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Introduction

La victimisation des mineurs est une réalité constatée dans de multiples travaux, et elle affecte tous les pays qui l’ont analysée (Finkelhor, 2008). Finkelhor (2007) définit la victimisation comme « les dommages causés à un individu par le comportement contraire aux normes sociales de la part d’autres personnes ». Il s’agit d’un problème universel qui peut avoir de graves conséquences non seulement pour le jeune et sa famille, mais aussi pour la société dans son ensemble (Finkelhor & Hashima, 2001). Cette vulnérabilité infantile relativement à la victimisation est à l’origine d’un domaine d’études récent appelé developmental victimology (Finkelhor, 2007). Dans cette perspective, l’auteur soutient que les enfants, garçons et filles, souffrent des mêmes victimisations que les adultes, mais qu’ils sont, compte tenu de leur niveau de dépendance et leur manque d’autonomie, à plus grand risque pour revivre, directement ou indirectement, de nombreuses autres victimisations. Il faut donc les considérer comme un groupe d’âge plus vulnérable à la victimisation et ses possibles effets (Finkelhor, 2007).

Cependant, la plupart des études ont mis l’accent sur un seul type de victimisation (par ex. : maltraitance physique, agression sexuelle ou harcèlement, entre autres), empêchant ainsi d’analyser l’ampleur réelle de la victimisation et de la cooccurrence qui se produit dans plusieurs cas. Finkelhor et al. (2005a) proposent le terme de polyvictimisation pour attirer l’attention sur les enfants, garçons et filles, qui sont victimisés de manière multiple, lors de différents épisodes. De ce point de vue, l’évaluation d’un large éventail de formes de victimisation dans l’enfance et l’adolescence et de sa possible cooccurrence constitue une avenue de recherche parmi les plus récentes dans le domaine de la victimologie (Finkelhor et al., 2007).

On distingue des travaux menés aux États-Unis, au Canada et dans le nord de l’Europe avec des échantillons populationnels. Aux États-Unis, Finkelhor et al. (2005b) ont trouvé que la prévalence de victimisation sur 2 030 enfants et adolescents entre 2 et 17 ans oscillait entre 9,8 % quand on évaluait la victimisation sexuelle et 58,8 % quand on évaluait les expériences de victimisation de la part de pairs ou de la fratrie. Ils notent aussi que 71 % des mineurs affirment avoir vécu une forme ou une autre de victimisation au cours de l’année précédente, et que 22 % de ceux-ci sont classés comme polyvictimes, ayant vécu au moins quatre formes de victimisation distinctes au cours d’une année (Finkelhor et al., 2005a). Romano et al. (2011) ont trouvé que 62 % des 1 036 adolescents canadiens de leur échantillon, âgés de 13 à 16 ans, ont été victimes de l’une des différentes formes de violence évaluées pendant les 12 derniers mois. Les pourcentages oscillent entre 12,6 % pour les agressions physiques et 35,4 % pour le harcèlement verbal. En outre, 23,7 % affirment avoir été victimes d’au moins trois formes de victimisation. Au Royaume-Uni, Radford et al. (2011) ont trouvé, chez 2 775 jeunes Britanniques de 11 à 17 ans, des pourcentages de victimisation pour la dernière année qui oscillent entre 3,1 % de maltraitance physique par un adulte externe au noyau familial à 35,3 % de victimisation de la part de pairs. En Finlande, les données obtenues par Ellonen et Salmi (2011) révèlent que 9 % des 13 459 jeunes de leur échantillon pourraient être classés comme polyvictimes, présentant au moins cinq formes de victimisation au cours de la dernière année. Une recherche se rapprochant des travaux sur la polyvictimisation en Espagne est celle de Lila et al. (2008) qui ont présenté les expériences de victimisation de 1 908 adolescents dans différents contextes tels que la rue, l’école et le domicile, s’étant produites à un moment ou à un autre de leur vie. Uniquement 10,8 % de l’échantillon n’avaient été victimes d’aucune des formes de violence évaluées et centrées, pour l’essentiel, sur le vol, les coups, les menaces avec ou sans arme et les insultes. Les auteurs indiquent que 58,4 % des jeunes avaient été victimes dans deux des trois contextes, ce qui peut être considéré comme une large mesure de polyvictimisation. En Espagne toujours, il faut aussi mentionner l’étude réalisée auprès de 722 adolescents provenant d’une population communautaire, dans laquelle 88,4 % affirment avoir vécu une forme ou une autre de victimisation au cours de l’année précédente, la majorité (71,6 %) ayant vécu au moins deux types de victimisation (Soler et al., 2012).

