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Introduction

Le présent article se penche sur une question de plus en plus importante, soit la réponse des mécanismes de justice formels aux victimes (humaines) des crimes environnementaux. On comprend désormais mieux les impacts des activités polluantes (pratiquées généralement par des personnes morales) sur les individus et les collectivités du monde entier et ils sont de plus en plus condamnés par les observateurs issus ou non du milieu scientifique. On remarque toutefois que la littérature issue du droit et de la criminologie, lorsqu’elle se penche sur la question des dommages environnementaux, tend à s’intéresser davantage à l’efficacité des procédures de différents recours judiciaires ou à leur effet dissuasif auprès des pollueurs. Très peu d’articles abordent directement la question des victimes de ces dommages environnementaux et aucun n’a tenté de comparer les divers recours du point de vue des victimes ou d’aborder la manière dont de tels recours peuvent être facilités et les formes qu’ils peuvent prendre.

La présente étude cherche à remédier à cet état de choses qui est pour le moins insatisfaisant, voire doublement victimisant. Elle vise aussi à remettre en question la tendance actuelle à la critique et au manque de priorité accordés aux voies de recours pénales en réponse aux crimes et aux dommages environnementaux. Bien que les régimes administratifs de compensation et, plus récemment les régimes de sanctions civiles, se vantent d’être les « meilleures » réponses aux crimes et dommages environnementaux, peu d’intérêt n’a été accordé à la facilitation des réparations faites aux victimes. Les principaux débats sur la question évitent d’ailleurs de prendre en compte la littérature issue de la victimologie, où les arguments favorables aux compensations et aux réparations offertes aux victimes se sont développés au cours des 30 dernières années. La plupart des études publiées ne se sont pas intéressées aux réparations que peuvent obtenir les victimes ni à leur appréciation du processus judiciaire comme critères permettant d’évaluer ces systèmes. Je soutiens que la perspective de la victimologie, en matière de mesures de réparation et de procédure au sein du système judiciaire pour les victimes, montre bien la pertinence d’avoir recours à la voie pénale en vue d’offrir une réparation (ou « restitution ») dans les cas de victimisation environnementale. La victimologie nous incite également à envisager des réformes supplémentaires dans les régimes administratifs et les mécanismes de recours judiciaires.

L’attention portée par les victimologues aux crimes environnementaux (et au concept plus large des dommages environnementaux, discuté ci-après) est l’une des toutes dernières avancées de la « criminologie verte », qui s’est largement développée au cours des 20 dernières années (Hall, 2013). Néanmoins, il n’y a eu aucune évaluation systématique ou application de cette perspective à la question des réparations offertes aux victimes de dommages environnementaux à l’intérieur des processus de justice civile, administrative et criminelle. Pour remédier à ce manque, le présent article propose ainsi d’examiner les options de réparations disponibles pour les victimes de crimes sous un certain nombre de juridictions et offre la première évaluation critique et systématique de leur pertinence dans les affaires environnementales. On y analysera les avantages et les inconvénients des litiges civils, des régimes administratifs de compensation (à la fois ceux financés par des fonds publics et ceux du privé), des régimes de sanctions civiles et des mécanismes de restitution pénale dans les options de réparation offertes aux victimes. Un cadre de référence permettant d’aborder ces réparations dans les cas de crimes environnementaux ou de dommages environnementaux au sens plus large sera ensuite proposé. Ce modèle préconise l’extension des régimes administratifs de compensations au-delà de ce qui est avancé pour expliquer leurs limites restrictives actuelles (souvent motivées par des raisons politiques et économiques) afin de répondre aux formes élargies de victimisation environnementale. Je soutiens ainsi que la restitution par les processus judiciaires joue encore un rôle majeur, à la fois pour son (éventuelle) accessibilité à des groupes plus larges de victimes d’atteintes environnementales, pour sa capacité à offrir des réparations financières significatives dans les cas impliquant des entreprises polluantes, et pour les répercussions symboliques de ces dommages « criminellement condamnables » sur les victimes et sur la société en général.

Dans cet article, le terme « compensation » sera utilisé pour parler des sommes versées par l’État aux victimes de crimes et de dommages environnementaux. Ce terme s’opposera à celui de « réparations », un terme qui sera employé pour parler des versements effectués par les auteurs des crimes (sociétés ou individus, soit imposés comme sanction pénale ou sous un régime administratif). J’utiliserai ces deux termes collectivement sous l’appellation de « mesures de réparation ». Soulignons ici que, dans la littérature scientifique, ces derniers sont utilisés indifféremment et de manière interchangeable. Enfin, puisque les États peuvent eux-mêmes être les auteurs de ces crimes environnementaux, ou pour le moins y contribuer (voir Lynch, Burns et Stretesky, 2010), on ne peut tenir pour acquis que toute somme d’argent venant des fonds publics constitue des « réparations » telles que définies ici. En fait, c’est à cause de ces incertitudes conceptuelles que la question des mesures de réparations offertes aux victimes des crimes environnementaux n’a pas encore été analysée par des victimologues, des criminologues ou des avocats.

Des « victimes environnementales » ?

Nous nous intéresserons ici aux mesures de réparation offertes aux communautés et aux individus affectés par la dégradation de l’environnement (perpétrée par des actions humaines) et ayant un impact négatif sur leur santé ou sur leur vie sociale et économique. Le terme « victime environnementale » servira à désigner ce groupe, bien que la signification et la portée du terme soient contestées dans la littérature sur le sujet. Skinnider (2011) a relevé la gamme extrêmement vaste de conséquences que peuvent imposer des dommages environnementaux aux individus et aux communautés. De plus, notre vision pourrait être critiquée par les criminologues de l’environnement pour notre perspective anthropocentrique qui ne prend pas en compte les maux occasionnés aux non-humains ou à l’environnement lui-même. Bien que les questions concernant l’utilisation de mesures de réparation afin de « restaurer l’environnement » seront abordées dans notre analyse, la décision de mettre l’accent sur les victimes humaines est largement motivée par le fait que cette étude vise à adapter des idées existantes en victimologie au « nouveau » problème des dommages environnementaux. Un seul article ne suffirait pas à développer ces idées afin qu’elles englobent les mesures de réparation pour les victimes non humaines ou pour l’environnement lui-même. Cette question est abordée par ailleurs en victimologie et en criminologie environnementale (Nurse, 2013). Il est donc pleinement admis que les victimes humaines au coeur de cette discussion sont, d’une certaine manière, de simples symboles d’un ensemble plus vaste de victimisation moins anthropocentrique, qui relève de crimes et de dommages environnementaux.

La définition de victime environnementale telle que choisie ici sera plutôt large à d’autres égards, s’étendant au-delà des victimes affectées par des crimes environnementaux reconnus officiellement pour comprendre aussi les atteintes environnementales au sens plus large. Au cours des dernières années, l’étude de la victimisation environnementale a poussé les victimologues (comme les criminologues) à reconsidérer des arguments radicaux selon lesquels les dommages sociaux sont souvent causés par des élites sociales puissantes. Stretesky, Long et Lynch (2014) ont récemment relancé le débat en adaptant le concept du « tapis roulant de la production » (treadmill of production) de Schnaiberg (1980) à propos de la délinquance environnementale en vue de créer un modèle théorique qui inscrit les crimes et les atteintes environnementales, ainsi que la destruction écologique, dans le cadre du mouvement capitaliste contemporain qui pousse sans cesse à la production. Selon ces auteurs, c’est cette course effrénée qui mène à ce qu’ils appellent des « crimes verts » (green crimes), définis de manière à englober les atteintes non officiellement criminalisées. La prise en considération des victimes non seulement de crimes, mais aussi de ce que l’article 18 de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir de l’ONU (1985) appelle l’« abus de pouvoir », est restée plutôt au second plan dans la littérature en victimologie.

Nous reconnaissons que plusieurs victimisations environnementales servent les intérêts des grandes sociétés et, par conséquent, les objectifs économiques des États (Lynch et al., 2010). Cette réalité reflète l’approche des « dommages sociaux » défendue par les criminologues critiques qui cherchent à problématiser les relations de pouvoir dans la société qui influencent les activités nuisibles socialement qui devraient être considérées comme « criminelles » (Tombs et Whyte, 2007). Pour Stretesky et al. (2014), les atteintes environnementales se distinguent toutefois de la portée plus large des « dommages sociaux » et méritent donc une considération particulière, ces derniers étant le résultat de la priorisation d’intérêts capitalistes par des entités politiques et économiques devant les problèmes environnementaux. Lorsqu’il est question de « mesures de réparation » pour les victimes de crimes environnementaux, on parle généralement de « réparer » des actions nuisibles qui, produites par les sociétés et les gouvernements, ne sont pas considérées officiellement comme des « crimes ». Cela signifie que toute approche théorique cherchant à esquisser des options de réparation pour les victimes doit comprendre les mesures de réparation pour des activités telles que celles définies par Passas (2005, p. 1) comme étant « légales mais horribles » (lawful but awful).

