Article body

Introduction

Depuis le 30 septembre 2021, le droit pénal des mineurs français connaît une actualité par la consécration et la mise en oeuvre du Code de justice pénale des mineurs (CJPM). Ce dernier constitue un code de la procédure pénale (CPP) applicable aux mineurs et ne mentionne pas explicitement dans sa partie législative la Loi du 2 janvier 2002 qui reconnaît aux jeunes des droits visant notamment à participer à leur autonomie. Seulement quelques dispositions dans la partie réglementaire s’y réfèrent (articles D.241-31, R.241-32 et D.241-37). La justice restaurative (JR) rejoint dans ses fondements la Loi de 2002 et trouve une place dans le CJPM (L.13-4) en tout début du code signifiant l’importance de cette nouvelle forme de justice. Pourtant, est-ce que sa consécration juridique suffit pour qu’elle se déploie largement sur le territoire français ?

Au Québec, la JR des mineurs a été l’objet de recherche sur son implémentation au sein des institutions judiciaires (Charbonneau et Béliveau, 1999 ; Jaccoud, 2010). La médiation aurait des difficultés à se développer en raison du manque de portage politique sur les droits ou les besoins des victimes (Bernier, 2008), ou encore pour des raisons liées à la philosophie éducative et protectionnelle des professionnels de la jeunesse (Charbonneau et Béliveau, 1999 ; Rossi et Gaudreault, 2018). Constituant une solution de rechange pour les mineurs dans la loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la médiation a du mal à « dépasser les 10 % des mesures appliquées chaque année » (Rossi et Charbonneau, 2018).

Issue en Europe d’un mouvement en faveur du droit des victimes, la JR des mineurs s’incarne en France à travers deux approches : l’une puriste (L.13-4, CJPM) et l’autre maximaliste (L.112-8/10 D.112-28/33, CJPM)[2] (Filippi, 2021a, 2021b). La démonstration envisage de déterminer si la JR est un droit pour les personnes, pour ensuite interroger son effectivité dans les pratiques d’une administration française destinée à la jeunesse délinquante. Si elle est portée politiquement par les administrations, est-ce que l’approche puriste de la JR se vit dans les espaces judiciaires et sociojudiciaires comme un « droit » pour les auteurs et les victimes d’infractions ?

La JR, une continuité des droits de l’enfant

L’arrivée de la JR en Europe peut s’expliquer par la rencontre de deux mouvements, à savoir celui de la promotion du droit des victimes et des modalités de réadaptation à l’égard des publics délinquants (Dünkel, Păroşanu, 2022). Également, les années 1980 marquent un tournant dans la promotion des droits des enfants et le développement des modèles réadaptatifs dans la réponse à la délinquance juvénile. La ratification des textes internationaux (Convention internationale des droits de l’enfant [CIDE], les règles de Beijing et les principes directeurs de Riyad) renforce cette volonté en présentant les lignes directrices relatives à une justice adaptée aux enfants et à la protection de leurs droits et de leurs intérêts. Ils confirment par la même occasion dans leur teneur substantielle l’intérêt de concevoir des approches tournées vers la participation active des jeunes dans les procédures qui les intéressent. Le droit européen (recommandations du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Convention européenne des droits de l’homme) a dessiné et promu les modalités de JR en tant que réponse à la délinquance juvénile (Rec85[11], Rec87[20], Rec8[721], Rec99[19], Rec2018[8], Directives 2012/29/UE et 2016/800/UE). Les textes internationaux et européens s’inscrivent ainsi dans une rencontre entre les principes fondamentaux des droits de l’enfant et une justice adaptée pour eux, notamment en leur permettant de participer activement aux procédures qui les intéressent.

La CIDE reprend la Déclaration des droits de l’homme qui stipule que toutes les personnes possèdent des droits par le simple fait qu’elles sont humaines :

Reconnaissant que les Nations Unies, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, ont proclamé et sont convenues que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune (…). Rappelant que, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Nations Unies ont proclamé que l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales.

CIDE, Préambule

Si l’enfant a des droits spéciaux, ces derniers sont liés à son statut et s’inscrivent dans sa protection, la reconnaissance de ses besoins et ses intérêts reconnus comme légitimes par la communauté (Walgrave, 2022). Des droits qui sont propres aux personnes et qui sont donc inaliénables, quels que soient leur pays, leur appartenance, leur religion, etc. (Walgrave, 2022).

La CIDE explique qu’un enfant est capable de former ses opinions et peut les exprimer librement. Ainsi, son point de vue, sa parole doivent être dûment pris en compte en fonction de son âge et de sa maturité (art. 12.1 CIDE ; art. 40(2)(vii) CIDE) dans les procédures qui le concernent (judiciaires ou administratives), soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant d’une manière conforme aux règles de procédure (art. 12.2 CIDE). Les enfants ont la possibilité d’exprimer leur point de vue concernant les mesures (alternatives) qui peuvent leur être imposées (art. 39 CIDE ; art. 40.1 CIDE ; art. 40(3)(b) CIDE), et les souhaits ou préférences particulières qu’ils peuvent avoir à cet égard doivent être dûment pris en compte. Les mineurs peuvent donc se prévaloir de ces dispositions devant les juridictions nationales.

