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Introduction

L’adolescence constitue une période propice à l’adoption de diverses conduites déviantes (Le Blanc, 2010a). Par exemple, la consommation de substances psychoactives (SPA) et la délinquance sont communes chez plusieurs adolescents (Cazale, 2014 ; Ouimet, 2009 ; Pica, 2014). Ces conduites sont souvent cooccurrentes. En fait, les liens entre ces deux conduites sont multiples et parfois complexes (Brochu, Brunelle et Plourde, 2016 ; Brunelle, Brochu et Cousineau, 2003 ; Dérivois, 2004).

Consommation de SPA

Une étude réalisée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) en 2013 révèle qu’une proportion de 56,8 % des élèves de la première à la cinquième année du secondaire auraient consommé de l’alcool au moins une fois au cours de la dernière année, cette proportion est similaire pour les élèves des deux genres (Cazale, 2014). Concernant les drogues illicites (toutes drogues confondues), une proportion de 24,1 % des jeunes de la première à la cinquième année du secondaire en auraient consommé au moins une fois au cours de la dernière année. Une proportion plus élevée de garçons (25,7 %) que de filles (22,5 %) auraient consommé ces substances. Plus précisément, une proportion de 22,9 % des élèves auraient consommé du cannabis au cours de la dernière année et une proportion significativement plus grande de garçons que de filles en auraient fait usage (24,5 % vs 21,3 % ; Pica, 2014). Cette même étude montre qu’une proportion de 12,2 % des élèves auraient consommé des produits contenant du tabac au cours des 30 derniers jours, les garçons et les filles ne se montrant pas différents (Traoré, 2014).

Bien que la majorité des jeunes au secondaire (89,8 %) ne manifestent pas de problème de consommation de SPA (89,0 % garçons vs 90,7 % filles), 5,1 % manifestent une consommation à risque (5,5 % garçons vs 4,6 % filles) et la même proportion (5,1 %) présentent des problèmes évidents de consommation de SPA (5,5 % garçons vs 4,8 % filles) (Laprise, Gagnon, Leclerc et Cazale, 2012)[3].

Les statistiques de l’ISQ montrent que les garçons sont plus nombreux que les filles à consommer du cannabis et d’autres drogues illicites ainsi qu’à manifester des problèmes de consommation en émergence ou déjà évidents (Laprise et al., 2012). D’autres études ont observé que les garçons sont plus à risque que les filles de consommer de l’alcool et d’autres drogues (Kahler, Read, Wood et Palfai, 2003), mais aussi de consommer des drogues illicites plus fréquemment (Johnston, O’Malley, Bachman et Schulenberg, 2010). Différents auteurs montrent que les facteurs de risque et de protection reliés à la consommation seraient différents pour les garçons et pour les filles (Kulis, Marsiglia et Nagoshi, 2010 ; Parsai, Voisine, Marsiglia, Kulis et Neiri, 2009). Entre autres, Fisher, Miles, Austin, Camargo et Colditz (2007) ont montré que le fait de prendre les repas en famille quotidiennement constituait un facteur de protection pour la consommation d’alcool des adolescentes. En outre, une estime de soi élevée du point de vue de la socialisation serait associée à un risque plus élevé de s’initier à la consommation d’alcool chez les filles, alors que pour les garçons, une estime de soi élevée quant à la pratique de sports y serait associée (Fisher et al., 2007).

Délinquance

La plupart des adolescents commettent un ou plusieurs actes délictueux à un moment ou l’autre (Fréchette et Le Blanc, 1987 ; Ouimet, 2009, 2015). La dernière étude publiée de Statistique Canada sur le sujet (Boyce, Cotter et Perreault, 2015) révèle que 94 100 jeunes âgés de 12 à 17 ans auraient été soupçonnés d’avoir commis[4] une infraction au Code criminel en 2014, représentant une baisse de 11 000 jeunes par rapport à 2013. La majorité des causes réglées chez les jeunes concerne des délits sans violence, les causes les plus courantes étant le vol (12,0 %), les voies de fait simples (9,0 %), l’introduction par effraction (8,0 %) ainsi que le défaut de se conformer à une ordonnance (7,0 % ; Alam, 2015).

