Abstracts
Résumé
Cet article est tiré d’une recherche quantitative examinant si, à infractions égales ou comparables, les personnes en situation d’itinérance (PSI) poursuivies en vertu du Code criminel à Montréal entre 2013 et 2018 font l’objet de traitements judiciaires différenciés par rapport aux personnes non itinérantes en matière de détention provisoire et à l’étape du verdict. Nous vérifions également si ces traitements judiciaires varient en fonction du type d’avocat·e de la défense. Un premier échantillon a été formé par une extraction aléatoire de dossiers criminels de PSI à même les dossiers d’usager·ères de l’OSBL la « Clinique juridique itinérante » et le rôle du palais de justice. Un deuxième échantillon a été formé par une extraction, à même le rôle du palais de justice, de dossiers criminels de personnes non itinérantes comportant au moins un des dix chefs dont sont le plus souvent inculpées les PSI du premier échantillon. Bien qu’à l’arrestation, les PSI et les personnes non itinérantes soient placées sous garde par la police dans des proportions similaires, les PSI comparaissent cependant davantage détenues. Elles ne sont pas plus susceptibles d’être maintenues en détention au terme de l’enquête sur mise en liberté, mais sont beaucoup plus portées à plaider coupable à cette étape, en plus d’être davantage reconnues coupables au terme de l’instance. Enfin, les PSI ont nettement plus intérêt à être défendues par un·e avocat·e du Bureau d’aide juridique que par un·e avocat·e en pratique privée sous mandat d’aide juridique, tant à l’enquête sur mise en liberté qu’à l’étape du verdict.
Mots-clés :
- Personnes en situation d’itinérance,
- système judiciaire,
- droit criminel,
- discrimination,
- détention provisoire,
- verdict
Abstract
This article is based on quantitative research examining whether for equal or comparable offences, people experiencing homelessness (PEH) prosecuted under the Criminal Code in Montreal between 2013 and 2018 were subject to differential judicial treatment at the pretrial detention and verdict stages, as compared to non-homeless people. Additionally, we verified whether the judicial treatment of PEH varied according to their type of legal representation. A first sample was generated by randomly extracting PEH criminal records from the user files of the Mobile Legal Clinic (NPO), as well as from the Palais de justice docket. A second sample was formed by extracting criminal files for non-homeless people from the Palais de justice docket that included at least one of the ten charges most frequently brought against the PEH sample. Although PEH and non-homeless people are taken into police custody in similar proportions when arrested, PEH are more likely to be in detention at the time of their first court appearance. Additionally, while PEH are no more at risk of being kept in detention at the end of their judicial interim (bail) hearing, they are much more likely to plead guilty at this stage, in addition to facing a higher probability of being found guilty at the conclusion of their proceedings. Finally, PEH are much better off being defended by a lawyer from a Legal Aid Office, as compared to a private practice lawyer with a legal aid mandate, both at their bail hearing and at the verdict stage.
Keywords:
- Homeless people,
- judicial system,
- criminal law,
- discrimination,
- pretrial detention,
- verdict
Resumen
Este artículo se basa en una investigación cuantitativa que examina si, por delitos iguales o comparables, las personas sin hogar (PSH) procesadas en virtud del Código Penal en Montreal entre 2013 y 2018 están sujetas a un tratamiento judicial diferenciado en comparación con las personas sin hogar en lo que a prisión provisional y sentencia se refiere. También comprobamos si estos tratamientos jurídicos varían en función del tipo de abogado defensor. Una primera muestra fue constituida mediante una extracción aleatoria de expedientes penales de PSH de los registros de usuarios de la organización sin fines de lucro “Mobile Legal Clinic” y del registro del Palacio de Justicia. Una segunda muestra se constituyó mediante una extracción, del registro del palacio de justicia, de expedientes penales de personas que no estuvieran en situación de sinhogarismo y que contenían al menos uno de los diez cargos de los que se acusa con mayor frecuencia a los PSH de la primera muestra. Aunque en el momento del arresto las PSH y las personas sin hogar son puestas bajo custodia policial en proporciones similares, los PSH comparecen más detenidos ante el tribunal. El riesgo de que sigan detenidos al final de la audiencia de liberación no es mayor, pero sí que es mucho más probable que se declaren culpables en esta etapa, además de que sean declarados más frecuentemente culpables al final del proceso. Por último, para las PSH resulta claramente más interesante que sean defendidas por un abogado de la Oficina de Asistencia Jurídica que por un abogado privado que acepte mandatos de asistencia jurídica, tanto en la audiencia de prisión provisional como en la etapa de la sentencia.
Palabras clave:
- Personas sin hogar,
- sistema judicial,
- derecho penal,
- discriminación,
- prisión provisional,
- sentencia
Article body
Introduction[3]
Depuis les années 1980, avec la montée du néolibéralisme, on observe dans plusieurs pays occidentaux un durcissement du droit pénal et criminel ciblant en particulier les personnes exclues du capitalisme, celles qui ont été mises « hors jeu » par le marché et qui, de ce fait, incarnent, aux yeux de la population et des institutions, une menace, notamment pour la propriété (Harcourt, 2011 ; Wacquant, 2010). Les personnes en situation d’itinérance (ci-après « PSI ») sont les premières à faire les frais d’une telle tendance, qui se manifeste, en ce qui les concerne, par une surveillance et une répression policières ciblées dans l’espace public, notamment parce que leur présence en milieu urbain inquiète et dérange certain·es citoyen·nes et commerçant·es. Au Québec, notamment, ce profilage social systémique et la surjudiciarisation en découlant ont été amplement démontrés à l’étape de l’intervention policière en matière réglementaire (Bellot et al., 2021 ; Bellot et Sylvestre, 2017 ; Chesnay et al., 2014). Toutefois, nous en connaissons peu sur la judiciarisation des PSI inculpées en vertu du Code criminel, et encore moins sur ce qui se passe en aval de l’arrestation policière.
Certaines études américaines et canadiennes suggèrent que les PSI auraient des contacts plus fréquents avec le système de justice pénale et criminelle que la population générale (Gonzales et al., 2018 ; Snow et al., 1989), en particulier s’agissant des jeunes de la rue (Hagan et McCarthy, 1997 ; Heerde et Hemphill, 2016 ; O’Grady et al., 2011 ; Tanner et Wortley, 2002). On sait aussi que les personnes défavorisées sont en général surreprésentées dans les prisons. Ainsi, au Québec, en 2019-20, plus de 80 % des personnes admises dans les établissements correctionnels provinciaux avaient un niveau de scolarité secondaire ou primaire, et, parmi les prisonnier·ère·s ayant déclaré une source principale de revenu[4], 50 % vivaient de l’assistance sociale au moment de leur incarcération (Tircher et Hébert, 2021). De plus, d’après les enquêtes menées auprès de PSI lors d’opérations de dénombrement réalisées en 2018 à Montréal, et en 2021 à Toronto, 16,1 % des PSI montréalaises ont déclaré avoir été incarcérées au cours des 12 derniers mois (Latimer et Bordeleau, 2019), contre 14 % des PSI torontoises (City of Toronto, 2021). Or la criminalisation est lourde de conséquences pour les PSI. L’incarcération qui en résulte agit en effet le plus souvent comme un frein à leur stabilité domiciliaire et à leur réinsertion sociale (Greenberg et Rosenheck, 2008 ; Quirouette et al., 2016). Qui plus est, les PSI qui sortent de prison sont à risque d’aboutir, faute de ressources et de réseaux, dans la rue ou dans un refuge (Moschion et Johnson, 2019).