L’ensemble de ces droits s’inscrit dans les fondements de la JR qui se définissent dans l’articulation de ses processus et de ses finalités. Les processus identifiés se caractérisent par l’approche communicationnelle (écoute, libres échanges, respect), l’aspect volontaire de la participation des intéressés et leurs implications actives (Marshall, 1999 ; Rossi et Charbonneau, 2020). Dans les finalités, nous retrouvons la réparation, le rétablissement des victimes et la réinsertion des délinquants (Rossi et al., 2021 ; Walgrave, 2008). La transition entre ces deux fondements (processus et finalité) se matérialiserait par la responsabilisation non seulement des auteurs d’infractions mais aussi de la communauté. Par la compréhension des répercussions et des conséquences de leurs actes, les auteurs réalisent le tort causé à autrui et prennent la responsabilité de le réparer (Marshall, 1996, 1999 ; Zehr, 2012) pour eux-mêmes et vis-à-vis de la victime et de la communauté. Cette responsabilisation se retrouve dans le concept d’empowerment présenté par O’Mahony et Doak (2017) qui recoupe les concepts de responsabilisation active (accountability) et de capacité à agir (agency). Dans une atmosphère de compréhension mutuelle, elle permet à tout un chacun d’avoir un échange sur le conflit, d’exprimer ses attentes et de prendre des engagements sur les modalités de sa réparation. Les participants peuvent alors assumer la responsabilité de traiter les répercussions et les conséquences de l’infraction sur eux-mêmes et sur autrui (Bolitho, 2015 ; Bolivar, 2019 ; Hallam, 2015) en mobilisant leurs propres ressources et compétences (Bolitho, 2015).

En outre, on retrouve, dans cette modalité de régulation des conflits, les principes d’une approche fondée sur les droits de l’enfant : le droit à l’expression de soi, le droit d’être entendu et le droit de prendre part à une décision. Il se confirme donc que les fondements de la JR s’inscrivent dans la continuité de la CIDE.

La JR, un processus présenté comme un « droit »

Dans les directives européennes 2012/29/UE et 2016/800/UE, l’accès à la JR n’est pas présenté de la même manière pour les victimes que pour les auteurs d’infractions. La directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012, souvent assimilée à la directive de la JR, « pour les victimes, constitue en réalité un corpus juris dont l’objectif est de présenter une cartographie de ses droits : un droit à l’information et au soutien, de participer à la procédure pénale, à être protégée et enfin, le droit de participer à la justice réparatrice ». Du côté des auteurs d’infraction, la directive européenne 2016/800/UE du 11 mai 2016 aborde l’amélioration de la justice en Europe et insiste sur le respect des procédures garantissant les droits des enfants et leur participation aux décisions qui les concernent. Elle fait ainsi référence aux moyens qui permettent à un enfant de participer activement aux décisions l’intéressant, donc aux droits d’être informé de ses droits, de la procédure judiciaire, de pouvoir y participer activement ; d’être entendu, d’être assisté et d’être soutenu.

La rédaction de ces textes observe une restriction dans l’accès à la JR pour les principaux intéressés. La directive européenne 2012/29/UE avance des vigilances dans son application. Elle indique que : « […] les services de justice réparatrice, tels que la médiation entre la victime et l’auteur de l’infraction, la conférence en groupe familial et les cercles de détermination de la peine, peuvent être très profitables à la victime, mais nécessitent la mise en place de garanties pour éviter qu’elle ne subisse une victimisation secondaire et répétée » (directive européenne 2012/29/UE, considérant 46). Si la JR est présentée à la victime en ces termes, on peut comprendre les raisons pour lesquelles elle a du mal à trouver sa place dans les pratiques auprès des publics mineurs et en ce qui a trait au poids accordé à leur protection. L’intitulé de l’article 12[3] de la directive est clair, il s’agit d’un droit à des garanties pour les victimes dans leur accès et leur implication dans la JR. Ainsi, c’est la protection des victimes qui prime par rapport à leur possibilité de s’engager dans un processus collaboratif, participatif et volontaire. Ce n’est pas réellement un droit qui est avancé mais un ensemble de droits pour les protéger. Dans ce texte, s’ajoute aussi l’idée d’un « droit » concurrentiel d’accès à la JR. L’auteur de l’infraction n’est mentionné qu’une fois, et aucune référence n’est faite pour les mineurs qui peuvent être intéressés par ce processus : « ces services [justice réparatrice] devraient accorder la priorité aux intérêts et aux besoins de la victime, à l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi […] » (directive européenne 2012/29/UE, considérant 46) ; « […] utilisés que dans l’intérêt de la victime […] » (directive européenne 2012/29/UE, article 12.1). Contrairement aux fondements susmentionnés où auteur, victime et communauté sont sur un pied d’égalité dans l’accès et la participation à ce processus, dans la directive européenne, l’auteur est effacé comme si la JR l’intéresserait moins, ou serait dans un intérêt favorable pour la victime plutôt que pour lui. La directive européenne 2016/800/UE n’avance pas non plus la JR comme un droit ; d’ailleurs, ses références sont édulcorées et elle n’est mentionnée qu’une fois stricto sensu en tant que moyen de participer activement aux décisions qui l’intéressent.

La transposition des directives a eu pour effet de consacrer la JR en France comme une proposition à destination des principaux acteurs de la procédure pénale, à savoir l’auteur et la victime.

