Abstracts
Résumé
La criminologie des parcours de vie concernant le désistement de la délinquance a fourni peu de lignes directrices quant aux stratégies d’intervention visant les jeunes adultes. Étant donné le caractère dynamique de la maturité ainsi que de la délinquance à ce stade de développement, la présente étude propose un regard sur le concept de maturité et son impact possible sur le processus de désistement. Bien mettre en évidence les aspects spécifiques de la maturité qui sont importants pour le désistement de la délinquance peut aider les intervenants à déterminer de quelle façon ils peuvent contribuer au processus de désistement lorsqu’ils travaillent auprès de clients plus jeunes pour qui les points tournants traditionnels tels que le mariage et l’emploi ne sont pas nécessairement immédiatement accessibles, voire même pertinents pour ce groupe d’âge. La présente étude s’appuie sur des données concernant les individus de sexe masculin interviewés dans le cadre de l’étude longitudinale Pathways to Desistance Study qui étaient âgés de 16 ou 17 ans au début de l’étude (n = 704). Une série d’analyses statistiques à effets fixes montre que des changements intra-individuels sur le plan de la maturité sont associés à un ralentissement de la délinquance autorapportée. En particulier, les résultats de l’étude mettent en évidence l’importance des changements sur le plan identitaire et psychosocial ainsi qu’une plus grande ouverture quant à l’adoption d’un statut d’adulte. Les stratégies d’intervention qui aident au développement de ces aspects de la maturité sont plus susceptibles de favoriser le processus de désistement d’une clientèle de jeunes adultes.
Mots-clés :
- Délinquance,
- désistement,
- étude longitudinale,
- identité,
- maturité,
- maturité psychosociale,
- rôle d’adulte,
- abandon,
- trajectoire
Abstract
Life course criminology research on desistance has not provided practitioners with much direction about effective areas of focus for intervention strategies, especially during adolescence and emerging adulthood. This gap can be addressed by considering how maturation, an important part of this developmental period, influences desistance. The current study focused on males from the Pathways to Desistance Study who were aged 16 or 17 at baseline (n = 704). Fixed-effects models showed that within-individual increases in psychosocial and identity measures of maturation were associated with within-individual decreases in a person’s self-reported level of offending. The findings highlight the value of intervention and treatment strategies that improve maturation.
Keywords:
- Offending,
- desistance,
- longitudinal study,
- identity,
- maturation,
- psychosocial maturation,
- adult role,
- abandonment,
- trajectory
Resumen
La investigación en criminología sobre las trayectorias de vida que se enfoca en el desistimiento no ha brindado a los profesionales muchas directivas en lo que tiene que ver con áreas centrales para las estrategias de intervención, especialmente durante la adolescencia y la adultez emergente. Esto puede ser abordado, considerando cómo la madurez, que es una parte importante de este período de desarrollo, influencia el desistimiento. El presente estudio se enfoca en hombres del estudio “caminos hacia el desistimiento”, que tenían 16 o 17 al principio (n = 704). Los modelos de efectos fijos mostraron que los aumentos intra-individuales en las medidas de madurez, estaban asociados con disminuciones intra-individuales en el nivel auto-reportado de delitos. Los descubrimientos subrayaron el valor de las estrategias de intervención y tratamiento que mejoran la madurez.
Palabras clave:
- Delinquir,
- desistimiento,
- estudio longitudinal,
- identidad,
- madurez,
- madurez psicosocial,
- roles de adultos,
- abandono,
- trayectoria
Article body
Introduction
Pour bon nombre de chercheurs, la théorie du contrôle social informel est l’une des explications les plus influentes du désistement de la délinquance (Laub, Rowan et Sampson, 2018). En ayant recours à ce cadre théorique, Laub et Sampson (2003) ont constaté que même les adolescents ayant les taux les plus élevés de délinquance présentaient une trajectoire de désistement. Plus précisément, une fois que ces individus entrent dans les stades intermédiaires du parcours de vie, le désistement devient alors normatif. Laub et Sampson (2003) ont attribué ce processus à l’influence de points tournants importants, tels que le mariage, la parentalité, l’emploi et le service militaire. Néanmoins, d’autres chercheurs ont soulevé que ces points tournants, bien que présents dans le parcours de vie de ces jeunes, ne peuvent pas expliquer le désistement puisqu’elles semblent apparaître à un moment où le ralentissement de la délinquance est déjà en cours. Étant donné l’importance de l’ordre temporel pour bien comprendre ces processus, il est plus probable que d’autres facteurs agissent en aval et que ce soit eux qui facilitent l’action du contrôle social informel puisque l’entourage devient plus enclin à les considérer comme un partenaire intime stable ou comme un employé convenable (Skardhamar et Savolainen, 2014). Les tentatives visant à « accélérer » le processus de désistement en encourageant l’acquisition du contrôle social informel plus tôt au cours de la vie ne sont donc pas susceptibles d’être efficaces. Par exemple, Uggen (2000) indique que l’emploi représente un point tournant efficace pour les individus qui en obtiennent un et qui sont âgés de plus de 26 ans, mais pas pour ceux moins âgés (voir également Bachman et Schulenberg, 1993 ; Ouimet et Le Blanc, 1996). De même, d’autres ont constaté que le fait de devenir parent tôt au cours de la vie était négativement associé avec le désistement et même considéré comme un facteur de risque de la délinquance (Na, 2016 ; Uggen et Wakefield, 2008). Ainsi, même si l’examen de l’influence des points tournants plus tardivement dans le parcours de vie a été une composante centrale de la recherche sur le désistement, ceci demeure relativement peu utile aux intervenants qui travaillent auprès d’une clientèle d’adolescents ou de jeunes adultes. Des questions subsistent donc quant à ce que les intervenants peuvent faire durant ces stades de développement afin de soutenir formellement les jeunes clients dans leur trajectoire de désistement. Plus exactement, F.-Dufour, Villeneuve et Perron (2018) ont décrit l’importance d’identifier des stratégies formelles (p. ex. : proposées par des agents du système de justice) et informelles (p. ex. : par des mentors) pouvant aider à améliorer non seulement les chances de désistement, mais également l’identité de soi et la qualité de vie globale d’un individu.