Comment expliquer cette surcriminalisation des PSI ? La majorité de leur criminalité relève de stratégies de survie telles que le vol de nourriture ou de vêtements (Bergheul et al., 2013 ; Snow et al., 1989), alors que d’autres infractions sont reliées à des problèmes associés à l’itinérance tels que la toxicomanie, l’alcoolisme ou des problèmes de santé mentale (Quirouette et al., 2016 ; Roy et al., 2016). Notons que les crimes contre la personne représentent une faible proportion des crimes commis par les PSI (Heerde et Hemphill, 2016 ; Snow et al., 1989). Serait-il aussi possible, par ailleurs, que cette surcriminalisation des PSI soit alimentée par une discrimination systémique qui se prolongerait au-delà de l’intervention policière, là où commence la prise en charge des personnes prévenues par les professionnel·les du droit ?
Plusieurs études suggèrent que le système judiciaire tend, en droit criminel, à pénaliser de manière disproportionnée les personnes socioéconomiquement défavorisées à différentes étapes du processus judiciaire (p. ex. : accès à une défense adéquate, paiement de la caution, mise en liberté sous conditions, détermination de la peine), notamment au Canada (Conseil national du bien-être social, 2000 ; Sylvestre et al., 2017 ; Sylvestre et al., 2018), en France (Lejeune et Spire, 2020 ; Marchetti, 1997) et aux États-Unis (Chambliss, 1969 ; Galanter, 1974 ; Monena, 2022). Toutefois, la question de savoir si les PSI en particulier subissent au criminel un traitement judiciaire discriminatoire n’a que très peu été investiguée à ce jour. Aux États-Unis, Davis (2022) a démontré que les PSI sont plus à risque que la population générale d’être lésées lors de la négociation du plaidoyer de culpabilité entre la poursuite et la défense lors de l’enquête sur mise en liberté. Cependant, au Canada, aucune étude n’a encore démontré empiriquement si, à infractions égales ou comparables, les PSI accusées d’une infraction du Code criminel sont traitées par le système judiciaire de manière plus préjudiciable par rapport aux personnes non itinérantes.
Dans cet article, nous présentons les données quantitatives tirées d’une recherche exploratoire qui, pour la période 2013-2018 dans le district judiciaire de Montréal, cherche à vérifier l’hypothèse du caractère possiblement discriminatoire du traitement judiciaire des PSI poursuivies en vertu du Code criminel en ce qui concerne deux étapes cruciales du processus de judiciarisation : la détention provisoire et le verdict[5]. Pour des raisons qui seront explicitées plus loin, nous examinerons également, pour chacune de ces étapes, si le type d’avocat·e assurant la défense de la personne accusée peut avoir un impact différencié sur les résultats.
1. La criminalisation de l’itinérance : le processus et les acteur·rices judiciaires sous la loupe
1.1 La détention provisoire
L’analyse des facteurs judiciaires alimentant la surincarcération des PSI mérite qu’on dirige la focale sur l’étape où le tribunal détermine si la personne prévenue sera placée en détention provisoire ou mise en liberté. La réforme canadienne du droit pénal de 1972 avait consacré le principe selon lequel la détention provisoire ne devait être utilisée qu’à titre exceptionnel (Sylvestre et al., 2017). Pourtant, depuis 2004-2005, le nombre annuel de détenu·es présentence au Canada est non seulement en hausse constante, mais dépasse chaque année le nombre de détenu·es post-condamnation, si bien qu’en 2021-2022, on comptait au Canada 2,5 détentions présentencielles pour une détention post-condamnation (Statistique Canada, 2023).
Un·e juge peut ordonner la détention provisoire d’un·une prévenu·e si elle·s’il estime que sa détention est nécessaire pour soit a) assurer sa présence au tribunal[6] ; b) assurer la sécurité et la protection du public, notamment en prévenant la commission d’une nouvelle infraction[7] ; ou c) ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice[8]. Si le motif c) est rarement invoqué par les juges (Vanhamme, 2016), le motif a) serait invoqué par les tribunaux pour justifier la détention provisoire dans environ un cas sur cinq (Cousineau, 1995). Or, parmi les critères jurisprudentiels servant à évaluer les risques qu’un·e prévenu·e se soustraie à la justice figurent notamment le fait d’occuper un emploi, d’avoir un domicile et des relations familiales et sociales stables[9], ou encore le fait d’avoir omis de comparaître devant le tribunal dans le passé[10], tous des critères ayant pour effet de pénaliser les personnes marginalisées, et au premier chef les PSI.
Il semble toutefois qu’en pratique, le motif b) évoquant la sécurité du public et le risque qu’une nouvelle infraction soit commise soit celui qui est principalement invoqué par les juges et les procureur·es pour justifier la détention provisoire (Cousineau, 1995 ; Sylvestre et al., 2017 ; Vanhamme, 2016). Or, parmi les critères jurisprudentiels établis pour évaluer le potentiel de dangerosité ou le risque de récidive d’une personne prévenue, plusieurs, tels que « le profil de l’inculpé, son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental (…) »[11], risquent de pénaliser les personnes socioéconomiquement défavorisées (Conseil national du bien-être social, 2000, p. 48 ; Skolnik, 2023). Sylvestre et al. (2017) ont constaté, sur la base d’interviews auprès de juges et de procureur·e·s canadien·nes, que le risque de récidive constituait aux yeux de ces dernier·ères un critère déterminant pour évaluer s’il doit y avoir mise en liberté eu égard à l’article 515 (10)b), et ce, sans égard à la nature de l’infraction. Or, parce qu’ils·elles ne disposent d’aucun indicateur probant pour évaluer objectivement le risque de récidive, les acteur·rices judiciaires tendent, pour ce faire, à se rabattre prioritairement sur les antécédents criminels[12] de la personne inculpée (Cousineau, 1995, ; Rogin, 2023), ainsi que sur sa capacité à fournir une caution (Cousineau, 1995 ; Vanhamme, 2016), deux critères qui, encore une fois, risquent de défavoriser au premier chef les PSI, qui sont déjà marginalisées et surcriminalisées. L’étude quantitative de Beattie et al. (2013) confirme une telle hypothèse. Ainsi, leur étude, basée sur une extraction de dossiers criminels dans cinq tribunaux canadiens en 2008, démontre que les probabilités que le tribunal ordonne la détention provisoire sont significativement plus grandes si la personne prévenue est un homme célibataire, autochtone, sans emploi, ayant des antécédents criminels, ou si elle est atteinte d’une maladie mentale ou soupçonnée de l’être.
1.2 Le verdict
Il se pourrait que les PSI subissent un traitement inéquitable à l’étape du verdict dans la mesure où, par exemple, les acteur·rices judiciaires peuvent avoir intériorisé, à l’instar des policier·ères, certaines représentations sociales empreintes de préjugés à l’endroit des populations marginalisées. La question se pose dans la mesure où, comme l’ont démontré Sylvestre, Bellot et Chesnay (2012) dans leur enquête auprès de juges et de procureur·es dans cinq grandes villes canadiennes, la répression des crimes commis par les PSI tend à être légitimée par plusieurs acteur·rices judiciaires au moyen d’une idéologie néolibérale culpabilisante. Si les acteur·rices judiciaires interrogé·es dans cette étude ne formaient pas un bloc monolithique, une majorité tenait les PSI judiciarisées responsables de ce qu’ils·elles concevaient comme des mauvais choix de leur part, soit ceux de la rue et du crime. Se pourrait-il que ce cadrage de l’itinérance, conçue comme une nuisance publique tributaire de choix individuels mal avisés, puisse teinter le travail des juges et des procureur·e·s ? Partant de cette hypothèse, nous nous sommes demandé si la surcriminalisation des PSI pouvait être due en partie à un traitement discriminatoire à une étape névralgique de leur « prise en charge » judiciaire, soit celle du verdict. Plus précisément, nous chercherons à savoir si, à infractions égales, les PSI sont plus à risque que la population générale d’être reconnues coupables à l’issue de l’instance.