Généralement, les garçons sont proportionnellement plus nombreux que les filles à commettre des délits (Brennan, 2012 ; Gimenez, Blatier, Paulicand et Pez, 2005 ; Lanctôt et Le Blanc, 2002 ; Lucia et Jaquier, 2012 ; Milligan, 2010) et à être traduits en justice (Dauvergne, 2013). De plus, ceux-ci débuteraient leur commission de délits plus précocement que les filles, ces dernières montrant toutefois une délinquance qui augmente plus rapidement que celle des garçons (Gimenez et al., 2005). Les délits commis par les garçons seraient plus graves que ceux commis par les filles, ces dernières commettant principalement des délits mineurs (Ouimet, 2015). Plus spécifiquement, les garçons commettraient davantage de délits violents que les filles, mais la prévalence des vols ne différerait pas selon le genre (Lucia et Jacquier, 2012).

Liens entre consommation de SPA et délinquance

Plusieurs études (Brochu, 2006 ; Brochu, Cousineau, Provost, Erickson et Fu, 2010 ; Brunelle, Tremblay, Blanchette-Martin, Gendron et Tessier, 2014 ; Reynolds, Tarter, Kirisci et Clark, 2011 ; SAMHSA, 2006) ont documenté les liens entre la consommation de SPA et la délinquance chez les adolescents. Un constat fréquent montre que plus la consommation est problématique, plus l’implication dans les délits est importante (Chassin, Knight, Vargas-Chanes, Losoya et Naranjo, 2009 ; Tripodi, Springer et Corcoran, 2007).

La prévalence des problèmes de consommation est plus élevée chez les jeunes en centre jeunesse et en traitement de la toxicomanie que chez les jeunes de la population générale. En effet, près de la moitié des jeunes en centre jeunesse montrent une consommation problématique de SPA (Frappier, Duchesne et Lambert, 2015). Une étude menée auprès des jeunes en centre jeunesse montre que 88,0 % d’entre eux ont déjà consommé de l’alcool au cours de leur vie, alors que cette proportion est de 78,0 % pour le cannabis (Laventure, Déry et Pauzé 2008). Lambert et al. (2012) observent que près de sept jeunes sur dix auraient consommé une drogue (toutes drogues confondues) au moins trois fois par semaine durant les 12 mois précédant leur entrée dans un centre jeunesse. Une proportion de 29,0 % des jeunes en traitement de la toxicomanie au Québec auraient été reconnus coupables d’un délit dans le passé (Tremblay, Brunelle et Blanchette-Martin, 2007). Une étude récente réalisée aussi auprès de jeunes en traitement pour la toxicomanie au Québec montre que 89,0 % d’entre eux avaient déjà commis au moins un délit lorsqu’ils ont entrepris leur traitement et que 43,0 % avaient déjà été arrêtés (Brunelle, Bertrand, Beaudoin, Ledoux, Gendron et Arseneault, 2013).

Modèles explicatifs drogue-délinquance

Le modèle explicatif drogue-délinquance le plus populaire est celui de Goldstein (1985, 1987), un modèle tripartite élaboré à partir d’études réalisées auprès d’adultes. Ce modèle consiste à expliquer les relations drogue-délinquance à l’aide de trois postulats : psychopharmacologique, systémique et économico-compulsif. L’explication la plus commune du lien drogue-délinquance chez les adultes repose sur une relation économico-compulsive (Goldstein, 1985). Cette dernière soutient que la consommation régulière, abusive et surtout dépendante de drogues illicites et coûteuses (en particulier l’héroïne et la cocaïne) favoriserait la forte implication criminelle dans des délits lucratifs (vol et vente de drogues ; Goldstein, 1985, 1987). Le consommateur commettrait alors davantage de délits lucratifs lorsqu’il ressent un besoin impératif de consommer et qu’il n’a pas les moyens financiers nécessaires pour se procurer sa drogue (Brochu, 2006).

Brunelle et ses collaborateurs (2000, 2005) ont réalisé des travaux qualitatifs portant sur les trajectoires déviantes des jeunes qui permettent d’apporter une nuance à l’explication économico-compulsive lors de l’adolescence. Ils montrent que comme les adolescents ont un faible pouvoir économique, ils ont tendance à se tourner plus rapidement que les adultes vers certains délits lucratifs, et ce, même pour consommer des substances peu coûteuses sur une base régulière n’impliquant pas nécessairement une dépendance. Le lien pécuniaire drogue-crime serait donc plus large ou nuancé chez les adolescents en comparaison des adultes.

Une seule étude québécoise se centrant spécifiquement sur les gestes violents commis par les jeunes en centre jeunesse évalue la proportion de délits impliquant la violence que les auteurs rattachent à chacun des trois modèles de Goldstein (Brochu et al., 2010). En se centrant sur la criminalité de violence, cette étude ne couvre pas l’ensemble du concept économico-compulsif de Goldstein. Celui-ci concerne une criminalité lucrative plus large que celle impliquant de la violence (pas seulement les vols qualifiés). Cette étude ne nous informe pas non plus sur les liens drogue-crime observables chez les filles et ne permet pas de rendre compte des différences possibles dans ces relations selon le type de produits consommés.

