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Introduction

Au cours des vingt dernières années, on a vu dans la littérature scientifique un engouement pour l’étude de la confiance du public envers la police. Ce n’est pas étonnant, considérant les implications connues de cette forme de jugement pour la police et les citoyens. Par exemple, plusieurs études ont montré que le fait de promouvoir la confiance du public envers la police aide à accroître la perception qu’elle est légitime et encourage la coopération volontaire des citoyens avec elle (soutien pour les initiatives policières, adhésion volontaire aux lois et aux décisions des policiers, etc.) (Sunshine et Tyler, 2003 ; Tyler, 2011 ; Tyler et Blader, 2003 ; Tyler et Fagan, 2008).

Relativement à cet engouement, deux principaux modèles dont le but est de comprendre cette confiance se démarquent. D’un côté, on retrouve le modèle instrumental basé sur la perspective traditionnelle selon laquelle le rôle essentiel de la police est de réprimer le crime. Ainsi, lorsqu’elle s’acquitte de ce rôle, les citoyens ont confiance en la police. De l’autre côté, il y a le modèle expressif, qui soutient que le public a confiance en la police lorsque cette dernière est perçue comme maintenant le lien social dans les communautés dans un sens plus large (Jackson et Bradford, 2009 ; Jackson, Bradford, Hohl et Farrall, 2009 ; Jackson et Sunshine, 2007). Bien que ces deux modèles favorisent différentes composantes du travail des policiers, les études ont utilisé des mesures indirectes pour refléter ces dernières. Par exemple, plutôt que d’examiner la satisfaction des citoyens en lien avec la capacité de la police à réprimer le crime, ces études ont utilisé la perception du public quant à la prévalence du crime dans leur communauté. Cette utilisation de mesures indirectes pourrait être expliquée par la confusion et l’usage de façon interchangeable des notions de confiance et de satisfaction retrouvées communément dans la littérature scientifique.

Cette confusion est problématique. En effet, la satisfaction et la confiance sont des notions distinctes (Cao, 2015 ; Roché, 2016) qui ont des implications bien différentes pour les citoyens, la police et leurs relations. Conformément, il est nécessaire de bien comprendre les mécanismes sous-jacents à ces perceptions pour être en mesure de présenter un portrait juste des relations police-communautés ainsi que leurs facteurs influents. Bien que les études portant sur les perceptions des citoyens envers la police soient nombreuses, comme l’explique Roché (2016), nous avons encore très peu de recul par rapport à ce champ de recherche. Ceci est notamment vrai en ce qui a trait à l’utilisation des différents types de perception et de leur interprétation. L’article contribue donc à la littérature scientifique en proposant une clarification conceptuelle des notions de satisfaction et de confiance. Plus précisément, l’article examine empiriquement la distinction entre la satisfaction des citoyens envers les différentes facettes du travail des policiers et leur niveau de confiance dans la police. L’article examine également les liens entre ces deux perceptions.

Satisfaction et confiance

Dans la littérature scientifique, les notions de satisfaction et de confiance ont souvent été confondues ou utilisées de façon interchangeable, et ce, bien qu’elles aient des implications différentes (Cao, 2015 ; Roché, 2016). Par exemple, certaines études canadiennes sur les perceptions du public de la police déclarent explorer la confiance dans la police alors qu’un regard attentif révèle que ces chercheurs ont plutôt utilisé des mesures de satisfaction (par ex. : Cao, 2011, 2014 ; Madon, 2018 ; Sprott et Doob, 2014). Cette observation ne remet pas en question pour autant leur contribution à l’étude générale des perceptions de la police, mais elle reflète certainement une critique d’Alvesson (2002) sur l’utilisation du langage dans les sciences sociales. Ce dernier soutient que nous ne remettons pas assez souvent en question les mots et les expressions utilisés dans nos études et comment le choix des mots et des expressions influence les participants et notre propre interprétation des résultats. Bien que le but de l’article ne soit pas de proposer une définition définitive de ces deux notions, il est certainement nécessaire de les différencier. Pour ce faire, nous nous inspirons principalement de la distinction proposée par Roché (2016), accompagnée toutefois d’éléments provenant des écrits d’autres chercheurs s’étant penchés sur la question.