1.3 La représentation par avocat·e
L’accès à une défense adéquate peut avoir une influence capitale sur le traitement judiciaire des personnes prévenues. Comme une infime minorité de causes criminelles se concluent par un procès[13], les négociations de plaidoyer entre la défense et la poursuite ont souvent un rôle déterminant à jouer dans le traitement judiciaire de l’inculpé·e. Par exemple, Vanhamme (2016) a démontré, par le biais d’une enquête auprès de juges et de procureur·es canadien·nes, l’importance capitale que revêt, pour l’inculpé·e, une défense de qualité pour contrer les arguments de la poursuite visant à justifier sa détention provisoire. Les procureur·es interviewé·es faisaient remarquer que les juges tendent à s’en remettre à leur recommandation de maintenir une personne prévenue en détention, à moins que l’avocat·e de la défense ne présente des contre-arguments recevables.
En outre, bien souvent, « les avocats s’engagent à convaincre leurs clients de plaider coupable en échange de la réduction de l’accusation (…) ou d’une peine moins sévère » (Conseil national du bien-être social, 2000, p. 64). Or, les avocat·es n’ont pas grand-chose à faire pour convaincre leur client·e de plaider coupable, puisque, ce faisant, les prévenu·es ont une chance « d’être libérés sur-le-champ, alors que s’ils proclament leur innocence et font valoir leurs droits, ils risquent de demeurer détenus » (Sylvestre et al., 2017, p. 219-220). Lorsque la mise en liberté a été refusée par le tribunal, l’incitation à plaider coupable est particulièrement forte, s’agissant d’infractions mineures pour lesquelles, advenant un verdict de culpabilité, la personne prévenue risquerait de passer plus de temps en détention provisoire qu’en prison à purger sa peine (Davis, 2022 ; Sylvestre et al., 2017).
Au Québec, à partir des années 1970, un régime d’aide juridique pour les personnes à faible revenu a été mis sur pied. Ces dernières ont le choix d’être représentées par un·e avocat·e fonctionnaire du Bureau d’aide juridique (ci-après « BAJ ») ou par un·e avocat·e en pratique privée acceptant des mandats ponctuels d’aide juridique de l’État. Alors que les premier·ères ont un salaire fixe et disposent d’un soutien organisationnel important, les second·es sont payé·es au dossier et n’ont pas accès aux mêmes ressources. Pour ces raisons, il se pourrait que les avocat·es du BAJ, comparativement aux avocat·es en pratique privée sous mandat d’aide juridique, soient en mesure d’assurer à leur client·e un meilleur traitement judiciaire. Une telle hypothèse a été vérifiée aux États-Unis par Anderson et Heaton (2012), qui ont démontré que, parmi les personnes accusées de meurtres à Philadelphie entre 1994 et 2005, celles défendues par un·e fonctionnaire de l’aide juridictionnelle (public defender) risquaient moins, toutes choses étant égales, d’être reconnues coupables, d’être condamnées à la prison à perpétuité et de recevoir une longue peine de prison que celles défendues par un·e avocat·e en pratique privée commis·e d’office par la cour (Court-appointed attorney). Les auteur·es expliquent ces disparités par le fait que ces dernier·ères, par rapport aux public defenders payé·es à salaire fixe, sont soumis·es à un mode de rémunération les dissuadant d’investir le temps requis pour préparer une défense optimale.
Compte tenu des résultats d’Anderson et de Heaton (2012), nous avons voulu vérifier si, à Montréal, le traitement judiciaire réservé aux PSI et aux personnes non itinérantes accusées d’infractions au Code criminel variait en matière de détention provisoire et de verdict selon que l’avocat·e de la défense est du BAJ ou un·e avocat·e du privé. Nous vérifierons notamment si, comme l’a observé Davis (2022) pour la Californie, les PSI poursuivies au criminel tendent davantage que les personnes non itinérantes à plaider coupable à l’enquête sur mise en liberté et si, le cas échéant, le type d’avocat·e semble avoir une influence sur cette relation. Bien que nos données ne nous permettent pas de différencier, parmi les avocat·es du privé, ceux et celles ayant accepté des mandats d’aide juridique de l’État de ceux et celles rémunéré·es directement par le·la client·e, nous savons à tout le moins que la totalité des avocat·es du privé qui défendent les PSI le font en vertu d’un mandat d’aide juridique.
2. Méthodologie
2.1 Les questions
Sur la base de ce qui précède, nous avons voulu répondre aux questions suivantes concernant un possible traitement judiciaire différencié pour les PSI et pour la population non itinérante, à infractions égales ou comparables :
Les PSI sont-elles plus souvent placées en détention provisoire par la police que les personnes non itinérantes ?
Les PSI comparaissent-elles plus souvent détenues que les personnes non itinérantes ?
Parmi les personnes prévenues comparaissant détenues, les PSI sont-elles plus souvent maintenues en détention provisoire que les personnes non itinérantes à l’issue de leur enquête sur mise en liberté ? Le cas échéant, cette corrélation demeure-t-elle significative à fourchette d’antécédents criminels égale ?
Les PSI sont-elles plus portées à plaider coupable que les personnes non itinérantes à l’enquête sur mise en liberté ? Le cas échéant, cette corrélation demeure-t-elle significative à fourchette d’antécédents criminels égale ?
Les PSI sont-elles plus souvent déclarées coupables par le tribunal que les personnes non itinérantes ?
Lorsqu’elles sont défendues par un·e avocat·e du BAJ plutôt que par un·une avocat·e en pratique privée, les PSI sont-elles plus souvent que les personnes non itinérantes a) placées en détention provisoire par décision judiciaire ; b) portées à plaider coupable à l’enquête sur mise en liberté ; et c) reconnues coupables au terme de la procédure ?
2.2 L’échantillon du groupe de personnes en situation d’itinérance
Un échantillon composé de dossiers de PSI poursuivies en vertu du Code criminel entre octobre 2013 et décembre 2018 a été constitué. La taille de l’échantillon du groupe de PSI (ci-après « GPSI ») a été calculée avec un niveau de confiance de 95 %, en prenant comme N l’estimation du nombre de PSI à Montréal établie par dénombrement en 2018 par l’équipe de Latimer et Bordeleau (2019), soit 3149 individus. Sur cette base, la taille de l’échantillon (n) a été fixée à 299. Nous avons ainsi constitué un échantillon de 299 PSI réparties en deux sous-groupes correspondant chacun à une base de données distincte. Le premier sous-groupe compte 228 PSI qui avaient des dossiers criminels actifs lorsqu’elles ont été rencontrées par l’OBNL la « Clinique juridique itinérante » (ci-après « CJI »), qui fournit au Québec des services d’information et d’accompagnement sociojuridique aux PSI. Ces 228 personnes ont été choisies aléatoirement parmi les 1064 usager·ères de la CJI qui étaient en situation d’itinérance à Montréal et qui avaient un dossier criminel actif lors de leur première rencontre avec la CJI pendant la période à l’étude.
Afin de compléter l’échantillon, un deuxième sous-groupe de PSI a été constitué au moyen d’une extraction, à même le rôle du palais de justice de Montréal, de 71 personnes choisies au hasard et à intervalles réguliers parmi l’ensemble des personnes criminalisées entre octobre 2013 et décembre 2018 dont l’adresse était celle d’un refuge pour PSI et qui ne faisaient pas déjà partie du premier sous-échantillon[14]. En somme, l’échantillon du GPSI compte au total 299 individus, dont 228 proviennent de la base de données de la CJI, et 71 du rôle du palais de justice. L’avantage de combiner ces deux sous-échantillons est que, méthodologiquement, les forces de l’un pallient les faiblesses de l’autre ; le rôle du palais de justice, bien que répertoriant en théorie l’ensemble des PSI judiciarisées, ne permet pas toujours, dans les faits, d’isoler efficacement la variable « itinérance »[15], alors que la base de données de la CJI, bien que constituant un registre incomplet de la population à l’étude, a l’avantage de n’inclure que des personnes judiciarisées dont la situation d’itinérance a été avérée de manière fiable par le personnel de la CJI au moyen d’un entretien approfondi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons fait le choix de suréchantillonner les PSI de la CJI, qui forment 76 % du GPSI. Qui plus est, on peut supposer que les PSI de la CJI sont relativement représentatives de la population itinérante qui fréquente les refuges dans la mesure où ce ne sont pas les PSI qui contactent la CJI, mais la CJI qui se rend périodiquement dans les principaux refuges de Montréal pour y proposer ses services. Une telle méthode, dite d’« outreach », par laquelle l’organisme se déplace là où se trouve (une partie de) sa clientèle, permet à la CJI de joindre des PSI judiciarisées qui, autrement, n’auraient peut-être jamais entendu parler de ses services ou qui, le cas échant, auraient été peu susceptibles de la contacter de leur propre chef.