La JR, un « droit » d’accès limité pour les jeunes en France

La Loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales du 15 août 2014 inscrit la JR, dans les articles 10-1, 10-2 et 707 du CPP. En 2019, elle trouve une place dans le CJPM à l’article L.13-4. Elle est le résultat de l’adaptation de la Loi de 2014 et de la transposition de la circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en oeuvre de la JR (Filippi, 2021b). Dans ces cadres législatifs et réglementaires, elle s’inscrit dans une approche puriste et se greffe aux mesures et sanctions éducatives des jeunes (Filippi, 2021a) agissant « comme un deuxième filet : le système réparateur et le système pénal se complètent en fonctionnant parallèlement l’un à l’autre » (Jaccoud, 2008, paragr. 21). Elle peut être proposée à tous les stades de la procédure judiciaire et couvre diverses formes comme la médiation (directe, indirecte), les conférences du groupe familial, les cercles de soutien et de responsabilité et les rencontres condamnés/victimes ou détenus/victimes (Circulaire, 2017). La participation des intéressés (auteur, victime, société civile) se caractérise par leur adhésion libre et volontaire. Fonctionnant dans une complémentarité horizontale (Jaccoud, 2008), elle est parallèle à la procédure pénale, confidentielle et n’a de répercussions ni sur les règles de la procédure pénale ni sur les suites de la procédure judiciaire (Circulaire, 2017). Dans l’hypothèse où l’un des participants déciderait de se désengager du processus, elle n’a aucune incidence sur les suites de la procédure. Ainsi, sans lien avec l’administration de la justice pénale des mineurs, marquée de plus en plus par des logiques managériale et budgétaire (Filippi, 2021a), les principes et les valeurs de la JR sont préservés (Faget, 2006 ; Jaccoud, 2008).

En France, il existe un décalage dans la présentation de la JR par les institutions et les cadres législatifs et réglementaires qui l’explicitent. La JR, portée politiquement, est présentée comme un droit pour les victimes et les auteurs d’infractions dans les communications et les espaces de formation du ministère de la Justice[4].

Dans le titre de l’article 10-2 du CPP, la JR est présentée comme l’un « des droits des victimes ». Pourtant, dans le CJPM, cet intitulé est inexistant et laisse la présentation de la JR comme une proposition pour les auteurs et les victimes d’infractions : « Il peut être proposé à la victime et à l’auteur de l’infraction de recourir à la JR, conformément à l’article 10-1 du code de procédure pénale, à l’occasion de toute procédure concernant un mineur et à tous les stades de celle-ci, y compris lors de l’exécution de la peine, sous réserve que les faits aient été reconnus. La JR ne peut être mise en oeuvre que si le degré de maturité et la capacité de discernement du mineur le permettent, et après avoir recueilli le consentement des représentants légaux » (CJPM, art. L.13-4). La JR à destination des mineurs ne peut donc, a priori, se faire à la seule demande des participants puisqu’elle leur est proposée. Les participants intéressés par ce processus ne sont pas à la manoeuvre pour qu’elle soit appliquée. Mêmes exigences des auteurs d’infractions en ce qui concerne leur « degré de maturité et de discernement ». L’âge du discernement a été fixé à 13 ans, ce qui laisse supposer qu’en dessous de cet âge, s’il n’est pas constaté, les mineurs ne pourraient pas se voir proposer cette démarche et y accéder. Ainsi, le discernement et l’âge subordonnent l’accès à la JR. Pour finir, l’intervention des représentants légaux s’inscrit dans une forme de contrôle de l’accès des jeunes à ce dispositif.

Cette dimension de contrôle se manifeste aussi dans la partie réglementaire (Circulaire, 2017) relative à la mise en oeuvre de la JR. L’intervention du magistrat se traduit par un double contrôle du dispositif de JR : tout d’abord, un contrôle de légalité pour veiller au respect de la convention, de la formation des animateurs, de la bonne information, du recueil du consentement des participants et de la reconnaissance minimale des faits par l’auteur ; puis un contrôle d’opportunité (Circulaire, 2017). Lorsqu’une rencontre est envisagée, le magistrat vérifie que les participants ne courent aucun risque (emprise, protection, victimisation secondaire) et qu’elle n’interfère pas avec la procédure en cours (besoins de l’enquête judiciaire, protection des témoins). Cette formulation de la loi produit des conflictualités entre les règles de la justice (incarnées par le magistrat) et les règles de l’approche puriste de la JR. La volonté protectionnelle et les règles de procédure supplantent les processus de la JR (autonomisation, capacitation, responsabilisation et participation active du sujet). Finalement, la législation en cours limite l’accès et l’appropriation de la JR aux personnes susceptibles d’être intéressées.

La pratique de la JR auprès des mineurs en France a commencé à s’exercer à la PJJ à partir de 2016 et plus officiellement en 2018 (Filippi, 2021a). Ainsi, jusqu’en 2020, des expérimentations se sont tenues dans les services de la PJJ, les services associatifs habilités PJJ, France victime (FV) et des services dédiés de JR. Le rapport de recherche sur le développement de la JR des dix sites expérimentateurs, publié par le Service d’évaluation de la recherche et du contrôle (SERC) de la DPJJ, conclut à une timide mobilisation de la JR auprès des principaux intéressés (Ministère de la Justice, 2020 ; Filippi, 2021a). Il ressort un développement de la JR en cours pour un site (convention, partenariat, comité de pilotage [COPIL]) sur les neuf autres, le partenariat et la mise en oeuvre sont effectifs. La pratique de la JR auprès des mineurs sur les dix sites est multiforme en raison de la diversité des territoires, des publics accueillis et des professionnels investis (Filippi, 2021a, 2021b). Ce rapport avance que la JR est mise en oeuvre auprès des participants pour toutes les infractions sur quatre sites (dont l’un est en cours de construction). Des expérimentations, il ressort sur un territoire que le moment du déferrement n’est pas un temps propice pour informer et s’orienter vers une mesure de JR, car « c’est un moment chargé d’émotions, de stress et d’informations qui ne facilite pas la distinction entre procédure pénale et démarche restaurative » (Ministère de la Justice, 2020). Quatre structures envisagent la présentation et la mise en oeuvre de la JR pour des faits moins graves ou des infractions ciblées, une autre propose la présentation de la JR à destination des mineurs après plusieurs entretiens éducatifs dans le cadre d’une mesure au pénal. Également, les professionnels choisissent le moment adéquat pour la présenter : soit à la suite de plusieurs entretiens éducatifs et lorsque le jeune s’inscrit dans une mesure éducative, soit lors de son arrivée dans le service et dans le cadre de l’entretien d’accueil (Ministère de la Justice, 2020 ; Filippi, 2021a, 2021b). Dans les conclusions du rapport, quatre structures ont souhaité faire évoluer les pratiques vers une mise en place de la JR à l’ensemble des jeunes sans préciser d’infraction particulière (Ministère de la Justice, 2020). Il n’en demeure pas moins que la capacité de discernement et la maturité du jeune restent des critères essentiels pour les professionnels pour présenter et mettre en oeuvre la JR auprès de leurs publics (Ministère de la Justice, 2020).