On peut définir la satisfaction comme l’évaluation de « quelque chose » à un niveau attendu (Cao, 2015 ; Giese et Cote, 2002 ; Roché, 2016 ; Tse et Wilton, 1988)[2]. Par « quelque chose », nous pouvons entre autres penser à une action, un comportement ou un état d’être (comme le niveau de confort ou la qualité de vie). Par exemple, si les citoyens s’attendent à ce que les agents de police répondent aux appels rapidement et qu’ils considèrent que ceux-ci s’acquittent de cette tâche de manière efficace, les citoyens seront satisfaits relativement à cette facette du travail des policiers. Cette définition comporte deux éléments essentiels. Premièrement, on retrouve une évaluation devant des attentes : si la chose évaluée est égale ou surpasse nos attentes, on sera alors satisfait (Giese et Cote, 2002 ; Tse et Wilton, 1988). Deuxièmement, on retrouve un élément d’ordre temporel : la satisfaction est nécessairement « consécutive » à la chose évaluée (Roché, 2016, p. 35).

Roché (2016) propose de distinguer l’appréciation générale du travail des policiers et la satisfaction qui découlerait d’interactions directes avec la police : « La satisfaction porte sur l’évaluation d’une relation lors d’une action voulue ou subie, d’une interaction que j’ai eue avec les agents. Elle suppose un “usager” de la police ou de la gendarmerie. Elle préjuge ensuite un jugement sur ledit contact » (p. 32). Nous sommes d’accord que l’évaluation faite par une personne à la suite d’un contact direct avec la police relève d’une évaluation de satisfaction. Toutefois, nous argumentons que la satisfaction des citoyens envers le travail des policiers ne se forme pas uniquement à partir de contacts directs. Comme le soutient Roché (2016), les interactions avec la police sont généralement rares. Ainsi, les résultats de sondages proviennent principalement de personnes qui n’ont jamais eu (ou très peu eu) de contact avec la police. Toutefois, nous soutenons que cela n’empêche pas ces citoyens d’avoir des attentes envers la police et d’évaluer le travail des policiers en fonction de ces attentes au même titre que ceux qui ont eu des interactions directes avec la police. Or, cette évaluation se fait de manière indirecte à travers, par exemple, l’expérience d’autrui, les médias, les médias sociaux, les films ou les émissions de télévision (voir Rosenbaum, Schuck, Costello, Hawkins et Ring, 2005). Nous ne remettons aucunement en question le bien-fondé de vouloir, dans certaines situations, distinguer ces deux catégories de répondants. Il est même très probable qu’il existe des différences significatives entre les deux. Par contre, nous soulevons que même les personnes qui n’ont jamais eu de contact avec la police internalisent différents niveaux de satisfaction envers elle (c.-à-d. une évaluation postérieure en lien avec des attentes) et que cela a un impact sur les relations police-communautés.

Nous pouvons définir la confiance comme une évaluation favorable du risque en lien avec des actions, des comportements ou des états d’être futurs (Cao, 2015 ; Jackson et Gau, 2015 ; Roché, 2016 ; Stoutland, 2001). On retrouve dans cette définition trois composantes essentielles. Premièrement, cette perception est orientée vers le futur dans la mesure où elle précède l’action, le comportement ou l’état d’être (Jackson et Gau, 2015 ; Roché, 2016). Il s’agit de l’une des différences les plus marquées avec la notion de satisfaction qui, elle, est orientée vers le passé (Roché, 2016). Deuxièmement, elle comprend une composante de tolérance au risque. En effet, il est impossible pour la personne d’être certaine que le résultat sera tel qu’attendu (Cao, 2015 ; Jackson et Gau, 2015). Troisièmement, on retrouve une composante en lien avec des attentes, tout comme pour la satisfaction. Ainsi, la confiance dans la police représente « [a] subjective judgment that a trustor makes about the likelihood of the trustee following through with an expected and valued action under conditions of uncertainty » (Jackson et Gau, 2015, p. 54)[3].

Pour qu’une personne ait confiance, elle doit nécessairement fonder son évaluation sur certaines preuves ou certains indices (Roché, 2016), ceux-ci pouvant être concrets ou instinctifs (Hart, 1988). Comme l’explique Roché (2016), « la confiance se mérite plutôt qu’elle ne se paie […]. Elle s’acquiert par bribes, dans divers moments qui n’ont pas tous la même valeur » (p. 30). Ainsi, bien que la satisfaction et la confiance soient des notions différentes, cela n’exclut pas une potentielle association. Les deux notions font référence à des attentes, en deux temps toutefois : l’une est rétrospective, l’autre prospective. Nous argumentons dès lors que se basant sur l’évaluation postérieure du travail des policiers en lien avec leurs attentes (c.-à-d. la satisfaction), les citoyens évaluent le risque associé aux actions, aux comportements et aux états d’être futurs des policiers (c.-à-d. la confiance). En d’autres mots, le niveau de satisfaction des citoyens envers différents aspects du travail policier peut servir de preuve pour motiver ou non leur confiance.