Par la suite, nous avons reconstitué l’historique de judiciarisation des 299 personnes formant le GPSI. Comme une même personne peut avoir plusieurs dossiers criminels à son actif, nous avons découpé le parcours de criminalisation des individus en trois périodes : 1) la période de qualification ; 2) la période antérieure à la qualification ; et 3) la période ultérieure à la qualification. Pour les fins de cet article, nous n’avons retenu que les dossiers criminels s’inscrivant dans la période dite « de qualification », soit tous les dossiers actifs que chacun·e des 228 usager·ères de la CJI choisi·es avait au palais de justice et à la cour municipale de Montréal dans les 12 mois précédant sa rencontre initiale avec la CJI, ainsi que tous les dossiers criminels actifs que les 71 PSI du deuxième sous-groupe avaient au palais de justice et à la cour municipale pendant les 12 mois précédant la date initiale de comparution indiquée dans leur dossier choisi aléatoirement à même le rôle du palais de justice.
2.3 L’échantillon du groupe témoin
La taille de l’échantillon du groupe témoin (ci-après « GTEM ») a été fixée, avec un niveau de confiance de 95 %, à 400 individus en prenant comme N le nombre d’adultes poursuivi·es en vertu du Code criminel dans le Grand Montréal entre 2013 et 2018, soit 280 075 personnes (Statistique Canada, 2022). Nous avons ensuite choisi au hasard et à intervalles réguliers, à même le rôle du palais de justice, 400 dossiers criminels qui étaient actifs entre 2013 et 2018[16] et qui comportaient au moins un des dix chefs d’accusation dont sont le plus souvent inculpées les 228 PSI (de la CJI) formant le premier sous-groupe du GPSI (ces dix infractions forment ce que nous désignerons ci-après comme le « top 10 »). Il s’ensuit que les dossiers du GTEM constituent non pas un échantillon représentatif de la criminalité de la population générale, mais un échantillon de convenance conçu pour nous permettre de comparer les traitements judiciaires subis par le GPSI et le GTEM à infractions égales ou comparables.
Comme pour le GPSI, l’historique du parcours de judiciarisation des 400 individus formant le GTEM a ensuite été reconstitué pour la période de qualification. Pour ce faire, nous avons extrait tous les dossiers criminels actifs que chacun des 400 individus du GTEM avait eus au palais de justice et à la cour municipale pendant les 12 mois précédant la date d’audience de son dossier choisi aléatoirement à même le rôle du palais de justice.
2.4 Les variables
Dans le cadre de cette recherche, nous ne nous concentrons que sur les personnes en situation d’itinérance « visible », c’est-à-dire celles qui soit vivent dans la rue ou dans des lieux non conçus pour le logement des êtres humains, soit sont logées dans des refuges.
À partir des informations contenues dans chaque dossier criminel, nous avons notamment créé, grâce au logiciel d’analyse statistique SPSS (Statistical Package for the Social Sciences), les variables dépendantes suivantes : les chefs d’accusation retenus ; le mode de contrainte policière ; la détention provisoire (son occurrence et sa durée) ; le nombre et la nature des conditions de mise en liberté et de probation ; le nombre d’audiences et le délai entre la comparution et la fermeture du dossier ; le verdict (coupable ou non) ; ainsi que la peine (qui, faute d’espace, ne sera pas analysée ici).
Les autres variables utilisées, à des fins descriptives ou de contrôle, comprennent le sexe et l’âge des personnes prévenues ; le type d’avocat·e de la défense (BAJ ou avocat·e en pratique privée[17]) ; le nombre de condamnations antérieures dans tous les districts judiciaires du Québec ; le nombre de défauts de mandat ; le mode de poursuite, qui est soit en vertu d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire (ci-après « par voie sommaire »), soit par une infraction punissable par mise en accusation (ci-après « par acte criminel »).
2.5 Les méthodes d’analyse
Nous présenterons d’abord quelques statistiques descriptives à propos du GPSI et du GTEM, suivies des résultats des tests bivariés ou trivariés visant à répondre à nos questions de recherche concernant la détention provisoire et le verdict. À l’exception de deux tests t (t) réalisés pour comparer des moyennes, la force et la significativité des relations entre les variables seront presque toutes vérifiées au moyen du test du khi-carré (khi -2).
3. Résultats
3.1 Quelques statistiques descriptives sur le GPSI
Sur l’ensemble des personnes prévenues, le ratio hommes/femmes est sensiblement le même pour les deux groupes à l’étude, chacun comptant beaucoup plus d’hommes que de femmes en son sein (88,3 % c. 11,7 % chez le GPSI, et 86 % c. 14 % chez le GTEM). L’âge moyen du GPSI est plus élevé que celui du GTEM (38,6 contre 33,1 ans), ce qui s’explique par des différences notables quant à leur pyramide des âges respective ; 36 % du GTEM se situe dans la fourchette des 17-25 ans, contre 21,4 % pour le GPSI, tandis que 32,8 % des PSI ont entre 45 et 64 ans, contre seulement 16,3 % chez le GTEM. La grande majorité des personnes prévenues sont défendues par des avocat·es en pratique privée plutôt que par le BAJ, tant au sein du GPSI (82,8 % c. 16,2 %) que du GTEM (85,3 % c. 12,7 %). Seule une infime minorité au sein du GPSI (1 %) et du GTEM (2 %) est non représentée par un·une avocat·e. Enfin, le nombre moyen de dossiers criminels sur une vie par personne est deux fois plus élevé chez le GPSI que chez le GTEM (32,57 c. 16,09). Les membres du GPSI ont donc des contacts deux fois plus nombreux en moyenne que ceux du GTEM avec le système de justice pénale au cours de leur vie, et cette relation est significative (t = 8,173, p ≤ 0,001). Enfin, de manière générale, le GPSI est poursuivi à 77,5 % par voie sommaire et à 22,5 % par acte criminel, alors que ces proportions sont de 67,6 % et 32,4 % respectivement pour le groupe témoin (khi-carré : 57,3, p ≤ 0,001), ce qui laisse penser que les crimes dont sont inculpées les PSI sont d’une gravité objective moindre.
Pour rappel, après avoir isolé les dix infractions dont sont le plus souvent inculpées les 228 PSI de la CJI, nous avons constitué le GTEM en prenant comme critère d’extraction la présence, dans chaque dossier choisi, d’au moins un des chefs d’accusation de ce « top 10 ». Le tableau 1 ci-après compare le poids relatif de chacun de ces dix chefs parmi les dossiers du GPSI du district judiciaire de Montréal qui comportent au moins une infraction du top 10. Soulignons que les chefs d’accusation qui, dans les dossiers choisis, ne font pas partie du top 10, ont été regroupés au sein de la catégorie « autres infractions ».
