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Introduction[2]

Imaginez une interaction de routine entre un policier et un citoyen au cours de laquelle le policier finit par employer une force mortelle contre le citoyen, déclenchant ainsi l’indignation de la population. Le service de police analyse les images de la caméra portative du policier. Malheureusement, les moments cruciaux de l’interaction ne sont pas visibles, car les bras du policier obstruaient la caméra. Dans ce scénario imaginé, mais plausible, les images fournies par la caméra portative n’ont aucune valeur explicative ou probante. Un facteur ayant une incidence sur l’utilité des images filmées est le positionnement de la caméra. Selon les modèles et les fabricants, les caméras peuvent être portées à différents endroits (revers de la veste, poitrine, tête ; Hung, Babin et Coberly, 2016). Fan (2017) a noté que « le point de vue à partir de la tête ou de la poitrine d’un policier est bien meilleur que ce qui est obtenu par la caméra du tableau de bord, mais cela ne signifie pas que ce point de vue permet de saisir toute la vérité, ni même la vérité pertinente » (p. 947).

Une revue systématique de la littérature sur les caméras portatives montre que la recherche en criminologie et en justice pénale s’est principalement concentrée sur l’effet des caméras sur le comportement des policiers (comme le recours à la force) et celui des citoyens (comme le dépôt de plaintes) ainsi que sur les perceptions et les attitudes des policiers et des citoyens à l’égard de ces appareils (Cubitt, Lesic, Myers et Corry, 2017 ; Lum, Stoltz, Koper et Scherer, 2019). Peu de recherches portant sur les facteurs humains et les problèmes d’ergonomie liés aux caméras (Suss et al., 2018) ont été publiées. Les juristes et les organismes concernés par la mise en oeuvre de programmes de caméras portatives (le U.S. Department of Justice, par exemple) ont toutefois souligné la nécessité de considérer le positionnement des caméras portatives lors de l’évaluation et du déploiement de ces caméras (Bakardjiev, 2015 ; Hayes et Ericson, 2012). Coudert, Butin et Le Métayer (2015) ont notamment mentionné que :

Les possibilités d’installation des caméras ont un impact significatif, certaines d’entre elles reproduisant le point de vue du policier, tandis que d’autres peuvent filmer une scène différente de celle que le policier voit réellement à un moment donné. Un tel écart affaiblit la correspondance entre les images enregistrées et la perception de l’agent, et permet une plus grande marge d’interprétation lors de l’examen des images. Certains appareils n’ont pas de point d’ancrage fixe et peuvent donc offrir différents points de vue en fonction de la décision de l’agent qui l’utilise.

p. 755-756

En plus de ce rappel de l’importance de tenir compte du positionnement de la caméra, la nécessité d’évaluer l’effet du positionnement des caméras sur les séquences vidéo a été soulevée à au moins deux reprises (Espenant, Murwanashyaka, De Gagné et Wollbaum, 2015 ; Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory, 2017). Espenant et al. (2015) ont affirmé qu’il est possible de déterminer – au moyen de recherches empiriques – les positionnements optimaux des caméras. Pour tirer le maximum de cette technologie, il est essentiel de bien comprendre en quoi le positionnement des caméras portatives a une incidence sur la valeur probante des séquences filmées. Notre objectif consiste donc à combler cette lacune dans la littérature en analysant de façon systématique l’incidence du positionnement de la caméra portative sur la visibilité des moments cruciaux qu’elle filme.

Revue de la littérature

Nous n’avons trouvé dans la littérature qu’un seul rapport informel comparant les positionnements des caméras portatives, et il a été rédigé par le service de police de Phoenixville, en Pennsylvanie, aux États-Unis (Marshall, 2015). Ce service est composé de 31 agents assermentés pour une population de 16 968 habitants (U.S. Census, 2020a). Pendant une période d’essai de plusieurs mois, cinq agents ont accepté de porter diverses caméras portatives (B. Marshall, communication personnelle, 22 juin 2020). Toutes les caméras figuraient sur la liste des fournisseurs approuvés de l’État de Pennsylvanie ; certaines d’entre elles s’installant à la poitrine et d’autres à la tête. Au cours de cet essai, les gestionnaires du service de police ont examiné périodiquement les images des cinq caméras (il s’agissait de simples comparaisons visuelles et non d’une analyse formelle des images). Marshall (2015) a souligné que les caméras portées à la tête offraient la meilleure vue sur les incidents. Il a également noté que lors des contrôles routiers, les caméras portées à la poitrine ne permettaient pas toujours de filmer le conducteur du véhicule parce que le policier adoptait cette position où le torse est tourné à un angle de 45° par rapport à l’endroit où il regarde (position d’attaque), déviant ainsi le champ de vision de la caméra par rapport à ce que voit le policier. Les agents adoptent généralement cette position lors de contrôles routiers pour des raisons de sécurité (pour réduire le risque d’être heurté par des véhicules venant en sens inverse [Buhrmaster, 2005] ou pour inciter le conducteur à se tourner sur son siège de sorte à faire face à l’agent [B. Marshall, communication personnelle, 22 juin 2020]). Si l’adoption de cette position est un problème en ce qui concerne la caméra portée à la poitrine, ce sera également le cas pour toutes les autres situations où le policier prend cette position, que ce soit pour s’adresser à un suspect (garder son arme hors de portée du suspect) ou en vue d’un affrontement physique (en position offensive, par exemple) (Murgado, 2012).

