suicidaires. Elle a reçu un diagnostic de schizophrénie et s’est fait offrir une médication, mais elle affirme que, comme personne ne lui a expliqué le diagnostic et le traitement, elle a refusé le traitement.
Le juge lui demande : « Comprenez-vous que vous êtes encore une jeune personne, que vous êtes vulnérable ; comprenez-vous l’importance de dire à un proche que vous quittez la ville ? »
Après l’audience, le juge affirme percevoir la défenderesse comme une personne « beaucoup plus enfantine » qu’une personne de 22 ans. Pour lui, il est « très dangereux » pour une jeune femme d’être seule dans une ville comme Toronto, ce qu’une « personne dotée d’un bon jugement et qui n’est pas atteinte d’une maladie mentale comprend ».
Ces audiences, qui représentent le quotidien ordinaire de la cour en matière de garde en établissement, mais aussi d’autorisation de soins, présentent une différenciation entre les genres à l’intersection des rapports de classe décrits plus haut, les juges entretenant une conception stéréotypée des risques que représentent les hommes et les femmes sans tenir compte des contextes sociaux et économiques. Tant pour les hommes que les femmes, le risque justifie une gamme d’interventions, qu’elles soient préventives ou coercitives, au-delà de la privation de liberté associée à la garde en établissement. Il est ainsi commun que des défendeurs et défenderesses rapportent des violations de leurs droits en milieu hospitalier, notamment du droit de consentir aux soins, sans que les juristes présent·es aux audiences, dont les avocat·es de la défense, réagissent. Au contraire, il est courant de voir juges et avocat·es tenter de convaincre les personnes de collaborer avec leur équipe traitante, d’accepter de prendre leur médication, allant jusqu’à affirmer par exemple que le fait d’accepter une hospitalisation pourrait permettre d’en réduire la durée. Non seulement ces interventions sont faites en dehors de toute compétence clinique permettant d’en évaluer la pertinence, mais elles sont présentées par les juristes comme étant de nature « thérapeutique ». Or, elles se déroulent dans un contexte coercitif, où l’issue la plus probable des audiences judiciaires est de forcer les personnes à se soumettre à des hospitalisations ou à des traitements. Il est pour le moins surprenant de constater que les juristes considèrent comme approprié et valable un consentement obtenu dans un tel contexte.
Si en matière de garde en établissement et d’autorisation de soins, les discours différenciés se matérialisent par des issues similaires, liées à l’objet des procédures judiciaires, c’est en Commission d’examen et en Chambre de la jeunesse qu’ils se concrétisent dans des formes de contrôle précises. En Commission d’examen, où les hommes sont surreprésentés, le contrôle s’apparente davantage à celui du droit pénal, axé sur la vie sociale et l’espace public. En Chambre de la jeunesse, où les femmes sont non seulement surreprésentées, mais plus visées par les ordonnances judiciaires, le contrôle porte au contraire sur la sphère domestique et les relations personnelles.
En Commission d’examen
Extraits des notes d’observation :
Le défendeur est un grand homme noir de 40 ans, portant des dreadlocks, ayant reçu des diagnostics de schizophrénie, de jeu pathologique et de toxicomanie. Il est sous commission d’examen depuis huit ans et est en libération conditionnelle, mais est actuellement hospitalisé. En huit ans, il a été incarcéré une dizaine de fois, le plus souvent pour bris de conditions.
Le psychiatre traitant voudrait que le défendeur soit placé en détention pour traiter son problème de jeu, ce qu’il refuse, et la Commission d’examen n’a pas le pouvoir d’ordonner des traitements.
Dès le début de l’audience, les juges affirment que le défendeur mendie agressivement dans les rues : ils tirent cette information de dossiers de police, mais aucune accusation n’a été portée. Le défendeur raconte être harcelé par des commerçants et des policiers lorsqu’il mendie, faisant directement référence au profilage racial. Les avocats, le psychiatre et les juges se regardent en souriant, d’un air entendu, n’ayant manifestement jamais pris connaissance des nombreux rapports concernant le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) sur le sujet. Les juges soutiennent que les rapports de police constituent la preuve de l’agressivité du défendeur et du risque qu’il représente.
Le défendeur hausse le ton : « J’en ai marre d’être contrôlé par le système. Oui, il faut respecter les lois, mais j’ai aussi des droits. » La juge psychiatre lui répond d’un air étonné qu’il a « l’air frustré » et l’invite à rester calme. Elle lui dit en souriant : « Nous sommes là pour vous. »
Alors que la commission délibère, toutes les personnes présentes dans la salle doivent se rendre dans le couloir. L’avocat de la défense interpelle le défendeur et lui dit : « Vous devez arrêter avec cette histoire de profilage. Vous êtes grand, vous êtes noir, vous faites peur. » Ces mots créent un profond malaise et nous passons les 10 minutes de délibération de la commission à regarder nos chaussures.