Les cinq infractions criminelles pour lesquelles les PSI sont le plus souvent poursuivies sont, dans l’ordre, bris de probation (27,9 %), vol et recel (17,1 %), bris de condition de mise en liberté (16,1 %), menaces (6,2 %) et voies de fait (5,2 %). À eux seuls, les bris de condition de mise en liberté et les bris de probation représentent 44 % de la criminalité du GPSI. Ces résultats s’expliquent en partie par le fait que les PSI se voient souvent imposer par les juges des conditions qu’il leur est difficile de respecter (p. ex. : interdiction de consommer de l’alcool ou de la drogue, interdiction de fréquenter un périmètre donné), ce qui, subséquemment, contribue à leur réarrestation pour bris de condition (Sylvestre et al., 2018). Par ailleurs, le deuxième crime dont est le plus inculpé le GPSI est « vol et recel (17,1 %). Notons que le GPSI est 1,6 fois plus poursuivi pour des crimes contre les biens (vol et recel, méfaits, introduction par effraction = 24,1 %) que pour des crimes contre la personne (menaces, voies de fait, lésions et agressions = 15,1 %), une tendance observée également dans certaines études américaines (Gonzales et al., 2018 ; Snow et al., 1989).
Bien qu’il soit peu pertinent de comparer les top 10 du GPSI et du GTEM – seul le poids relatif des dix infractions variant dans chacun des classements –, une différence notable entre les deux groupes mérite d’être soulignée concernant les infractions de vol et recel. On observe que, chez le GPSI, une forte proportion de ces vols concerne la nourriture (31,6 %) et l’alcool (17,5 %), alors que, par comparaison, ce type de larcin représente respectivement 17,5 % et 10,1 % des vols commis par le GTEM. Le GTEM, quant à lui, est presque deux fois plus porté que le GPSI à voler des appareils et accessoires électroniques (17,6 % c. 9,3 %). Du reste, les vols commis par le GPSI semblent mineurs comparativement à ceux du GTEM, du moins si on en juge par le fait que, pour les infractions de vol et recel, le mode de poursuite retenu contre le GPSI est très majoritairement par voie sommaire (sommaire = 72 % ; criminel = 28 %), tandis que le·la procureur·e de l’État privilégie au contraire les poursuites par acte criminel pour le GTEM (sommaire = 43,4 % ; criminel = 56,6 %).
3.2 L’analyse des trajectoires judiciaires
Les trajectoires judiciaires des deux groupes en matière de détention seront contrastées depuis l’arrestation policière (3.2.1) jusqu’à la comparution (3.2.2) et l’enquête sur mise en liberté (3.3.3). L’étape du verdict, quant à elle, sera examinée en 3.2.4. Nous vérifierons également si le GPSI est plus porté que le GTEM à plaider coupable à l’enquête. Le type d’avocat·e et le nombre d’antécédents judiciaires (regroupés en intervalles) seront utilisés comme variable « contrôle » uniquement lors des analyses relatives à l’enquête sur mise en liberté et au verdict. Soulignons que les données manquantes ne sont pas prises en compte dans les analyses qui suivent.
Pour la grande majorité des résultats présentés ci-après, l’unité d’analyse est le dossier d’accusation criminel, qui peut comprendre un ou plusieurs chefs d’accusation. Nous ne procéderons à des analyses par chef d’accusation que lorsque nous traiterons du verdict (3.2.4). Pour les analyses par dossier, nous avons retenu, tant pour le GPSI que pour le GTEM, uniquement les dossiers actifs du district judiciaire de Montréal dont 100 % des chefs d’accusation font partie du top 10 (cf. tableau 1), l’objectif étant ici d’effectuer des comparaisons entre les deux groupes à infractions similaires, et donc comparables.
3.2.1 Les moyens de contrainte lors de l’arrestation policière
Dans quelle mesure la police relâche-t-elle ou au contraire garde-t-elle détenues les personnes prévenues dans l’intervalle entre leur arrestation et leur comparution ? On sait que les procureur·es, lors de la comparution, tendent à reconduire les placements sous garde décidés par la police (Sylvestre et al., 2017). Or, considérant le profilage social subi par les PSI à Montréal en matière réglementaire à l’étape de l’intervention policière (Bellot et al., 2021), nous avons voulu savoir si, en matière criminelle, le GPSI est davantage placé sous garde par la police que le GTEM à la suite de leur arrestation.
Dans le tableau 2, les dossiers de personnes faisant l’objet d’une arrestation à vue ou d’un mandat d’arrestation non visé ont été regroupés dans la colonne « placement sous garde », ce qui signifie que l’accusé·e est demeuré·e détenu·e jusqu’à sa comparution. À l’inverse, les dossiers de personnes ayant soit a) reçu une citation à comparaître ou une promesse de comparaître (souvent assortie de conditions à respecter) ; b) fait l’objet d’un mandat d’arrestation visé ; ou c) reçu une sommation par la poste, ont été regroupés dans la colonne « mise en liberté », ce qui signifie que l’accusé·e est demeuré·e libre en attente de sa comparution. Contrairement à ce que nous supposions, les proportions de personnes prévenues placées sous garde par la police sont un peu plus élevées chez le GTEM que chez le GPSI (54,4 % c. 50,7 %), mais cette relation est non significative selon le test de khi-carré. Dans tous les cas, le fait qu’au moins une personne prévenue sur deux soit placée sous garde par la police contrevient à un principe établi en droit criminel qui privilégie la mise en liberté lors d’une mise sous garde policière[18], et nous paraît d’autant moins compréhensible en l’espèce que la majorité des infractions faisant l’objet de nos analyses correspondent à des crimes de faible gravité, a fortiori s’agissant du GPSI.
3.2.2 La comparution
Étonnamment, bien que les PSI soient un peu plus souvent mises en liberté par la police, elles sont néanmoins significativement plus susceptibles que les personnes non itinérantes de comparaître détenues (76,8 % c. 68,5 %, khi-carré : 17,1, p ≤ 0,001), comme nous l’ont révélé des analyses complémentaires ne faisant pas ici l’objet d’un tableau. Qu’a-t-il pu se passer entre le moment de l’arrestation et la comparution pour expliquer un tel renversement ? Pour répondre à cette question, nous avons réalisé des tests bivariés additionnels.
Nous avons ainsi constaté que, parmi les personnes prévenues mises en liberté par la police, 54,1 % du GPSI finissaient par comparaître détenues, comparativement à 31,6 % du GTEM (khi-carré : 46,9, p ≤ 0,001). Autrement dit, les PSI comparaissent plus souvent détenues parce que plus de la moitié de celles qui avaient été initialement relâchées par la police étaient retombées dans les mailles du système judiciaire pendant leur période de liberté. Deux cas de figure peuvent mener à leur réarrestation. Premièrement, il est possible que les PSI, une fois relâchées par la police, soient plus à risque de ne pas se présenter au tribunal à leur date de comparution, auquel cas un mandat d’arrestation non visé est aussitôt émis par le tribunal (défaut mandat). D’autre part, il se pourrait aussi que les PSI, une fois relâchées avec l’engagement de se présenter en cour, soient plus susceptibles d’être arrêtées pour une nouvelle infraction dans l’intervalle, ce qui provoquerait en général leur incarcération jusqu’à leur comparution. La première de ces hypothèses a été confirmée, puisque, parmi les personnes relâchées par la police, 43,2 % du GPSI, contre 32,1 % du GTEM (khi-carré : 5,4, p ≤ 0,05), ne se sont pas présentées au tribunal à leur date de comparution, auquel cas le tribunal a émis un mandat d’arrestation contre elles. Les problèmes de désorganisation, de santé mentale et de toxicomanie qui caractérisent plusieurs PSI pourraient expliquer le fait que celles-ci tendent davantage que la population générale à ne pas se présenter au tribunal à leur date de comparution (Davis, 2022 ; Roy et al., 2016). En revanche, les proportions de personnes prévenues relâchées par la police qui comparaissent détenues devant le·la juge en raison d’une nouvelle infraction commise pendant leur mise en liberté sont faibles chez les deux groupes (8,1 % c. 5,1 %) et, de surcroît, l’écart entre ces pourcentages n’est pas significatif (khi-carré : 3,4, p > 0,05).