L’un des auteurs du présent article (Joel Suss) a appris l’existence d’un test informel similaire à celui de Pheonixville alors qu’il fréquentait l’académie de police citoyenne de Wichita-Sedgewick, à Wichita, Kansas (États-Unis), à la fin de 2015. L’officier supérieur responsable du déploiement de caméras portatives au sein du service de police de Wichita lui a expliqué qu’il ne s’agissait pas de réaliser un test scientifique, mais d’obtenir des informations pour la politique écrite sur les caméras portatives. Il lui a fourni des échantillons de séquences vidéo du test, où l’on voit un policier, équipé de caméras portatives portées au collet, à la poitrine et à la tête, effectuer plusieurs exercices dans un champ de tir. Des paires de vidéos ont ensuite été synchronisées et combinées en un seul fichier vidéo. Après avoir regardé les vidéos, l’officier supérieur a conclu que la caméra à la tête offrait la meilleure vue (c’est-à-dire la plus complète et dégagée) de la cible. Rappelons que cette conclusion n’est pas fondée sur une analyse formelle des vidéos, mais uniquement sur une comparaison visuelle subjective. Les agents ont par la suite été encouragés à installer leur caméra à la hauteur de la tête (sur les lunettes par exemple) plutôt que plus bas sur le corps (comme le revers de la veste).

Il est probable que d’autres services de police aient procédé à l’évaluation des caméras portatives et que certaines de ces évaluations informelles aient été exécutées sur les divers positionnements possibles. Il est peu probable toutefois que ces évaluations se retrouvent dans la littérature ou même dans la littérature grise. Néanmoins, les deux évaluations informelles rapportées ont contribué à conceptualiser notre étude. Notre objectif était d’évaluer de façon systématique en quoi le positionnement affecte la visibilité des informations clés dans les images enregistrées. En nous fondant sur les résultats des évaluations menées par les services de police de Phoenixville (Pennsylvanie) et de Wichita (Kansas), nous avons émis l’hypothèse que les caméras installées plus haut sur le corps (c’est-à-dire à la tête) capteraient plus d’informations clés que celles plus bas sur le corps (torse ou poitrine), leur vue de la cible étant moins souvent obstruée par les bras et l’arme du policier.

Conformément à l’appel lancé d’évaluer les technologies de justice pénale (Salvemini, Piza, Carter, Grommon et Merritt, 2015), nous avons adopté une approche sous l’angle des facteurs humains et de l’ergonomie pour tester notre hypothèse (p. ex., Lee, Wickens, Liu et Boyle, 2017). Des caméras portatives ont été installées à plusieurs endroits sur la tête et le torse de policiers. Ces derniers ont effectué des exercices de tir réels avec une arme de service, un fusil d’assaut et une carabine. Nous avons ensuite mesuré la quantité d’informations clés capturées à partir de chaque positionnement en codant manuellement chaque image vidéo enregistrée. L’analyse des données nous a permis d’évaluer si le positionnement de la caméra avait une incidence sur la visibilité des informations clés dans les images enregistrées.

Méthode

Les participants

L’officier supérieur chargé du déploiement des caméras portatives au service de police de Wichita a facilité le déroulement de l’étude. Son service compte 623 employés (403 agents de patrouille ; K. Kimble, communication personnelle, 19 juin 2020) et dessert une ville urbaine de 389 938 habitants (U.S. Census, 2020b). Trois policiers (1 femme, 2 hommes) affectés à des patrouilles régulières ont porté des caméras portatives. Nous recherchions spécifiquement une variation en fonction du sexe, de la taille et du choix de l’uniforme de patrouille (c.-à-d. la ceinture de service standard ou le gilet tactique). Les caractéristiques des agents sont décrites au Tableau 1. Les caméras portatives étaient familières aux agents, chacun en ayant déjà reçu une plusieurs mois avant l’étude et l’utilisant à chaque quart de travail. Tous les agents ont donné leur consentement éclairé écrit à participer à l’étude et ont signé un formulaire d’autorisation de diffusion. Et ils connaissaient le but de l’étude.

Les appareils

Caméras portatives

Les agents étaient équipés de six caméras portatives TASER Axon Flex 1[3]. La caméra Axon Flex 1 comprend la caméra (8,1 × 2,0 × 1,8 cm ; 15 g), le contrôleur (6,6 × 1,9 × 8,4 cm ; 93 g) et un câble de connexion. La caméra a un champ de vision horizontal de 75° ; à une distance de 7 m, celui-ci capte 5,37 m à gauche et à droite du centre, pour un champ de vision horizontal total de 10,74 m. Le contrôleur contient la batterie de l’unité, l’interrupteur marche/arrêt et un bouton qui démarre/arrête l’enregistrement. Chaque caméra offrait diverses options de positionnement (chapeau[4], lunettes, épaules). Une caméra a été installée de chaque côté d’un chapeau en utilisant des supports magnétiques en deux pièces : la caméra se fixe à une pièce de la monture à l’extérieur du chapeau et à une autre, plus petite, placée à l’intérieur du bandeau anti-transpiration du chapeau. Le chapeau est donc pris en sandwich entre les deux aimants. Une caméra a été installée sur chaque branche d’une paire de lunettes de protection Oakley[5] qui incorporait des montures magnétiques dans les branches. Une caméra a été installée sur chacune des épaules à l’aide de supports conçus pour se fixer à une épaulette de chemise ou à l’épaule d’un gilet tactique. Les policiers étaient également équipés d’une caméra TASER Axon Body 1 installée sur la poitrine. Cette caméra est formée d’une seule unité contenant la caméra et le contrôleur, et est de taille identique au contrôleur AXON Flex (6,6 × 1,9 × 8,4 cm). La caméra Axon Body 1 a un champ de vision horizontal de 137° (75° pour la caméra Axon Flex 1 et environ 200° pour la vision humaine ; Loschky, Nuthmann, Fortenbaugh et Levi, 2017). À une distance de 7 m, le champ de vision capte 17,77 m à gauche et à droite du centre, pour un champ de vision horizontal total de 35,54 m.