Quelles « réparations » souhaitent les victimes environnementales ? quels sont leurs besoins ?

Les recherches empiriques portant sur les attentes des victimes de crimes, ou d’atteintes environnementales plus vastes, en ce qui a trait aux processus judiciaires, que ce soit sur le plan civil, criminel ou administratif, sont fort rares. Cette situation reflète une tendance de longue date caractérisée par le manque de consultation auprès des victimes dans la mise en oeuvre de politiques visiblement « pro-victimes ». Cette situation fait depuis longtemps l’objet de critiques dans la littérature générale en victimologie de plusieurs pays. Au Royaume-Uni, par exemple, la création en 1964 d’un régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels se fondait largement sur la présomption que c’est ce que désiraient les victimes, sans quoi elles tenteraient de se faire justice elles-mêmes (Rock, 1990). Considérant l’intérêt désormais centré autour de l’établissement de politiques se fondant sur des données probantes (Lawrence, 2006), le manque constant de consultation auprès des victimes environnementales est en effet inquiétant. Hall et Shapland (2014) expliquent ceci par le fait que, pour les décideurs politiques, consulter directement les victimes signifierait se confronter à ce qu’elles disent et à ce qu’elles pensent plutôt que les « utiliser » comme exemple de personnes touchées, suivant la vision de la « culture du contrôle » de Garland (2001). Bien sûr, dans cet ordre d’idées, les victimes environnementales deviennent une menace non seulement pour les avocats et pour l’État, mais aussi pour les groupes d’activistes environnementaux qui souhaitent poursuivre ce dernier. Or, les victimes peuvent juste souhaiter être traitées avec respect, être informées, comprises et que des excuses leur soient présentées, plutôt que d’exiger d’autres solutions plus punitives.

Compte tenu de cette situation, les victimologues « verts » doivent de contenter de discussions plus théoriques lorsqu’il s’agit d’anticiper les besoins des victimes de crimes environnementaux en termes de mesures réparatrices pour les préjudices subis. Cette situation étant certainement insatisfaisante, l’absence jusqu’à maintenant d’une telle discussion écarte toute possibilité d’entreprendre un travail empirique. La présente étude devient donc le premier pas logique et nécessaire vers une meilleure compréhension de ce que les « vraies » victimes environnementales pensent concrètement de la justice et des mesures de réparation.

Sur cette question, Lee (2009) a souligné l’importance de prendre une approche holistique et axée sur le bien-être quant aux dommages environnementaux, plutôt que de se concentrer purement et simplement sur les réparations ou les compensations financières. Plutôt que de simples compensations globales en argent, Lee (2009) insiste fortement pour que soient offerts des programmes de réparation et de soutien sur mesure et à long terme dans chaque communauté. Puisque « des localités différentes héritent de normes culturelles et de caractéristiques différentes[2] » (Lee, 2009, p. 29), Lee relève le rôle crucial joué par les gouvernements locaux dans le développement et la concrétisation de tels programmes. Une étude de cas réalisée par Wheatley (1997) montre bien que certains types de victimes de dommages environnementaux ont besoin de bien plus qu’une seule compensation financière. C’est le cas des peuples des Premières Nations canadiennes ayant été victimes d’empoisonnement au mercure sur leurs territoires traditionnels et dans leurs réserves d’eau et de nourriture, ce qui a eu sur eux de fortes répercussions culturelles. Comme l’observe Wheatley (1997) : « Même après que des compensations aient été payées, les problèmes sociaux ont persisté, surtout à Whitedog, où les solvants sont introduits dans les communautés par contrebande, et où 4 suicides ont été rapportés au printemps 1995 » (p. 78).

L’importance des réparations non financières est encore mentionnée dans la documentation existante en victimologie, qui veut que, dans les systèmes de justice criminelle, les paiements de la part des transgresseurs tendent à avoir une signification symbolique plus importante pour les victimes de crimes que les sommes prélevées de l’impôt (Shapland, 2003). Malsh (1999) a insisté sur l’importance des « dommages immatériels » pour les victimes de crimes, et la complexité inhérente des démarches cherchant à aborder cette question dans le contexte de la justice criminelle. À partir d’entrevues faites auprès de victimes sur la question de la compensation et de la réparation, Shapland (2003) a conclu que les victimes considèrent que leur douleur et leur souffrance ont été reconnues par le système à partir du moment où un juge ordonne à la partie fautive de verser des réparations. Elles l’accepteraient comme une reconnaissance de leur « statut de victimes » (Miers, 1980). Suivant en effet la perspective de la « justice procédurale » (Tyler, 1990 ; Tyler et Huo, 2002), ces auteurs soutiennent que le sentiment pour les victimes d’être pleinement reconnues par le système de justice (comme étant réellement « blessées »), ainsi que le respect et la courtoisie qui vont de pair, sont les principaux générateurs de leur satisfaction au sein du processus. Cette attitude a été relevée dans des études qualitatives comme celles de Shapland (2003) ainsi que dans des sondages quantitatifs effectués auprès des victimes et des témoins ayant pris part à des procédures criminelles (Angle, Malam et Carey, 2003).

Aussi bien la théorie que les données empiriques présentées dans les principales études en victimologie indiquent donc que les victimes de crimes (non environnementaux) se préoccupent généralement de la manière dont le système de justice les traite autant que des résultats concrets comme les mesures réparatrices pouvant leur être offerts. Dans le cas des victimes environnementales, la situation semble moins claire compte tenu de l’absence totale de recherches empiriques sur ce qu’elles espèrent obtenir de la part d’un système de justice. Malgré tout, si l’on applique ici les données fournies en victimologie, il peut être affirmé que de simples sommes versées à des individus, des communautés ou des groupes touchés par des activités détruisant l’environnement (qu’elles soient criminelles ou non) sont susceptibles d’apporter au mieux une solution générale aux conséquences de ces activités ou, dans le pire des cas, elles seront loin de couvrir la pleine réparation.

Il faudrait mentionner à cette étape le nombre croissant de lois visant les victimes de crimes en tous genres, sur les plans national et international. C’est entre autres le cas en Angleterre et au Pays de Galles, dans le cadre de la Directive 2012/29/UE établissant des normes minimales en matière de droits, de soutien et de protection des victimes de la criminalité, qui a remplacé la décision-cadre du Conseil 2001/220/JHA. L’article 16 de cette directive donne aux victimes le « droit d’obtenir qu’il soit statué une indemnisation par l’auteur de l’infraction dans le cadre de la procédure pénale », et au paragraphe 2 stipule que : « Les États membres promeuvent les mesures destinées à encourager l’auteur de l’infraction à offrir une indemnisation adéquate à la victime. » L’article 10 de la directive garantit également aux victimes « le droit d’être entendu » dans les procédures judiciaires.

La suite de notre étude consistera à évaluer de manière critique les mécanismes offrant des réparations aux victimes environnementales afin d’évaluer si elles répondent à ces critères plutôt complexes.

Mécanismes de recours

Nous présenterons d’abord les critiques principales soulevées contre les voies possibles qu’offre la justice pénale en matière de crimes pouvant être prouvés. Nous étudierons ensuite les litiges civils, les régimes administratifs de compensation/indemnisation, puis les régimes de sanction civils. Au cours de la discussion, les critiques principales dressées contre les recours pénaux serviront de repères pour explorer comment les autres voies (en particulier les systèmes permissifs) affirment répondre à ces problèmes. Nous soulignerons également leurs limites du point de vue de la victimologie. La justice criminelle sera de nouveau défendue en fin de section pour explorer comment, malgré les critiques, ses avantages pour les victimes demeurent évidents, étant donné les limites des autres options susmentionnées.

Abordons donc les voies possibles de réparation pour les victimes de crimes et de dommages environnementaux au sens plus large, en réitérant que les issues offertes par la justice pénale ne sont pas présentement en vogue. Comme le notent Bell, McGillivray et Perdersen (2013) : « Le droit pénal, en tant que moyen d’appuyer les formes traditionnelles de régulation, est compensé à un certain point par des méthodes plus administratives d’application de la loi, l’utilisation de sanctions civiles environnementales étant au coeur de la question » (p. 265).

