IntroductionImage et justice[Record]

  • Rémi Boivin and
  • Annie Gendron

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  • Rémi Boivin
    Professeur agrégé, École de criminologie, Université de Montréal
    Chercheur régulier, Centre international de criminologie comparée
    remi.boivin@umontreal.ca

  • Annie Gendron
    Chercheure, École nationale de police du Québec
    Chercheure régulière, Centre international de criminologie comparée
    Professeure associée, département de psychoéducation, Université du Québec à Trois-Rivières
    Annie.Gendron@enpq.qc.ca

Le 28 janvier 2021, à Montréal, Mamadi III Fara Camara a reçu une amende pour avoir commis une infraction au Code de la sécurité routière. Quelques instants plus tard, le policier Sanjay Vig était frappé par derrière, désarmé et son agresseur faisait feu à deux reprises dans sa direction. Le policier a pris la fuite et a mentionné lors de son appel pour des renforts que l’agresseur était selon toute vraisemblance le citoyen à qui il venait de remettre un constat d’infraction. Une histoire apparemment simple : M. Camara a rapidement été arrêté et accusé de tentative de meurtre. Sauf que l’affaire a pris une tournure inattendue lorsque des témoins ont rapporté la présence d’un troisième homme au moment de l’agression et, surtout, lorsqu’un enregistrement vidéo a été présenté à la juge qui présidait la première audience de ce qui devait devenir le procès contre M. Camara. Au moment d’écrire ces lignes, le contenu exact de l’enregistrement vidéo était inconnu du public, mais ce qu’on sait, c’est que les accusations envers M. Camara ont été immédiatement suspendues, qu’il a été libéré et complètement exonéré dès le lendemain. Que serait-il arrivé si cette vidéo n’avait pas fait surface ? Cette question brûlante restera sans réponse, mais certains commentateurs n’hésitent pas à dire que M. Camara aurait été jugé et peut-être condamné pour un crime qu’il n’avait pas commis tellement l’histoire paraissait simple. Au contraire, la présentation de la vidéo a relancé l’enquête policière et un nouveau suspect a été recherché. Cette histoire a été abondamment commentée et alimentera sans doute les discussions sur le système judiciaire pour un bon bout de temps. En particulier, l’affaire Camara illustre parfaitement le pouvoir de l’image et l’influence qu’elle peut avoir sur la justice en ce début de 21e siècle. La très grande disponibilité des moyens technologiques a nettement démocratisé l’image comme élément de preuve (Fan, 2019). Au cours des dernières années, l’accessibilité à des moyens permettant de capter des images photographiques ou vidéo a rapidement augmenté : par exemple, les trois quarts des Québécois possédaient un téléphone intelligent en 2019, et la proportion était encore plus importante chez les Français. Ces appareils sont pour la plupart équipés de caméras qui permettent à leurs utilisateurs de saisir des images de bonne qualité, à tout moment. Et surtout, les images peuvent maintenant voyager à un rythme inégalé grâce aux médias sociaux (ou à cause d’eux). Un terme a même été inventé pour désigner ce phénomène : la « viralité » d’une information. Plus encore, une étude a récemment démontré que les messages liés à une image étaient plus susceptibles d’être partagés, surtout si cette image était potentiellement controversée (Li et Xie, 2020). Ensuite, la célérité de la réponse de la justice devant l’enregistrement vidéo montre tout le pouvoir de l’image : M. Camara a été libéré par la juge immédiatement après le visionnement de la vidéo, et exonéré dès le lendemain. Certains se demandent même si le poids accordé à la vidéo n’est pas exagérément grand. Par exemple, Jones, Crozier et Strange (2017) ont mené une expérience dans laquelle ils ont montré à une partie de leurs participants l’enregistrement vidéo d’une intervention policière et à d’autres le rapport policier, ou les deux éléments combinés en faisant varier l’ordre. Leurs résultats sont clairs : la vidéo a un immense pouvoir sur notre compréhension, mais ce pouvoir n’est pas le même pour tous. D’un côté, le fait de visionner la vidéo a permis de corriger les erreurs de compréhension de la plupart des participants. De l’autre côté, les participants qui s’identifiaient le plus aux policiers avaient tendance …

Appendices