Bien qu’étant le plus populaire, le modèle explicatif drogue-délinquance économico-compulsif est peu documenté chez les jeunes du Québec. De plus, les liens entre la consommation de SPA et la délinquance lucrative sont encore moins étudiés chez les jeunes de la population générale, alors que la littérature scientifique repose surtout sur des études portant sur des garçons judiciarisés. Comme les jeunes en centre jeunesse et en traitement de la toxicomanie présentent des portraits de consommation de SPA et de délinquance distincts de ceux des élèves du secondaire, il est pertinent de s’intéresser davantage aux liens drogue-délinquance auprès de ces derniers. Enfin, les différences de genre sont rarement abordées dans les études portant sur l’explication de ces liens. Toutefois, diverses études ont montré que les filles et les garçons présentent des différences tant dans leurs habitudes de consommation que dans leur délinquance. C’est pourquoi il est permis de croire que les liens drogue-délinquance se manifestent aussi différemment chez les uns et les autres.

Objectifs de l’article

Le présent article vise à : 1) dresser un portrait des habitudes de consommation de SPA et de la délinquance lucrative des garçons et des filles de l’échantillon ; 2) documenter la relation entre la gravité de la consommation de SPA et la commission de délits lucratifs ; 3) documenter celle entre le type de SPA consommées et la commission de délits lucratifs ; 4) vérifier l’interaction entre le type de SPA consommées et le genre dans la prédiction de la commission de délits lucratifs.

Méthode

La présente étude s’insère dans le cadre d’un projet longitudinal nommé cyberJEUnes, dirigé par N. Brunelle. Ce projet en cours depuis 2012 comporte quatre temps de mesure à un an d’intervalle (T0, T1, T2, T3). Pour la présente étude, seules les données du troisième temps de mesure ont été utilisées (T2).

Participants

Au T0, 3 921 participants ont été recrutés dans 11 écoles secondaires francophones publiques et privées situées dans les régions de Québec, de la Mauricie-Centre-du-Québec, de Montréal et de Chaudière-Appalaches. Les écoles participantes ont été sélectionnées sur la base du volontariat, c’est donc un échantillon de convenance (Babbie, 1990). L’indice moyen du milieu socioéconomique des écoles publiques (IMSE) se situe dans la moyenne (6,7). En conformité avec les règles éthiques approuvées par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières[5], celui de l’Université de Sherbrooke[6] et celui de l’Université de Montréal[7], une passation de questionnaires en groupes-classes a eu lieu parmi les élèves de troisième, quatrième et cinquième secondaire des écoles participantes. C’est à ce moment qu’ils devaient signifier par écrit s’ils étaient intéressés ou non à être contactés dans le cadre d’une deuxième étude (cyberJEUnes 2) à l’intérieur des cinq années suivantes. Les volontaires (n = 2 909) ont été sollicités pour participer à l’étude et, de ce nombre, 1 656 participants (37,3 % de garçons et 62,7 % de filles) âgés de 15 à 21 ans ont rempli le questionnaire. Le taux de participation au T2 est donc de 57,0 %. Pour être fidèle aux objectifs poursuivis par la présente étude, seules les données des jeunes âgés de 15 à 18 ans ont été conservées (n = 1447 ; 36,1 % de garçons et 63,9 % de filles). Parmi les participants retenus, l’âge moyen est de 16,98 ans (é. t. = 0,80). La majorité de ceux-ci se trouvait en cinquième secondaire lors du T2 (55,3 %), les autres se trouvant en quatrième secondaire, au DEP, au cégep, en première année d’université, ayant abandonné les études ou autre.

Instruments

En plus d’un questionnaire sociodémographique, deux instruments de mesure ont été utilisés afin de mesurer la prévalence et la gravité des habitudes de consommation de SPA ainsi que la délinquance manifestée par les jeunes répondants.

Consommation de SPA

La gravité des habitudes de consommation de SPA a été mesurée à l’aide de la Grille de dépistage de la consommation problématique d’alcool et d’autres drogues chez les adolescents DEP-ADO (version 3.2 : Germain, Guyon, Landry, Tremblay, Brunelle et Bergeron, 2007). Ce questionnaire bref est élaboré pour les jeunes de 11 à 18 ans et permet de faire un premier dépistage de la consommation à risque ou problématique. Les questions abordées concernent la fréquence de consommation de différentes substances au cours des 12 derniers mois, la précocité de la consommation régulière d’alcool et d’autres drogues, la consommation de SPA par injection et la consommation excessive d’alcool, en tenant compte des différences liées au genre, et des conséquences que peut amener la consommation de SPA. L’échelle de fréquence de consommation des différentes substances au cours des 12 derniers mois a été utilisée dans le but d’explorer la relation entre le type de SPA consommées et la commission de délits lucratifs. Bien que l’échelle de réponse originale soit de type Likert, une dichotomisation (oui ou non) a été effectuée en raison de la faible fréquence de consommation de certaines substances.