Tableau 1

Caractéristiques des policiers et positionnement des caméras

Caractéristiques des policiers et positionnement des caméras

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Normalement, lorsque les agents portent une seule caméra portative Axon Flex 1 en service (p. ex., sur leurs lunettes), ils attachent l’unité de contrôle à leur ceinture, chemise ou gilet. Étant donné que nous avons utilisé sept caméras portatives par policier (chapeau gauche/droite, lunettes gauche/droite, épaule gauche/droite, poitrine), nous avons dû placer les sept unités de contrôle sur l’agent. Pour ce faire, nous avons utilisé deux harnais de poitrine (de style MOLLE[6]). L’un a été placé sur la poitrine du policier et l’autre dans son dos. La caméra Axon Body 1 (contrôleur avec caméra intégrée) a toujours été montée au centre du harnais avant, au niveau du sternum. Nous avons installé les contrôleurs pour les caméras Axon Flex 1 placées sur le chapeau et les lunettes sur le harnais arrière, et positionné les contrôleurs pour les caméras Axon Flex 1 à l’épaule sur le harnais avant. En raison de la petite taille des caméras, elles ne sont pas équipées d’un écran pour le visionnement. Par conséquent, chaque caméra a été fournie avec un appareil mobile Android préchargé ayant une application de visionnement. Après avoir jumelé électroniquement chaque caméra avec l’appareil mobile associé, l’application de visionnement permet à l’utilisateur de vérifier l’alignement de la caméra. Les caméras Axon Flex 1 et Body 1 ont enregistré des fichiers.MP4 à une résolution de 640 × 480 pixels et une fréquence d’images de 30 Hz (images par seconde).

Armes à feu

Les agents ont exécuté des exercices de tir avec une arme de poing (Glock 19, 9 mm), un fusil d’assaut (AR-15,.223 Remington) et une carabine (Remington 870, calibre 12 00 chevrotine).

Caméras installées sur des armes à feu

En plus des caméras portatives, nous avons installé une caméra sur chaque arme à feu. L’arme de poing Glock était équipée d’un système de caméra Weaponeye[7]. La caméra Weaponeye enregistre les fichiers.MP4 à une résolution de 1280 × 720 pixels et une fréquence d’images de 30 Hz. Le fusil d’assaut et la carabine étaient équipés d’une Tachyon GunCam[8] qui enregistre les fichiers.MP4 à une résolution de 1920 × 1080 pixels et une fréquence d’images de 30 Hz.

Champ de tir

Tous les exercices de tir ont été menés au champ de tir extérieur du service de police qui a collaboré à l’étude. Le champ de tir était équipé d’un système de cible à rotation électrique, généralement utilisé pour restreindre et contrôler la durée d’exposition de la cible pendant l’entraînement. Comme la durée d’exposition n’était pas d’intérêt pour cette étude, nous en avons désactivé le système (les cibles étaient donc toujours visibles pour les tireurs).

Cible

Les agents ont tiré sur une cible photographique statique en couleur (61,0 × 86,4 cm). La cible représentait un homme blanc, vêtu d’un t-shirt vert et armé d’une arme de poing, tenant en otage un enfant blanc (modèle LE-25[9]). La couleur de fond de la cible était gris clair.

Barricade

Une barricade mobile en bois (environ 86,4 cm de largeur sur 200,0 cm de hauteur) a été utilisée pendant certains exercices de tir pour simuler la dissimulation (p. ex., un mur) et masquer la vue de la cible. Au cours de ces exercices de tir, le policier se tenait derrière la barricade et devait tirer autour de celle-ci tout en minimisant l’exposition de son corps à la cible.

Exercices de tir

Chaque policier a effectué 19 exercices avec l’arme de poing, 11 avec le fusil d’assaut et 1 avec la carabine (voir Suss et al., 2018). Nous avons varié la position de départ du policier (face à la cible, 90° gauche/droite de la cible, à 180° de la cible), la position de tir (torse face à la cible vs torse en position d’attaque), la prise (à une ou deux mains), la main qui tient l’arme (droite, gauche), si les policiers devaient ou non tirer de derrière la barricade et s’ils restaient dans la même position ou devaient tirer en se déplaçant. Tous les exercices ont été effectués en position debout. Comme les étuis de service standards ne permettaient pas d’accueillir l’arme de poing Glock avec la caméra Weaponeye attachée, les agents ont commencé les exercices en tenant l’arme de poing à l’extérieur et à côté de leur étui de service ; le fusil d’assaut avec la crosse placée à leur poche d’épaule et le canon placé en dessous de la ceinture (en position basse prête ; U.S. Army, 2011).

Procédure

Un technicien spécialisé en caméras portatives a installé les caméras et les contrôleurs sur chaque policier et a ensuite vérifié l’application de visionnement des appareils mobiles Android pour s’assurer de l’ajustement adéquat de chaque caméra. Pour ce faire, le policier s’est tenu face à la cible pendant que le technicien ajustait chaque caméra jusqu’à ce que la cible soit bien centrée. Il a également vérifié l’alignement des caméras à plusieurs reprises entre les exercices de tir. Avant le premier exercice, le technicien a activé toutes les caméras portatives et a confirmé qu’elles étaient en mode enregistrement. Les caméras ont filmé toute la durée des exercices.