En fait, cette tendance constitue un renversement par rapport à l’approche traditionnelle choisie pour faire face à la dégradation de l’environnement (Bell et al., 2013), comme c’est le cas dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni. En effet, dans l’ensemble de l’Union européenne, la Directive 2008/99/CE relative à la protection de l’environnement par le droit pénal requiert spécifiquement des États membres de l’UE qu’ils appliquent des sanctions pénales afin de faire respecter la loi environnementale européenne.

Nonobstant ce qui précède, des critiques sont récemment apparues quant au processus pénal tel qu’il s’applique aux cas environnementaux, soulignant ses difficultés apparentes d’en venir à une condamnation. Du point de vue des victimes de dommages environnementaux, ces critiques sont significatives puisque, dans la plupart des juridictions, les réparations pénales prennent la forme d’ordonnances de dédommagement inclus dans la peine imposée au transgresseur à la suite de la condamnation. Il est par ailleurs significatif que prouver le lien de causalité, selon la norme de preuve en matière pénale, entre un acte polluant (ou une omission) et une conséquence donnée (un dommage), est souvent une tâche ardue. Même lorsqu’on en vient à une condamnation pour une atteinte environnementale, O’Hear (2004) souligne la difficulté d’inculper l’auteur du délit pour l’ensemble des conséquences au sens large. Sur la question, on peut donc dire qu’un tribunal pénal est mal équipé pour évaluer le degré de dommages subis par les victimes environnementales, et pour rendre une ordonnance en conséquence, surtout en considérant que la nature de ces dommages peut être économique, sociale, culturelle ou liée à la santé (Skinnider, 2011). Ces difficultés semblent refléter des problèmes plus profonds auxquels le système de justice criminelle fait face. Les cas mentionnés sont généralement caractérisés par une victimisation massive, difficile à assimiler pour la plupart des systèmes de justice, gardant à l’esprit, bien sûr, que la plupart des systèmes judiciaires criminels dans le monde éprouvent toujours des difficultés à intégrer des victimes individuelles de crimes plus traditionnels. En considérant les critiques principales susmentionnées sur le processus pénal, cet article se penchera à présent sur les autres voies offertes aux victimes de crimes environnementaux en quête de réparations. Puis, nous démontrerons que, du point de vue des victimes, les mécanismes de justice pénale ont tout de même un rôle vital en réponse aux délits environnementaux.

Recours au litige civil

Pour les victimes engageant des procès civils contre des individus, des personnes morales ou des États ayant causé des atteintes environnementales les ayant touchées, la question d’un procès civil est une affaire décidée assez rapidement. En effet, les ressources financières nécessaires pour entreprendre de telles démarches civiles sont si considérables qu’elles les placent généralement hors des options réalistes. C’est d’autant plus vrai que, comme pour les victimes d’autres types de crimes, celles touchées par des crimes environnementaux sont, disproportionnellement, les plus démunies et marginalisées de notre société, tant sur le plan national qu’international (Ruggiero et South, 2010). Puisque, dans la plupart des juridictions, très peu ou voire aucun fonds public n’est consacré à ce type d’affaires, les coûts doivent généralement être couverts par les victimes elles-mêmes ou par des groupes de victimes (Castle, 1996). C’est principalement pour cette raison que les commentaires sur la question se font de plus en plus désobligeants par rapport à ce qui est appelé responsabilité civile « toxique » (Goldberg et Zipersky, 2011). Le recours aux poursuites civiles présente également d’autres difficultés, que Skinnider (2011) résume ainsi : « Les limites de telles ressources regroupent les cas où le contrevenant ne relève pas de la même juridiction que la victime, où il n’est pas immédiatement identifiable, le fardeau de la preuve et des coûts du procès » (p. 74).

Même si le fardeau de la preuve exigé est moins élevé que dans les procès criminels, les parties civiles doivent tout de même établir la culpabilité des répondants visés, ce qui est souvent problématique considérant la nature des activités polluantes.

Un des avantages des procès civils pouvant se révéler un moyen important d’assurer que des réparations soient faites aux victimes est le recours collectif. Celui-ci est offert dans de nombreuses juridictions et permet à de grands groupes de victimes de poursuivre collectivement des pollueurs (Johnson, 2004). En principe, une telle option offre un avantage important, comparativement aux systèmes de justice pénale individuels et aux régimes administratifs de compensation examinés ci-après, puisque ces options tiennent compte de la victimisation massive, souvent présente dans les cas d’atteintes environnementales. Mais les recours collectifs ont, eux aussi, été critiqués du point de vue des dommages environnementaux, principalement parce que « ce règlement légal n’a pas été conçu spécifiquement pour des recours environnementaux et serait particulièrement difficile à obtenir dans les affaires environnementales » (Skinnider, 2011, p. 75). En outre, Lin (2005) a relevé des abus possibles du système des recours collectifs dans un certain nombre de cas d’atteintes environnementales aux États-Unis qui permettent « d’enrichir les avocats plutôt que de servir les plaignants » (p. 1516).

Mécanismes administratifs de compensation et de dédommagement

Selon O’Hear (2004), le système administratif de réparation pour dommages environnementaux (abordant dans ce cas le changement climatique) présente de nombreux avantages que n’offrent pas les procédures civiles et pénales. Pour lui, de tels régimes peuvent fonctionner sous un ensemble plus complet de règles prédéfinies. Lin (2005) ajoute à cet argument l’avantage d’offrir une classification unifiée des dommages. Bien sûr, si ceux-ci apportent plus de certitude, ils laissent aussi très peu de place à l’adaptation des règles aux différentes situations. Considérant les lacunes dans la connaissance du plein impact de la dégradation de l’environnement, bon nombre de victimes de dommages ne peuvent ainsi être bien servies par un système trop rigide.

O’Hear (2004) répond sur ce point que plusieurs formes de dommages environnementaux (dégradation des « caractéristiques du paysage » et dérangement ou dégradation du mode de vie des communautés locales) n’ont « pas reçu, par le passé, autant d’égards de la part du système judiciaire que d’autres » (p. 162). Bowman (2002) défend lui aussi cet argument voulant que de tels régimes de compensation, mis en place un peu partout dans le monde en réponse aux dommages environnementaux, « n’impliquent pas la reconnaissance des dommages à l’environnement, mais se soient concentrés sur les intérêts humains bafoués dans cet environnement en termes de personnes et de biens » (p. 12-13).

Cela soulève un aspect important : les régimes de compensation administratifs semblent se soucier davantage des demandeurs humains que de la restauration de l’environnement dans son ensemble, quoique les sommes en jeu puissent viser aussi des efforts de restauration de l’environnement. Un autre point important est que ces régimes sont généralement conçus pour répondre aux besoins de grands groupes de victimes ou plaignants, une de leurs raisons d’être étant que faire face aux victimisations massives de cette façon est plus efficace que de soumettre une multitude de poursuites devant les tribunaux civils sur une durée prolongée, comme ce fut le cas en Inde (et comme c’est toujours le cas) lors de la catastrophe de Bhopal, survenue en 1984. Lin (2005) soutient en effet qu’un avantage important des régimes administratifs de compensation dans les affaires environnementales est qu’ils ont la possibilité de compenser ceux qui ne sont pas encore touchés par les atteintes environnementales, mais qui sont à risque de l’être, étendant ainsi aux générations futures le spectre des personnes touchées. Bien sûr, ceci n’est possible que si les régimes accordent des réparations sur une base ex post plutôt qu’ex ante. Le système de réparation conçu au Royaume-Uni en est un bon exemple, les communautés situées près de sites de fracturation hydraulique recevront des compensations en avance pour les dommages qui surviendront (Department of Energy & Climate Change, 2014). Mais compte tenu de l’incertitude soulevée tant par la fracturation hydraulique elle-même que par les répercussions à moyen et à long terme sur les populations locales et l’environnement, de tels versements risquent toutefois de ne pas couvrir l’étendue des dégâts futurs.