Le score total à la DEP-ADO permet d’arriver à un niveau de gravité allant d’une consommation non problématique (feu vert) à un problème évident de consommation nécessitant une intervention spécialisée en toxicomanie (feu rouge). À mi-chemin se trouve le profil d’un problème en émergence (consommation à risque) nécessitant une intervention précoce (feu jaune). Auprès d’un groupe âgé de 14 à 17 ans, l’échelle totale présente une bonne cohérence interne (alpha de Cronbach = 0,85) et un coefficient de fidélité test-retest élevé (r = 0,94) (Landry, Tremblay, Guyon, Bergeron et Brunelle, 2004).

Délinquance

La délinquance a été mesurée à partir du MASPAQ (Mesures de l’adaptation sociale et personnelle pour adolescents québécois ; Le Blanc, 2010b). Pour chacun des 36 items du questionnaire, les adolescents devaient indiquer s’ils avaient eu ou non le comportement décrit au cours de la dernière année sur une échelle de type Likert. L’échelle a par la suite été dichotomisée (oui ou non) en raison des faibles taux de commission de délits lucratifs qui sont observés chez les jeunes de l’échantillon pour chacun des items. Cet instrument comprend une échelle de violence relationnelle qui compte cinq items. Les activités délinquantes sont divisées en trois échelles, soit la délinquance grave (quatre items), les conduites déviantes clandestines (trois sous-échelles : la fraude qui compte deux items, les vols qui comprennent six items et les vols de véhicules moteurs comprenant quatre items) et les conduites manifestes (deux sous-échelles : le vandalisme qui comprend trois items et la violence interpersonnelle comprenant douze items). Les indices de cohérence interne (alpha de Cronbach) sont adéquats (0,70 à 0,82) pour trois échelles, soit la délinquance grave, vols et violences interpersonnelles, limites pour la violence relationnelle (0,64) et inacceptables pour trois échelles (0,41 à 0,54), soit fraudes, infractions liées aux véhicules moteurs et vandalisme dont les scores ne sont pas utilisés dans cette étude.

Déroulement

Selon la collaboration des écoles participantes, plusieurs élèves rendus en cinquième secondaire au T2 ont été rencontrés en groupes-classes (n = 483). Les autres élèves de cinquième secondaire ainsi que ceux au collégial ou ayant abandonné l’école au T2 (n = 1173) ont été sollicités par courriels, envois postaux et appels téléphoniques. Leur questionnaire a été rempli par Internet à l’aide d’une plateforme sécurisée. Un bon-cadeau de 15 $ échangeable chez un des détaillants suivants (au choix) a été remis en guise de compensation à tous les participants du T2 : Archambault, Subway ou Itunes.

Analyses statistiques

Dans le cadre de cette étude et pour permettre les analyses en fonction du modèle explicatif économico-compulsif, les délits lucratifs passibles d’une accusation en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) ont été regroupés. Les cinq items retenus pour les délits lucratifs sont les suivants : prendre et garder quelque chose sans payer dans un magasin ; prendre et garder quelque chose de moins de 20 $ ; prendre et garder quelque chose de 20 $ à 150 $ ; prendre et garder quelque chose de 150 $ et plus ; et vendre de la drogue. Chacun des participants s’est vu attribuer un score de zéro s’il n’avait commis aucun de ces cinq délits au cours des derniers mois, et un score de un s’il en avait commis au moins un au cours de cette même période.

Des analyses de chi-carré ont d’abord été effectuées dans le but de documenter la relation entre la gravité de la consommation et la commission de délits lucratifs, et celle entre le type de SPA consommées et le fait de commettre des délits lucratifs. Ensuite, des analyses de régression logistique ont été effectuées afin de mesurer l’influence du type de SPA consommées sur la commission de délits lucratifs en tenant compte de l’effet d’interaction avec le genre de l’élève.