3.2.3 L’enquête sur mise en liberté
3.2.3.1 La décision judiciaire
Les personnes prévenues qui comparaissent détenues et dont la Couronne s’objecte à leur libération se font rapidement fixer une date d’audience pour leur enquête sur mise en liberté afin qu’un·une juge détermine si elles resteront détenues ou pas. Étant donné que les PSI tendent à cumuler plusieurs facteurs de risque pouvant faire pencher les juges en faveur de la détention, comme le fait d’être sans emploi et sans domicile, célibataire, sans garanties de cautionnement et de souffrir de problèmes de santé mentale (Beattie et al., 2013 ; Davis, 2022), nous avons vérifié si le GPSI se voyait plus souvent refuser la mise en liberté que le GTEM au terme de l’enquête.
Le tableau 3 met en évidence l’issue de l’enquête en excluant les dossiers fermés[19]. En outre, sachant qu’en l’absence d’une opposition de la défense, l’objection de l’avocat·e de la poursuite à la mise en liberté de la personne prévenue risque d’être confirmée par le tribunal (Vanhamme, 2016), nous avons ventilé les données par type d’avocat·e afin de vérifier si les avocat·es du BAJ et ceux·celles en pratique privée se différenciaient sous ce rapport.
Comme on peut le voir au tableau 3 (voir le total), bien que les personnes non itinérantes soient légèrement plus susceptibles que les PSI d’être libérées sous conditions au terme de l’enquête sur mise en liberté (73,9 % c. 70,3 %), l’écart est marginal et la relation n’est pas significative. Notons qu’avec un·e avocat·e du BAJ, les PSI sont un peu plus souvent libérées que les personnes non itinérantes (88,6 % c. 82,6 %), alors qu’avec un·une avocat·e en pratique privée, on observe la relation inverse (66,5 % c. 72,5 %). Mais, dans les deux cas, la relation n’est pas significative, ce qui veut dire que, quel que soit le type d’avocat·e assurant la défense, on ne peut conclure à un traitement différentiel entre les deux groupes sous ce rapport.
Par contre, être défendu par le BAJ plutôt que par un·e avocat·e en pratique privée constitue un avantage pour les deux groupes, les proportions d’individus mis en liberté étant beaucoup plus élevées avec le BAJ qu’avec un·une avocat·e du privé, tant chez le GPSI que chez le GTEM. Toutefois, des tests de khi-carré complémentaires révèlent que cette relation n’est statistiquement significative que pour les PSI, dont la part de celles qui sont mises en liberté passe de 66,5 % avec un·e avocat·e en pratique privée à 88,6 % avec un·e avocat·e du BAJ (khi-carré : 15,3, p ≤ 0,001). Si les membres du GTEM ont eux·elles aussi intérêt à être défendu·es par le BAJ pour recouvrer leur liberté, le test du khi-carré ne permet pas de conclure à une différence significative par rapport aux cas où la défense a été assurée par un·e avocat·e du privé (82,6 % c. 72,5 %, p > 0,05).
Par ailleurs, le fait que, sur une vie, le GPSI ait en moyenne deux fois plus d’antécédents criminels que le GTEM pourrait-il avoir une influence sur l’issue de l’enquête sur mise en liberté ? La question se pose dans la mesure où le casier judiciaire constitue un critère déterminant dans l’appréciation du risque sécuritaire que pose l’inculpé·e s’il·si elle est relâché·e, et ce, tant dans le Code criminel[20] que dans l’interprétation qu’en font les procureur·es, et par suite les juges (Rogin, 2023 ; Vanhamme, 2016). Des analyses du khi-carré complémentaires ont donc été réalisées afin de vérifier cette hypothèse. Pour ce faire, des fourchettes d’antécédents ont été créées : 0 à 3 ; 4 à 7 ; 8 et plus. Chez les deux groupes, on note une augmentation de la proportion de ceux·celles qui sont maintenu·es en détention en montant d’un intervalle d’antécédents à l’autre. Toutefois, le fait de maintenir constant l’intervalle d’antécédents ne change rien à la tendance générale : les variations entre les proportions de prévenu·es mis·es en liberté chez le GPSI et le GTEM demeurent marginales et non significatives, tant à nombre d’antécédents faible (90,4 % c. 87,8 %) qu’élevé (61,3 % c. 63,3 %). Les dossiers comportant un nombre d’antécédents moyen (entre 4 et 7) divergent de cette tendance, puisque, dans cette catégorie, les PSI sont 1,32 fois plus susceptibles d’être libérées sous condition que les personnes non itinérantes (88,2 % c. 66,7 %), et cette relation est significative (khi-carré : 7,5, p ≤ 0,01). Toutefois, ces dossiers ne forment qu’une petite minorité des dossiers du GPSI et du GTEM, soit 11 % (51 sur 463) et 14,9 % (72 sur 484) respectivement.
3.2.3.2 Le plaidoyer de culpabilité
Compte tenu de nos questions de recherche, nous avons essayé d’isoler, chez le GPSI et le GTEM, le poids relatif des dossiers fermés à l’enquête par l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité, en ventilant à nouveau les données par type d’avocat·e (tableau 4). Ce qui retient ici l’attention, c’est que les personnes prévenues du GPSI plaident deux fois plus coupable que celles du GTEM lors de l’enquête sur mise en liberté (ligne « total » : 39,6 % c. 18,8 %, khi-carré : 69,7, p ≤ 0,001). On peut donc penser que les PSI sont davantage portées à plaider coupable à tout prix dans l’optique de recouvrer plus rapidement leur liberté, y compris dans les cas où elles auraient pu disposer des moyens de défense pour démontrer leur innocence (Davis, 2022 ; Webster, 2022). Qui plus est, comme mentionné, l’incitatif à enregistrer un plaidoyer de culpabilité à l’enquête est d’autant plus grand pour les PSI que le temps passé en détention provisoire en attente d’un procès (potentiellement plusieurs mois) risquerait d’excéder, et de beaucoup, la durée des courtes peines de prison qu’elles se voient infliger en plaidant coupable à des infractions mineures (Davis, 2022 ; Sylvestre et al., 2017)[21].
On note aussi au tableau 4 que le GPSI plaide davantage coupable que le GTEM quel que soit le type d’avocat·e, soit deux fois plus avec un·une avocat·e du privé (41,7 % c. 20 %, khi-carré : 63,4, p ≤ 0,001), et 2,4 fois plus avec le BAJ (27,8 % c. 11,3 %, p ≤ 0,01). Mentionnons que les proportions de plaidoyers de culpabilité sont plus élevées chez les deux groupes lorsque la défense est assurée par un·e avocat·e du privé plutôt que par le BAJ, soit une fois et demie plus élevée pour le GPSI (41,7 % c. 27,8 %), et 1,8 fois plus élevée pour le GTEM (20 % c. 11,3 %). Toutefois, des analyses du khi-carré complémentaires révèlent que les variations sous ce rapport ne sont statistiquement significatives que pour le GPSI (khi-carré : 7,9, p ≤ 0,01).
En somme, lorsque la défense est assurée par le BAJ, les personnes prévenues du GPSI sont significativement moins portées à plaider coupable au cours de l’enquête (tableau 4), et sont moins renvoyées en détention par décision judiciaire après enquête (tableau 3). Ces résultats confirment notre hypothèse de départ s’agissant des PSI, dont on sait que les avocat·es en pratique privée qui les défendent sont tous·toutes des contractuel·les payé·es par l’État. Étant rémunéré·es à honoraire fixe par dossier, ces dernier·ères ont très peu d’incitatifs financiers à investir temps et énergie pour contrer les arguments de la Couronne lorsque celle-ci réclame la détention provisoire de leur client·e (Anderson et Heaton, 2012).