Il est possible de remédier à cette lacune sur le plan des connaissances par le développement théorique et empirique du processus qui décrit et explique le désistement au début de l’âge adulte. La théorie intégrative de la maturité (TIM) de Rocque (2015) fournit un cadre conceptuel afin de mesurer les différents domaines de maturité en lien avec le désistement de la délinquance. Ces différents domaines incluent notamment la maturité psychosociale, l’adoption de responsabilités d’adulte, ainsi que la maturité identitaire. La TIM est utile pour expliquer le désistement tôt au cours de la vie pour deux raisons. Premièrement, la conceptualisation de la maturité est plus large que les perspectives initiales qui mettent l’accent seulement sur la maturité psychosociale (par exemple, être plus réfléchi et moins impulsif). La TIM englobe les mécanismes du développement de la maturité des domaines psychosocial, cognitif et social. Cette ampleur est susceptible d’être nécessaire compte tenu de la complexité associée à l’explication du ralentissement de la délinquance (Sweeten, Piquero et Steinberg, 2013b). Bien que des améliorations sur le plan de la maturité psychosociale soient généralement liées au désistement (p. ex. : Mizel et Abrams, 2018 ; Monahan, Steinberg, Cauffman et Mulvey, 2013 ; Rocque, Beckley et Piquero, 2019), très peu d’attention a été accordée aux autres domaines de la maturité qui sont potentiellement nécessaires à une explication plus complète et détaillée du processus de désistement (McCuish, Lussier et Rocque, 2020). Deuxièmement, des études antérieures ont établi que la maturité est plutôt malléable au cours de l’adolescence et au début de l’âge adulte (Monahan et al., 2013). Cet aspect est important puisqu’il permet de répondre aux préoccupations d’ordre temporel soulevées par Skardhamar et Savolainen (2014). En fait, si l’acquisition de mécanismes de contrôle social informel tend à avoir des effets bénéfiques seulement plus tard à l’âge adulte, le développement de la maturité semble plus synchrone avec le ralentissement de la délinquance. Cette synchronicité semble plus qu’une coïncidence.
Il y a lieu d’être optimiste quant à l’utilité de la maturité à titre d’option pour les stratégies formelles de soutien au désistement (F.-Dufour et al., 2018), car il existe de multiples facteurs que les intervenants peuvent cibler pour en stimuler le développement. Par exemple, dans le cadre d’une étude avec un devis de recherche expérimental réalisée par Riggs-Romaine et al. (2018), les résultats montrent que parmi les adolescentes qui présentent une délinquance sérieuse, la maturité psychosociale s’est améliorée par le biais de l’exposition à un programme d’intervention. Ce programme d’intervention est axé sur les capacités d’adaptation, la régulation émotionnelle et la résolution de problèmes. Des travaux additionnels à cet effet sont nécessaires pour déterminer si ces programmes sont également efficaces auprès d’adolescents de sexe masculin. D’autres études ont démontré qu’un style parental démocratique et une attitude parentale chaleureuse dépourvue d’hostilité sont associés à la maturité psychosociale (Steinberg, Blatt-Eisengart et Cauffman, 2006). La thérapie familiale multisystémique pourrait aussi être bénéfique étant donné que Hyde, Shaw et Moilanen (2010) ont constaté que le style parental contribue au développement d’attitudes prosociales reliées à la maturité identitaire. Dans l’ensemble, une gamme de facteurs individuels, familiaux et sociaux ont été identifiés comme étant impliqués dans le développement des sous-domaines de la maturité (p. ex. : Forney et Ward, 2019 ; Sumter, Bokhorst, Steinberg et Westenberg, 2009 ; Sweeten et al., 2013a). Bien qu’il y a lieu d’être optimiste quant au fait que la période de transition entre l’adolescence et le début de l’âge adulte représente un point tournant important dans le développement de la maturité (Monahan et al., 2013), il est nécessaire : a) de démontrer avant tout un lien entre la maturité et le désistement de la délinquance ; b) d’identifier notamment quels domaines de la maturité plus précisément semblent opérer avant de faire des recommandations concernant l’intervention ciblée auprès des jeunes.