Les policiers ont effectué les exercices de tir à tour de rôle (présence d’un seul tireur à la fois sur le site). Les exercices étaient supervisés par un responsable de la sécurité qualifié, qui s’est assuré que : a) chaque exercice était sécuritaire ; b) le policier muni de la caméra portative était informé de chaque exercice ; c) les chercheurs étaient positionnés en toute sécurité ; d) toutes les personnes présentes portaient une protection oculaire et auditive. Avant chaque exercice, le responsable de la sécurité a vérifié les environs du champ de tir et a donné son accord pour que l’activité commence. Un chercheur debout à côté du participant a lancé chaque exercice avec une minuterie munie d’un bip sonore (MKIV XP[10]). Deux autres chercheurs ont filmé le tireur et la cible à l’aide d’un enregistreur vidéo (Canon HF R300) et d’un téléphone portable (Samsung Galaxy S3). Les trois policiers ont effectué tous les exercices dans le même ordre déterminé (Tableaux 2 et 3), le même jour, pendant les heures de clarté.

Préparation des données

Après la collecte des données, les vidéos de toutes les caméras ont été téléchargées sur un disque dur. Les vidéos de chaque exercice de tir de chaque policier ont été synchronisées à l’aide d’un logiciel de montage vidéo (Adobe Premiere Pro[11]). La Figure 1 montre une capture d’écran d’un tir synchronisé.

Chaque exercice a été segmenté en trois phases consécutives :

  • Phase de pré-tir : Cette phase a commencé 5 images avant le début du bip sonore du départ. Il en a été décidé ainsi en observant visuellement la forme d’une onde audio associée à la vidéo chapeau/droite. La phase de pré-tir est d’intérêt puisque les actions d’un suspect précédant le tir d’un agent sont analysées à la suite d’un coup de feu impliquant un agent. La phase de pré-tir s’est terminée avant le premier tir.

  • Phase de tir : Cette phase a commencé lorsque le premier coup a été tiré et s’est terminée après le dernier coup de l’exercice, lorsque l’arme à feu du policier a commencé à descendre et à s’éloigner du point de visée.

  • Phase de post-tir : Cette phase a commencé après le coup final, lorsque l’arme à feu du policier a commencé à descendre et à s’éloigner du point de visée. La phase suivant le tir a pris fin lorsque l’agent a remis son arme à feu dans son étui (arme de poing) ou l’a remise en position de départ (fusil d’assaut et carabine).

Figure 1

Tir synchronisé

Tir synchronisé

Capture d’écran prise d’une vidéo synchronisée dans le temps dans le cadre de la présente étude qui montre les images de sept caméras portatives (chapeau – à gauche/à droite, lunettes – à gauche/à droite, épaule gauche/droite, centre du corps [poitrine]) durant la phase d’exercice de tir avec arme de poing. À noter : la cible est presque complètement masquée sur les images des caméras portatives épaule gauche et épaule droite. Les positionnements « Oakley Left » et « Oakley Right » réfèrent aux caméras installées sur des lunettes Oakley.

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Codage

Des assistants de recherche ont fait le codage de chaque image vidéo enregistrée. Ils ont utilisé une feuille de calcul Microsoft Excel pour coder chaque image de chaque caméra. Trois codes ont été utilisés en fonction du degré de visibilité de la cible :

0

=

La cible rectangulaire en papier était complètement masquée (par le bras, la main ou l’arme à feu du policier) ;

1

=

La cible en papier rectangulaire était partiellement masquée (c.-à-d. partiellement visible) d’une quelconque manière (p. ex., même si seul un coin inférieur de la cible était couvert, laissant la majeure partie de la cible visible). Ce critère strict a été adopté pour rendre le codage aussi objectif que possible ;

2

=

La cible en papier rectangulaire était entièrement visible (pas du tout masquée).

Un exercice de tir typique dure environ 8 s et a été enregistré par 10 caméras différentes, ce qui signifie le codage de 2400 images vidéo (soit une durée de 8 s × 30 Hz par caméra × 10 caméras) pour un seul exercice de tir d’un seul policier. Compte tenu de la quantité considérable de séquences vidéo à coder, chaque exercice de tir a ainsi été codé par un seul codeur ; chacun ayant codé plusieurs exercices de tir. Pour s’assurer de la fiabilité du codage, nous avons d’abord demandé à trois codeurs de coder le même exercice de tir de l’un des policiers ; ce qui nous a permis de calculer une mesure de la fiabilité inter-évaluateur. Ils ont codé l’exercice de tir indépendamment les uns des autres, sans savoir que la fiabilité inter-évaluateur était en cours d’évaluation. L’exercice de tir a été enregistré par 10 caméras (7 portatives, 1 posée sur une arme à feu, 1 téléphone portable, 1 caméscope). Nous avons calculé des coefficients de corrélation intraclasse (CCI) pour chacune des neuf combinaisons de phase et de code (pré-tir / complètement masqué ; pré-tir / partiellement masqué ; pré-tir / visible, etc.). Pour chaque combinaison de phase et de code (p. ex., pré-tir / complètement masqué), la variable dépendante pour chacune des 10 caméras était le nombre d’images que le codeur classait comme ce code (p. ex., le nombre d’images complètement masquées). Nous avons utilisé un modèle à deux facteurs à effets aléatoires, avec accord absolu, à un seul évaluateur / mesure (McGraw et Wong, 1996a, 1996b), qui équivaut au CCI de Shrout et Fleiss (1979) (2,1). Les neuf CCI allaient de 0,995 à 1,000 ; les limites inférieures des intervalles de confiance à 95 % allaient de 0,987 à 0,999 et les limites supérieures de 0,999 à 1,000. Ces résultats indiquent une excellente fiabilité (Cicchetti, 1994 ; Koo et Li, 2016), ce qui est prévisible compte tenu du fait que la détermination de la visibilité de la cible était relativement simple et que tout désaccord ne se serait appliqué qu’à une petite proportion d’images de chaque exercice de tir (p. ex., si le bras du policier avait bougé d’une position qui ne masquait pas la cible à une qui la masquait complètement).