Les sources de confiance envers la police

Ayant défini et distingué les notions de satisfaction et de confiance, il convient de s’interroger sur les sources de confiance envers la police. Traditionnellement, la police est définie par son accès légitime à la force coercitive et son rôle en tant que principal acteur concerné par la répression du crime (Brodeur, 2003 ; Jobard et de Maillard, 2015 ; Reiner, 2010). Ainsi, le modèle instrumental soutient que lorsque la police est perçue par les citoyens comme s’acquittant de ce rôle de manière efficace, ces derniers auront confiance en la police puisqu’ils se sentiront alors protégés et en sécurité relativement aux actes criminels (Jackson et Bradford, 2009 ; Jackson et al., 2009 ; Jackson et Sunshine, 2007).

« [T]he expectation here is that confidence suffers when people are worried about falling victim to crime : people look to the police for protection ; fear of crime leads them to judge the police as ineffective and failing to fulfil its most basic purpose »

Jackson et al., 2009, p. 103

Pour sa part, le modèle expressif soutient que la confiance dans la police ne dépendrait pas du sentiment de sécurité des citoyens ou de leur peur du crime à proprement parler. Elle dépendrait plutôt de considérations plus symboliques en lien avec ce que représentent le crime et les désordres de toutes sortes (graffiti, déchet, bruit, etc.) pour le lien social et la cohésion dans leur communauté (Jackson et Bradford, 2009 ; Jackson et al., 2009 ; Jackson et Sunshine, 2007).

[T]his approach suggests that rule breaking is an affront to shared values and norms, and that people base their opinion of the police not on whether they fear for their own safety or their sense of the crime problem, but on the extent to which they believe the police are addressing the moral consequences of rule-breaking behaviour.

Jackson et al., 2009, p. 103[4]

En somme, la confiance accordée à la police émergerait lorsque cette dernière est perçue comme agissant en tant que gardien du lien social[5] (Jackson et Bradford, 2009 ; Jackson et al., 2009 ; Jackson et Sunshine, 2007).

On retrouve dans la littérature sur la confiance dans la police une troisième perspective théorique qui est souvent conjuguée avec le modèle expressif. Inspiré des travaux de Tom R. Tyler et ses collègues sur la justice procédurale, le modèle relationnel soutient que la confiance dans la police a une association positive avec la manière dont la police est perçue comme traitant les citoyens (Jackson et Sunshine, 2007). Selon cette perspective, les citoyens sont particulièrement concernés par un traitement juste, équitable et respectueux de la part de la police (Sunshine et Tyler, 2003 ; Tyler et Blader, 2003). Bien que cette perspective puisse être considérée indépendamment, Jackson et Sunshine (2007) dénotent également un lien avec le modèle expressif. En effet, ils soutiennent que la manière dont la police traite les citoyens a pour effet de communiquer leur adhésion ou non aux valeurs normatives des communautés. Ainsi, la police peut démontrer qu’elle est concernée par le maintien du lien social et de la cohésion des communautés entre autres par la manière dont elle traite les gens.

On retrouve dans ces trois modèles un lien direct avec les notions de satisfaction et de confiance. Premièrement, ces modèles font référence à des attentes que les citoyens ont envers la police : une police qui assure la répression du crime et la protection des citoyens (le modèle instrumental), une police qui se présente comme gardienne du lien social dans les communautés dans un sens large (le modèle expressif) et une police qui traite les gens de manière juste, équitable et respectueuse (le modèle relationnel). Deuxièmement, il est soutenu que lorsque la police se montre à la hauteur des attentes, les citoyens ont alors confiance en elle. Ainsi, le niveau de satisfaction des citoyens envers ces différentes attentes sert de preuve pour motiver ou non leur confiance dans la police.