Présentation de la recherche et méthodologie

Commencée en 2020 et menée à l’École nationale de la PJJ (ENPJJ), l’étude s’intéresse au déploiement de la justice restaurative des mineurs en France. Pour ce faire, une phase d’exploration a été conduite lors des sessions de formation de l’ENPJJ. L’année 2020 a été une pause dans ce travail puisque la crise sanitaire a eu pour effet de limiter les rencontres avec la formation (confinements répétés). L’exploration a été privilégiée sur la fin de l’année 2020 pour observer le développement de la JR au-delà des dix sites expérimentateurs. Lors de ces formations, les professionnels souhaitent lancer une initiative de JR dans leurs services, soit à petite échelle (dans le périmètre du service), soit à plus grande échelle en se raccrochant à un partenariat existant ou en en créant un nouveau sur le territoire. Il en ressort que la mise en route peut être chronophage puisqu’ils doivent aussi s’occuper des missions pour lesquelles ils sont mandatés par l’autorité judiciaire. L’accès du public au dispositif de JR sur les nouveaux territoires n’étant pas encore lancé ou construit, le recueil de données s’est recentré sur l’évolution des pratiques des sites expérimentateurs sélectionnés en 2018. Puisque cette dimension n’a pas été explorée dans le rapport du Ministère, les témoignages s’intéressent à l’ensemble de la ligne hiérarchique et fonctionnelle des professionnels de la PJJ pour comprendre comment la JR s’incarne dans les discours des cadres et des professionnels des services. En recueillant leurs témoignages, la JR peut être envisagée comme un élément d’un système organisé sur trois différents niveaux de responsabilité, à savoir : les directions inter-régionales (DIR) et territoriales (DT), les services de la jeunesse administrés par le directeur (DS) et le cadre de proximité (RUE) chargés de mettre en oeuvre les mandats de l’autorité judiciaire.

Chaque DIR (n = 9) a des compétences en matière de déclinaison des politiques publiques, de l’habilitation et du contrôle des structures relativement aux mineurs. La DIR a autorité hiérarchique sur la DT. Elle est responsable de la mise en oeuvre des politiques de prise en charge de la jeunesse délinquante ou en danger, de la gestion des moyens du secteur public de la PJJ, du contrôle et de l’activité des services sur un territoire donné qui est sous l’autorité d’un DS et d’un RUE. Ces derniers sont responsables de la mise en oeuvre opérationnelle des décisions des magistrats. Le fonctionnement de ces espaces se manifeste par le suivi de la ligne hiérarchique. Inversement, pour accéder à une demande ou un service, les professionnels passent par les différents échelons et grades des territoires, RUE, DS, DT, DIR. Complémentairement, une ligne fonctionnelle (DME[5], RPI[6], CT[7]) intervient en soutien de la ligne hiérarchique (DIR, DT), ses axes de travail dépendent des objets choisis par la ligne hiérarchique du territoire.

Le recueil s’est déroulé de décembre 2021 à mars 2022. En l’absence d’un comité éthique, le bureau des méthodes et de l’action éducative de la DPJJ a été informé de la démarche de recherche et a transmis l’ensemble des contacts des sites expérimentateurs (DIR, DT, DS, RUE, éducateurs et assistants sociaux) à la chercheure. Plusieurs aspects éthiques ont été pris en considération lors de la réalisation des entretiens. Tout d’abord, les participants ont été contactés en amont pour prendre connaissance du questionnaire. La destination de cette collecte d’informations était spécifiée dans le formulaire et donc connue des répondants. Sur la base du volontariat, les professionnels ont répondu librement aux questionnaires et aux entretiens téléphoniques. Pour terminer, les données ont été anonymisées.

Deux temps ont été consacrés au recueil de données. Le premier consistait à soumettre un questionnaire pour connaître l’évolution des pratiques sur le territoire, comparativement au rapport publié par le SERC. À destination des cadres, le questionnaire interrogeait les actions déployées par les DIR/DT (n = 23) en lien avec la JR. Cinq DIR y ont répondu (n = 8). Trois DIR n’ont pas fait retour, une n’a pas donné de suite favorable. Le questionnaire en direction des éducateurs et assistants sociaux de la PJJ (n = 24) s’intéressait à la place de la JR dans leurs pratiques et leur manière de la présenter aux jeunes. Sur les dix sites, neuf ont répondu au questionnaire (n = 18). Le deuxième temps consistait à mener des entretiens semi-directifs avec ces mêmes professionnels pour approfondir les manques repérés dans les premiers questionnaires. Ces entretiens téléphoniques ont été conduits (n = 16/47) pour comprendre l’organisation des territoires, le développement de la JR et le sens que les professionnels attribuent à cette dernière.