Réduction et analyse des données

À la suite du codage, nous avons calculé le pourcentage du nombre total d’images dont la cible était : a) entièrement masquée ; b) partiellement masquée ; c) entièrement visible. Ces mesures ont été calculées pour chaque positionnement des caméras. Aux fins de la réduction des données, le pourcentage du total des images pour lesquelles la cible était entièrement visible a été utilisé comme mesure principale pour les analyses statistiques. De plus, les exercices et les armes à feu ont été agrégés entre les trois agents pour mieux représenter la variabilité naturelle observée par les agents sur le terrain. Comme les données n’étaient pas normalement distribuées, nous avons décidé de comparer les pourcentages médians à l’aide d’un test non paramétrique. Pour déterminer en quoi le positionnement influençait la visibilité globale, nous avons effectué des tests de somme des rangs de Wilcoxon par paires entre les positionnements en utilisant l’ajustement Benjamini-Yekutieli pour contrôler les comparaisons multiples (Benjamini et Yekutieli, 2001). Des tests supplémentaires de somme des rangs de Wilcoxon par paires ont été effectués sur les positionnements pendant la phase de pré-tir, car ce temps est particulièrement intéressant pour assurer la visibilité maximale et ainsi mieux comprendre la prise de décision d’un policier immédiatement avant le tir. Toutes les réductions de données et analyses statistiques ont été effectuées à l’aide de RStudio[12].

Résultats

Nous présentons d’abord les résultats pour le pourcentage des images entièrement visibles, puis ceux pour le pourcentage des images partiellement visibles. Nous analysons ensuite de quelle façon la position de départ et l’utilisation de la barricade ont influencé la visibilité.

Visibilité entière de l’image

La visibilité globale (regroupant toutes les phases de tir) des positionnements des caméras avec chaque arme à feu est montrée à la Figure 2.

Figure 2

Visibilité globale des positionnements des caméras avec chaque arme à feu

Visibilité globale des positionnements des caméras avec chaque arme à feu

Légende : Hat Left = Chapeau – à gauche ; Hat Right = Chapeau – à droite ; Glasses Left = Lunettes – à gauche ; Glasses Right = Lunettes – à droite ; Shoulder Left : Épaule gauche ; Shoulder Right = Épaule droite ; Chest = Poitrine ; Firearm = Arme à feu ; Percentage Fully Visible = Pourcentage visibilité entière (%)

Shotgun = Carabine ; Patrol Rifle = Fusil d’assaut ; Handgun = Arme de poing

Diagrammes en boîte (boîtes à moustaches), moyennes et intervalles de confiance à 95 % du pourcentage des images à visibilité complète pour tous les exercices et policiers pour chaque positionnement de la caméra portative et l’arme utilisée. Les données représentent la visibilité globale (c.-à-d. toutes les phases des exercices de tir regroupées).

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Il n’y avait que trois points de données pour la carabine, car il n’a été utilisé que pour un seul exercice (avec les trois agents). Le fusil d’assaut a été utilisé pour 11 exercices et l’arme de poing pour 19 exercices. En général, les caméras installées à la tête (chapeau et lunettes) ont enregistré un pourcentage plus élevé d’images entièrement visibles que les caméras portées à d’autres endroits, une observation constante pour les trois phases et de manière globale (Suss et al., 2018).

Tableau 2

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité entière pour toutes les phases de tir

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité entière pour toutes les phases de tir

Les comparaisons sont présentées ainsi : ligne supérieure moins colonne comme écart médian (valeur p). EI = écart interquartile.

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Tableau 3

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité entière durant la phase de pré-tir

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité entière durant la phase de pré-tir

Les comparaisons sont présentées ainsi : ligne supérieure moins colonne comme écart médian (valeur p). EI = écart interquartile.

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Les résultats des tests de somme des rangs de Wilcoxon par paires sont présentés au Tableau 2 pour ce qui est de la visibilité globale (regroupant toutes les phases de tir) et au Tableau 3 pour la phase de pré-tir. Dans l’ensemble, pour toutes les phases, les caméras installées à la tête (chapeau et lunettes) et celle à la poitrine avaient la meilleure visibilité et n’étaient pas significativement différentes les unes des autres. Pendant la phase de pré-tir, les caméras à la tête ont fourni une visibilité supérieure à toutes les autres caméras. Celle à la poitrine offrait une meilleure visibilité que la caméra sur l’arme à feu et les deux caméras à l’épaule dans l’ensemble et pendant la phase de pré-tir.

Visibilité partielle de l’image

Comme il n’y avait pas de positionnement où la cible était entièrement visible 100 % du temps, il convient d’examiner le pourcentage d’images où la cible était au moins partiellement visible (pour des synthèses du pourcentage d’images partiellement visibles par positionnement et phase de tir, voir Suss et al., 2018). Les résultats des tests de somme des rangs de Wilcoxon par paires sont présentés au Tableau 4 pour la visibilité globale et au Tableau 5 pour la phase de pré-tir. Dans l’ensemble, pour toutes les phases et toutes les armes, les caméras installées sur les lunettes avaient moins d’images partiellement visibles que dans les autres positionnements ; la caméra à la poitrine avait moins d’images partiellement visibles que les caméras à l’épaule. Pendant la phase de pré-tir, les caméras à la tête avaient généralement moins d’images partiellement visibles par rapport aux caméras dans tous les autres positionnements. Par contre, alors que la caméra installée sur le côté gauche des lunettes avait moins d’images partiellement visibles que les caméras à l’épaule, à la poitrine et sur l’arme à feu, la caméra sur le côté droit des lunettes n’avait, en comparaison, moins d’images partiellement visibles que seulement avec les caméras à la poitrine et sur l’arme à feu.