Résultats

Parmi les jeunes de l’échantillon qui ont consommé des SPA dans la dernière année (n = 1386), 90,5 % (n = 1254) sont des consommateurs non problématiques (feu vert : 87,3 % des garçons et 92,2 % des filles), 6,1 % (n = 84) sont des consommateurs à risque (feu jaune : 7,6 % des garçons et 5,2 % des filles) et 3,5 % (n = 48) sont des consommateurs problématiques (feu rouge : 5,0 % des garçons et 2,6 % des filles), selon les critères de la DEP-ADO. Une différence statistiquement significative est observée entre les garçons et les filles (X2 (2, n = 1386) = 9,44, ≤ 0,01, V = 0,08).

La substance la plus consommée dans la dernière année parmi l’ensemble des jeunes de l’échantillon est l’alcool (87,1 %, = 1253). Aucune différence significative n’a été observée entre les garçons et les filles pour cette substance (X2 (1, n = 1438) = 0,007, p = 0,933 ; voir le Tableau 1). Pour ce qui est du cannabis, une proportion de 28,5 % (n = 409) des jeunes en ont consommé au cours des 12 derniers mois. Les garçons sont proportionnellement plus nombreux (33,3 % ; n = 172) que les filles (25,8 % ; n = 237) à en avoir consommé (X2 (1, n = 1436) = 9,31, p ≤ 0,01, V = 0,08 ; Tableau 1). Concernant la consommation de tabac, une proportion de 20,2 % (n = 290) des jeunes en ont consommé au cours de la dernière année, aucune différence statistiquement significative de genre n’ayant été observée (X2 (1, n = 1432) = 2,163, = 0,141 ; Tableau 1). Enfin, une proportion de 7,3 % (n = 103) ont consommé d’autres drogues (cocaïne, colle ou solvant, hallucinogènes, héroïne et amphétamines) dans les 12 derniers mois. Pour ces substances, une différence statistiquement significative (X2 (1, n = 1417) = 8,52, p ≤ 0,01, V = 0,08 ; Tableau 1) a été observée entre les garçons (9,9 % ; n = 51) et les filles (5,8 % ; n = 52).

Tableau 1

Description des types de SPA consommées dans les 12 derniers mois selon le genre

Description des types de SPA consommées dans les 12 derniers mois selon le genre

*Nombre de participants variable considérant les observations valides.

* p ≤ 0,05, ** p ≤ 0,01, *** p ≤ 0,001.

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Dans l’ensemble des jeunes de l’échantillon (n = 1447), une proportion de 15,3 % (n = 221) ont commis au moins un acte de délinquance lucratif au cours de la dernière année, les garçons étant proportionnellement plus nombreux (20,3 % ; n = 106) que les filles (12,4 % ; n = 115) à en avoir commis (X2 (1, n = 1447) = 15,99, p ≤ 0,001, V = 0,11). Parmi les cinq délits lucratifs retenus, le fait de prendre et de garder quelque chose de moins de 20 $ constitue le délit le plus commis par les jeunes (voir le Tableau 2). De plus, des différences significatives liées au genre sont observées pour trois des cinq délits lucratifs, soit le fait de prendre et de garder quelque chose de moins de 20 $, de prendre et de garder quelque chose de 20 $ à 150 $ et de vendre de la drogue. Les résultats montrent que les garçons sont davantage impliqués dans ces délits que les filles et qu’ils sont significativement plus nombreux à en avoir perpétré dans la dernière année (Tableau 2).

Tableau 2

Description des délits lucratifs commis dans les 12 derniers mois selon le genre

Description des délits lucratifs commis dans les 12 derniers mois selon le genre

*Nombre de participants variable considérant les observations valides.

* p ≤ 0,05, ** p ≤ 0,01, *** p ≤ 0,001.

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Relation entre gravité de la consommation et commission de délits lucratifs

Parmi les jeunes consommateurs de l’échantillon (n = 1386), une proportion de 15,6 % (n = 216) ont commis au moins un délit lucratif au cours de la dernière année. Chez les adolescents qui présentent une consommation non problématique (feu vert) ; le Tableau 3 montre qu’une proportion de 11,4 % (n = 143) ont commis au moins un délit lucratif au cours des 12 derniers mois, alors que cette proportion est de 45,2 % (n = 38) chez les consommateurs à risque (feu jaune) et de 72,9 % (n = 35) chez les consommateurs problématiques (feu rouge) (X2 (2, n = 1386) = 192,74, p ≤ 0,001, V = 0,37). Une proportion non négligeable de jeunes présentant une consommation non problématique (feu vert : 11,4 %) ou à risque (feu jaune : 45,2 %) ont également commis au moins un délit lucratif au cours de la dernière année.

Tableau 3

Relation entre la gravité de la consommation et la commission de délits lucratifs

Relation entre la gravité de la consommation et la commission de délits lucratifs

X2 = 192,74, p < 0,001, V = 0,37.