Enfin, considérant que les personnes prévenues tendent souvent à plaider coupable pour être libérées plus rapidement (Davis, 2022 ; Sylvestre et al., 2017), se pourrait-il que les PSI plaident davantage coupable à l’enquête en raison, notamment, de leurs plus nombreux antécédents judiciaires qui réduisent leurs chances de se voir mettre en liberté ? Des analyses ont donc été réalisées afin de vérifier si, à fourchette d’antécédents égale (0 à 3 ; 4 à 7 ; 8 et plus), les PSI demeuraient plus à risque, à l’étape de l’enquête, d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Or, comme on peut le voir au tableau 5, quelle que soit la fourchette d’antécédents considérée, les PSI demeurent significativement plus susceptibles de plaider coupable que les personnes non itinérantes au moment de l’enquête (p ≤ 0,001), y compris parmi celles qui, pourtant, ont peu d’antécédents judiciaires, et qui donc auraient de bonnes raisons d’espérer une issue favorable à une éventuelle enquête sur mise en liberté.
3.2.4 Le verdict
Dans cette section, nous comparons au sein de chaque groupe les proportions de dossiers se soldant par une reconnaissance de culpabilité au terme de l’instance sur au moins un chef d’accusation, tout en ventilant les données par type d’avocat·e (tableau 6). Les données sont ensuite ventilées plus finement en fonction de chacun des chefs d’accusation du top 10 (tableau 7).
Comme indiqué au tableau 6 (voir le total), au terme de la procédure, les dossiers du GPSI sont plus susceptibles que ceux du GTEM de se solder par une reconnaissance de culpabilité sur au moins un chef d’accusation, et cet écart est très significatif (82,8 % c. 73,3 %, p ≤ 0,001). En revanche, cette relation ne demeure significative que pour les personnes prévenues défendues par un·e avocat·e en pratique privée (85,2 % c. 73,9 %, p ≤ 0,001), mais pas pour celles défendues par un·une avocat·e du BAJ (70,4 % c. 69,6 %, p > 0,05). On peut en conclure que les PSI risquent davantage d’être reconnues coupables que le reste de la population uniquement lorsqu’elles sont défendues par des avocat·es en pratique privée sous mandat d’aide juridique – ce qui est le cas de 83 % d’entre elles. Encore une fois, ces résultats pourraient être attribuables à la tendance plus marquée des avocat·es du privé sous mandat d’aide juridique à expédier les procédures dans l’optique de clore rapidement les dossiers. Une telle hypothèse est d’autant plus plausible qu’au sein de notre échantillon, les procédures judiciaires, de la comparution à la sentence, durent en moyenne 142 jours de moins pour le GPSI que pour le GTEM lorsque l’avocat·e est du privé, ce qui est très significatif (t = -8,778 (p < 0,001)), alors que cet écart n’est que de 44 jours et est non significatif lorsque l’avocat·e est du BAJ (t = -1,136 (p > 0,05)).
Notons qu’en recoupant les données des tableaux 4 et 6, on constate que, dans 36,4 % des cas où les dossiers de PSI se sont soldés par une reconnaissance de culpabilité, la personne prévenue a plaidé coupable lors de l’enquête sur mise en liberté (312 sur 856). Par comparaison, dans 17,5 % des dossiers où le tribunal a reconnu coupables les personnes non itinérantes, l’accusé·e a enregistré un plaidoyer de culpabilité dès l’enquête (114 cas sur 651). Les PSI sont donc deux fois plus reconnues coupables que les personnes non itinérantes par suite d’un plaidoyer de culpabilité enregistré au début des procédures (khi-carré : 37,5, p ≤ 0,001), a fortiori lorsqu’elles sont défendues par un·e avocat·e en pratique privée.
Enfin, au tableau 7, nous avons effectué des analyses comparatives plus fines du verdict en prenant comme unité d’analyse chacun des dix chefs d’accusation du top 10. Il s’avère que la corrélation entre les variables « itinérance » et « reconnaissance de culpabilité » est statistiquement significative pour six des dix infractions dont les PSI sont le plus souvent inculpées. Qui plus est, quatre de ces six chefs (bris de probation, vol et recel, bris de condition et voies de fait) figurent parmi les cinq infractions dont sont le plus souvent accusées les PSI (cf. tableau 1). Autrement dit, le traitement judiciaire plus défavorable que subissent, à infraction égale, les PSI en matière de reconnaissance de culpabilité touche principalement les infractions pour lesquelles elles sont le plus judiciarisées. Les tests de khi-carré révèlent que les quatre corrélations les plus significatives (p ≤ 0,001) et fortes sous ce rapport concernent, dans l’ordre, les méfaits, les voies de fait, les vols et recels ainsi que les bris de probation, des infractions pour lesquelles le GPSI est significativement plus susceptible que le GTEM d’être reconnu coupable à l’issue de la procédure. Enfin, bien que le niveau de significativité soit plus faible (p ≤ 0,05), on note également une corrélation entre le fait d’être en situation d’itinérance et la reconnaissance de culpabilité sur les chefs de bris de condition et de lésions corporelles et agressions armées.
Conclusion
Nos données accréditent seulement en partie la thèse selon laquelle, à infractions égales ou comparables, les décisions et les traitements judiciaires varient en fonction de la condition sociale des personnes prévenues, de leur arrestation au verdict. Bien que les PSI ne soient pas plus souvent placées sous garde par la police, elles comparaissent davantage détenues, notamment parce que celles qui sont relâchées après leur arrestation sont plus fréquemment réarrêtées pour ne pas s’être présentées à leur comparution, cela en raison, peut-on supposer, de problèmes psychosociaux liés à l’itinérance (Bergheul et al., 2013 ; Davis, 2022). Puis, à l’enquête, les membres des deux groupes sont mis·es en liberté par décision judiciaire dans des proportions similaires, sans égard à leurs condamnations antérieures ni au type d’avocat·e assurant leur défense[25]. Par contre, les PSI sont significativement plus nombreuses à plaider coupable à l’étape de l’enquête sur mise en liberté que la population générale, y compris à fourchette égale d’antécédents criminels. Bien qu’une défense assurée par le BAJ, plutôt que par un·e avocat·e en pratique privée, fasse décliner considérablement l’occurrence d’un plaidoyer de culpabilité chez les deux groupes, le GPSI demeure nettement plus porté à opter pour un tel choix que le GTEM, quel que soit le type d’avocat·e, et à intervalles d’antécédents judiciaires égaux.
Dès lors, compte tenu de la propension plus grande des PSI à plaider coupable tôt dans les procédures, il n’est pas surprenant que celles-ci soient significativement plus susceptibles, à infractions comparables (dans le dossier) ou à chef d’accusation égal, d’être reconnues coupables par le tribunal au terme de l’instance. Qui plus est, on peut supposer que les PSI sont plus portées à plaider coupable non seulement à l’enquête sur mise en liberté, comme nos données l’indiquent, mais aussi ultérieurement au cours des procédures. Toutefois, les variations en matière de reconnaissance de culpabilité s’observent chez la majorité de prévenu·es défendu·es par un·une avocat·e en pratique privée, tandis que, chez la minorité de prévenu·es défendu·es par le BAJ, les proportions des prévenu·es qui sont reconnu·es coupables au termes des procédures sont quasi identiques au sein des deux groupes à l’étude.
Il semble donc que, contrairement à ce que nous anticipions, les décisions des juges, prises isolément, n’ont pas tant une incidence discriminatoire sur les PSI, à tout le moins avant la détermination de la peine, qui n’a pas été examinée ici. Il importe plutôt de saisir la discrimination subie par les PSI dans le système judiciaire comme multifactorielle et systémique, dans la mesure où le·la juge « ne décide pas de manière isolée, mais ne constitue qu’un des maillons d’une chaîne décisionnelle qui en comporte beaucoup d’autres, tant en amont (plaignants, requérants, organes administratifs, policiers, avocats) qu’en aval », (Delpeuch, Dumoulin et de Galembert, 2014, p. 99-100). Dans cet article, nous avons mis en exergue l’un de ces maillons, à savoir le rôle joué par les avocat·es en pratique privée sous mandat d’aide juridique. En effet, ces dernier·ères semblent expédier les procédures en raison d’un mode de rémunération par dossier à honoraire fixe et d’un manque de ressources, ce qui peut mener à une défense inadéquate, comme le suggère par exemple le fait que les PSI plaident et sont reconnues plus souvent coupables lorsqu’elles sont représentées par ce type d’avocat·e plutôt que par le Bureau d’aide juridique.