Les répondants ont entre 30 et 57 ans. Ils sont pour une majorité agents de la fonction publique avec une formation universitaire en droit et en sciences humaines et sociales. Les cadres ont une formation en travail social, en management et politique publique, les professionnels de terrain détiennent une formation en travail social. Pour mieux repérer les catégories des répondants, les professionnels seront numérotés comme suit : 1 pour les DIR, 2 pour les DT, 3 pour les RPI/CT. Les professionnels des terrains seront numérotés comme suit : 4 pour les cadres des services (DS/RUE) et 5 pour les éducateurs et assistants sociaux.

La méthode relève de l’analyse des discours. Elle permet de repérer les notions clés dans un contexte (les niveaux de responsabilité) et de marquer les points de comparaison ou de différence dans les discours des différents protagonistes de la PJJ. Elle s’inscrit dans une approche descriptive et analytique pour interroger la place de la JR dans l’administration PJJ.

  • Si la JR est normalisée par les politiques et le droit, alors elle devrait être soutenue par l’ensemble des acteurs du système de justice pénale.

  • Si elle relève d’un droit pour les personnes, alors elle devrait se traduire dans les pratiques par une mise en oeuvre systématique dans les services.

  • Si elle relève d’un droit sans effectivité, l’organisation de l’administration PJJ peut expliquer les difficultés de l’accès à ce droit.

Cet article présente des résultats ponctuels en vue d’une proposition de recherche plus conséquente pour l’année 2023 pour la DPJJ.

Résultats

Une information pour une mobilisation des acteurs

Les DT organisent des actions ou évènements pour sensibiliser les professionnels de justice à la JR et pour mutualiser des ressources pratiques pour son déploiement. Ces actions de sensibilisation se retrouvent dans l’ensemble des entretiens. Elles sont l’occasion de réunir les acteurs et de créer des partenariats pour déployer la JR. Les DT veillent à inviter l’ensemble des acteurs du système de justice pénale du territoire ; cependant, l’absence d’acteurs pivots (gendarmerie, police nationale, procureur, juge des enfants, avocats) pour prendre en charge ce processus est manifeste.

Rare sont les fois où les magistrats se déplacent, je dirai[s] qu’on les voit un peu plus avec le temps. Il faut toucher aussi les forces de l’ordre ; là aussi, il y a encore du chemin à faire.

répondant 2

Parfois sur des réunions de COPIL, les magistrats invités ne répondent pas toujours présents. Leur présence est essentielle dans le contrôle d’opportunité et de légalité de la mesure de JR.

répondant 2

[…] on peut pas mettre en place de la JR sans les magistrats, sans eux, ce n’est pas possible. Ils sont importants, on peut avoir un essoufflement, si moins intéressés ou moins investis, ou s’il y a un changement dans les professionnels. On avait un juge des enfants impliqué, systématiquement, il faisait une information lorsqu’il avait les jeunes dans son bureau, lors de l’audience. […] On avait un bon binôme parquet/siège, mais quand le juge est parti, au niveau de la JR, ça s’est un peu perdu.

répondant 2

L’implication de l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire, et plus particulièrement celle des magistrats, retient l’attention des DT dans les entretiens. On comprend que les initiatives tiennent manifestement des personnes intéressées, impliquées dans la JR. Également, parmi les acteurs pivots, les magistrats sont systématiquement mis en avant, interviennent ensuite les avocats, puis les policiers. Le déploiement du COPIL sur les territoires permet de réunir différents partenaires et échelons hiérarchiques dans la mise en oeuvre de la JR. Les retours dévoilent l’établissement d’un partenariat (Circulaire, 2017) avec divers acteurs de terrain : magistrats de la jeunesse (siège et/ou parquet), administration pénitentiaire, police et/ou gendarmerie, PJJ, FV, service dédié à la JR, service associatif de milieu ouvert. Pourtant les acteurs susmentionnés ne figurent pas dans les partenariats des neuf DIR. Lors des échanges, les professionnels admettent les difficultés d’articulation des différents acteurs :

C’est difficile de s’entendre et se comprendre sur la JR […]. Après discussions, on finit par trouver un accord, un terrain d’entente.

répondant 5

Le parquet, on a plus de mal, il ne voit pas le rôle qu’il peut jouer. […] Pour un parquet, il ne voit pas l’intérêt, s’il ne peut pas avoir un contrôle ou un rapport, il n’est pas intéressé. […] Il faut leur apporter du concret pour qu’ils mesurent l’intérêt pour eux en tant que parquetiers. On n’a pas assez de distance, on devrait en gros leur montrer les effets en matière de récidive.

répondant 5

Les professionnels qui oeuvrent dans la mise en oeuvre des dispositifs de JR explicitent la démarche pour se faire « entendre et […] comprendre » (répondant 5) des autres professionnels. Si certains adhèrent aux principes de la JR, les professionnels portant ces dispositifs doivent encore glisser dans les intérêts d’autres professionnels (par ex. : magistrats, parquet) afin de légitimer cette démarche « pour qu’ils mesurent l’intérêt pour eux » (répondant 5). La mobilisation sur la JR se caractérise alors par une légitimité de cette approche par les acteurs du système de justice pénale. Les stratégies mises en place évoquent une forme d’argumentation pour convaincre les acteurs qui ne voient pas d’intérêt dans ce dispositif.