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Relation entre types de SPA consommées et commission de délits lucratifs

Parmi les jeunes de l’échantillon (n = 1447), une proportion de 16,6 % (n = 208) des consommateurs d’alcool ont commis au moins un délit lucratif au cours de la dernière année (Tableau 4). Chez les non-consommateurs d’alcool, 6,5 % (n = 12) ont commis au moins un délit lucratif. De fait, un lien statistiquement significatif a été observé entre le fait de consommer ou non de l’alcool et le fait de commettre ou non des délits lucratifs (X2 (1, n = 1438) = 12,72, p ≤ 0,001, V = 0,09). Pour ce qui est de la consommation de cannabis, une proportion de 31,8 % (n = 130) de ceux qui en ont consommé ont commis au moins un délit lucratif au cours des 12 derniers mois (Tableau 4). Chez les non-consommateurs de cannabis, cette proportion est de 8,8 % (n = 90). Un lien statistiquement significatif est également observé entre la consommation ou non de ce produit et le fait de commettre ou non des délits lucratifs (X2 (1, n = 1436) = 119,50, p ≤ 0,001, V = 0,29). La même constatation est faite en ce qui a trait à la consommation de tabac (X2 (1, n = 1438) = 102,04, p ≤ 0,001, V = 0,27). Chez les consommateurs de tabac, 34,5 % (n = 100) ont commis au moins un délit lucratif dans la dernière année, alors que cette proportion est de 10,5 % (n = 121) chez les non-consommateurs de tabac (Tableau 4). Chez les jeunes qui ont consommé d’autres drogues (cocaïne, colle ou solvant, hallucinogènes, héroïne et amphétamines) au cours de la dernière année, une proportion de 50,5 % (n = 52) ont commis au moins un délit lucratif (Tableau 4). Chez les non-consommateurs d’autres drogues, une proportion de 12,5 % (n = 164) ont commis au moins un délit lucratif dans la dernière année. Une relation statistiquement significative est observée entre la consommation ou non d’autres drogues et le fait de commettre ou non des délits lucratifs (X2 (1, n = 1417) = 106,78, p ≤ 0,001, V = 0,28).

Tableau 4

Relation entre le type de SPA consommées et la commission de délits lucratifs

Relation entre le type de SPA consommées et la commission de délits lucratifs

* p ≤ 0,05, ** p ≤ 0,01, *** p ≤ 0,001.

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Interaction entre types de SPA et genre dans la prédiction de la commission de délits

Le fait d’avoir consommé de l’alcool au cours des 12 derniers mois ne permet pas de prédire la commission de délits lucratifs (odds ratio = 0,99, p = 0,98 ; Tableau 5). De même, les résultats ne montrent pas d’effet d’interaction statistiquement significatif avec le genre pour cette substance (odds ratio = 2,34, p = 0,19).

Le fait d’avoir consommé du cannabis dans la dernière année contribue à prédire la commission de délits lucratifs (odds ratio = 5,06, p < 0,001 ; Tableau 5). Les jeunes qui en ont consommé montrent une probabilité plus élevée de 12,82 % d’avoir commis au moins un délit lucratif dans la dernière année, comparativement aux autres adolescents de l’échantillon. De plus, un effet d’interaction avec le genre statistiquement significatif est observé pour ce produit (odds ratio = 0,24, p < 0,001). Chez les filles qui ont consommé du cannabis dans la dernière année, la probabilité d’avoir commis au moins un délit lucratif est plus élevée de 18,3 %, comparativement aux autres filles. Pour les garçons consommateurs de cannabis, cette probabilité est de 3,07 % plus élevée que pour les garçons non consommateurs.

Concernant la consommation de tabac, le fait d’en avoir consommé dans les 12 derniers mois permet de prédire la commission de délits lucratifs (odds ratio = 1,83, p < 0,05), ceux qui en ont consommé présentant une probabilité plus élevée de 8,21 % que les autres adolescents d’avoir commis au moins un délit lucratif dans la dernière année (Tableau 5). Toutefois, aucun effet d’interaction statistiquement significatif n’est observé avec le genre (odds ratio = 1,13, p = 0,78).

Tableau 5

Interaction entre le type de SPA consommées et le genre dans la prédiction de la commission de délits lucratifs

Interaction entre le type de SPA consommées et le genre dans la prédiction de la commission de délits lucratifs

Hosmer et Leshow : X2 = 1,04, p = 0,96.

R2 de Cox et Snell = 0,109 ; R2 de Nagelkerke = 0,192 ; log de vraisemblance -2 = -491,504. N = 1, 361.