La présente étude ne procède pas à l’évaluation de stratégies d’intervention spécifiques visant à favoriser le désistement. Le but poursuivi est plutôt de faire le point concernant les liens empiriques entre les domaines de la maturité et la délinquance chez les jeunes. Bien que des études empiriques antérieures se soient penchées sur la maturité, celles-ci ont surtout mis l’accent sur la maturité psychosociale et les différences sur le plan de la délinquance, sans examiner la question des changements intra-individuels (Mizel et Abrams, 2018 ; Monahan et al., 2013 ; Rocque et al., 2019). Les intervenants jouent un rôle important dans l’évaluation et le suivi des changements intra-individuels en contexte d’intervention en délinquance (Viljoen, Shaffer, Gray et Douglas, 2017). Par conséquent, il importe que les études empiriques utilisent des stratégies analytiques capables de modéliser et de mesurer l’influence des changements intra-individuels, en ce qui a trait à la maturité, sur l’évolution de la délinquance. Effectivement, un simple examen des taux de délinquance différentiels selon le niveau de maturité des jeunes n’informe pas sur la question des changements intra-individuels et comment, pour une même personne, des changements sur le plan de la maturité se traduisent par des changements sur le plan de la délinquance. Ainsi, dans le cadre d’une étude longitudinale, la présente étude examine simultanément les changements intra-individuels de plusieurs domaines de la maturité et leur influence sur l’évolution de la délinquance. Tout d’abord, nous précisons davantage les domaines de la maturité tels que décrits par la TIM.
Le désistement : une approche axée sur la maturité
Bien que l’étude de la maturité en criminologie ne date pas d’hier (p. ex. : Glueck et Glueck, 1937), cette idée fut principalement utilisée en tant que concept générique pour décrire ce qui se produit naturellement avec l’âge. D’ailleurs, des chercheurs ont même suggéré que la maturité et l’âge étaient pratiquement indissociables l’un de l’autre (Gottfredson et Hirschi, 1990). Des chercheurs ont récemment soutenu que la maturité n’est pas un processus passif vécu de la même façon d’une personne à l’autre (Monahan et al., 2013). Dans ce contexte, il est donc nécessaire d’être plus précis en ce qui concerne la maturité, ses dimensions, les moyens de la mesurer, et de la modéliser dans le processus de développement de la maturité. Rocque (2015) a décomposé la maturité en cinq domaines : psychosocial, le statut d’adulte, identitaire, civique et neurocognitif. Les trois premiers sont l’objet d’une attention particulière dans le cadre de la présente étude. La maturité psychosociale fait référence à une amélioration graduelle sur le plan de la perspective temporelle (p. ex. : orientation vers le futur), de l’autonomie (p. ex. : l’indépendance), et de la maîtrise de soi (p. ex. : amélioration dans le contrôle de l’impulsivité et de l’agressivité). La maturité associée au statut et aux responsabilités d’adulte décrit le processus d’acquisition progressif des rôles sociaux conventionnels tels que devenir un partenaire intime stable, un parent, un employé ou un employeur, un collègue de travail, le propriétaire d’une maison, etc. Ces rôles peuvent servir de contrôle social informel sur le comportement. L’efficacité de ces rôles dépend de l’âge auquel ils se produisent (Uggen, 2000) et de leur valeur subjective pour la personne (Nguyen et Loughran, 2018). Par exemple, l’influence de l’emploi sur le désistement est plus forte pour les adultes plus âgés que pour les adolescentes et les jeunes adultes puisque les personnes plus âgées accèdent, habituellement, à des emplois plus valorisants. Mesurer les attitudes d’un individu face au travail peut être révélateur de son niveau de maturité et, par le fait même, informe sur la probabilité que cet emploi soit valorisé et demeure stable, des conditions favorables au désistement de la délinquance. La maturité identitaire reflète la volonté accrue d’une personne d’être moins rigide sur le plan cognitif. Cela rend possible une transformation cognitive et identitaire qui facilite une perception de soi plus positive et le rejet des attitudes antisociales. Les individus s’ouvrent davantage à d’autres opinions et d’autres perspectives, ce qui les rend plus réceptifs à des attitudes positives à l’égard de la société, d’eux-mêmes et de comportements prosociaux.
Seulement quelques études ont examiné la TIM de Rocque (2015). Rocque, Posick et White (2015) ont utilisé des données provenant de l’étude Rutgers Health and Human Development Project afin de déterminer si les cinq domaines de maturité jouaient un rôle sur l’implication dans la délinquance. Alors que chaque domaine était corrélé avec les indicateurs de délinquance dans la direction attendue par la théorie, cette étude examinait chaque domaine de maturité séparément. McCuish et al. (2020) ont eu recours à des données provenant de l’étude américaine Pathways to Desistance Study et ont constaté que les domaines de la maturité psychosociale, du rôle d’adulte et de la maturité identitaire étaient reliés à la délinquance. Il est possible de s’appuyer sur les observations de cette étude de trois façons différentes. Les deux premiers points se rapportent au devis de recherche. Premièrement, McCuish et al. (2020) ont étudié les corrélations partielles plutôt que d’avoir recours à des analyses de régression. Deuxièmement, ils ont combiné des jeunes d’âge différents lors des périodes d’évaluation et de suivi, ce qui pourrait avoir apporté une certaine confusion dans les résultats observés. Ainsi, plutôt que de procéder à l’examen d’un effet temporel, la présente étude tente d’évaluer les processus de maturité et de désistement selon l’âge des jeunes. Troisièmement, il existe d’autres formes de maturité outre celles qui ont été examinées dans leur étude. Il est possible de remédier au troisième point en tenant compte des autres aspects de la maturité, tels que la régulation personnelle, une pierre angulaire de la maturité psychosociale (Riggs-Romaine et al., 2008).