Toutefois, un autre des maillons de cette chaîne effleuré ici, mais qui mériterait d’être approfondi, est le rôle joué par le large pouvoir discrétionnaire dont jouissent les procureur·es de l’État. Ces dernier.ères peuvent déterminer la gravité des chefs d’accusation qu’ils·elles retiennent, ainsi que la sévérité de la peine qu’ils·elles suggèrent. Ce faisant, ils·elles contribuent à orienter la trajectoire judiciaire des accusé·es. En outre, la pratique de la négociation de plaidoyer (plea bargaining) entre avocat·es mériterait aussi une attention soutenue de la part des sociojuristes. Le caractère informel de cette pratique, tout comme le fait que les juges sont en général tenu·es d’entériner les recommandations conjointes qui leur sont soumises par les avocat·es, risquent de déboucher sur des ententes préjudiciables aux droits des groupes vulnérables ou minorisés. C’est d’ailleurs, peut-on penser, à la suite de ce type de négociations informelles que les PSI sont si souvent incitées à plaider coupable à l’enquête en échange de leur liberté, certes, mais aussi de concessions accordées sur la gravité des chefs retenus ou de la peine suggérée, et ce, sans égard à leurs défenses possibles ou même à leur culpabilité (Davis, 2022 ; Sylvestre et al., 2017).
Soulignons enfin l’une des limites des analyses présentées dans cet article. Bien que nous ayons comparé le traitement judiciaire des deux groupes à l’étude à infractions égales ou similaires, et que nous ayons ventilé certaines données en fonction de variables « contrôle » (type d’avocat·e et antécédents judiciaires), nos analyses nous donnent un portrait incomplet des relations entre ces variables. Dans des publications à venir, nous aurons recours à des tests statistiques multivariés, comme la régression logistique, en vue d’obtenir des corrélations plus robustes.
Appendices
Notes
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[1]
455 boulevard René-Lévesque Est, Bureau W-2520, Montréal QC H2L 4Y2.
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[2]
Cette recherche a bénéficié de subventions du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds d’études notariales de la Chambre des notaires, ainsi que d'un appui informatique de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ)
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[3]
Nous aimerions reconnaître le rôle important qu’a joué la professeure Anne Saris (sciences juridiques, UQAM), décédée en 2020, dans la naissance de ce projet de recherche. Nous remercions également les nombreux·ses étudiant·e·s qui ont contribué à l’avancement de cette recherche, notamment Anthony Breton, Calin Chiriac et Jeanne Perreault.
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[4]
Notons que ces dernières ne formaient que 42 % des prisonnier·ère·s sondé·e·s, les autres ayant déclaré n’avoir aucun revenu principal ou n’ayant pas répondu à la question (Tircher et Hébert, 2021, p. 10).
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[5]
Le terme verdict fait référence aux possibilités suivantes : le·la prévenu·e a plaidé coupable et le·la juge a accepté et enregistré son plaidoyer (c’est le cas d’environ 95 % des dossiers) ; le·la prévenu·e a été acquitté·e par un·une juge durant l’instance ou, à l’issue d’un procès (avec ou sans jury), il·elle a été acquitté·e ou reconnu·e coupable.
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[6]
Art. 515 (10)a), Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 (ci-après « C. cr. »).
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[7]
Art. 515 (10)b), C. cr.
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[8]
Art. 515 (10)c), C. cr.
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[9]
R. c. Quannaaluk, 2020 QCCQ 2524.
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[10]
R. c. Joinvil, 2022 QCCQ 264.
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[11]
R. c. Rondeau, 1996 CanLII 6516 (QC CA).
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[12]
L’art. 515 (3)b) du Code criminel prévoit que le·la juge rendant une ordonnance en matière de détention provisoire doit tenir compte, notamment, des condamnations antérieures de l’accusé·e en vertu du Code criminel.
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[13]
Au sein de notre échantillon, cette proportion est de 3,2 % pour les PSI et de 5,9 % pour les personnes non itinérantes.
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[14]
Les dossiers n’indiquant aucune adresse domiciliaire n’étaient pas retenus pour l’analyse, puisqu’il aurait été hasardeux de conclure sur cette base qu’il s’agissait forcément de PSI.
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[15]
Il arrive que l’adresse consignée dans un plumitif ne reflète pas la situation d’itinérance dans laquelle se trouve la personne inculpée d’un crime. Par exemple, l’adresse au plumitif peut être celle consignée au dossier par les policier·ères lors d’une arrestation à partir de la banque de données du Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ), qui souvent n’est pas à jour. La CJI a ainsi rencontré plusieurs PSI dont l’adresse aux plumitifs n’indique pas le fait qu’elles sont en situation d’itinérance. Par exemple, un homme en situation d’itinérance chronique a depuis des années, dans ses plumitifs, l’adresse d’un centre de thérapie dans les Laurentides ; d’autres vont parfois donner l’adresse d’un ancien logement ou encore celle d’un·une parent·e ou d’une connaissance chez qui elles ne vivent plus. Une simple sortie aléatoire de plumitifs avec comme critère d’extraction une adresse de refuge est donc limitative puisque, ce faisant, plusieurs PSI criminalisées risquent ainsi de passer sous le radar.
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[16]
Nous avons exclu les dossiers dont l’adresse domiciliaire correspondait à un refuge pour PSI et ceux qui n’indiquaient aucune adresse.
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[17]
En raison de leur trop faible nombre, nous avons exclu des analyses les personnes non représentées par un·e avocat·e.
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[18]
Ce principe est codifié à l’art. 493.1 C. cr. depuis 2019.
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[19]
À l’étape de l’enquête, les dossiers peuvent avoir été fermés pour l’un de ces trois motifs : 1) l’accusé·e a plaidé coupable ; 2) la poursuite a retiré les accusations ou a procédé à l’arrêt des procédures ; 3) l’accusé·e a été acquitté·e.
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[20]
Art. 515 (3)b) C. cr.
-
[21]
Un tel cas de figure est d’autant plus probable que, selon l’article 719 (3.1) C. cr. et l’arrêt R. c. Summers, 2014 CSC 26, le·la juge peut considérer que chaque jour passé en détention provisoire se traduit par la réduction de la peine de prison d’une journée et demie, si bien que, pour des infractions mineures, la peine de prison sera souvent réputée déjà purgée par le·la juge en raison du temps passé par le·la prévenu·e en détention provisoire.
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[22]
Notons que, dans une infime minorité de cas, la personne prévenue a plaidé coupable à sa comparution, donc avant l’enquête.
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[23]
Cette catégorie regroupe les cas où, à l’enquête, soit une décision a été rendue par le·la juge (mise en liberté ou détention) ; la poursuite a retiré les accusations ; le tribunal a ordonné l’arrêt des procédures ; ou l’accusé·e a été acquitté·e.
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[24]
Sont compris dans la catégorie « autre décision » l’acquittement, le retrait des accusations, l’arrêt des procédures, l’engagement à garder la paix (art. 810, C. cr.) ou une reconnaissance de non-culpabilité pour cause de troubles mentaux.
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[25]
Il serait pertinent d’étudier l’effectivité, dans la pratique judiciaire, des nouveaux articles 493.2 b) et 515 (13.1) du Code criminel, codifiés en 2019, qui prescrivent que la situation particulière des populations vulnérables soit prise en compte en matière de mise en liberté au moment de l’arrestation policière et de l’enquête judiciaire.
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