Comparaison avec différentes positions de départ

Pour analyser l’effet de la position de départ sur la visibilité, nous avons comparé un exercice avec une arme de poing que les agents ont entrepris en faisant face à la cible (H01) à un exercice commencé par les agents à 90° vers la droite (H04). Nous l’avons fait en calculant le pourcentage médian de l’image : a) entièrement masquée ; b) partiellement visible ; et c) entièrement visible pour chaque positionnement. Nous avons également fait la distinction entre la phase de pré-tir et la phase de tir. Pendant la phase de pré-tir, le pourcentage médian de l’image entièrement masquée était généralement plus élevé pour tous les positionnements où les agents avaient commencé l’exercice détournés par rapport à la cible comparativement à lorsqu’ils l’avaient entrepris en lui faisant face. En conséquence, le pourcentage médian de l’image entièrement visible pendant la phase de pré-tir était généralement plus élevé pour tous les positionnements lorsque les agents avaient entrepris l’exercice en faisant face à la cible comparativement à quand ils l’avaient commencé détournés par rapport à la cible. Pendant la phase de tir (face à la cible), le pourcentage médian de l’image entièrement masquée était similaire pour les deux exercices (pour chaque positionnement), tout comme le pourcentage médian de l’image entièrement visible.

Tableau 4

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité partielle pour toutes les phases de tir et pour toutes les armes

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité partielle pour toutes les phases de tir et pour toutes les armes

Les comparaisons sont présentées ainsi : ligne supérieure moins colonne comme écart médian (valeur p). EI = écart interquartile.

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Tableau 5

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité partielle pour toutes les armes durant la phase de pré-tir

Écart médian par paires du pourcentage de l’image à visibilité partielle pour toutes les armes durant la phase de pré-tir

Les comparaisons sont présentées ainsi : ligne supérieure moins colonne comme écart médian (valeur p). EI = écart interquartile.

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Comparaison avec et sans barricade

Pour analyser l’effet de la barricade sur la visibilité, nous avons comparé quatre exercices avec une arme de poing au cours desquels les agents ont tiré sans barricade (H01, H05, H09, H13 ; nombre total de coups tirés = 16) à un exercice où les agents ont tiré en étant protégés par une barricade (H19 ; nombre total de coups tirés = 16). Les quatre exercices sans barricade ont été sélectionnés pour leur équivalence fonctionnelle aux exercices avec barricade ; deux exercices (H01, H05) obligeaient les policiers à tirer en tenant l’arme à deux mains, et deux exercices (H09, H13) exigeaient que les policiers tirent avec une seule main. Nous avons calculé le pourcentage médian de l’image qui était : a) entièrement masquée ; b) partiellement visible ; et c) entièrement visible pour chaque positionnement. Nous avons également fait la distinction entre la phase de pré-tir et la phase de tir. Pendant la phase de pré-tir, le pourcentage médian de l’image entièrement masquée était généralement plus élevé pour tous les positionnements lorsque les agents tiraient de derrière une barricade comparativement à quand ils n’en utilisaient pas. Par conséquent, le pourcentage médian de l’image entièrement visible pendant la phase de pré-tir était généralement plus élevé pour tous les positionnements lorsque les agents n’utilisaient pas de barricade comparativement à quand ils tiraient de derrière la barricade. Une tendance similaire a été observée pendant la phase de tir : la visibilité était plus élevée lorsque les agents n’utilisaient pas de barricade.

Discussion

La littérature sur les caméras portatives révèle que le positionnement de la caméra est un facteur pouvant influencer l’utilité des images enregistrées à des fins d’enquête et de preuve. À notre connaissance, cette étude constitue une première tentative d’évaluer systématiquement l’effet du positionnement de la caméra portative sur la qualité des images. Nous avons abordé cette question d’ergonomie en installant plusieurs caméras portatives sur trois policiers et en filmant divers exercices de tir avec une arme de poing, un fusil d’assaut et une carabine. Chaque image de la séquence vidéo a été codée manuellement en fonction du degré de visibilité d’une cible. Les images ont été analysées en comparant le pourcentage d’images où la cible était entièrement visible à toutes les combinaisons par paires de caméras. En considérant l’ensemble des images (sans tenir compte des différentes phases), les caméras installées à la tête et à la poitrine ont toutes fourni une meilleure visibilité de la cible par rapport aux caméras à l’épaule. Il n’y avait pas de différences significatives pour le pourcentage d’images où la cible était entièrement visible entre les caméras à la tête et celle à la poitrine. Par contre, en nous intéressant tout particulièrement à la phase de pré-tir – la partie cruciale de la séquence pour des fins d’enquête post-fusillade –, nous avons constaté que les caméras à la tête offraient une visibilité supérieure par rapport à tous les autres positionnements, y compris la caméra portée à la poitrine. Nous avons examiné les séquences vidéo de la caméra à la poitrine pour mieux comprendre pourquoi cet emplacement montrait une visibilité réduite de la cible pendant la phase de pré-tir (par rapport aux caméras à la tête). Durant cette phase, les agents retiraient leur arme de poing de l’étui, étendaient leur bras et élevaient l’arme de poing au niveau des yeux ou déplaçaient le fusil d’assaut ou la carabine de la position basse à la position de tir. En exécutant ces mouvements rapidement (comme cela peut être nécessaire dans un contexte opérationnel), les mains, les bras ou l’arme du policier coupaient généralement la vue de la caméra portée à la poitrine vers la cible. En examinant la vidéo, il était évident que les bras et les mains des policiers – ainsi que l’arme elle-même – masquaient la vue de la caméra sur la cible à certains moments de la phase de pré-tir.