La régulation personnelle des émotions est un aspect souvent oublié de la maturité et qui implique un système de rétroaction où les individus surveillent et gèrent l’atteinte de leurs objectifs personnels (Carver et Scheier, 1990). Les émotions négatives sont ressenties lorsque ce système de surveillance signale que, notamment, la vitesse de progression en direction des objectifs personnels ne répond pas aux attentes. Les émotions positives sont ressenties lorsque l’atteinte des objectifs est satisfaisante ou excèdent les attentes personnelles. Les criminologues ont indirectement examiné ces processus sous l’angle de la théorie des tensions (strain theory) et du rôle médiateur des émotions négatives sur le passage à l’acte criminel, plus particulièrement la colère (p. ex. : Agnew, Brezina, Wright et Cullen, 2002). La régulation personnelle des émotions, cependant, n’est pas seulement limitée à la capacité de réguler la frustration et la colère (Walden, Lemerise et Gentile, 1992) qui ne sont pas les seules émotions importantes liées au passage à l’acte criminel (p. ex. : Mazerolle, Burton Jr, Cullen, Evans et Payne, 2000). L’affect négatif (c.-à-d. la tendance à ressentir des états affectifs aversifs) est aussi un médiateur clé dans le lien entre la tension et le crime (Caspi et al., 1994). La capacité de réguler ses émotions n’est pas fixe et comprend l’aptitude pour reconnaître et pour gérer adéquatement les événements de vie stressants qui peuvent entraîner désespoir et dépression. Cela inclut également la capacité de faire face à des événements pouvant occasionner des doutes, de la honte et de la solitude. En conséquence, la régulation personnelle peut favoriser le recours à des stratégies pour faire face à de telles émotions qui sont soit appropriées et prosociales (p. ex. : faire une promenade pour se calmer, discuter calmement d’un conflit avec la personne concernée) ou inappropriées et antisociales (p. ex. : consommer de la drogue, insulter la personne concernée). La régulation personnelle implique d’autant plus la capacité de communiquer de façon adéquate des sentiments complexes aux autres afin de demander de l’aide et/ou pour réinterpréter une situation de manière constructive en vue de passer à autre chose (p. ex. : voir le côté positif d’une situation stressante et difficile). La régulation des émotions positives et négatives a des retombées sur le développement et le maintien de liens solides avec les autres (MacDermott, Gullone, Allen, King et Tonge, 2010). La capacité de réguler convenablement ses émotions lors d’événements qui sont source de tension peut être importante quand une personne est exposée à une situation propice à un acte criminel (Wikström, 2019).
La présente étude
Dans le cadre de la présente étude, des données prospectives longitudinales provenant de l’étude Pathways to Desistance sont utilisées pour aider à résoudre deux dilemmes associés à l’étude du désistement durant le passage à l’âge adulte. Premièrement, des solutions alternatives au contrôle social informel sont nécessaires compte tenu des problèmes relatifs à l’ordre temporel entre de tels construits et le ralentissement de la délinquance de l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte (Skardhamar et Savolainen, 2014). Deuxièmement, à la recherche de solutions alternatives aux points tournants élaborés par les tenants de l’approche des parcours de vie (Sampson et Laub, 2003), la théorie du désistement doit inclure et spécifier un mécanisme responsable de désistement durant le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Ce dernier point est particulièrement important pour les intervenants dont le mandat est d’identifier les aspects qui doivent être ciblés en vue de favoriser le désistement de la délinquance. La présente étude propose donc le concept de maturité pour remédier à ces deux dilemmes et la TIM de Rocque (2015) est utilisée pour guider l’étude et la mesure des domaines de la maturité, soit la maturité psychosociale, le statut d’adulte, et la maturité identitaire. L’utilité de la maturité pour résoudre ces deux dilemmes repose sur deux propositions importantes : 1) entre l’adolescence et le début de l’âge adulte, la maturité augmente tandis que la délinquance diminue ; et 2) les changements intra-individuels sur le plan de la maturité entraînent des changements intra-individuels sur le plan de l’activité délinquante. Afin de vérifier empiriquement ces propositions, des analyses statistiques à effets fixes sont utilisées. Ces modèles permettent de modéliser chaque individu comme étant sa propre base comparative en plus d’informer si les changements individuels sur le plan de la maturité sont associés à des changements empiriques sur le plan de la délinquance. Ce faisant, donc, la présente étude propose d’élargir le concept de maturité qui va au-delà de la maturité psychosociale en examinant les changements intra-individuels dans un cadre analytique de régression à effets fixes, en tenant compte des possibles domaines de maturité pouvant varier en fonction de l’âge.
Méthodologie
Échantillon et procédures
Les données utilisées proviennent de l’étude américaine Pathways to Desistance, qui comprend des entretiens conduits auprès d’adolescents de sexe masculin (n = 1 170) et féminin (n = 184) généralement condamnés pour une infraction criminelle. En raison de la petite taille de l’échantillon de filles et de la possibilité de différences fondées sur le sexe au sein du processus de désistement, la présente étude s’est concentrée uniquement sur les adolescents de sexe masculin. De plus, étant donné la possibilité que le processus de maturité en soit un influencé par l’âge (c.-à-d. la présence de facteurs opérants à des moments précis du développement humain) et que la vitesse de changement sur le plan de la maturité varie en fonction de l’âge d’une personne (p. ex. : Monahan et al., 2013), la présente étude met l’accent seulement sur les participants de sexe masculin qui étaient âgés de 16 ou 17 ans lors de l’entrevue initiale (n = 704). Des entrevues réalisées à l’aide d’un ordinateur ont été effectuées au domicile des participants ainsi que dans les établissements correctionnels ou publics. Les réponses étaient conservées de façon confidentielle, sauf en situation de doute concernant la sécurité du jeune ou de danger imminent pour autrui. Ils ont participé à l’entrevue initiale et aux entrevues de suivi à des intervalles de six mois pendant une période de trois ans, puis à des intervalles d’un an pour les quatre années suivantes[2]. Approximativement deux tiers de l’échantillon ont participé aux huit périodes d’entrevue. Les participants, formant le sous-échantillon à l’entrevue initiale, étaient de sexe masculin, âgés de 16 ou 17 ans, et d’origine afro-américaine (41,2 %), hispanique (34,4 %), caucasienne (19,3 %) ou autre (5,1 %). Ils étaient âgés en moyenne de 23,51 ans (écart type = 0,55 ; étendue = 22-25) au moment de la dernière vague d’entrevues.