Un partenariat identifié et une (re)connaissance de la JR de tous et pour tous

Le défaut de connaissances (formation, communication entre professionnels et cadres) et le manque de moyens sont des obstacles, selon les cadres, dans l’accès à la JR pour les publics.

Un portage de la ligne hiérarchique et managériale est nécessaire, et pas seulement de la ligne fonctionnelle. Pour connaître les moyens nécessaires, il nous faut aussi des données des territoires, des services.

répondant 2

La JR, cela nécessite des moyens, financiers et humains. La formation de tous les agents PJJ, mais pas seulement.

répondant 2

L’information et la sensibilisation des acteurs judiciaires ne sont pas suffisantes. La communication autour du CJPM n’a pas suffisamment insisté sur ce point de droit des mineurs auteurs.

répondant 3

La connaissance du développement du dispositif semble être un moyen de le légitimer. Le renvoi de données permet de le rendre visible et de le pérenniser par la mise en place de moyens nécessaires. Aussi l’appui de ce dispositif se manifeste par sa présentation en tant que « droit ». En effet, certains cadres avancent que l’avènement de l’article L.13-4 dans le CJPM fait de la JR un droit pour les jeunes.

Il manque la connaissance et le repérage de ce processus par le public. Sur notre territoire, plusieurs agents formés […] ont eu des évolutions de carrière et ne sont plus présents. Il nous manque un lieu repéré pour la pratique qui soit distinct d’un service PJJ ou d’aide aux victimes, et qui offre une certaine neutralité et une grande accessibilité (jours et horaire d’ouverture).

répondant 3

Il est nécessaire de sensibiliser les instances professionnelles, la hiérarchie dans les services de la police, des pompiers, dans les entreprises de transport […] afin qu’[elles] soient davantage partie prenante dans les processus de JR et que leur hiérarchie les encourage sans les culpabiliser.

répondant 5

Un cadre et un professionnel estiment que les participants à la JR ne sont pas suffisamment informés. Selon eux, par manque d’information, ils ne peuvent pas demander sa mise en oeuvre. Les professionnels sont unanimes sur la nécessité d’impliquer l’ensemble des acteurs de la justice et de la société pour qu’elle se déploie au sein du système de justice pénale. Cette implication passe par une bonne connaissance et un repérage de ce qu’est la JR. Dans les entretiens libres, elle est souvent avancée comme un droit pour les victimes et les auteurs du fait de son inscription dans le CJPM.

Il est nécessaire de sensibiliser les magistrats sur l’intérêt de la JR pour les justiciables. Cette question devrait systématiquement être abordée par les magistrats […].

répondant 5

La formation des professionnels doit être poursuivie en continu de manière à ce que la JR ne soit pas perçue comme une démarche concurrente du travail mené par les référents [éducateurs chargés du suivi des jeunes].

répondant 4

Si les professionnels évoquent la JR comme un moyen de répondre aux intérêts de la justice (décision, classement de l’affaire, suivi éducatif), d’autres envisagent sa présentation au regard des bénéfices qu’elle procure pour ses participants. La tension entre le paradigme de la JR et les règles de la procédure pénale ou les missions des professionnels éducateurs transparaît dans les propos des professionnels en ce que la JR ne doit pas être « perçue comme une démarche concurrente du travail mené par les référents » (répondant 4).

Une information diffusée auprès des jeunes « identifiés »

Les résultats des questionnaires (n = 24) indiquent que 370 jeunes sur 2710 accueillis annuellement au sein des services de la PJJ ont été informés de l’existence de la JR. Sur deux territoires, les professionnels informent systématiquement les jeunes de la JR, et cela, peu importent les profils, les infractions ou le stade de la procédure. Cette mesure est présentée pour l’un d’entre eux, comme un droit pour les jeunes, pour l’autre, elle constitue un complément à la justice pénale.

On la présente de manière systématique. Quel que soit le délit commis, la JR représente un complément à la réponse de justice ordonnée. Pour autant, la JR ne peut pas tout le temps leur être [mineurs] accessible.

répondant 5

Sur sept structures, la JR n’est pas présentée de manière systématique, elle dépend de la procédure judiciaire, du profil du mineur ou des infractions commises.

Lors de notre expérimentation, nous avions choisi de cibler les auteurs de faits d’agression essentiellement. Il s’avère plus pertinent de proposer la JR en postsentenciel pour ne pas avoir d’ambiguïté sur la sincérité de la démarche de l’auteur. Concernant les jeunes auteurs, le fait qu’ils formulent des regrets spontanément invite à leur parler de la JR […]. Il faut aussi qu’ils n’aient pas trop de limites intellectuelles […] pour être en capacité de comprendre et d’élaborer. Il est d’autant plus intéressant de proposer une mesure de JR lorsque le jeune auteur est proche géographiquement de sa victime et donc susceptible de la croiser.

répondant 5

Si le souhait est d’informer les jeunes, les professionnels se doivent d’exercer une vigilance sur l’accès à ce dispositif. Trois territoires sur les sept susmentionnés partagent dans leurs retours une forme d’obligation au conditionnel pour présenter la JR ou encore pour qu’elle constitue un axe d’amélioration de leur pratique.