Ces trois modèles de la confiance dans la police conçus notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni par Tom R. Tyler, Jonathan Jackson et leurs collègues ont fait leurs marques. On retrouve leurs typologies et leurs approches théoriques dans de nombreux travaux ayant examiné leur saillance dans divers contextes. Par exemple, plusieurs les ont considérés dans différentes régions du monde (Ellison, Pino et Shirlow, 2012 ; Jang et Hwang, 2014 ; Sun, Jou, Hou et Chang, 2014), d’autres, en lien avec différentes caractéristiques sociodémographiques comme l’âge (Adorjan, Ricciardelli et Spencer, 2017 ; Madon, 2018) ou encore l’identité ethnique (Cao, 2011, 2014 ; Van Craen, 2012, 2013). Ces études ont généralement trouvé des évidences pour chacun des trois modèles. Toutefois, la prépondérance de chaque modèle ayant trait au niveau de confiance des individus dans la police ne serait pas la même. En effet, ces études pointent généralement vers la primauté du modèle expressif et du modèle relationnel.

Méthodologie

La base de données

La présente étude mobilise l’Enquête sociale générale (ESG) de 2014 de Statistique Canada. Il s’agit d’un échantillon probabiliste et représentatif de la population canadienne âgée de 15 ans ou plus, vivant dans un ménage privé dans l’une des dix provinces canadiennes[6]. L’ESG utilise un plan d’échantillonnage par stratification basé sur les ménages. Seulement une personne par ménage peut répondre à l’enquête, celle-ci étant sélectionnée aléatoirement. En 2014, l’ESG sélectionne un échantillon de 79 000 ménages. L’échantillon inclut les réponses de 33 089 répondants. Il est à noter qu’à l’exception des variables nécessaires au plan d’échantillonnage (âge, sexe, lieu de résidence), les répondants à l’ESG ont la possibilité de s’abstenir de répondre aux questions. Même si cela signifie qu’on retrouve des données manquantes pour certaines variables, la proportion de données manquantes pour chacune d’entre elles est sous le seuil critique de 10 %. Il ne risque donc pas d’y avoir un impact significatif sur les résultats et leur généralisation. Il a été possible d’accéder à l’ESG par l’entremise du répertoire de données ODESI.

Les variables

Confiance dans la police. La confiance dans la police des répondants a été évaluée par la question suivante : « dans quelle mesure faites-vous confiance au service de police ? ». Les répondants avaient quatre choix de réponse : (1) aucune confiance, (2) très peu de confiance, (3) une certaine confiance, et (4) une grande confiance. Les répondants ont été informés que cette question exclut toute personne qui n’a pas l’autorité de faire une arrestation (agents de sécurité et agents chargés d’appliquer des règlements).

Satisfaction envers la police. La satisfaction des répondants en lien avec différentes facettes du travail des policiers a été évaluée selon six items. On a demandé aux répondants : « selon vous, le travail de votre police locale est-il bon, passable ou mauvais quand il s’agit : (a) d’assurer la sécurité des citoyens de votre voisinage ; (b) de répondre rapidement aux appels ; (c) de faire respecter la loi ; (d) d’informer le public sur la prévention d’actes criminels ; (e) d’avoir une attitude ouverte, invitant à la discussion ; et (f) de traiter les personnes équitablement ? » Les répondants pouvaient répondent par : (1) mauvais, (2) passable, et (3) bon. Ici aussi, les répondants ont été informés que cette question excluait toute personne n’ayant pas l’autorité de faire une arrestation.

Concernant les sources de confiance envers la police, on peut classer les six items parmi les trois modèles théoriques décris préalablement. Par exemple, les items (a) et (b) relèvent directement du modèle instrumental alors que les items (e) et (f) relèvent du modèle relationnel. Les items (c) et (d) sont toutefois quelque peu ambigus. Premièrement, la satisfaction des citoyens en lien avec la capacité de la police à faire respecter la loi (item c) pourrait être vue comme relevant à la fois du modèle instrumental et du modèle expressif. D’une part, la capacité de la police à faire respecter la loi peut évoquer son rôle en lien avec la répression du crime (le modèle instrumental). D’autre part, celle-ci peut représenter un aspect plus symbolique de son travail en lien avec les inquiétudes des citoyens relativement au maintien de la cohésion, des valeurs sociales et des structures morales dans leur communauté (le modèle expressif). En effet, comme l’expliquent Tyler et Boeckman (1997), l’aversion des citoyens pour les infractions aux lois et règlements ne relève pas nécessairement de considérations relatives au danger que pose l’infraction, mais bien de considérations quant à ce que l’infraction représente pour le lien social. Deuxièmement, la satisfaction en lien avec le travail des policiers d’informer le public sur la prévention d’actes criminels (item d) peut relever du modèle instrumental dans la mesure où cela permet de contribuer à la sécurité des citoyens face au crime. Or, cet item de satisfaction peut également relever du modèle relationnel puisqu’il implique un dialogue et un renforcement des liens entre la police et la communauté.