Farber (2007) avance quant à lui une solution au problème de l’établissement d’un lien de causalité dans les cas de crimes environnementaux en proposant que les victimes reçoivent ce qu’il appelle un « recouvrement proportionnel », qui reflèterait la probabilité que les dommages aient été causés par une exposition aux polluants. Dans les cas où différents groupes de victimes sont à divers degrés à risque de subir des dommages environnementaux, O’Hear (2004), lui aussi, préconise cette approche fondée sur le risque, qui évite la difficile démonstration de preuve du lien de causalité devant un tribunal pénal (ou civil). Selon Lin (2005), les avantages d’un système de dédommagement administratif (plutôt que devant un tribunal civil ou pénal) fondé sur le risque sont clairs. Les systèmes administratifs peuvent aussi exercer une supervision plus continue et répartir les compensations plus équitablement parmi les groupes de victimes, tout en étant plus facilement tenus responsables politiquement que le système de justice classique. Lin (2005) soutient également que les systèmes administratifs font généralement appel à des décideurs experts et spécialisés pouvant effectuer leurs propres recherches et prendre en compte un vaste étal d’information. Cela permet d’éviter les limites de la restitution pénale telles qu’expliquées plus haut, avec des tribunaux mal équipés pour quantifier la pleine portée des dommages environnementaux, surtout dans le cadre de la common law. Cela dit, Lin (2005) place tout de même une confiance considérable dans les capacités de la science moderne d’évaluer les risques avec exactitude, ce qui est peut-être trop généreux de sa part, compte tenu du développement continu des connaissances sur les atteintes causées à l’environnement et des lacunes assez vastes dans ce domaine.

En principe donc, les régimes administratifs se défendent très bien en termes de mesures de réparation pour les victimes d’atteintes environnementales. Ils semblent visiblement plus efficaces et moins longs que leurs équivalents (Farber, 2007). De plus, ne pas avoir à démontrer un lien de causalité (selon les normes pénales et civiles) facilite, en théorie, les rétributions. Reste toutefois à savoir si ces régimes sont toujours idéaux du point de vue des victimes elles-mêmes. Leur financement, par exemple, soulève lui aussi des questionnements complexes. Les paiements directs du pollueur aux victimes semblent en effet l’option la plus bénéfique, financièrement et symboliquement. De plus, de tels paiements peuvent exercer des pouvoirs de dissuasion généraux et spécifiques sur les pollueurs. Mais dans de tels régimes, soit la norme de preuve (et la certitude du lien de causalité à être établi) a besoin d’être supérieure, soit ces régimes doivent être limités à des évènements ou à des groupes de personnes bien précis.

La difficulté principale avec cette dernière voie de recours est qu’elle exclut de toute évidence bon nombre de victimes, comme le montre l’exemple récent d’une importante transaction visant à indemniser des victimes de dommages environnementaux : le fonds de 20 milliards de dollars américains constitué en vertu des ententes entre BP et le gouvernement américain, à la suite de l’explosion du Deepwater Horizon, en 2010, et du déversement de pétrole dans le golfe du Mexique. Ce fonds, financé par BP (2010), est administré par un « mécanisme indépendant de traitement des réclamations » qui, de manière controversée, est géré par un employé de BP. Le régime peut verser des fonds aux entreprises, aux départements d’État et aux individus démontrant des « revendications légitimes comprenant des atteintes aux ressources naturelles et les frais généraux d’intervention » (BP, 2010).

Considérant l’ampleur de l’intérêt porté à l’affaire sur le plan international, on peut croire que la rapidité avec laquelle les États-Unis et BP ont conclu des ententes révèle bien les rouages politiques du mécanisme d’indemnisation. En effet, l’argument voulant que la plupart des régimes de compensations reposent sur une nécessité politique est souvent cité dans les articles de victimologie (Elias, 1986 ; Harland, 1978 ; Miers, 1997). C’est le fort intérêt porté par les médias, surtout américains, aux démarches entreprises entre le gouvernement et BP, qui a maintenu vive la catastrophe du golfe du Mexique au sein des débats politiques. Même si ce régime est, de manière générale, un pas positif en vue de répondre aux besoins de ces victimes d’atteintes environnementales, il montre également la disparité entre le traitement des victimes dans les cas dignes de médiatisation et les dispositions prises pour de telles victimes dans des cas plus communs, sur les plans national et international. Selon Van Tassel (2011) :

Le déversement de pétrole dans le golfe du Mexique et les efforts immédiats de British Petroleum pour payer l’assainissement et les réparations aux victimes peuvent mener les gens à conclure erronément que des lois nationales et internationales servent activement à faire payer les pollueurs pour les dommages. En réalité, il est rare que l’assainissement et les réparations se fassent aussi efficacement, et des lois sont en place pour protéger les pollueurs lorsque les catastrophes surviennent dans des pays plus pauvres. (sans pagination)

L’auteur fait référence ici au nombre fort élevé de victimes environnementales au Nigéria n’ayant pas reçu de compensations pour la pollution engendrée par l’industrie du pétrole. La critique est donc qu’alors que dans les pays développés des régimes administratifs relativement lucratifs et très médiatisés sont mis en place par des tribunaux conçus pour répondre aux évènements de pollution majeurs mais ponctuels (et ayant la possibilité de conclure des accords avec des multinationales), l’absence de tels régimes de compensation ou de réparation à l’internationale, dans les cas de victimisations environnementales de nature plus endémique, mais moins attrayante pour les médias est saillante. Cette disparité reflète aussi l’inégalité de l’impact des dommages environnementaux sur les États riches et les plus pauvres, comme étudié par Ruggiero et South (2010).

Le caractère restrictif de nombreux régimes administratifs, combiné avec leur sensibilité aux pressions économiques et politiques extérieures, peut être observé par un exemple au Japon, où un régime administratif d’indemnisation pour cause de pollution s’applique sous une forme ou une autre depuis 1973 (voir Bronston, 1983). Mis en place devant l’industrialisation grandissante qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, le régime consistait, à l’origine, en compensations financières faites aux victimes résidant dans des zones déterminées du pays où se développaient certaines maladies. Les zones géographiques ont d’abord été divisées en localités de « classe I » et de « classe II ». Les emplacements de classe I étaient particulièrement touchés par la pollution de l’air. Les victimes d’une des maladies respiratoires répertoriées pouvaient réclamer une somme tirée d’un fonds provenant de l’impôt et des taxes de sociétés polluantes, surtout les émettrices d’oxydes de soufre. Dans les zones de classe II, un lien de causalité avait été établi entre un agent polluant et certains effets sur la santé. Dans ces zones, les versements pouvaient être directement demandés aux pollueurs. Les versements de classe I se sont révélés les plus contestés sur le plan politique, et à la longue, le gouvernement a fini par céder aux pressions des entreprises et ont annulé, en 1988, toutes les désignations « classe I ». Lin (2005) décrit ainsi cette situation : « Les émetteurs ont raisonnablement soutenu qu’il était injuste de les tenir financièrement responsables des maladies causées par d’autres pollueurs. Du point de vue de l’industrie, la norme de causalité était si relâchée que le système offrait des indemnisations sans égard à la faute. » (p. 1498)

Cet exemple montre que, bien qu’un des avantages de l’application de régimes administratifs d’indemnisation pour des atteintes environnementales (en comparaison des normes de preuve des tribunaux civils et pénaux) soit le seuil plus bas des exigences du lien de causalité, un tel système plus assoupli, est perçu comme injuste par ceux qui le financent. En effet, dans cet exemple, les victimes de classe I et de classe II n’avaient pas à démontrer de lien de causalité spécifique entre le polluant et leur maladie. Ce point est important, car de tels acteurs (grandes entreprises) sont susceptibles d’exercer des pressions économiques et politiques contre de tels systèmes, comme ce fut le cas au Japon. Il est bien sûr également possible que, comme dans cet exemple, les régimes d’indemnisation pour cause de pollution étant financés par un impôt général imposé aux compagnies polluantes, ces frais soient tout simplement transférés aux consommateurs, anéantissant ainsi tout effet dissuasif.

L’autre critique principale à l’encontre du modèle japonais est qu’il est centré exclusivement sur certains types de dommages (des maladies prédéfinies) et même sur des régions spécifiques du pays. En outre, les compensations ne sont offertes que pour couvrir les frais médicaux. Ce système est loin de couvrir la gamme complète des atteintes environnementales, et ne fait rien pour réparer l’environnement lui-même. Une telle classification des zones semble trahir l’acceptation officielle que certaines régions devraient être abandonnées à la pollution pour le plus grand bien de l’économie, faisant de leurs habitants des victimes environnementales. C’est là l’essence même de l’explication de Stretesky et al. (2014) du « tapis roulant du crime » mentionné plus haut.

Les modèles américain et japonais décrits plus haut sont financés par les entreprises polluantes. Une solution de rechange serait que l’État verse des compensations sur la base du bien-être social. En théorie, ce type de régime pourrait couvrir une étendue plus vaste d’atteintes environnementales, la plupart des autorités occidentales ayant déjà en place des moyens de dédommager les victimes d’actes criminels avec des fonds publics. En effet, au cours des cinquante dernières années, le développement de ces régimes publics a suscité de nombreux débats intellectuels concernant leur lieu d’être et leurs justifications. Ces discussions peuvent être éclairantes pour l’application des régimes en question à des cas de dommages environnementaux (criminels ou pas).