Non, on ne présente pas de manière systématique la JR, c’est un des axes d’amélioration […].

répondant 4

Non, on ne présente pas de manière systématique. [Existe-t-il des profils qui sont plus susceptibles de partir en JR que d’autres ?] A priori oui, mais elle doit être présentée à tous.

répondant 5

J’ai longtemps privilégié les auteurs prévenus ou condamnés impliqués dans des affaires criminelles, je pense aujourd’hui que tous les mineurs pourraient indistinctement bénéficier de ces mesures, beaucoup de mineurs ont des affaires multiples en tant qu’infracteurs et /ou ont un passé de victime rendant opportune leur sensibilisation à la JR.

répondant 5

La JR est un droit, et c’est de notre devoir d’informer le jeune. C’est un droit qui est accordé aux mineurs, c’est inscrit dans le Code… Je suis certain qu’en tant qu’adultes, et personnes responsables, nous avons le devoir d’informer les mineurs. Aujourd’hui, si c’est un droit, les intervenants n’ont pas à se poser la question de la proposer ou non.

répondant 5

Les témoignages des professionnels laissent entendre une multiplicité de représentations de la JR. Selon ces derniers, pour que la JR soit constitutive d’un droit, ils doivent en informer systématiquement les jeunes.

[…] Je reçois les personnes qui me sont orientées par mes collègues de FV pour leur permettre de bénéficier d’une information plus détaillée, évaluer avec elles si la JR peut répondre à leurs attentes […] ; peu d’orientations me sont faites par mes collègues qui ne donnent pas l’information sur la JR de manière systématique malgré les recommandations, mais seulement lorsque les mineurs évoquent le besoin de pouvoir parler avec leur agresseur […]. Les administrateurs ad hoc m’orientent souvent les jeunes victimes suivies lorsqu’elles ont atteint l’âge de 18 ans, de sorte, elles ne sont pas comptabilisées comme mineures dans nos statistiques JR.

répondant 5

Alors qu’elle est un droit pour les victimes, l’information de la JR sur ce territoire n’est pas donnée de manière systématique aux mineurs victimes. L’autorité judiciaire attend leur majorité pour qu’elles puissent être informées et se voir proposer ce dispositif. Ainsi, tant à l’égard des auteurs mineurs que des victimes, des précautions sont avancées par les professionnels pour communiquer cette information avant qu’elle ne prenne effet. La maturité, le discernement, mais également les vigilances, sont présentés comme des arguments de « protection » dans l’accès des mineurs à ce dispositif.

Discussion

D’un « droit à la JR » à un « droit à l’information » sur la JR

Présente dans le CPP et le CJPM, la JR est toujours en cours de développement sur le territoire français. L’article L.13-4 du CJPM laisse aux autorités le choix de la proposer ou non, et la partie réglementaire avance les limites et les conditions de sa mise en oeuvre. Dans la pratique, les expérimentations lancées en 2018 interrogent encore l’effectivité du « droit » à la JR en 2022. Le rapport de 2020 avançait que les territoires expérimentateurs envisageaient pour l’avenir la proposition de la JR sans limite d’âge et sans infraction ciblée. En 2022, cette ambition ne semble pas avoir évolué et constitue encore un point d’amélioration de la pratique JR. Les cadres et les professionnels sont d’accord qu’elle devrait être proposée systématiquement. En ce sens, la proposition de la JR serait plus une information sur la JR donnée par des professionnels aux jeunes de la PJJ, sous réserve qu’elle remplisse un certain nombre de conditions. Cette proposition relèverait donc plus d’une présentation et d’une information donnée que d’une effectivité du droit pour les jeunes de participer à la JR. Il peut alors être imaginé que si les auteurs et victimes ont l’information et accèdent à ce dispositif dans ses premières étapes (information générale/complète de la JR par les professionnels et les services dédiés de JR), ce dernier peut, lors de la mise en route, leur échapper du fait des limites et des conditions fixées par le droit national (Circulaire, 2017). L’information donnée peut enclencher le processus, mais il pourrait ne pas aboutir à sa mise en oeuvre effective.

Un « droit à l’information » au sein d’une conflictualité des cultures

Si la JR est soutenue politiquement, le manque de portage par les cadres et les places et rôles que prennent les acteurs du système de justice pénale peuvent nuire à son développement. Au sujet de ces limites, les cadres et les professionnels préconisent dans leurs discours la mise en place et le développement d’actions d’information, de sensibilisation ou encore de formation auprès de tous les acteurs de la chaîne pénale. La conduite de ces actions permettrait « de sensibiliser les magistrats sur l’intérêt de la JR pour les justiciables », d’insister sur « ce droit des mineurs ». Par une meilleure connaissance du dispositif, l’ensemble des acteurs opérerait à un pas de côté par rapport à la philosophie du modèle de justice des mineurs et des logiques managériales et rationnelles que traverse l’administration de la justice (Bailleau et Cartuyvels, 2007 ; Sallée, 2016). L’analyse des discours des professionnels montre qu’en dispensant des actions de formation, les professionnels oeuvrant dans le fonctionnement du système de justice pénale se décentreraient de la logique judiciaire classique ou encore de la logique éducative.