D’un côté, l’ambiguïté de ces variables provient du fait que le questionnaire de Statistique Canada n’a pas été développé en ayant comme fondement les trois modèles théoriques. Ainsi, les items n’ont pas été créés pour être classés selon la typologie théorique des trois modèles. D’un autre côté, la nature complexe de l’interprétation des interactions, des comportements et des actions d’autrui signifie que ceux-ci peuvent représenter plus d’une chose à la fois. De cette façon, une composante du travail des policiers peut par exemple jouer autant sur le plan instrumental de leur travail que sur le plan plus expressif. Il est peut-être préférable de voir les trois modèles théoriques de la confiance envers la police comme des mécanismes profonds et sous-jacents qui émergent à travers diverses facettes du travail des policiers, parfois tout en se chevauchant. Or, cette ambiguïté n’empêche pas l’article d’atteindre son but, soit, d’une part, évaluer empiriquement la distinction entre la confiance des citoyens dans la police et leur satisfaction envers le travail des policiers et, d’autre part, examiner le lien entre ces différents types de perception.

Résultats

Le Tableau 1 ci-dessous fait état d’une analyse de corrélation entre la mesure de la confiance dans la police et celles de la satisfaction envers le travail des policiers. Les coefficients n’indiquent pas de colinéarité entre les variables (entre b = 0,44 et b = 0,57). Cela laisse entendre que les six items de satisfaction représentent des dimensions différentes de la confiance dans la police. Plusieurs des études qui disent examiner la confiance dans la police discutée préalablement agrègent leurs mesures de satisfaction pour dériver une mesure de « confiance ». De ce fait, les six items de satisfaction de la présente étude ont été combinés en une seule mesure (Cronbach a = 0,87). Toutefois, comme pour les items de satisfaction individuelle, le coefficient de corrélation (b = 0,66) indique qu’il s’agit d’une dimension différente de la confiance dans la police.

Tableau 1

Corrélation – Confiance dans la police et satisfaction envers le travail des policiers

Corrélation – Confiance dans la police et satisfaction envers le travail des policiers

1. Ratio moyen de satisfaction envers le travail des policiers : dérivé à partir de la somme des scores pour chacune des variables, divisé par le nombre de variables (n = 6). Alpha de Cronbach = 0,870.

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La Figure 1 examine le lien entre satisfaction et confiance dans la police à travers un modèle de régression logistique ordinale mettant en contraste les six items de satisfaction envers le travail des policiers comme variable indépendante. Le modèle est statistiquement significatif (X2 = 2771,34 ; dl = 6 ; p < 0,05) et explique 49,7 % de la variance en ce qui a trait à la variable portant sur la confiance dans la police (R2 = 0,497). Les coefficients ci-dessous sont standardisés, donc comparables.

Figure 1

Régression logistique ordinale Confiance dans la police et satisfaction envers le travail des policiers

Régression logistique ordinale Confiance dans la police et satisfaction envers le travail des policiers

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Dans un premier temps, il est possible d’observer que les six items de satisfaction envers le travail des policiers sont associés positivement à la confiance dans la police. En d’autres mots, de manière générale, plus les citoyens sont satisfaits du travail des policiers, plus ils ont confiance en la police. Ensuite, les résultats relèvent que les items de satisfaction n’ont pas tous le même poids (la taille d’effet) lorsqu’il s’agit de prédire la confiance dans la police. En effet, l’item de satisfaction ayant l’association la plus importante avec la confiance dans la police des répondants est la perception du fait que la police fait respecter la loi (b = 0,25 ; p < 0,05), suivi de près par la perception que la police traite les gens de manière équitable (b = 0,24 ; p < 0,05). La perception que la police a une attitude ouverte et invitant à la discussion semble également jouer un rôle important pour ce qui est de la confiance dans la police (b = 0,14 ; p < 0,05). Il est intéressant de noter que la satisfaction envers la capacité de la police à répondre rapidement aux appels (b = 0,09 ; p < 0,05), à assurer la sécurité des citoyens du voisinage (b = 0,07 ; p < 0,05) et à informer le public sur la prévention d’actes criminels (b = 0,08 ; p < 0,05) a une association relativement plus marginale avec la confiance des répondants dans la police.