Il faut souligner la rareté des travaux centrés sur les groupes à risque, comme les enfants et les adolescents traités dans des centres de santé, même si l’on observe un plus grand taux de victimisation dans ces échantillons (Fehon et al., 2001). Toutefois, seules deux études à ce jour ont présenté des chiffres de polyvictimisation chez des adolescents ambulatoires, provenant du contexte culturel nord-américain et illustrant l’ampleur du problème dans ces échantillons. L’étude de Boxer et Terranova (2008) indique que 49,8 % des 401 adolescents qui constituent l’échantillon ont été victimes d’une forme de maltraitance (agression sexuelle, sévices physiques, maltraitance émotionnelle ou négligence) au cours de leur vie, et que 29,4 % ont vécu entre deux et quatre formes de maltraitance distinctes. Pour leur part, Ford, Wasser et al. (2011) ont constaté que les 295 adolescents ayant répondu à l’enquête ont affirmé avoir été victimes en moyenne de 4,5 expériences de violence au cours de leur vie parmi les sept formes étudiées. Un pourcentage de 27 % avaient été victimes de sévices physiques et 29 % d’agression sexuelle, entre autres. Dans une étude parallèle, Ford, Gagnon et al. (2011) ont montré que, dans les histoires cliniques de 114 adolescents ambulatoires, 32,5 % des mineurs avaient été victimes d’une forme de victimisation interpersonnelle, notamment de sévices physiques (10,5 %), d’agression sexuelle (7 %), d’exposition à la violence familiale (20 %) et communautaire (5 %). Enfin, 8,5 % des jeunes avaient été victimes de multiples formes de violence.

De ce point de vue, l’objectif du présent article est d’établir la prévalence de la victimisation au cours d’une année dans un échantillon de jeunes Espagnols provenant d’une population clinique. En Espagne, peu d’études se sont concentrées sur l’analyse de la victimisation infantile dans une perspective compréhensive incluant de multiples expériences de violence, et aucune ne l’a fait avec un échantillon clinique. Dans une perspective complète de la victimisation juvénile, nous avons détecté des cas de polyvictimisation et nous analyserons leur profil démographique et de victimisation, en comparaison des autres victimes.

Méthodologie

Participants

L’échantillon est constitué de 148 adolescents (35,8 % garçons et 64,2 % filles) âgés entre 12 et 17 ans (M = 14,26 ; É. T. = 1,48), en phase de diagnostic ou en période d’évaluation dans 14 centres de santé mentale pour mineurs d’une région du nord-est de l’Espagne. Ces services sont généralement demandés par les parents. Il s’agit d’une évaluation psychologique et, si nécessaire, d’un traitement psychologique ambulatoire. Les motifs de consultation les plus fréquents parmi l’échantillon sont : des troubles d’adaptation (21,6 %), des troubles anxieux (18,9 %), des comportements perturbateurs et de déficit de l’attention (17,6 %) et, dans une moindre mesure, des troubles de l’humeur (7,4 %) et des troubles alimentaires (6,1 %).

Les participants sont majoritairement d’origine espagnole, alors que 18,9 % sont étrangers, provenant pour l’essentiel d’Amérique du Sud (16,2 %). Le niveau socioéconomique des familles, calculé à partir d’une adaptation de l’index d’Hollingshead (1975), est en général entre moyen-bas (31,8 %) et moyen (21,6 %), bien que cette information ne soit pas claire dans 16,9 % des cas.

Procédure

Les données ont été recueillies entre décembre 2009 et janvier 2013. En premier lieu, l’approbation de l’étude par le comité de bioéthique de l’Université de Barcelone ainsi que celle des comités éthiques respectifs des centres qui en ont fait la demande a été obtenue. Les centres participants ont été sélectionnés de manière aléatoire, et le taux de participation des centres est de 70 %. Le consentement écrit a été obtenu auprès des parents ou des tuteurs légaux des mineurs ainsi qu’auprès des adolescents eux-mêmes. Dans les centres, dans la majorité des cas, un collaborateur externe formé par l’équipe de recherche et, en certaines occasions, un professionnel du centre a fait passer les questionnaires en face à face. Par la suite, un rapport individuel rédigé à partir des principaux résultats obtenus a été joint à l’histoire clinique du patient. Les cas sujets à des situations de risque ou d’abandon infantile (par exemple : maltraitance physique ou agression sexuelle) ont été communiqués au responsable du centre (approximativement 15 % des cas), comme l’indique la législation nationale.