Variable dépendante : commission de délits lucratifs.

*p ≤ 0,05, **p ≤ 0,01, ***p ≤ 0,001.

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Enfin, le fait d’avoir consommé d’autres drogues dans la dernière année contribue à prédire la délinquance lucrative (odds ratio = 2,84, p < 0,01 ; Tableau 5). Les jeunes qui en ont consommé montrent une probabilité plus élevée de 12,90 % d’avoir commis au moins un délit lucratif dans les 12 derniers mois, en comparaison des autres jeunes de l’échantillon. Il n’y a cependant pas d’effet d’interaction statistiquement significatif avec le genre pour cette substance (odds ratio = 0,78, p = 0,67).

Discussion et conclusion

Les résultats de cet article appuient les nuances apportées par Brunelle et ses collaborateurs (2000, 2005) concernant l’explication économico-compulsive chez les adolescents. De plus, une relation économico-compulsive est observable chez les garçons, mais aussi chez les filles de cette étude menée auprès d’une population générale en milieu scolaire de niveau secondaire.

Les jeunes qui ont une consommation problématique (feu rouge) sont proportionnellement plus nombreux à avoir commis au moins un délit lucratif dans les 12 derniers mois, comparativement aux consommateurs non problématiques (feu vert) ou à risque (feu jaune). Une association de force moyenne est observée entre la gravité de la consommation et la commission de délits lucratifs. Il est possible de constater que ceux ayant une consommation non problématique (feu vert) ou à risque (feu jaune) ont également commis des délits lucratifs dans la dernière année. On observe que les jeunes consommateurs dépendants (feu rouge) sont plus nombreux à commettre des délits lucratifs que ceux qui n’éprouvent pas de problèmes de consommation. Mais nos résultats s’accordent aussi avec l’explication de Brunelle et ses collaborateurs (2000, 2005) en ce qui a trait au modèle économico-compulsif chez les jeunes selon lequel ces derniers ont tendance à se tourner vers la commission de délits lucratifs afin de pouvoir consommer sur une base régulière, et ce, même si leur consommation n’implique pas nécessairement une dépendance. En comparaison, le postulat économico-compulsif classique chez les adultes implique une dépendance (Goldstein, 1985, 1987). Il y a fort à parier que certains adultes consommateurs qui n’ont pas de problèmes de dépendance se tournent aussi vers des délits lucratifs à l’occasion pour payer leur consommation, mais leurs revenus possibles sont plus diversifiés et importants que ceux des adolescents. Une étude comparative entre les adolescents et les adultes serait alors intéressante et devrait examiner notamment les revenus de chacun ainsi que l’interaction entre le type de SPA consommées et les revenus dans la prédiction de la commission de délits.

Par ailleurs, les jeunes qui consomment les différents types de SPA (alcool, cannabis, tabac et autres drogues) sont proportionnellement plus nombreux à avoir commis au moins un délit lucratif dans la dernière année, en comparaison des non-consommateurs de ces substances. Toutefois, l’association entre la consommation ou non des différents types de SPA et la commission ou non de délits lucratifs est de force faible, particulièrement pour l’alcool. Les résultats permettent cependant de constater que les jeunes n’ont pas besoin de consommer des substances illicites, coûteuses et fortement dépendogènes comme l’héroïne et la cocaïne pour se tourner vers la commission de délits lucratifs comme le stipulait le modèle économico-compulsif classique. En effet, ceux ayant consommé des substances licites et moins coûteuses comme l’alcool et le tabac ont également commis des délits lucratifs dans la dernière année. Cela montre alors que pour les jeunes, le lien monétaire drogue-délinquance est plus large ou nuancé que chez les adultes (Brunelle et al., 2005).

De plus, il existe un effet d’interaction entre les différents types de SPA consommées dans la prédiction de la commission de délits lucratifs. Effectivement, la consommation de cannabis, de tabac et d’autres drogues contribue à prédire la commission de délits lucratifs, ce qui n’est pas le cas pour la consommation d’alcool. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’alcool constitue le produit dont la consommation est la plus populaire et la moins marginalisée chez les adolescents. Cette substance licite occupe une place importante dans la société, y compris chez les adolescents. De fait, malgré les interdits associés à l’achat de l’alcool pour les mineurs, ce produit est souvent associé à un rituel de passage à l’âge adulte (Johnston, O’Malley, Miech, Bachman et Schulenberg, 2014 ; Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, 2013 ; Gagnon, 2009 ; Paglia-Boak et Adlaf, 2007). L’alcool est aussi une SPA moins marginalisée pour ceux-ci puisqu’ils y sont constamment exposés, que ce soit à la maison, dans les diverses publicités, dans les événements sportifs et culturels, etc. (April, Lemétayer et Valderrama, 2013).