Mesures
La présente étude repose sur des indicateurs du concept de maturité qui correspondent à la description de la TIM (Rocque, 2015). En outre, cette étude a pris en considération l’importance de la régulation émotionnelle comme indicateur de la maturité étant donné les récents développements théoriques en criminologie (Wikström, 2019). Les restrictions en termes d’espace limitent considérablement la description détaillée de chaque mesure. Des détails additionnels à cet effet sont disponibles sur le site web du Pathways to Desistance Study[3] et les données peuvent être téléchargées à partir du site web de l’Inter-University Consortium for Political and Social Research (Mulvey, 2013).
Maturité psychosociale
La maturité psychosociale fait référence à la maîtrise de soi, le sens des responsabilités, une perspective de vie orientée vers le futur, et à la résistance face à l’influence et la pression des pairs (Monahan et al., 2013). La maîtrise de soi a été mesurée en combinant les sous-échelles relatives au contrôle de l’impulsivité (p. ex. : « Je dis la première chose qui me vient à l’esprit sans y réfléchir suffisamment[4] ») et au contrôle de l’agressivité (p. ex. : « Les gens qui me mettent en colère feraient mieux de faire attention » [codage inverse]) du Weinberger Adjustment Inventory (WAI ; Weinberger et Schwartz, 1990). La responsabilité fut mesurée à l’aide de la sous-échelle de l’indépendance du Psychosocial Maturity Inventory (PSMI) et était représentée par le score moyen des participants à dix items (p. ex. : codage inverse de « La chance décide de la plupart des choses qui m’arrivent »). La perspective orientée vers le futur fut mesurée par le Future Outlook Inventory, qui comprend huit items (p. ex. : « Je vais continuer d’effectuer des tâches difficiles et ennuyantes si je sais qu’elles m’aideront à avancer plus tard »). Enfin, l’échelle concernant la résistance à l’influence des pairs a été utilisée afin de déterminer si les participants faisaient preuve d’autonomie et d’indépendance.
Maturité relative au statut d’adulte
La présente étude distingue les rôles d’adulte (p. ex. : être le partenaire intime d’une personne, détenir un emploi) et la maturité relative au statut d’adulte. Cette maturité représente des caractéristiques qui démontrent la capacité d’une personne à répondre aux attentes et aux responsabilités associées à ce rôle et à valoriser de tels rôles. L’orientation vers le travail a été mesurée à partir d’une sous-échelle du PSMI. Cette échelle permet d’évaluer la persévérance et la satisfaction de l’individu dans l’accomplissement de tâches en lien avec le travail. La considération pour les autres a été mesurée en utilisant une échelle du WAI et fait référence à la responsabilité parentale et la capacité à répondre aux besoins des partenaires.
Maturité identitaire
La maturité identitaire inclut l’identité personnelle, les perceptions à l’égard des institutions sociales et les attitudes relativement au comportement déviant (Rocque, 2015). L’identité personnelle a été mesurée en utilisant une sous-échelle du PSMI qui permet d’évaluer dix items concernant l’estime de soi et la clarté de l’identité. Cet élément fait référence à la compréhension de soi. Les perceptions face aux institutions sociales ont été mesurées en utilisant une version révisée de l’échelle de Perceptions of Chances for Success, qui examine les attentes à l’égard du travail, de la famille et des interactions avec le système de justice. Les attitudes face à la déviance ont été captées par le biais de l’échelle des Mechanisms of Moral Disengagement, qui mesure le déplacement de la responsabilité et la tendance à attribuer le blâme à autrui.
Régulation émotionnelle
L’échelle de Children’s Emotion Regulation (Walden et al., 1992) fut utilisée afin de mesurer la régulation émotionnelle par l’entremise de questions sur la capacité de trouver le bonheur, de changer de perspective émotionnelle, et la capacité d’autoréguler ses émotions. Des exemples d’énoncés retrouvés dans cette échelle sont « Je sais quoi faire pour me rendre plus heureux » et « Je peux changer mes sentiments en pensant à quelque chose d’autre ».