Instruments

Données sociodémographiques

Les données ont été recueillies à partir d’une série de questions, créée pour l’étude, au sujet des jeunes (âge, sexe, niveau d’études et pays de naissance) et de leur milieu familial (composition, pays de naissance des parents, niveau d’études et occupation des parents).

Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ ; Finkelhor et al., 2005)

Il s’agit d’un instrument qui évalue une vaste gamme de victimisations dans l’enfance et l’adolescence. Dans la présente étude, nous avons utilisé la version auto-rapportée conçue pour les garçons et filles âgés de 8 à 17 ans. Après leur traduction et leur adaptation au contexte espagnol et l’approbation de la version adaptée par les auteurs originaux, la version finale évalue 36 formes spécifiques de victimisation qui sont distribuées en 6 catégories ou modules : a) délits communs, faisant référence aux méfaits, vols ou agressions (9 items) ; b) maltraitance infantile, qui comprend la victimisation physique, émotionnelle ou la négligence de la part des personnes prenant soin de l’enfant (4 items) ; c) victimisation de la part de pairs ou de la fratrie, relative à des conduites d’agression ou de dommage physique (6 items) ; d) victimisation sexuelle, qui regroupe des situations de harcèlement sexuel verbal, exhibitionnisme et agression sexuelle de la part d’adultes ou de pairs (6 items) ; e) témoin de violence ou victimisation indirecte, comme l’exposition à la violence familiale ou communautaire (9 items) ; et f) victimisation via Internet, faisant référence à du harcèlement cybernétique ou à des sollicitations sexuelles non souhaitées (2 items). Le JVQ présente de bonnes propriétés psychométriques, comme l’ont démontré des études antérieures avec des jeunes Nord-Américains (Finkelhor et al., 2005) et Européens (Ellonen & Salmi, 2011 ; Radford et al., 2011).

Méthodes d’analyse

La prévalence de chaque type de victimisation selon les modules du JVQ a été comparée selon le sexe des participants en calculant les odds ratios (OR) et leur intervalle de confiance (95 % CI).

Le nombre total d’expériences de victimisation vécues au cours de la dernière année dans le groupe de victimes (la somme des expériences rapportées par les adolescents parmi les 36 expériences possibles) a été employé pour identifier le groupe de polyvictimes. En suivant la méthodologie proposée par Finkelhor et al. (2005a), les participants qui dépassaient d’une unité ou davantage le nombre moyen de victimisations vécues au cours d’épisodes distincts, ont constitué le groupe de polyvictimes.

Le groupe de polyvictimes a ensuite été comparé au groupe de non-polyvictimes (excluant les adolescents non victimes) sur deux plans : a) en fonction des variables sociodémographiques, et b) selon le module et type de victimisation, en calculant les OR (95 % CI).

Résultats

Ampleur de la victimisation

Un taux de 84,5 % d’adolescents ont vécu une expérience de victimisation au cours de l’année précédente, soit 86,8 % des garçons et 83,2 % des filles, sans différence significative entre les deux groupes (OR = 0,751 ; 95 % CI [0,288-1,962]). Le détail des victimisations vécues est présenté selon la structure du JVQ (Tableau 1), qui comprend 6 modules distincts.

Délits communs : délits contre la propriété et victimisation personnelle

L’expérience de délits communs chez les adolescents de consultation clinique est assez fréquente au cours d’une année puisque 69,8 % des garçons et 58,9 % des filles ont vécu une de ces expériences. De plus, chez les jeunes de 12 à 17 ans, il est plus courant d’être victime de délits contre la personne (50,7 %) que de délits contre les biens (38,5 %). Les situations spécifiques qui se produisent le plus fréquemment sont les menaces d’agression (27 %), les agressions sans arme (25 %) et les vols sans violence (20,9 %). De manière générale, les garçons subissent davantage de violence dans ce domaine que les filles, mais la différence est significative uniquement pour les vols avec violence (OR = 0,304 ; 95 % CI [0,110-0,839]).