Souvent, les régimes publics de compensation pénale limitent l’accessibilité des compensations à ceux qui ont subi des blessures physiques à la suite de crimes violents (voir Hall, 2010). La plupart des mécanismes publics de compensation pénale visent les victimes (individuelles) dites « idéales »[3], et ont une vision stéréotypée de la souffrance tendant à exclure les victimes de dommages environnementaux (voir la Commission des lois de la Nouvelle-Zélande, 2008 ; ou le Tribunal irlandais d’indemnisation des victimes d’actes criminels, 2009). Cela est particulièrement déplorable, sachant que l’un des avantages du choix de ce système est que, dans la plupart des cas, une condamnation n’est pas nécessaire, et qu’aucun accusé n’a besoin d’être identifié. On évite ainsi d’avoir à établir une culpabilité et d’en venir à une condamnation, comme souligné plus haut. De plus, couvrir ces victimes par de tels régimes impliquerait de reconnaître les dommages environnementaux en tant que crimes perpétrés, ce qui pourrait s’avérer important du point de vue à la fois des victimes individuelles et de la société dans son ensemble, comme exprimé plus haut.

Comme pour les ordonnances d’indemnisation en justice pénale, dans bon nombre de juridictions, l’on sait que les sommes versées par les régimes d’indemnisation des victimes d’actes criminels sont symboliques, même si les sommes en jeu sont souvent au-dessus de ce que peuvent payer la plupart des contrevenants (Hall, 2013). Par ailleurs, il se dégage de la littérature générale en victimologie que les victimes de crimes environnementaux trouveraient les sommes versées par l’État moins bénéfiques symboliquement que des paiements puisés dans la poche des responsables de leur victimisation. Bien sûr, l’une des raisons pour lesquelles ces compensations sont dites symboliques est pour éviter l’escalade des coûts auxquels ont dû faire face presque tous les tribunaux qui les ont adoptées (Zhang, 2008).

Une question qui revient sans cesse dans ce débat est celle de savoir si les États doivent verser quelque somme que ce soit aux victimes de dommages (environnementaux ou autres). En ce qui concerne ces dernières, nous avons relevé que l’idée d’établir des régimes administratifs de compensation fondés sur des principes de bien-être a été mise de l’avant par Lee (2009). Miers (1997) argumente toutefois qu’en réalité, les États versent rarement des indemnisations aux victimes (de crimes) en fonction de leurs besoins. Il soutient que ces régimes sont plutôt fondés sur des nécessités politiques présumées, comme mentionné plus haut. Il est pertinent de noter ici que la Commission des lois de la Nouvelle-Zélande (2008) milite pour que soient repensés les fondements de son propre régime d’indemnisation (le premier au monde). Elle soulève en outre des questions concernant les considérations particulières accordées aux victimes de crimes, comparativement aux dommages sociaux plus généraux. La Commission note qu’il est « généralement difficile de justifier le traitement particulier accordé aux victimes de crimes sous prétexte d’utilité sociale » (paragr. 4.3.). Compte tenu du fait que de nombreuses activités destructrices de l’environnement sont, dans les faits, punies par l’État plutôt que criminalisées (constituant des dommages plutôt que des crimes environnementaux), les débats sur la question sont extrêmement pertinents dans toute discussion où il est question des compensations publiques offertes aux victimes de dommages environnementaux.

Une solution à cette impasse consisterait à distinguer les dommages environnementaux des autres formes de « dommages sociaux » en se référant à la manière dont ces derniers s’inscrivent dans les besoins du capitalisme et la priorisation de la production, comme le proposent Stretesky et al. (2014). Sur cette base, les compensations publiques sont à la fois fondées sur l’idée de bien-être et sur le fait que le dommage est issu, au moins en partie, de la priorisation économique de la production, au détriment de l’environnement. Bien entendu, pour certains, cela équivaut à ce que l’État admette sa faute, ou du moins, son échec, relativement à la protection de l’environnement (et donc de ses citoyens). Ce genre d’affirmation est toutefois unanimement rejeté par les juridictions en tant que fondement pour créer des régimes publics d’indemnisation. Il demeure que, dans plusieurs cas, il reste possible de montrer que l’État, par la croissance économique ou son système fiscal, bénéficie des activités des sociétés polluantes, destructrices pour l’environnement. Dans cette situation, il devient plus difficile pour l’État d’argumenter que les fonds publics ne sont pas propices à servir de compensations dans les cas d’atteintes environnementales, sauf lorsqu’il y a responsabilité sans faute.

Cela dit, un régime public d’indemnisation éliminerait du processus tout élément dissuasif pour les pollueurs. Ce serait aussi annuler ce qui est appelé le principe du « pollueur payeur », qui a servi de repère dans les lois environnementales nationales et internationales durant de nombreuses années (Tobey et Smets, 1996). Sur cet aspect, Bronston (1983) soutient qu’un régime cherchant à allier l’effet dissuasif aux compensations offertes aux victimes a peu de chances de tenir la route :

Un système insistant sur les compensations, par contre, est presque une nécessité dans ce domaine, car un système cherchant à dissuader autant qu’à compenser serait limité aux blessures pour lesquelles une substance dangereuse et une entreprise liée à cette substance pourraient être identifiées. Dans ce type de système, les victimes de blessures pour lesquelles ni la substance ni l’entreprise ne peuvent être identifiées se verraient refuser une compensation. Par conséquent, l’argument moral pour la compensation rapide et non coûteuse des victimes innocentes de dommages liés à des substances dangereuses est plus fort que celui voulant dissuader les entreprises de polluer en leur imposant ces coûts.

p. 516

Ainsi, Bronston (1983) se prononce fortement contre la priorisation de la dissuasion comme fondement de tels régimes. La difficulté réside cependant dans le fait que le degré de compensation que peuvent attendre les victimes en est nettement restreint. Dans ce sens, l’option de justice pénale semble plus attrayante, ouvrant la possibilité de versements généreux en réparations et l’effet de dissuasion lié à la poursuite pénale.

De manière générale, alors que les régimes de compensation et de réparation administratifs semblent fort défendables, il existe souvent un écart considérable entre ce que laissent attendre ces systèmes et la réalité concrète, du moins du point de vue des victimes. Dans les faits, ces régimes semblent largement ad hoc, ou centrés sur une forme très spécifique de cas d’atteintes environnementales, parfois évalués en fonction de projets ex ante des dommages pouvant survenir. Il semble aussi exister un lien entre la mise en place de ces régimes et la médiatisation et la politisation de « catastrophes environnementales » notoires. Ces régimes sont aussi beaucoup plus communs sous les autorités des pays riches et développés, comparativement aux pays situés au sud. Nous avons également soulevé le fait que ces régimes peuvent être lourdement influencés par des intérêts politiques et économiques. Par conséquent, alors que les régimes administratifs de compensation semblent particulièrement adaptés aux évènements ponctuels ou particulièrement sérieux, il est plus difficile de les défendre comme moyen unique de compenser les victimes de dommages environnementaux lorsqu’elles sont si nombreuses à ne pas être qualifiées ainsi pour ce système. Dans ces cas, une réparation pénale pourrait constituer un filet de sécurité important.

L’essor des sanctions civiles

En début d’article, nous avons mentionné que les réparations pénales pour des atteintes environnementales ont été très contestées dans la littérature juridique récente sur le sujet. Bell et al. (2013) soutiennent que les recours au règlement civil (qui est différent des poursuites civiles étudiées plus haut) sont de plus en plus courants sous de nombreuses autorités dans les cas environnementaux, et particulièrement au Royaume-Uni, où un système de sanctions civiles a été ajouté, en janvier 2011, comme option de rechange aux poursuites environnementales. Ces sanctions comprennent essentiellement des ordonnances imposées aux pollueurs par un organisme de réglementation (les Agences de l’environnement, en Angleterre et au Pays de Galles) pour les pousser à cesser leurs pratiques ou à les adapter, et même, dans certains cas, à effectuer des travaux de réhabilitation. L’expansion des sanctions civiles est actuellement une stratégie clé pour la commission juridique liée aux crimes touchant la faune au Royaume-Uni, et des approches similaires peuvent être observées en Australie (Ogus et Abbot, 2011) et en Nouvelle-Zélande (Commission des lois de Nouvelle-Zélande, 2012). En Europe, la mise en place de sanctions civiles appliquées aux dommages environnementaux a été stimulée par la Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale, malgré que cet instrument ait lui-même été critiqué pour le manque de précision de ses démarches de détermination des dommages aux ressources naturelles (Paradissis, 2005) et pour son échec à établir un véritable programme de responsabilisation civile sur l’ensemble de l’Europe (Bell et al., 2013).