Délinquance
La délinquance fut mesurée à l’aide d’une version modifiée du Self Report of Offending (SRO ; Huizinga, Esbensen et Weiher, 1991) qui comprend 22 comportements délinquants autorapportés. Pour les fins de l’étude, ces items furent combinés et reflètent une mesure de la versatilité de la délinquance. La mesure de la versatilité de la délinquance est pertinente ici, car elle permet d’évaluer la teneur des activités délinquantes sans surestimer son importance, qui pourrait notamment être biaisée par la commission répétée d’infractions mineures (Sweeten, Pyrooz et Piquero, 2013). Les périodes de suivi des 12e, 24e et 36e mois portaient sur la délinquance autorapportée au cours des six mois précédents, alors que les périodes de suivi des 48e, 60e, 72e et 84e mois portaient sur la délinquance autorapportée au cours des 12 mois précédents. Afin de faciliter les comparaisons, le comportement criminel aux périodes de suivi des 12e, 24e, et 36e mois a été mesuré en combinant les périodes de suivi d’intérêt avec les périodes qui les précédaient immédiatement (p. ex. : la vague du 12e mois fut combinée avec celle du 6e mois). Si un énoncé spécifique du SRO était endossé aux deux vagues, il a alors été comptabilisé une seule fois étant donné que l’accent était mis sur la versatilité de la délinquance et non pas sur la fréquence. L’évaluation initiale reflète la délinquance au cours de la période de six mois précédente seulement. À travers les huit périodes de suivi, le score moyen à l’échelle du SRO était de 2,43 (écart type = 1,86). L’utilisation d’une échelle de versatilité pour mesurer le désistement est conforme aux principes de criminologie développementale indiquant que la délinquance versatile fait partie d’une délinquance fréquente et répétitive et que la spécialisation (c.-à-d. un répertoire d’actes délinquants plus restreint et limité) est une composante importante du désistement de la délinquance (Loeber et LeBlanc, 1990). Des études empiriques ont également démontré un chevauchement entre une trajectoire de délinquance dont la versatilité est limitée et une trajectoire dont la fréquence de l’agir délinquant est limitée (p. ex. : Lussier, McCuish, Deslauriers-Varin et Corrado, 2017 ; Monahan et Piquero, 2009)[5]. Dans ce contexte, des changements intra-individuels qui indiquent une diminution de la versatilité de la délinquance à travers le temps sont utiles pour représenter le processus de désistement.
Stratégie analytique
Les objectifs de la présente étude étaient de vérifier, plus particulièrement pour la période entre l’adolescence et le début de l’âge adulte : 1) s’il existe un lien direct entre les changements sur le plan de la maturité et ceux sur le plan de la délinquance ; et 2) si les changements intra-individuels sur le plan de la maturité expliquent la diminution de la délinquance. Pour le premier objectif, la présente étude a examiné : a) si les niveaux moyens de la maturité ont augmenté et les niveaux moyens de la délinquance ont diminué au cours de la même période de suivi ; et b) si les individus ont connu une augmentation du niveau moyen de maturité au fur et à mesure qu’ils avançaient dans la période de suivi et une diminution du niveau moyen de délinquance au fur et à mesure qu’ils avançaient dans la période de suivi. Pour le second objectif, considérant la possibilité d’omission de variables clés dans les modèles d’analyse, la présence de différences individuelles non observées (et non mesurées) rend difficile l’interprétation des effets des facteurs dynamiques sur les retombées en matière de délinquance. Afin de pallier cette limite, la présente étude repose sur des modèles à effets fixes qui permettent de prendre en considération les biais possibles associés à ces caractéristiques non observées. Ces modèles d’analyse permettent de mesurer les changements intra-individuels au fil du temps et la façon dont ces changements influencent le phénomène d’intérêt, soit la délinquance. Ceci permet donc d’assurer dans une certaine mesure que les relations observées ne sont pas confondues par des variables omises dans les modèles de prédiction. Les individus agissent comme étant leur propre « contrôle statistique », ce qui signifie que le modèle tient compte des caractéristiques invariantes dans le temps (p. ex. : ethnicité et propension ; voir Allison, 2009). Des analyses de régression binomiale ont été utilisées étant donné que la mesure de la versatilité était délimitée (22 comportements délinquants différents), rendant la régression binomiale négative théoriquement inappropriée (voir Britt, Rocque et Zimmerman, 2017). Cette analyse permet de spécifier le nombre d’indications positives possibles qu’un comportement particulier a été endossé. Les rapports de cotes dans les analyses de régression binomiale représentent les probabilités statistiques d’une augmentation d’une unité dans le nombre de types de crime endossés (Britt et al., 2017). Les modèles à effets fixes traditionnels ne peuvent pas pleinement considérer les différences interindividuelles en utilisant les analyses binomiales (Allison et Waterman, 2002). Ce problème a été abordé en créant des variables dichotomiques pour n-1 individus dans le modèle, puis en exécutant un modèle binomial à probabilité maximale inconditionnelle (Allison, 2009). Nous avons utilisé ce modèle pour estimer l’effet du changement intra-individuel des mesures de la maturité sur le changement intra-individuel de la délinquance autorapportée. Ce modèle tend à estimer des intervalles de confiance inférieurs aux valeurs réelles. Ceci a été corrigé en utilisant l’option vce(opg) dans Stata (voir Allison, 2009). Chaque variable relative à la maturité a été différée d’une vague pour établir l’ordre temporel. Une mesure différée de la délinquance a également été incluse dans les modèles afin de tenir compte de la relation entre la délinquance passée et future. L’analyse des données manquantes n’a pas été effectuée, puisque l’accent de l’étude sur les changements intra-individuels minimise les biais résultant de l’attrition des participants (Hill, van der Geest et Blokland, 2017).