Victimisation de la part des personnes prenant soin de l’enfant

La victimisation de la part des responsables de l’enfant au cours de la dernière année touche un tiers des adolescents, le profil étant très similaire pour les garçons et les filles quant aux types de situation vécus. L’expérience la plus répandue est la violence psychologique ou émotionnelle (25,9 %), suivie de la violence physique (16,2 %).

Tableau 1

Prévalence de victimisation au cours de l’année précédente

Prévalence de victimisation au cours de l’année précédente

a En italique, donnée où il existait au moins un 0 dans le tableau de contingence, les OR sont présentés ajustés en ajoutant +1 dans chaque cellule.

* Les OR sont considérés statistiquement significatifs quand leur intervalle de confiance [95 % IC] n’inclut pas la valeur 1.

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Victimisation de la part de pairs ou de la fratrie

Ce sont 43,4 % des garçons et 34,7 % des filles qui affirment avoir subi une forme de victimisation de la part de pairs ou de leur fratrie. Bien qu’il n’y ait pas de différences significatives entre les garçons et les filles, la prévalence des agressions de la part des pairs est en général plus élevée pour les garçons alors que l’intimidation est plus élevée pour les filles. Enfin, la violence au sein du couple présente un pourcentage similaire de garçons et de filles (approximativement 2 %).

Victimisation sexuelle

La prévalence de la victimisation sexuelle atteint 10,5 % chez les filles et 1,9 % chez les garçons, la différence n’étant pas significative du point de vue statistique (OR = 6,118 ; 95 % CI [0,761-49,184]). On observe que la victimisation sexuelle chez les garçons se réduit à des situations de harcèlement sexuel verbal, alors que les filles subissent une gamme très large de situations de sévices qui impliquent un contact physique, que ce soit de la part d’adultes connus (2,1 %) ou de pairs (2,1 %), ainsi que des tentatives de viol (3,2 %).

Témoin de violence et victimisation indirecte : violence familiale et communautaire

L’exposition à la violence est un fait assez répandu, vécue par 55,4 % des adolescents. La prévalence élevée dans ce domaine est majoritairement liée au niveau élevé de violence communautaire à laquelle ils ont été exposés au cours de l’année précédente (50 %) et, dans une moindre mesure, à l’observation de situations de violence intrafamiliale (5,7 % pour les garçons et 10,5 % pour les filles). Les situations spécifiques les plus fréquentes sont l’exposition à des agressions sans arme (37,8 %) et avec arme (19,6 %) hors du noyau familial. Il n’y a pas de différences significatives entre garçons et filles.

Victimisation par Internet

La victimisation en ligne qui s’est produite au cours de l’année précédente est significativement plus répandue chez les filles (OR = 3,476 ; 95 % CI [1,125-10,746]) avec 22,1 %, que chez les garçons (7,5 %). Bien que les deux groupes vivent des situations de harcèlement via les médias électroniques, seules les filles révèlent des situations de harcèlement au contenu sexuel (9,5 %).

Polyvictimisation

Le nombre moyen de victimisations distinctes vécues au cours de l’année précédente est de 3,9 (DT = 2,64) dans le groupe d’enfants victimes, et il atteint jusqu’à 13 formes de victimisation distinctes. La figure 1 permet d’observer qu’en de rares occasions, un seul type de victimisation se produit de manière isolée (16,8 %), alors qu’il est plus fréquent qu’un adolescent ait vécu au moins deux types de victimisation (83,2 %) au cours de l’année.

Figure 1

Nombre de types de victimisation au cours de l’année précédente

Nombre de types de victimisation au cours de l’année précédente

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Le groupe de polyvictimes est constitué des adolescents qui ont révélé au moins cinq types de victimisation, soit 43 adolescents (29 % du total de l’échantillon). En tenant compte du fait que 23 adolescents (15,5 %) n’ont subi aucune victimisation, le groupe de comparaison (les victimes non polyvictimes) est constitué de 82 adolescents (55,4 %).