De manière générale, les arguments principaux favorables aux sanctions civiles lors de cas environnementaux sont que celles-ci permettent une plus grande flexibilité, et sont souvent considérées comme moins coûteuses à appliquer que des poursuites pénales (Mann, 1992). Suivant le point de vue adopté ici, la difficulté des régimes de sanctions civiles est que peu de celles présentement existantes dans l’Union européenne et ailleurs comportent des dispositions prévues pour les victimes des atteintes environnementales. Même s’il peut être exigé des pollueurs qu’ils « réhabilitent l’environnement », aucune exigence spécifique n’oblige à offrir des réparations aux victimes individuelles ou aux groupes touchés par les dégâts. D’importantes questions restent donc à résoudre quant à savoir si les sanctions civiles, tout en offrant des atouts administratifs et de gestion au système de justice, peuvent aussi défendre des valeurs écologiques pour l’environnement lui-même ou les besoins des victimes de dommages environnementaux.

Faure et Svatikova (2012) ont analysé les avantages respectifs des sanctions civiles ou administratives et pénales pour les cas environnementaux dans quatre territoires européens : la Région flamande et le Royaume-Uni (ayant par le passé favorisé l’option pénale), ainsi que l’Allemagne et les Pays-Bas, qui ont tendance à se tourner vers les sanctions civiles. Cette étude a conclu que le système le plus efficace est celui qui allie les poursuites pénales, pour les plus graves transgressions environnementales, aux sanctions civiles et administratives pour la majorité des autres cas. Cependant, cette conclusion demeure fondée sur une évaluation de l’effet dissuasif des différents mécanismes sur des pollueurs éventuels, plutôt que sur l’impact auprès des victimes ou encore sur les bienfaits pour l’environnement dans son ensemble. Dans ce cas, leur conclusion s’accompagne d’un bémol important :

Il ne faut pas généraliser la conclusion selon laquelle les systèmes permettant une application équilibrée de la loi pénale (en y incorporant le droit administratif pour les infractions mineures ou peu sérieuses) sont plus efficaces que ceux reposant uniquement sur le droit pénal. Après tout, notre ensemble de données ne nous a pas permis d’évaluer l’efficacité des différentes approches dans leur ensemble en ce qui concerne l’effet sur la qualité de l’environnement ou encore le respect des régulations environnementales par les entreprises. De plus, la littérature économique étudiée semble aussi indiquer que les systèmes de droit administratif peuvent être désavantagés par le risque que les autorités d’application de la loi peuvent entretenir des liens de collusion avec les entreprises règlementées, entraînant comme conséquence l’absence de sanctions efficaces imposées par les agences administratives.

Faure et Svatikova, 2012, p. 33

Cette conclusion se préoccupe également du fait que l’emprise réglementaire peut fausser l’application à la fois des sanctions civiles et des autres régimes administratifs. Pour les besoins présents, l’essentiel est que les sanctions civiles semblent présenter des avantages en offrant des réparations aux victimes d’atteintes environnementales. Mais, en effet (de manière moins anthropocentrique), protéger ou réparer l’environnement lui-même ne fait pas partie de ces avantages.

Le droit pénal et les réparations pour les victimes d’atteintes environnementales

L’analyse précédente a montré les limites concrètes de la mise en pratique de recours civils pour obtenir des réparations pour les victimes d’atteintes environnementales. De la même manière, les régimes de sanctions civiles présentent un certain nombre d’avantages, mais n’ont pas, pour la plupart, été conçus en ayant comme priorité les réparations aux victimes. Les compensations administratives ou les régimes d’indemnisation ont retenu l’attention et constituent à bien des égards une option de réparation plus réaliste pour certaines victimes. Ces régimes sont toutefois souvent limités dans le type de victimes concernées, et sont en proie aux influences politiques. Les diverses formes de ces régimes financés par les fonds publics restent critiquées pour bon nombre de raisons : les coûts à prélever des fonds publics, le principe d’offrir de l’argent sans admettre la part de faute attribuable à l’État et, du point de vue de la victimologie, le manque de portée symbolique de ce genre de versements.

Pour toutes ces raisons, je soutiens que le recours à la justice pénale mérite davantage d’attention du point de vue des victimes d’atteintes environnementales cherchant réparation. En effet, relativement à la difficulté apparente d’inclure la victimisation environnementale dans les processus judiciaires, pour les autres formes de victimisation, de nombreux pays ont fait appel ces dernières années aux délinquants pour fournir les restitutions financières, soit directement par ordonnances des tribunaux, soit par la création de fonds pour les victimes financés par les pénalités imposées aux entreprises (Ministère de la Justice du Canada, 2012 ; Whitehead et Block, 2003). De telles restitutions sont maintenant des parts intégrales et obligatoires de nombreux systèmes de justice pénale dans le monde (voir Hall, 2010). Ces développements s’accompagnent assurément de controverses, puisqu’ils remettent fondamentalement en question la raisond’être d’un système de justice qui se préoccuperait plus du préjudice causé à l’État que du dommage causé aux individus (voir Cape, 2004). Certains se demandent si l’attention grandissante accordée aux réparations pour les victimes ne se ferait pas au détriment de la justice pour les défendeurs. Ils remettraient en question la proportionnalité d’une condamnation (le juste dû) lorsqu’on y ajoute les réparations et même l’adhésion qui se doit aux droits du défendeur (Ashworth, 2000). Nous n’étudierons pas ces arguments complexes (et souvent normatifs) en détail ; il nous suffit ici de procéder par l’argument selon lequel, étant donné que de nombreux systèmes juridiques ont mis en place des mécanismes de réparation directe faite aux victimes de certains crimes en justice pénale, il serait aussi intéressant de se pencher sur cette option pour les victimes d’atteintes environnementales. Je pousserais même l’argument jusqu’à dire que la justice pénale offre de nombreux avantages spécifiques aux victimes d’atteintes environnementales.

Du point de vue de la victime, comme nous l’avons vu précédemment, cette tendance est bien documentée dans la littérature scientifique en victimologie qui soutient que les sommes versées par les défendeurs ont une valeur plus cathartique aux yeux des victimes de crimes que celles versées au moyen de la taxation, et amélioreraient donc leur satisfaction à l’égard du système judiciaire. Ainsi, les réparations pénales peuvent avoir l’avantage, dans de tels cas, d’offrir un soutien financier en plus de leur portée symbolique pour les victimes. La Commission européenne (2001) a d’ailleurs reconnu cet argument voulant qu’imposer des sanctions pénales dans les cas d’atteintes environnementales « montre une désapprobation sociale de nature qualitative différente, comparativement aux sanctions administratives ou aux mécanismes de compensation du droit civil » (p. 238). L’effet global, relève-t-on, se manifeste dans l’augmentation des condamnations de tels actes et dans la sensibilisation à leurs dangers et aux préjudices qu’ils engendrent. On fait aussi référence au fait que les réparations pénales peuvent allier les réparations pour les victimes à l’effet dissuasif auprès des délinquants environnementaux, fait difficile à accomplir, comme nous l’avons vu, avec les régimes administratifs.

Lorsqu’il est question d’autres formes de victimisation criminelle, l’importance du bienfait symbolique apporté aux victimes qui reçoivent l’argent directement des défendeurs est souvent brandie contre l’argument selon lequel les contrevenants individuels sont souvent dans l’incapacité de payer la totalité ou même une partie de la somme requise, ne laissant aucune compensation réelle pour la victime du point de vue financier (Nagin et Waldfogel, 1998). C’est là l’une des différences principales entre les auteurs de crimes traditionnels et les délinquants environnementaux, qui sont parfois de grandes entreprises. De telles organisations peuvent généralement se permettre de verser bien plus en termes de réparations financières. Les sanctions pénales se sont également révélées une option stratégiquement avantageuse pour récupérer des fonds de la poche des contrevenants. Richardson (2010) décrit par exemple les démarches du gouvernement américain pour soutirer à Exxon les réparations des dommages causés aux ressources naturelles de la baie du Prince-William lors de la catastrophe pétrolière de l’Exxon Valdez en 1989. L’État aurait procédé non pas en « engageant de poursuites civiles contre Exxon, mais plutôt des poursuites pénales » (Richardson, 2010, p. 4). En tant que telle, la société Exxon a été accusée, à l’époque, d’enfreindre la loi de la Convention concernant les oiseaux migrateurs ainsi que le Refuse Act. Fait marquant : ces deux crimes ont engendré des conséquences nécessitant le versement de réparations à la partie lésée, cette dernière étant, en l’occurrence, l’État américain lui-même, pour les dommages subis à son environnement naturel. La voie pénale a été privilégiée, car la législation limite sévèrement les sommes pouvant être réclamées aux pollueurs à travers les recours en responsabilité civile (ce qui est toujours le cas dans de nombreuses juridictions). Le résultat a été que Exxon plaida coupable et un arrangement financier fut négocié avec le gouvernement.