De retour dans la salle d’audience, les juges annoncent qu’ils vont suivre la recommandation du psychiatre et placer le défendeur en détention sans autorisation de sortie pour un an : « Bonne chance, monsieur ! »
Alors que l’objet des audiences de la Commission d’examen est le risque pour la sécurité du public, mais aussi la réhabilitation des défendeurs, une multitude de faits, voire d’anecdotes, semblent créer des présomptions de risque de violence, par exemple l’inculpation, l’incarcération ou l’hospitalisation des défendeurs, une décision émanant d’autres autorités telles que la police, le Tribunal administratif du logement, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, ou l’avis des psychiatres traitants, même lorsqu’il porte sur des enjeux dépassant les compétences de la Commission. C’est dans cet esprit que la Commission d’examen prend des décisions relatives à la liberté des défendeurs.
Cependant, la Commission se montre également préoccupée par l’image des défendeurs, qu’elle souhaite inoffensive et rassurante, et les juges se permettent de prodiguer conseils et recommandations relativement à l’apparence, aux vêtements, aux bijoux, au langage et à l’attitude. Les juges peuvent par exemple expliquer aux défendeurs qu’un bracelet à pointes est effrayant, ou que les t-shirts de groupes de musique métal peuvent être interprétés comme agressifs. Dans le cas de l’audience rapportée plus haut, il a été conseillé au défendeur de se couper les cheveux. Les juges encouragent également les défendeurs à s’exprimer poliment et calmement, dans un langage soutenu, et uniquement lorsqu’ils sont invités à le faire. Les manifestations de colère ou de frustration sont absolument proscrites car dénotant une imprévisibilité inquiétante. De la même façon que pour les audiences de garde en établissement et d’autorisation de soins, un discours relatant des expériences de discrimination ou de profilage, ou s’appuyant sur les droits, est perçu comme agressif et peu crédible. Ainsi, en plus des ordonnances de la Commission d’examen contrôlant directement la liberté des défendeurs, des prescriptions diverses parsèment les audiences. Or, comme mentionné plus haut, les défendeurs se sentent directement contraints par les recommandations exprimées par les juges en audience. D’une part, ils ne connaissent souvent pas les limites des compétences de la Commission d’examen et, d’autre part, ils reconnaissent une force symbolique à ces recommandations, estimant que le fait de ne pas les suivre pourrait compromettre leur libération dans l’avenir.
À la Chambre de la jeunesse
Extraits des notes d’observation :
Les parents défendeurs sont séparés mais comparaissent ensemble au tribunal. L’enfant, un garçon de quatre ans qui vit avec sa mère, est absent. Le père, un Latino qui a du mal à s’exprimer en français, ne travaille pas et la mère, une Québécoise francophone, danse nue dans les bars.
La travailleuse sociale de la DPJ explique qu’avant la séparation, le père était physiquement violent envers la mère et recommande des ateliers de gestion de la colère pour lui et des ateliers de gestion de la dépendance affective pour elle. Le père n’a pris aucune mesure pour participer à ces ateliers, tandis que la mère a assisté à quelques séances, mais pas suffisamment de l’opinion de la travailleuse sociale. Elle dit craindre que si la mère recommence à fréquenter des hommes, elle n’expose à nouveau son fils à la violence.
Elle note également que le père, qui voit son fils sous la surveillance de sa soeur pendant quelques heures toutes les deux fins de semaine, lui a préparé un Kraft Diner la dernière fois. Elle tient à le féliciter ici, devant tout le monde. La juge ajoute, enjouée : « Bravo, monsieur ! »
Au cours de cette audience, l’accent est mis sur la mère, sa santé mentale instable et sa consommation occasionnelle de cannabis. La travailleuse sociale explique que le fait que la mère ait été battue par le père démontre non seulement sa dépendance émotionnelle à son égard, mais aussi qu’elle n’a pas pris en compte le développement de son enfant dans sa décision de rester avec un partenaire violent. Elle se dit extrêmement préoccupée.
Elle propose un suivi psychiatrique de la mère et une évaluation psychologique de l’enfant concernant l’attachement, en plus de l’obligation pour la mère de divulguer toute relation amoureuse future, de subir des tests de dépistage de drogue aléatoire et de recevoir les travailleuses sociales de la DPJ en visites surprises chez elle. Elle affirme que si la mère ne se conforme pas à ces mesures, l’enfant pourrait lui être retiré.