L’intervention de nouveaux paradigmes au sein de la justice des mineurs et de son administration amène des perturbations dans les identités professionnelles (Charbonneau et Béliveau, 1999 ; Rossi et Charbonneau, 2018). Elles se manifestent dans cette étude, auprès des professionnels de l’éducatif et du droit, et des logiques des cadres territoriaux. Pour ce qui est des partenariats, la collaboration entre les acteurs peut être difficile. On observe des espaces de discussion et de négociation des places de chacun lorsqu’il s’agit de présenter et de mettre en oeuvre la JR. La place des acteurs se négocie et répond aux intérêts de ces acteurs. Les magistrats du parquet peuvent s’en désintéresser et privilégier d’autres mesures qui répondent à leurs préoccupations (enquête, informations). Également, ils seraient en attente de résultats quant aux effets du dispositif dont ils n’ont pas la maîtrise. Les éducateurs sont également dans la défiance de cette démarche comprise comme concurrente à leur travail éducatif. Dans le même sens, d’autres évoquent les mêmes réticences en confirmant que des profils seraient plus susceptibles de partir en JR. La JR induit donc pour les professionnels d’envisager autrement leur rapport avec les jeunes et de se détacher d’intérêts professionnels. Il semble alors que même la formation et la sensibilisation ne pourraient résoudre entièrement les obstacles d’accès à ce dispositif. Il ne s’agit pas seulement de communiquer aux professionnels des savoirs, des connaissances sur la JR, il faut aussi que ces derniers la reconnaissent comme une modalité de faire justice autrement, complémentaire dans ses effets et non « concurrente au travail éducatif » (répondant 4) ou à la justice pénale. Les professionnels appartenant aux sphères de l’éducatif et du judiciaire doivent alors sortir de l’antagonisme classique auteur/victime, tenter de lâcher prise et de gommer l’éthos professionnel classique pour établir une pratique nouvelle.

Le développement d’un « droit à l’information » dans un système « cohérent »

L’essor de la JR implique selon les professionnels la mobilisation de tous les acteurs de la chaîne pénale. Cette mobilisation se traduit par la formalisation des partenariats et l’implication des acteurs. Pourtant, est-ce que la contractualisation entre secteur public (PJJ, magistrats, police, éducation nationale, administration pénitentiaire) et associatif (France Victimes, service associatif habilité PJJ) favorise le développement de la JR ? La corrélation entre l’établissement d’un partenariat et le développement de la JR n’est pas suffisamment étayée par la recherche et les données disponibles à ce jour (insuffisantes et trop récentes) pour en tirer des conclusions. Le repérage d’acteurs pour la prise en charge et la mise en oeuvre de la JR est une nécessité, puisque pour d’autres territoires, le turn-over (mutation, retraite) des professionnels impliqués dans l’expérimentation a conduit à une cessation de l’activité JR. Les partenariats qui réunissent l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale ne constituent pas la seule garantie pour le déploiement la JR. Alors que la DPJJ et le SADJAV s’inscrivent dans la promotion de la JR, les logiques économiques et rationnelles des territoires et des services limitent son développement qui, sans moyens ni soutien, s’avère précaire. La reconnaissance et la visibilité du travail fourni sont nécessaires pour comptabiliser ces actions et déployer les moyens nécessaires pour pérenniser la JR au sein de cette administration. Elle dépend donc de l’appareillage offert par le territoire et des moyens humains et matériels octroyés par l’administration. Sans le soutien des cadres et le retour des données aux DT et aux DIR, la pratique de ce processus se perd. Pour finir, les indicateurs avancés dans les discours des professionnels, comme la limitation de la récidive, doivent conduire la communauté des chercheurs à se pencher plus sérieusement, à l’instar de nos voisins québécois, sur l’évaluation des dispositifs (Charbonneau et Béliveau, 1999 ; Jaccoud, 2010 ; Rossi et al., 2021).

Conclusion

Le lancement de la JR à la PJJ (2018), étant à ses balbutiements, ne nous permet pas encore de tirer des conclusions suffisantes au regard des obstacles structurels qu’elle traverse. Ainsi, le manque de données sur les pratiques, comme le fait de ne pas avoir pu recueillir la parole des familles et des jeunes, n’a pas permis d’avoir plus d’éléments pour répondre pleinement à cette question de l’accès au droit à la JR pour les personnes concernées. Nous pouvons regretter aussi que le panel des personnes interviewées n’implique pas suffisamment les professionnels des DIR, modérant ainsi les propos des cadres dans les conclusions de cette étude.

Malgré ces limites, cette étude amène des conclusions intéressantes. Contrairement aux campagnes de communication du ministère de la Justice française présentant la JR comme un « droit » pour les victimes et les auteurs d’infractions, celui-ci n’est pas simple d’accès. La JR dans l’administration de la PJJ ne se vit pas encore comme un droit pour que les professionnels la présentent systématiquement et que les personnes susceptibles d’être intéressées en fassent la demande ou en fassent appel auprès des autorités compétentes. L’étude indique comment les valeurs et les priorités stratégiques des systèmes peuvent avoir des répercussions sur son implémentation et sa survie dans une administration dans laquelle les professionnels s’en détournent ou alors tentent de négocier les frontières de la JR. Le manque d’un dispositif en JR explique en partie cette difficulté. Également, si le dispositif est repéré, la JR relève plus aujourd’hui du droit d’être informé, qui est loin d’être systématique, plutôt que du droit de participer à la JR pour les jeunes. L’information permet son accès, mais ce dernier ne permet pas nécessairement la participation des jeunes à ce dispositif. Dans le recueil des témoignages des cadres et des professionnels, l’accès à ce dispositif devient difficile du fait de leur statut, leur âge, de leur situation, etc. Pour finir, les professionnels et les cadres de la jeunesse sont tiraillés entre les bénéfices que procure la JR aux participants et les bénéfices qu’ils pourraient en tirer pour leurs administrations. Ces obstacles peuvent avoir des répercussions sur leurs motivations à présenter et/ou à s’orienter vers un dispositif de JR.

Pour trouver de nouveaux éléments de réponses, les recherches sur la JR présentée comme un droit pour les personnes devraient se tourner vers l’étude de son développement au sein des systèmes complexes et s’intéresser également aux effets qu’elle engendre auprès de ses bénéficiaires (Rossi et al., 2021). La recherche évaluative pourrait apporter des éléments de réponses aux administrations sur ses effets réparateurs, dont l’approche se base sur les droits de l’enfant (standards internationaux).