Cette étude indique que les caméras portées à la tête, situées sur le côté gauche ou droit d’un chapeau ou de lunettes, représentent le meilleur positionnement pour optimiser la visibilité d’une cible. Notons que les caméras portées aux épaules ont généralement fourni une visibilité de la cible relativement faible à toutes les phases. Cette faible visibilité s’explique par le fait qu’en se mettant en position de tir, les épaules du tireur bougent, et ce mouvement des épaules peut faire en sorte de déplacer le vêtement porté et, du coup, le support de la caméra d’épaule (fixé à l’épaulette de la chemise ou à l’épaule d’un gilet tactique externe). Les supports de caméra d’épaule ne fournissent donc pas une plateforme stable pour y installer une caméra. Nous avons observé que, lorsque les policiers bougeaient les épaules en prenant une position de tir, la caméra portée à l’épaule avait tendance à tomber en avant de sorte qu’elle pointait vers l’intérieur (vers le centre du corps du policier) et vers le bas. C’est ce qui a été observé par le technicien et qui semble indiquer pourquoi peu d’agents choisissent d’y installer leur caméra portative, manifestement à cause du manque de stabilité.

Bien qu’il n’y ait pas de différences significatives entre les quatre caméras portées à la tête en termes de pourcentage médian d’images où la cible était entièrement visible, nous avons noté que le pourcentage d’images entièrement visibles capturées par la caméra à droite des lunettes avait un degré élevé de variabilité dans la phase de tir. Nous avons donc examiné les séquences vidéo pour comprendre pourquoi cette caméra offrait moins de visibilité que la caméra à gauche des lunettes. Il en résulte que, les trois policiers ayant comme oeil dominant celui de droite, ils avaient tendance à tourner ou à incliner légèrement la tête vers la droite lorsqu’ils visaient et tiraient – peut-être pour aligner leur oeil droit sur le viseur de l’arme à feu et sur la cible. Ce faisant, la caméra droite a été déplacée à droite de la cible et donc hors de l’alignement direct avec celle-ci. Il est même arrivé que la cible ne devienne que partiellement visible sur le côté gauche de l’image vidéo pour cette raison. Les caméras correspondantes, sur le côté gauche de la tête, n’étaient pas non plus directement alignées avec la cible, mais étaient toujours en mesure de capturer la totalité de la cible dans le cadre. La deuxième génération de la caméra Axon Flex a un champ de vision horizontal plus large (120°) que la caméra de première génération utilisée dans cette étude (75°). L’augmentation du champ de vision pourrait toutefois remettre en question la variabilité associée à la caméra portée à droite des lunettes.

La comparaison des différentes positions de départ est pertinente dans les cas où les agents ne font pas déjà face à un suspect (lorsqu’il est surpris ou pris en embuscade par exemple). Les résultats descriptifs semblent indiquer que peu importe le positionnement des caméras portatives, elles risquent de ne pas pouvoir capturer certaines informations clés alors que les agents se tournent vers la cible. La comparaison des exercices avec et sans barricade a permis de relever que le tir de derrière une barricade nuit à la visibilité, quel que soit l’emplacement de la caméra.

Recommandations

Il importe de mentionner que les agents ne reçoivent en général qu’une seule caméra portative, destinée à capturer un large éventail d’interactions entre le policier et les citoyens (contrôles routiers, appels pour violence familiale, fouilles dans des immeubles, enquêtes sur des personnes disparues, poursuites à pied, etc.) à divers degrés de risque et de vigilance. Comme il n’existe pas de positionnement optimal qui puisse garantir une bonne visibilité en toutes circonstances, il faut composer avec la situation. Par exemple, les policiers apprennent généralement à se mettre à l’abri derrière des objets solides dans des situations exigeant un recours à la force et à s’exposer le moins possible. Dans ces cas, la vue des caméras portées au torse peut être obstruée par la barricade et donc avoir peu ou pas de valeur probante. La caméra placée à la tête semble être une solution à ce problème, même si la barricade peut aussi obstruer la vue de la caméra, selon le côté de la tête où se trouve la caméra et la position du policier derrière la barricade (voir anecdote, Suss et al., 2018, p. 18-19).

Au moment de se procurer des caméras portatives, les forces de l’ordre et les services de police doivent considérer de multiples facteurs – parmi lesquels le coût n’est pas le moindre – en plus de tenir compte des avantages des caméras portées au torse ou à la tête en termes de visibilité. Le champ de vision des caméras doit être évalué, ainsi que le positionnement, la force et la stabilité des types de caméras offerts. Les services de police qui optent pour un système de caméra portative permettant le positionnement à la tête ou sur le corps devraient offrir à leurs agents des directives sur son installation, qu’elles soient offertes sous forme de proposition (« il est conseillé de porter la caméra à la tête ») ou d’exigence explicite (« la caméra doit être installée à la tête »).