Résultats
Description de la maturité et de la délinquance
En débutant par le premier objectif de l’étude concernant la distribution de la maturité et de la délinquance de l’adolescence au début de l’âge adulte, la Figure 1 montre les niveaux moyens de versatilité de la délinquance et de la maturité durant la période à l’étude. De l’évaluation initiale à la période de suivi subséquente, la délinquance chute pour ensuite continuer à ralentir plus graduellement par la suite. Toutes les mesures de la maturité se sont déplacées dans la direction attendue à partir de l’évaluation initiale jusqu’à la période de suivi finale (c.-à-d. ont démontré une amélioration). Alors que la Figure 1 montre les niveaux moyens pour l’ensemble des variables à l’étude, la Figure 2 montre l’écart moyen intra-individuel (c.-à-d. la déviation par rapport au score moyen pour l’ensemble de la période) pour chaque mesure de la maturité. À l’exception de la régulation émotionnelle, les individus montrent une amélioration pour l’ensemble des indicateurs de maturité durant la période à l’étude.
Une matrice de corrélation qui inclut l’ensemble des mesures à l’étude est présentée dans le Tableau 1. Toutes les mesures de la maturité sont significativement corrélées avec la mesure de délinquance de même que les unes avec les autres (p < 0,05). Les coefficients de corrélation sont tous dans la direction attendue. Les scores de délinquance à l’évaluation initiale sont significativement et positivement corrélés avec la délinquance à la dernière vague, mais cette relation est relativement faible (r = 0,217). Cette faible relation, également reflétée par la tendance à la baisse de la délinquance tout au long de la période de l’étude (Figure 1), suggère un changement important et substantiel de la délinquance au cours de cette période. Pour les scores aux différentes mesures de la maturité au temps initial, seules la responsabilité, la résistance à l’influence des pairs et l’identité personnelle n’étaient pas significativement associées à la délinquance à la dernière vague. Les scores concernant la mesure de la régulation émotionnelle au temps initial étaient les moins corrélés avec les autres variables de la maturité lors de la dernière vague.
Effets du changement de la maturité sur le changement de la délinquance
Le Tableau 2 montre les effets des différentes mesures de la maturité sur la délinquance autorapportée pour les modèles binomiaux à probabilité maximale inconditionnelle. Les coefficients pour les variables muettes (dummy variables) n-1 ne sont pas présentés. Le Modèle 1 montre que les améliorations intra-individuelles de la maîtrise de soi, la perspective orientée vers le futur, la résistance à l’influence des pairs, l’orientation vers le travail, la considération pour les autres, et les valeurs prosociales (c.-à-d. l’inverse du désengagement moral) étaient toutes associées à des tendances intra-individuelles à la baisse sur le plan de la délinquance autorapportée. Contrairement aux attentes, les changements intra-individuels sur le plan de la responsabilité et de la régulation émotionnelle sont associés à des augmentations de la délinquance autorapportée. Le Modèle 2 montre qu’après avoir contrôlé pour l’effet différé de la délinquance autorapportée, tous les effets différés du Modèle 1 subsistent, à l’exception de la variable mesurant la maîtrise de soi. Ces résultats sont particulièrement impressionnants étant donné que les effets statistiques observés quant à la maturité sur la délinquance sont indépendants du niveau de délinquance antérieur de la personne. L’observation selon laquelle une augmentation de la responsabilité est associée statistiquement à une augmentation des chances d’endosser un type additionnel de délinquance est contraire aux hypothèses[6].
Discussion
La littérature scientifique sur le désistement de la délinquance ne fournit pas de lignes directrices précises quant aux pistes d’intervention à prioriser auprès d’une jeune clientèle. Cette littérature a principalement mis l’accent sur l’importance de la participation à des rôles d’adulte tels que l’emploi, le mariage et la parentalité, qui ne sont pas nécessairement normatifs ni favorables au désistement pendant le passage de l’adolescence à l’âge adulte (Na, 2016 ; Uggen, 2000 ; Uggen et Wakefield, 2008). Bien que l’objectif de l’étude n’était pas d’identifier des stratégies d’intervention spécifiques, cette étude s’est plutôt penchée sur le rôle de la maturité dans le processus de désistement de la délinquance et met en lumière l’importance de ce concept dans une perspective de désistement assisté (F.-Dufour et al., 2018). Il est nécessaire, comme point de départ, d’identifier les dimensions importantes de la maturité, durant cette importante période de transition, sur lesquelles les intervenants peuvent intervenir auprès du client. La TIM de Rocque (2015) a été utilisée comme cadre conceptuel pour mesurer les facteurs qui amorcent le processus de désistement durant cette période de transition vers l’âge adulte. Pour que la maturité soit utile aux intervenants comme cible d’intervention, il était nécessaire d’aborder deux questions.