Figure 2

Régression logistique ordinale Confiance dans la police et satisfaction générale envers le travail des policiers

Régression logistique ordinale Confiance dans la police et satisfaction générale envers le travail des policiers

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La Figure 2 examine également le lien entre satisfaction et confiance dans la police, en combinant toutefois les items de satisfaction à travers une variable latente représentant la satisfaction générale des répondants envers la police. Cela permet de prendre en compte la relation et l’apport des différents items de satisfaction en les conciliant sous une variable et d’examiner le lien avec la confiance dans la police. La combinaison des items de satisfaction sous une variable latente présente un bon ajustement statistique (analyse factorielle confirmatoire : RMSEA = 0,09 ; CFI = 0,90 ; TLI = 0,85). Le modèle de régression logistique ordinal est quant à lui statistiquement significatif (X2 = 36980,42 ; dl = 21 ; p < 0,05). Le coefficient ci-dessous est standardisé. Les résultats montrent également une association positive entre la satisfaction générale des répondants et leur niveau de confiance dans la police (b = 0,72 ; p < 0,05). Nous observons également une légère augmentation dans la force explicative du modèle (R2 = 0,52), toutefois de manière marginale. Malgré cette augmentation de la force explicative, le modèle n’explique toujours pas entièrement la variance dans la variable portant sur la confiance dans la police des répondants.

En somme, les résultats ci-dessus soutiennent l’argumentaire selon lequel il y a une distinction entre la satisfaction et la confiance dans la police, et ce, malgré leur association. Ceci est particulièrement remarquable relativement aux études qui ont utilisé les mêmes données et les mêmes items de satisfaction pour soi-disant étudier la confiance dans la police.

Discussion

Le présent article émerge dans un contexte où les études portant sur la confiance du public dans la police s’empilent rapidement. Bien que celles-ci aient constamment su améliorer notre compréhension du phénomène, elles comportent néanmoins certaines limites. On remarque notamment une utilisation de manière interchangeable des notions de confiance et de satisfaction bien qu’elles aient des implications bien différentes. Alors que la satisfaction fait référence à une évaluation postérieure des attentes, la confiance fait référence à une évaluation du risque en anticipation d’actions, de comportements et d’états d’être futurs. Néanmoins, nous avons argumenté qu’il existe un lien entre ces deux notions. Dans le cas spécifique de la police, le niveau de satisfaction des citoyens envers le travail des policiers peut motiver ou non leur confiance dans celle-ci.

Les résultats corroborent l’argumentation. En effet, ceux-ci montrent que la satisfaction envers le travail des policiers et la confiance dans la police représentent des dimensions différentes. Les résultats indiquent également que plus les gens sont satisfaits du travail des policiers, plus ils ont confiance en la police. Toutefois, ce ne sont pas tous les aspects du travail des policiers qui ont la même importance lorsqu’il s’agit de promouvoir la confiance dans la police des citoyens. Les données montrent que la satisfaction au fait que la police fait respecter la loi, qu’elle traite les citoyens équitablement et qu’elle projette une attitude ouverte, invitant à la discussion, avait les associations les plus importantes avec la confiance dans la police.

En ce qui a trait spécifiquement à la satisfaction envers le fait que les policiers font respecter la loi, il a été souligné qu’elle pouvait représenter à la fois le côté instrumental du travail des policiers (répression du crime, protection des citoyens) et le côté expressif (maintien du lien social). Il est intéressant de noter que les autres items de satisfaction directement liés au modèle instrumental (répondre rapidement aux appels et assurer la sécurité des citoyens du voisinage) n’avaient qu’une association marginale avec la confiance dans la police comparativement aux autres items de satisfaction. Cela laisse entendre que l’aspect expressif du travail du policier a un poids plus important lorsqu’il s’agit de motiver la confiance des citoyens dans la police que l’aspect instrumental. Ces résultats réaffirment les conclusions d’une grande majorité d’études portant sur la confiance dans la police.