La justice pénale a le mérite d’être, du moins en principe, accessible à tout type de victimes d’atteintes environnementales (mais pas de dommages environnementaux). Elle facilite les réparations en versement de plus grandes sommes tirées des poches des défendeurs, se trouve moins influencée par la politique, offre le pouvoir symbolique et cathartique de se voir reconnaître comme étant des victimes « criminellement visées » (selon la littérature en victimologie) et exerce l’effet dissuasif attendu des poursuites pour les pollueurs.

Ces avantages se subordonnent bien sûr à l’importance de parvenir d’abord à l’aboutissement de ces poursuites, ce qui n’est, comme nous l’avons vu, pas si simple dans de nombreux systèmes de justice. Néanmoins, cela n’est peut-être pas dû à une incompatibilité fondamentale entre le droit pénal et les affaires environnementales, mais plutôt au besoin de mieux comprendre les crimes et les préjudices environnementaux en général, à la fois par les structures chargées de ces poursuites et, plus significativement, sans doute, par la police et les agences d’enquête. Ce savoir permettrait à ces dernières de mettre sur pied des dossiers plus solides pour satisfaire aux normes de preuve élevées en matière de justice pénale. Selon Carter (1998), un recours aurait beaucoup plus de chances de succès dans les affaires environnementales si les policiers adoptaient des stratégies beaucoup plus proactives :

Les agents d’application de la loi devraient documenter attentivement leurs enquêtes en écrivant des rapports détaillés de ce qu’ils voient, entendent et sentent. Prendre des photos ou des enregistrements vidéo d’opérations ou d’évènements douteux serait encore mieux. Les agents en question devraient patrouiller au sein de leurs communautés avec une sensibilité accrue relativement aux diverses méthodes utilisées par les criminels environnementaux »

p. 181

Carter insiste également sur le fait que les officiers de police devraient être formés pour comprendre les dangers de certaines pratiques nuisibles à l’environnement pour se protéger eux-mêmes. Il est donc nécessaire d’instaurer une expertise scientifique dans la façon de travailler des services de police. De plus, l’auteur souligne l’importance d’aborder la question de la détention et des enquêtes concernant les infractions d’un point de vue multiorganisationnel. Bien qu’il soit improbable qu’améliorer les services de police et les démarches des enquêtes règlera les problèmes inhérents au processus de justice pénale lorsqu’il est question de crimes environnementaux, Lynch et al. (2010) ont remarqué une ignorance de la législation environnementale par les membres de l’appareil judiciaire et les enquêteurs de nombreuses juridictions.

À propos de l’appareil judiciaire, en Angleterre et au Pays de Galles, il semblerait que les obstacles aux réparations dans les tribunaux pénaux ne surviennent non pas à l’étape du procès et de la condamnation, mais viennent plutôt du fait que les autorités ne recourent que trop peu aux ordonnances de dédommagement. Sur la question, le comité de vérification environnementale de la Chambre des communes (2004) aurait fait le constat suivant à la suite de la Commission sur les industries environnementales : « Alors qu’il existe une déposition légale qui permet aux tribunaux de rendre une ordonnance demandant aux contrevenants de réparer les dommages environnementaux causés, cette ressource n’est apparemment pas souvent utilisée » (p. 63).

Les notes d’orientation mentionnées ici se fondent sur celles émises à l’époque par le Conseil de détermination de la peine, qui a affirmé qu’un tribunal doit considérer l’éventualité d’une ordonnance de dédommagement[4] contre le contrevenant si une victime précise peut être identifiée dans une affaire environnementale. Selon l’article 130(3) de la Powers of Criminal Courts (Sentencing) Act (Loi sur les pouvoirs des tribunaux pénaux, en détermination de la peine), les tribunaux doivent en fait se justifier lorsqu’ils ne prononcent aucune ordonnance de dédommagement dans une affaire. Quant à l’article 130(12), il accorde à ces ordonnances de dédommagement plus d’importance qu’aux amendes dans le cas où les contrevenants ne sont en mesure de payer que l’une des deux sommes. Le Conseil de détermination de la peine a depuis émis d’autres directives sur l’imposition d’amendes et autres sanctions dans les cas d’un crime environnemental dans une tentative de corriger le caractère quelque peu aléatoire de la détermination des peines et le manque de connaissances à cet égard au sein du pouvoir judiciaire (Conseil de détermination de la peine, 2014).

Bell et al. (2013) soutiennent que ces ordonnances de dédommagement sont très peu utilisées dans les affaires environnementales en Angleterre et au Pays de Galles (alors qu’elles sont de plus en plus utilisées en matière de détermination de la peine dans la plupart des tribunaux pénaux, tel que le prévoit la loi), principalement à cause de l’existence de nombreuses autres options légales qui s’offrent aux organismes de réglementation dans des situations définies pour permettre la décontamination et le recouvrement des coûts. L’article 59 de l’Environmental Protection Act 1990 (Loi de 1990 sur la protection de l’environnement) et l’article 161A du Water Resources Act 1991 (Loi de 1991 sur les ressources en eau) en sont de bons exemples. De plus, les auteurs défendent qu’en vertu de l’article 131 de la loi de 2000, les ordonnances d’indemnisation se limitent à un maximum de 5 000 £, une somme souvent insuffisante pour compenser pleinement les victimes ou remettre l’environnement à son état initial, si on suppose qu’il existe une somme capable de le faire. Skinnider (2011) a quant à lui relevé les difficultés d’appliquer des ordonnances de dédommagement dans les cas de victimisation environnementale « de masse » ou de communautés. En effet, dans certaines régions, notamment au Canada, les ordonnances de dédommagement se limitent parfois à certaines infractions proscrites qui n’incluent pas les crimes environnementaux (voir le Ministère de la Justice du Canada, 2012).

Bien sûr, le fait que les sommes versées puissent ne pas suffire pour que les victimes retrouvent l’état des choses tel qu’il était avant les impacts du crime environnemental, conformément à la notion voulant que l’importance des dédommagements, du moins en Angleterre et au pays de Galles, soit largement symbolique. Ailleurs, la situation est moins restrictive. Par exemple, dans le système de justice pénale de l’Afrique du Sud, les « dédommagements » pénaux sont définis comme la restitution ou la réparation des biens par le contrevenant « afin de vous (la victime) permettre de retourner à l’état dans lequel vous vous trouviez avant que l’infraction soit commise » (Ministère sud-africain de la Justice et du Développement constitutionnel, 2008, p.13-15). La même justification a servi aux Pays-Bas dans l’instauration d’ordonnances de dédommagement obligatoires à travers la Loi Terwee de 1995 (Wemmers, 1996).

Il est évident que les limites de ces poursuites pénales dans les cas de victimisation environnementale ne découlent pas d’une quelconque incompatibilité entre le droit pénal et les atteintes environnementales. Le problème serait plutôt que l’application des mesures de réparation dans ce type d’affaires tend à être hésitante, mal renseignée et soumise à des limites arbitraires qui ne prennent pas en compte l’échelle des capacités financières des sociétés fautives à fournir de telles réparations. Si l’on suit l’exemple moins restrictif de l’Afrique du Sud et des Pays-Bas, les ordonnances de dédommagement imposées à de vastes et riches entreprises responsables de dommages environnementaux peuvent se révéler un instrument puissant pour les victimes environnementales, individuellement comme en groupe. Ces situations sont avantageuses à la fois lorsqu’il est question des sommes d’argent disponibles et de l’effet symbolique bénéfique de la reconnaissance des préjudices de nature criminelle. Une meilleure compréhension des affaires environnementales et de leurs conséquences est nécessaire à toutes les étapes du processus pénal, surtout lors des premières enquêtes.

Discussion

Même si les crimes et les dommages environnementaux ne sont pas des problèmes récents (voir Hall, 2013), les développements scientifiques, criminologiques et juridiques sur le sujet se font quelque peu attendre. C’est sans doute la principale raison pour laquelle aucun des systèmes analysés ne semble particulièrement bien adapté à la mise en place de mesures de réparation pour les victimes environnementales.