Premièrement, en contraste avec les rôles d’adulte qui semblent émerger dans les parcours de vie alors que la délinquance est déjà en déclin, existe-t-il un lien temporel plus étroit entre la maturité et le désistement de la délinquance ? Les résultats de la présente étude ont montré que durant la transition entre l’adolescence et le début de l’âge adulte, les multiples indicateurs de maturité sont en progression. Autrement dit, les résultats de l’étude montrent des améliorations intra-individuelles claires concernant différents domaines de la maturité. On observe également un déclin de la délinquance durant la même période. Deuxièmement, considérant les tendances observées, est-ce que les changements relatifs à la maturité sont associés à des changements perceptibles sur le plan de la délinquance ? En contrôlant statistiquement pour les caractéristiques invariantes à travers le temps, les changements intra-individuels sur le plan de la maturité mesurée à une période sont associés statistiquement à des changements intra-individuels sur la baisse de la délinquance mesurée lors de la période de suivi subséquente. Même en contrôlant statistiquement pour l’intensité de la délinquance antérieure, des changements positifs intra-individuels sur le plan particulier de la perspective orientée vers le futur, la résistance à l’influence des pairs, l’orientation vers le travail, la considération pour les autres, et l’approbation de normes prosociales (c.-à-d. l’inverse du désengagement moral) sont statistiquement associés à des diminutions intra-individuelles ultérieures sur le plan de la délinquance. Sur le plan des analyses bivariées, la responsabilité et la régulation émotionnelle sont statistiquement reliées à des taux de délinquance plus faibles. Cependant, les analyses multivariées montrent que les améliorations intra-individuelles sur ces deux aspects de la maturité sont associées à des augmentations statistiquement significatives de la délinquance. Il est possible qu’après avoir contrôlé pour la variance partagée avec d’autres aspects de la maturité, les individus devenus plus responsables étaient davantage indépendants, et peut-être moins influencés par les pairs prosociaux, moins liés aux normes conventionnelles, et plus disposés à commettre un délit comme moyen d’accomplir leurs buts, sans égard aux conséquences sociales. Cette perspective s’arrime à ce que décrit Moffitt (1993), que les individus dont la délinquance persiste au cours de leur vie sont relativement moins préoccupés par l’attitude de leurs pairs. Ces individus sont plus confiants relativement à qui ils sont et moins enclins à réorienter leur attention sur la criminalité (Le Blanc, 1997).
La maturité n’est pas seulement un long processus qui implique l’effet inexorable de l’âge qui rime automatiquement avec gagner en sagesse. La maturité peut évoluer relativement rapidement (p. ex. : d’une année à l’autre dans la présente étude) et tout de même avoir un impact significatif sur la délinquance. Les rôles sociaux requièrent que la personne fasse preuve d’un certain degré de maturité pour accéder à ceux-ci. Par exemple, pour obtenir un emploi convenable, le conserver et pouvoir en bénéficier sur le plan personnel, professionnel et social. De plus, ces rôles sociaux pourraient ne pas être valorisés lors des stades développementaux antérieurs (p. ex. : Na, 2016). En effet, lorsque ces événements se produisent tôt au cours de la vie, ils peuvent avoir l’effet inverse sur le plan de la maturité (Stone et Rydberg, 2019). Cependant, les jeunes contrevenants peuvent se voir offrir des programmes d’intervention qui contribuent au développement de la maturité, que ce soit de façon directe (Riggs-Romaine et al., 2018) ou indirecte, notamment par l’amélioration du fonctionnement familial (Hyde et al., 2010). Les programmes qui contribuent à consolider la maturité et à réduire la délinquance peuvent aussi fonctionner de manière à ce que les individus deviennent de meilleurs conjoints et de meilleurs parents. En d’autres mots, des améliorations sur le plan de la maturité ne consistent pas simplement à réduire la délinquance, mais aussi à favoriser le comportement civique.
Limites de l’étude et travaux de recherche futurs
La présente étude s’est appuyée uniquement sur des données autorapportées, ce qui peut soulever des préoccupations quant à la validité des données. La combinaison de données autorapportées avec des données officielles sur le comportement criminel ou des données rapportées par d’autres informateurs aurait été bénéfique dans une optique de triangulation. L’inclusion de mesures répétées concernant le niveau de maturité vient en quelque sorte pallier cette limite méthodologique relativement à la mesure de la délinquance. Un aspect important concerne la difficulté à tenir compte des types et niveaux d’intervention survenus durant la période de l’étude. Les travaux de recherche futurs devraient s’intéresser à l’étude de l’influence des interventions sur le développement de la maturité et vérifier si ces changements entraînent non seulement des changements sur le plan de la délinquance, mais également s’ils contribuent positivement à l’acquisition de sources de contrôle social informel. Malgré ces limites, les résultats de la présente étude suggèrent que le développement de différentes facettes de la maturité semble contribuer au ralentissement de la délinquance durant la transition adolescence-vie adulte.
Appendices
Notes
-
[1]
Simon Fraser University, School of Criminology, 10215 Saywell Hall, 8888 University Drive (Colombie-Britannique), Canada, V5A 1S6.
-
[2]
Cela signifie que parfois le changement est examiné sur une période de 6 mois, parfois une période de 12 mois, et à une occasion, une période de 6 mois était liée à une période de rappel de 12 mois. Pour garantir des intervalles équidistants pour l’examen du changement, seulement la période initiale et les périodes de suivi des 12e, 24e, 36e, 48e, 60e, 72e et 84e mois ont été utilisées pour les fins de la présente étude.
- [3]
-
[4]
Les exemples d’items en anglais ont été traduits par les auteurs du présent article.
-
[5]
Bien qu’il y ait la possibilité d’une trajectoire de délinquance très fréquente et limitée dans un type de délit commis, cela est loin d’être la norme dans les études empiriques (Monahan et Piquero, 2009). Une telle trajectoire serait toujours conceptuellement liée au processus de désistement (p. ex. : être de plus en plus sélectif dans les activités délinquantes pour diverses raisons telles que prendre davantage conscience du risque d’arrestation, se concentrer sur les crimes commis dans le passé et être moins impulsif).
-
[6]
Une explication pour cette observation est la multicolinéarité (c.-à-d. l’association statistique entre les variables indépendantes mesurant la maturité). Le facteur d’inflation de la variance pour cet élément était de 3,22, indiquant que la multicolinéarité ne peut être assurément ignorée (Allison, 2012). Lorsque la variable responsabilité a été exclue du Modèle 2 (non illustré), tous les prédicteurs significatifs du Modèle 2 sont demeurés significatifs.
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