Comme le démontre le tableau 2, les variables sociodémographiques ne distinguent pas le groupe de polyvictimes du groupe non polyvictimisé. En revanche, on observe que le groupe de polyvictimes présente de manière significative une plus grande victimisation que les autres victimes dans tous les domaines évalués. La différence est particulièrement marquée en ce qui concerne les délits communs (OR = 11,827, 95 % CI [2,669-52,411]) et la victimisation de la part des personnes responsables (OR = 7,154, 95 % CI [3,141-16,294]), et aussi pour les catégories plus spécifiques, on peut souligner la victimisation sexuelle sans contact physique (OR = 13,135, 95 % CI [1,526-113,038]). De plus, il est significativement plus fréquent pour les polyvictimes d’avoir subi une lésion lors de la victimisation (OR = 15,441, 95 % CI [6,241-38,198]) ou que leur agresseur ait utilisé une arme (OR = 34,764, 95 % CI [7,564-159,947]).

Tableau 2

Caractéristiques des non - polyvictimes et des polyvictimes

Caractéristiques des non - polyvictimes et des polyvictimes

a Exclusion du groupe non victimisé (n = 23 ; 15,5 %).

b Exclusion de 20,0 % (n = 25) de l’échantillon par manque d’information.

* Les OR sont considérés statistiquement significatifs quand leur intervalle de confiance [95 % IC] n’inclut pas la valeur 1.

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Discussion

Cet article révèle la prévalence de divers types de victimisation vécus par les adolescents pris en charge dans les centres de santé mentale espagnols. Aussi bien les garçons que les filles ont des taux élevés de victimisation, de telle manière que seuls 15,5 % d’entre eux n’ont pas été victimes au cours de l’année précédente. Globalement, les résultats sont cohérents avec ceux obtenus auprès d’échantillons populationnels d’âge similaire lors d’études effectuées dans d’autres pays utilisant le même instrument, qui indiquent que 71 % des enfants ont été victimisés aux États-Unis (Finkelhor et al., 2005 ; 2005b) et 88,4 % en Espagne (Soler et al., 2012). Les résultats correspondent également aux travaux qui ont évalué des éventails moins larges de victimisation avec des échantillons cliniques (Boxer & Terranova, 2008 ; Ford, Gagnon et al., 2011 ; Ford, Wasser et al., 2011), bien que les taux soient inférieurs parce qu’ils évaluent seulement les situations graves de maltraitance (entre 32 % et 69 %). En outre, en comparant les résultats avec ceux obtenus dans d’autres travaux espagnols, le pourcentage de victimisation est similaire et l’on constate une fréquence élevée de violence dans la vie des garçons et des filles (89,2 %) (Lila et al., 2008).

Le nombre moyen de formes de victimisation subies par les adolescents au cours d’une année semble concorder indépendamment des variables culturelles ou échantillonnales (clinique ou populationnel), puisque l’on obtient une moyenne de 3 ou 4 victimisations distinctes aussi bien dans les échantillons populationnels (Finkelhor et al., 2005a) que dans la présente étude avec un échantillon clinique.

Bien que davantage d’études dans ce domaine soient nécessaires pour confirmer les résultats obtenus, les jeunes Espagnols semblent subir davantage de victimisation de la part de leurs parents ou tuteurs que les jeunes d’autres contextes culturels (33,7 % dans la présente étude et 33,8 % dans celle de Soler et al. [2012] versus 19,1 % dans l’étude de Finkelhor et al. [2005b] et 27,4 % dans le travail de Boxer et Terranova [2008]), et ce, tant dans des échantillons issus de la communauté que dans des populations à risque. Par contre, on observe des différences par rapport à l’étude de Lila et al. (2008), réalisée avec un échantillon communautaire espagnol, en ce qui concerne la violence psychologique de la part de personnes prenant soin de l’enfant qui atteint 25,7 % annuellement dans la présente étude, alors que 18,8 % des adolescents ont subi des insultes à la maison (sans spécifier de la part de qui) à un moment ou un autre de leur vie dans l’échantillon communautaire (Lila et al., 2008).

D’un autre côté, le pourcentage de victimisation de la part de pairs ou de la fratrie, qui atteint 37,8 %, et celui de victimisation sexuelle (7,4 %) sont inférieurs aux résultats obtenus dans la population nord-américaine (58,8 %, Finkelhor et al. [2005] et 16,8 %, Finkelhor et al. [2005b], respectivement) et espagnole (48,4 % et 18,3 % respectivement, Soler et al. [2012]). Le fait que les trois études ont employé des méthodes de collecte différentes, soit les entrevues téléphoniques (Finkelhor et al., 2005b), les enquêtes de groupe (Soler et al., 2012) et les entrevues individuelles (présente étude), pourrait en partie expliquer ces différences.