Les audiences de protection de la jeunesse reflètent une conception genrée des rôles parentaux, dans laquelle la mère est responsable de l’éducation, de la santé, du suivi scolaire, de la nutrition et de l’affection. Les mères racialisées, et notamment autochtones, se font régulièrement reprocher l’implication de leur famille proche – parents, frères et soeurs – dans l’éducation de leurs enfants. Cette implication est considérée comme la preuve de leur incapacité à prendre soin de leurs enfants ou à leur imposer un « cadre ». Le rôle que les pères veulent jouer est au contraire laissé à leur discrétion. En conséquence, les mères sont systématiquement blâmées pour ce qui ne fonctionne pas, y compris la violence de leur conjoint, tandis que les pères sont régulièrement félicités pour l’accomplissement de tâches quotidiennes.
Les ordonnances de la Chambre de la jeunesse sont intrusives et imposent un niveau de surveillance quotidien, que ce soit par la participation à des ateliers, à des thérapies, des suivis, l’imposition de visites surprises, l’obligation de dévoiler des détails de sa vie personnelle comme les relations amoureuses, etc. En matière de protection de la jeunesse, le risque pour les enfants induit par la vulnérabilité de leurs mères autorise le contrôle de chacun des gestes et décisions de ces dernières.
La violence des hommes, réelle ou potentielle, et son traitement judiciaire inégal met également en lumière comment s’exerce le contrôle fondé sur le genre. En matière de protection de la jeunesse, la violence des pères envers les mères est imputée aux mères qui doivent prendre des mesures pour protéger leurs enfants et guérir leur dépendance affective. Le fait pour une mère d’être, ou même d’avoir été, dans une relation de violence démontre que sa vulnérabilité la rend incapable de prioriser l’intérêt de son enfant, compromettant ses capacités parentales et éventuellement sa possibilité de maintenir les liens avec lui (Lapierre et Cadrin, 2022). Alors que la violence potentielle des hommes justifie leur garde en établissement ou leur maintien sous le contrôle de la Commission d’examen, la violence avérée des pères n’est pas considérée comme un indicateur de leurs incompétences parentales et ne les empêche nullement de voir leurs enfants, voire de se les voir confier par la Chambre de la jeunesse.
Comme pour la classe sociale, le genre et la race sont systématiquement évacués du discours judiciaire en santé mentale, invisibilisés (Andersen, 2001 ; Franklin, 2018 ; Honnet, 2005). La violence subie par les mères, la violation des droits et le profilage vécus par les défendeurs et défenderesses contribuent au mieux à les décrédibiliser, au pire à les exposer à un contrôle plus strict, dans un contexte de multijudiciarisation.
Conclusion. Le marché, le profilage et la violence judiciaire
Mes recherches montrent comment la justice civile et administrative en santé mentale est rendue dans un contexte d’urgence, sans débat juridique de fond, déshumanisée. Une justice qui a pourtant le pouvoir de rendre des ordonnances très intrusives – traitements psychiatriques, hospitalisation, détention, conditions, dévoilement d’informations personnelles, visites surprises, etc. – souvent de manière préventive. Une justice qui cible et profile les personnes les plus marginalisées, à l’intersection de la classe sociale, du genre et de la race, et qui multiplie les ordonnances à l’égard des mêmes défendeurs et défenderesses, dans un contexte défavorable de rapports de pouvoir. Ces pratiques judiciaires constituent des violences individuelles, en raison de ce que les audiences et les ordonnances ont comme effet sur les vies des personnes en termes d’invisibilisation et de contrôle, mais également des violences structurelles, en raison des effets coercitifs sur des groupes de personnes marginalisées.
La déshumanisation de la justice fait écho à celle, documentée, des personnes vivant dans la pauvreté (Loughnan et al., 2014), racialisées (Livingstone Smith, 2021) ou avec un diagnostic psychiatrique (Gambrill, 2014). Elle soulève la question de savoir si de telles pratiques judiciaires seraient tolérées à l’encontre d’autres groupes. Alors que les avocat·es de la défense acceptant les mandats privés d’aide juridique sont de moins en moins nombreux et nombreuses en raison des conditions déplorables de travail et de rémunération (Groupe de travail indépendant sur la réforme de la structure tarifaire de l’aide juridique, 2022), la pratique en santé mentale peut s’avérer des plus payantes lorsqu’elle est faite à la chaîne, sans préparation. Une demande d’accès à l’information déposée à la Commission des services juridiques a ainsi démontré qu’en 2021, un·e avocat·e a agi par mandat privé dans 605 dossiers en matière de garde en établissement, ce qui lui a permis d’encaisser la somme de 156 600 $. Ces pratiques, connues de tous et toutes dans le milieu, sont tolérées, voire encouragées, par l’absence de dénonciation et par la pression à la performance exercée sur les tribunaux par les préceptes de la nouvelle gestion publique (Bernheim, 2023). Ainsi, dans le marché de la justice en santé mentale, le profilage et la violence judiciaire subis par les un·es constituent une occasion d’affaire pour les autres.
Appendices
Note
-
[1]
57, rue Louis-Pasteur, Pavillon Fauteux, Ottawa, Ontario, Canada, K1N 6N5
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