Étant donné la nature extrêmement diversifiée des dommages environnementaux, il est évident que tout système de dédommagement des victimes doit prendre en compte les contradictions entre les solutions toutes faites qui fonctionnent (seulement, peut-être) dans des circonstances particulières et l’idée de laisser transparaître une certaine assurance, cohérence et équité entre les cas. Sur ce plan, les systèmes administratifs ayant recours aux modalités de paiement standards sont attrayants puisqu’ils peuvent, en principe, répondre à une plus grande variété de dommages environnementaux, au-delà des crimes reconnus s’inscrivant dans le champ d’application de la justice pénale. Mais jusqu’ici, ces mécanismes, tels qu’ils ont été constitués dans le but d’offrir des dédommagements ou des réparations aux victimes d’atteintes environnementales, se sont limités à des évènements, à des pays et à des formes de dommages très spécifiques.

Il existe aussi, comme nous l’avons vu, de réelles inquiétudes quant à la possibilité que ces mécanismes soient mis en place, pour des raisons d’opportunisme politique, la crainte étant ici que les victimes sont utilisées à des fins politiques. De plus, étant donné l’influence considérable que peuvent avoir les grandes entreprises sur le fonctionnement de cette sphère de réglementation (voir Dal Bó, 2006), il y a toujours des craintes à savoir que ces systèmes commencent à prioriser les besoins des industries plutôt que ceux des communautés et des individus touchés par les activités polluantes, comme ce fut le cas au Japon et comme le prédit le « tapis roulant du crime » de Stretesky et al. (2014). L’imposition de prélèvements aux entreprises polluantes s’ajoute alors aussi à cette problématique. Bien sûr, dans les cas où un degré suffisant de causalité est établi, un système administratif peut forcer les pollueurs à payer des réparations directement aux victimes. Mais dans cette éventualité, le besoin de prouver la culpabilité du défendeur enlève un des avantages clés de l’option administrative, à savoir qu’elle ne demande généralement pas un niveau de preuve aussi élevé que les sanctions pénales et civiles, ce qui augmente (sans doute) son efficacité.

Une des solutions de ce casse-tête serait, comme nous l’avons étudié, de confier le financement des versements aux victimes de crimes environnementaux à l’État : de nombreux systèmes versent en effet ces sommes aux victimes de crimes violents (répondant à des descriptions précises) grâce à des régimes administratifs existants. Conceptuellement, nous avons constaté que ce système se justifie de manière assez vague (peut-être intentionnellement), et les critiques faites par certains que les victimes idéales de crimes violents font injustement l’objet d’un traitement spécial par rapport aux victimes d’autres crimes ou à celles de dommages sociaux plus généraux, semblent en effet se concrétiser dans le contexte environnemental où l’État lui-même contribue parfois à la victimisation environnementale. Par ailleurs, conformément au modèle du « tapis roulant » du crime présenté par Stretesky et al. (2014), offrir des compensations publiques pour les dommages environnementaux (plutôt que pour des dommages sociaux plus vastes) pourrait se justifier si l’on considère qu’ils surviennent au nom de la production et pour le bien de l’économie capitaliste. Dans ces cas, l’État éviterait donc d’admettre la faute, comme c’est le cas lorsqu’il paie les victimes de crimes violents. Les barrières réelles empêchant l’application d’un tel système aux victimes de dommages environnementaux et même de crimes environnementaux en général sont donc économiques et politiques : économiques lorsqu’il est question de la crainte d’ouvrir grandement la porte aux plaintes ; et politiques parce que les victimes environnementales ne provoquent pas la même empathie publique que les victimes de crimes violents.

Plusieurs réformes pourraient donc être apportées à la façon dont les compensations administratives et les systèmes de dédommagement existants tendent à fonctionner de nos jours afin d’en faire des instruments plus aptes à dédommager les victimes d’atteintes environnementales. En effet, nous nous trouvons devant le fait que de nombreux dommages environnementaux ne constituent pas de réels crimes, ce qui rend essentiels le développement et l’expansion de tels systèmes pour dépasser les limites des sanctions et des litiges civils à cet égard. Toutefois, les réparations pénales jouent ici également un rôle important. Je soutiendrais que les procédures pénales apportent de nombreux avantages cathartiques aux victimes tout en leur offrant la possibilité d’obtenir un véritable dédommagement économique. Le développement des ordonnances de dédommagement dans d’autres secteurs d’activités criminelles montre que c’est possible, bien que la plupart des systèmes se limitent actuellement à des sommes plutôt modiques et que les juges semblent présenter un manque considérable de volonté ou de compréhension lorsqu’il s’agit de favoriser ce type d’options de réparation. On pourrait argumenter que les « dédommagements » ne sont pas sous la responsabilité des tribunaux pénaux, mais la multiplication des régimes pénaux de réparation pour d’autres types de victimes (plus « idéales », sans doute) dans la plupart des cadres juridiques développés soulève la question suivante : pourquoi les victimes environnementales n’auraient-elles pas droit à la même reconnaissance ? De plus, les tribunaux, tout en étant moins responsables politiquement, sont aussi moins à risque que les systèmes administratifs lorsqu’il s’agit de subir l’abus ou l’influence intéressée de l’État ou des entreprises. Au contraire des régimes administratifs, ils sont, du moins en principe, ouverts à toutes les victimes de crimes environnementaux. L’option pénale recèle également le pouvoir de punir concrètement des pollueurs de manière juste et constante, agissant à la fois comme instrument de dissuasion et d’encouragement au changement des attitudes sociales relativement à la dégradation de l’environnement, ce qui ne peut être accompli par les régimes administratifs.

Des problèmes persistent toutefois au sein du système pénal, autant pour la compréhension et l’acceptation des enjeux environnementaux par la justice que pour les capacités des forces de l’ordre et des procureurs à mettre sur pied des dossiers solides. Toutefois, la discussion a montré que ces problèmes ne sont pas insurmontables. Nous en arrivons donc au point où les options administrative et pénale ont toutes deux un rôle à jouer dans la réparation pour les victimes d’atteintes environnementales. Cela sous-entend que les gouvernements devraient prendre les mesures nécessaires pour développer ces deux systèmes de manière à offrir une réparation pour les délits qui relèvent du droit pénal, mais aussi ceux qui n’en relèvent pas. Il est donc nécessaire que les criminologues et les victimologues environnementaux continuent, comme c’est d’usage, à remettre en question et à problématiser les activités nocives encore absentes du vocabulaire en matière criminelle ainsi que les raisons politiques et économiques derrière cette réalité.

Conclusion

La conclusion la plus significative à tirer de cette discussion sur les mécanismes de réparation pour les victimes d’atteintes environnementales est qu’il existe aujourd’hui un réel écart entre les plus nantis et les plus démunis. Ceux qui ont la « chance » d’être les victimes de crimes environnementaux médiatisés et ponctuels dans le temps et dans l’espace, dans des pays développés où ils reçoivent en outre la sympathie du public, ont accès non seulement à de généreuses compensations administratives, mais aussi à des réparations pénales lorsque leurs cas sont reconnus comme criminels. Ceux qui résident dans des pays ou des communautés plus pauvres ou marginalisées, où la dégradation de l’environnement est considérée comme une nécessité pour le bien du pays et pour la production, sont quant à eux en manque de ces ressources officielles. Et ils ne disposent pas, la plupart du temps, des ressources financières et sociales pour entreprendre leurs propres recours civils.

Les réformes des mécanismes de réparation dans le système administratif autant que pénal, comme proposées ici, pourraient aider à résoudre quelques-uns de ces problèmes, mais ne suffiront pas à elles seules. De telles inégalités universelles dans le traitement des victimes d’atteintes environnementales demandent donc l’intervention des lois internationales et, sans doute, l’application rigoureuse des principes issus du droit international des droits de la personne et de l’environnement. C’est sans même aborder les aspects moins anthropocentriques de la question, et l’étendue plus vaste de « victimes » non humaines ayant été exclues de la discussion. Pour les victimes humaines, une autre option serait de surveiller beaucoup plus attentivement les développements des régimes de médiation en ce qui concerne les dommages environnementaux (voir Schmueli et Kaufman, 2006). Dans l’ensemble, les études en victimologie environnementale commencent à s’attaquer à ces problèmes sur le plan transnational, mais la question demande bien plus en ce qui concerne la recherche, et ce, sans mettre de côté ce que les victimes elles-mêmes expriment à propos de ce qu’elles veulent. Ces recherches sont une étape nécessaire avant de pouvoir affirmer que les victimes d’atteintes environnementales reçoivent des réparations adéquates à l’échelle mondiale.