D’ailleurs, un effet d’interaction statistiquement significatif est observé entre le genre et la consommation de cannabis. Les filles qui consomment du cannabis présentent une probabilité plus élevée que les autres jeunes de l’échantillon et même que les garçons consommateurs de cannabis d’avoir commis au moins un délit lucratif dans la dernière année. Une attention particulière devrait alors être accordée aux jeunes filles consommatrices de cannabis dans une optique de prévention de la délinquance.

Un tel effet d’interaction n’est toutefois pas observé lorsqu’on se penche sur la consommation d’alcool, de tabac et d’autres drogues. La probabilité d’avoir commis au moins un délit lucratif au cours des 12 derniers mois ne diffère pas significativement chez les garçons et chez les filles ayant consommé ces substances. Ainsi, des interventions différenciées selon le genre ne sont probablement pas nécessaires en regard des liens entre la consommation de ces produits et la délinquance lucrative chez les jeunes. Des interventions s’adressant tant aux filles qu’aux garçons sont donc indiquées afin de favoriser leur motivation au changement.

Limites

Il faut être prudent dans l’interprétation des résultats de cette étude, ceux-ci ne permettant pas de connaître les différents motifs de perpétration des délits lucratifs. Plus précisément, ils ne permettent pas de savoir si la motivation principale de ceux ayant commis des délits lucratifs est toujours ou uniquement reliée au besoin de consommer ou de financer leur consommation. Par exemple, un jeune consommateur pourrait voler dans le but de bien paraître aux yeux de pairs déviants. Il y a quand même fort à parier que l’argent qu’il en tirerait lui servirait au moins en partie à consommer. En ce sens, l’adolescence est une période où il est très important de plaire aux pairs, ce qui peut même constituer une motivation à s’engager dans la délinquance (Brown et Larson, 2009 ; Brunelle et al., 2005 ; Monahan, Rhew, Hawkins et Brown, 2013 ; Steinberg et Monahan, 2007). De plus, l’explication économico-compulsive postule que la consommation de SPA précède la commission de délits lucratifs. Cependant, le postulat explicatif à causalité inversée prétend que la fréquentation du milieu criminel peut également fournir des occasions pour consommer des SPA (Brochu, 2006). Or, les résultats de cet article ne permettent pas de savoir si la consommation de SPA a réellement précédé la perpétration de délits lucratifs ou si c’est plutôt le fait de s’associer à des pairs déviants par exemple qui a amené des occasions de consommation.

Dans un autre ordre d’idées, une limite potentielle de cette étude concerne l’utilisation des questionnaires autorapportés, qui peut diminuer la validité des réponses des participants en raison de difficultés mnémoniques. Aebi et Jaquier (2008) montrent toutefois que les questionnaires de délinquance autorapportée sont de meilleurs indicateurs de comportements délinquants que les statistiques officielles. Par ailleurs, il aurait été intéressant d’utiliser un indicateur de gravité de la délinquance comme un seuil clinique, mais la catégorisation que nous avons utilisée relativement au postulat explicatif économico-compulsif n’est pas rattachée à un tel seuil dans la littérature à ce jour. De plus, cette étude étant transversale, elle ne permet pas d’apprécier l’évolution des liens drogue-crime.

Apports

Nous considérons que le fait de s’être intéressé à une population générale en ce qui concerne la relation drogue-délinquance lucrative constitue un apport original de la présente étude et peut s’avérer utile d’un point de vue préventif en vue d’éviter justement que certains jeunes aggravent leur situation au point de se retrouver en centre jeunesse ou en centre de réadaptation en dépendance. Ces problématiques peuvent donc être abordées dans les écoles puisqu’elles sont bel et bien présentes, ce qui permettrait d’agir en amont, avant que des jeunes soient judiciarisés ou étiquetés comme toxicomanes. De plus, les résultats montrent que les adolescents qui commettent des délits lucratifs ne présentent pas nécessairement une consommation problématique et ne consomment pas forcément des drogues illicites et coûteuses. Or, cela montre la pertinence de mettre en place des stratégies de prévention efficaces en milieu scolaire qui ne ciblent pas seulement les jeunes qui présentent un portrait de consommation plus sévère. Enfin, il a été possible d’observer un effet d’interaction du genre chez les jeunes consommant du cannabis. Il serait donc bénéfique de réaliser des interventions adaptées selon le genre chez les consommateurs de cette substance, permettant de saisir leur réalité et de susciter davantage de motivation au changement chez ceux-ci.