On retrouve dans ces résultats des points communs avec l’étude du lien entre la confiance dans la police et la légitimité perçue de cette dernière. En effet, la confiance des citoyens dans la police favorise l’accroissement de la perception chez ces derniers que la police est légitime (Bottoms et Tankebe, 2012 ; Lévy, 2016 ; Sunshine et Tyler, 2003 ; Tyler et Blader, 2003). Or, Jackson et ses collègues nous mettent en garde contre les raccourcis (Jackson et Bradford, 2019 ; Jackson et Gau, 2015). Ils soulignent que bien qu’il existe un lien entre ces deux notions, la confiance dans la police n’est pas en soi la légitimité de la police. En fait, il s’agit d’une source de légitimité parmi d’autres dont l’importance peut varier selon le contexte : « What citizens of a particular social, political or legal context deem to be legitimising or delegitimising police conduct may vary from one country to another » (Jackson et Bradford, 2019, p. 4). De façon similaire, la satisfaction des citoyens envers les différents aspects du travail des policiers n’est pas en soi la confiance dans la police. Elle peut motiver ou non la confiance dans la police, mais leur association est contingente.

Bref, étudier la confiance des citoyens est important pour les nombreuses implications dans les relations police-communautés. Notamment, par son association avec la légitimité perçue de la police, elle encourage la coopération volontaire des citoyens avec la police (Sunshine et Tyler, 2003 ; Tyler, 2011 ; Tyler et Blader, 2003 ; Tyler et Fagan, 2008) et aide également à promouvoir une relation police-communautés fondée sur le consentement (Jackson et Gau, 2015)[7]. Plus encore, assurer la confiance et la perception de légitimité de la police chez les citoyens aurait comme effet de promouvoir en outre la perception que l’État est légitime. En effet, la confiance dans la police et la perception de la légitimité de la police s’inscrivent toutes deux dans un contexte plus général de perceptions du fonctionnement de l’État et de ses institutions (Roché et Oberwittler, 2018). Face à ces implications, il est nécessaire de bien comprendre les mécanismes sous-jacents de la satisfaction et de la confiance dans la police pour que les chercheurs puissent s’outiller de manière adéquate pour présenter un portrait juste des relations police-communautés. À cet égard, cet article contribue à la littérature scientifique en établissant empiriquement une distinction entre ces deux notions, collaborant ainsi au dénouement des perceptions de la police entreprises théoriquement par d’autres chercheurs.

L’article prend également part à la littérature scientifique en examinant le lien direct entre la confiance des citoyens dans la police et leur satisfaction envers différents aspects du travail policier. Les résultats montrent que la police ne devrait pas concentrer ses efforts que sur la répression du crime. En effet, dans les relations police-communautés, les citoyens semblent porter une importance particulière à la manière dont la police traite les gens et à la participation de la police au maintien du lien social dans un sens large. Instrumentalement, l’étude participe au bassin de recherche empirique examinant le bien-fondé du modèle expressif, les résultats suggérant la saillance du modèle. Enfin, l’article accroît le nombre restreint d’études s’intéressant à la confiance dans la police dans la littérature francophone.

Suivant cet article, des portes s’ouvrent pour des recherches plus approfondies basées notamment sur les limites de la présente étude. Par exemple, l’étude est limitée par les six items de satisfaction disponibles dans l’Enquête sociale générale. Un plus grand nombre d’items de satisfaction faisant état d’un plus grand éventail d’aspects reliés au travail policier permettrait certainement de préciser encore plus notre compréhension des sources de confiance des citoyens dans la police. Dans un même ordre d’idées, l’étude est également limitée par une mesure simple de confiance dans la police. Toutefois, surmonter ces limites n’aurait vraisemblablement pas d’impact sur la distinction entre les notions de confiance et de satisfaction et la saillance du modèle expressif, compte tenu des nombreuses études corroborant ce modèle. En effet, bien que la mesure de confiance utilisée soit imparfaite, les résultats corroborent les conclusions provenant d’autres études ayant utilisé des mesures différentes. Dans le futur, dans un contexte qui le permet, une étude utilisant une approche qualitative ou même une approche mixte permettrait certainement d’enrichir les résultats, notamment en examinant les éléments subjectifs et contextuels de la confiance dans la police et de son lien avec la satisfaction envers différents aspects du travail des policiers. Plus encore, il est intéressant de se demander comment les résultats ci-dessus sont différents ou demeurent constants lorsque nous examinons différents contextes dans lesquels les policiers opèrent. Par exemple, dans le contexte canadien, le travail des policiers diffère de manière importante entre les communautés urbaines, rurales et éloignées. Est-il ainsi possible que les attentes envers les policiers diffèrent suivant le contexte, et si oui, quelles en sont les implications pour la confiance dans la police ?