Facteurs humains et ergonomiques à considérer

Le type de verres (polarisés ou assombris) des lunettes portées par certains agents est un élément à considérer quand il est question d’y installer une caméra portative. Bien que les lentilles polarisées et assombries soient idéales en pleine lumière du jour à l’extérieur, la visibilité peut être réduite lorsqu’elles sont portées à l’intérieur. C’est la raison pour laquelle certains agents déplacent systématiquement leurs lunettes sur leur tête lorsqu’ils entrent dans un bâtiment afin de voir clairement. La caméra pointant donc vers le haut, au-dessus du point de focalisation du policier, il est peu probable que la caméra rapporte des images utiles de l’évènement. Compte tenu de ce fait, les agents pourraient avoir une deuxième monture, à un autre endroit, et ainsi déplacer rapidement la caméra sur l’autre monture avant de lever leurs lunettes et d’aller à l’intérieur (Suss et al., 2018). Il y a tout de même un risque que les agents oublient de déplacer la caméra, en particulier lorsque la situation est urgente ou lorsqu’ils sont stressés. Une autre option consiste à installer une caméra au niveau de la tête, mais non sur la paire de lunettes, mais sur une monture pour serre-tête.

Quelle que soit l’option retenue, il faut aussi tenir compte du confort et surtout des longues heures d’utilisation continue. Les agents travaillant généralement par quarts d’au moins 8 heures, ils peuvent ressentir de l’inconfort au fil des heures, dû au positionnement des caméras. Par exemple, nous avons entendu dire que certains agents ont signalé qu’un serre-tête leur causait des maux de tête, et d’autres que le poids de l’appareil photo fixé à un côté de leurs lunettes était inconfortable. Conformément à la proposition de sélectionner des caméras qui permettent de les installer à différents endroits, les agents pourront opter pour ce qui leur convient si on leur offre plusieurs choix pour l’installation des caméras portatives à la tête et si on les encourage à les essayer au cours de leur travail (Wyllie, 2012). De même, les installations devraient être évaluées en termes de sécurité (si un policier tombe ou est aux prises avec un suspect, est-ce que l’installation pourrait le blesser ou lui nuire dans ses actions ?) et d’ergonomie (Espenant et al., 2015).

Limites

Nous avons essayé de recruter des policiers des deux sexes, qui variaient en taille et selon les vêtements et l’équipement portés (gilet pare-balles externe ou dissimulé, ceinture de service ou gilet tactique, etc.). Il est toutefois possible que notre échantillon restreint ne corresponde pas à toute la variabilité observée chez les policiers. Lors de la collecte des données, nous nous sommes assurés que toutes les caméras portatives étaient alignées avec la cible avant de commencer chaque exercice. Nous avons remarqué à plusieurs reprises qu’une caméra n’était de toute évidence pas alignée, nous l’avons donc réalignée manuellement avant de poursuivre. Toutefois, en raison de contraintes de temps, nous n’avons pas été en mesure de vérifier avant chaque exercice l’alignement précis de chaque caméra à l’aide de son appareil mobile associé. Il est donc possible que certaines caméras aient été légèrement désalignées pendant les exercices et que cela soit passé inaperçu.

En outre, la présente étude ne comprenait que des situations de tir. Les caméras portatives visent un enregistrement objectif de tous les types de contacts entre les policiers et les citoyens, et pas uniquement des incidents qui demandent le recours à une force mortelle. Les recherches futures devraient donc considérer l’effet du positionnement sur la capture d’informations clés dans un plus large éventail de situations. Cela pourrait prendre la forme de jeux de rôle au cours desquels les policiers, munis de répliques d’armes, effectueraient des simulations. En vue de faciliter l’analyse des données tirées d’une telle diversité de scénarios, les chercheurs devront travailler avec des experts de la police pour déterminer ce qui constitue une « information cruciale » dans chaque situation.

Conclusion

L’un des principaux objectifs des caméras portatives est de fournir une preuve visuelle manifeste d’un comportement qui soit utile et admissible devant un tribunal. Le déploiement des caméras portatives doit tenir compte des facteurs humains et ergonomiques en vue d’apporter les avantages probants escomptés. Si l’enregistrement visuel d’un incident n’offre pas les informations cruciales, tant les policiers que les citoyens peuvent être désavantagés devant les tribunaux et face à l’opinion publique.

Comme le notent Espenant et al. (2015) dans leur rapport d’évaluation des caméras portatives, « sélectionner le meilleur positionnement est un problème multicritère, qui doit prendre en compte, entre autres, la capacité à montrer des preuves, la stabilité, la sécurité et la facilité d’utilisation » (p. 22). En nous basant sur deux tests informels menés par des services de police américains comme point de départ, nous avons voulu nous pencher sur la capacité des images des caméras à servir de preuves ainsi que sur l’influence du positionnement des caméras portatives à cet effet. Il s’agit de la première étude à collecter et à analyser des données enregistrées simultanément par plusieurs caméras portées à différents endroits sur un policier lors d’exercices de tir. L’analyse a permis de conclure que, par rapport aux caméras installées sur l’épaule et la poitrine, les caméras portées à la tête étaient supérieures en termes d’optimisation de la visibilité d’une cible pendant la phase de pré-tir. Ces informations devraient intéresser les fabricants de ces appareils portatifs, les organismes chargés de l’application de la loi, les agents munis de cette caméra portative ainsi que les personnes qui enquêtent sur les fusillades impliquant des agents (enquêteurs, témoins experts). Nous souhaitons contribuer à de futurs projets visant à améliorer l’efficacité et l’efficience de la méthode utilisée ici. Les prochains travaux pourraient se servir d’un système de vision informatisé pour calculer une métrique de visibilité, plutôt que du processus fastidieux de codage manuel de chaque image vidéo.