La victimisation sexuelle de la présente étude est inférieure à celle obtenue dans des échantillons cliniques internationaux (22,4 % dans l’étude de Boxer et Terranova, [2008] ; 11 % dans celle de Ford, Wasser et al. [2011]). Par contre, les résultats correspondent aux autres travaux en ce qui a trait aux délits contre la propriété (38,5 % versus 33,5 % chez Finkelhor et al. [2005b]) et à l’exposition à la violence (55,4 % versus 57,9 % chez Finkelhor et al. [2005b] ou 64,2 % chez Soler et al. [2012]).

Bien que les différentes méthodes de collecte selon les études limitent l’interprétation des différences observées, les résultats semblent indiquer des différences culturelles dans les formes de violence subies par les mineurs. De plus, nos résultats appuient l’hypothèse d’une plus grande conflictualité ou niveau de violence familiale dans les échantillons cliniques (par ex. : Lila et al., 2008).

De manière générale, les garçons et les filles diffèrent quant à la catégorie de victimisation qu’ils subissent le plus fréquemment, les garçons étant ceux qui subissent davantage de délits communs et de victimisation de la part de pairs ou de la fratrie (ce qui correspond aux résultats de Lila et al., 2008). Diverses études révèlent davantage de violence physique chez les garçons et de victimisation sexuelle chez les filles (Finkelhor et al., 2005b ; Boxer & Terranova, 2008). En dépit de ces écarts, la différence est significative uniquement pour la victimisation via Internet, dans laquelle les filles subissent plus de victimisations que les garçons. Notons cependant que l’inclusion d’une question relative aux sollicitations sexuelles non désirées par Internet dans ce module pourrait avoir biaisé les résultats. De plus, la taille relativement petite de l’échantillon peut expliquer l’absence de différences significatives. Il est possible que des différences significatives selon le sexe apparaissent avec un nombre de participants plus important.

En plus de permettre de constater l’accumulation élevée de situations de victimisation vécues par certains adolescents recevant des services psychologiques, cette étude révèle que certains ont subi jusqu’à 13 types de victimisation en une seule année. Cela souligne la nécessité de délimiter un groupe de polyvictimes et d’étudier leurs caractéristiques propres. En ce qui concerne le groupe de polyvictimes, les résultats indiquent que, contrairement à d’autres travaux (Finkelhor et al., 2005a ; Ellonen & Salmi, 2008 ; Radford et al., 2011), ces jeunes ne différent pas de ceux qui ont été victimes d’un nombre moindre d’expériences sur le plan sociodémographique. D’autre part, on constate que, dans le groupe de polyvictimes, en plus d’une généralisation de la victimisation dans différents contextes, les épisodes de violence les plus graves sont aussi plus fréquents, les polyvictimes subissant significativement plus de lésions lors de leur victimisation et étant plus fréquemment la cible de victimisations comprenant l’usage d’une arme (résultats correspondant à ceux de Finkelhor et al., 2005a).

Points forts et limites

Cette étude comprend un échantillon de patients ambulatoires de divers centres publics de santé mentale destinés aux enfants d’un pays du sud de l’Europe et les études menées avec ce type d’échantillon dans le domaine victimologique sont rares. Toutefois, la taille réduite de l’échantillon et, spécialement, le manque de participants de sexe masculin limitent l’interprétation des résultats obtenus et empêchent leur généralisation à l’ensemble des adolescents patients ambulatoires. De plus, il est impossible de comparer les expériences de victimisation en fonction de l’âge compte tenu du faible éventail d’âges, alors que d’autres études soulignent des caractéristiques différentielles sur la base de cette variable (Finkelhor et al., 2005). L’évaluation d’un large spectre de victimisations grâce à un instrument standardisé et utilisé dans d’autres pays et cultures est un élément permettant de consolider les résultats et des comparaisons entre pays. De plus, l’information a été obtenue directement des mineurs eux-mêmes et non à partir de leur histoire clinique, contrairement à d’autres travaux (par ex. : Ford, Gagnon et al., 2011). Le critère employé pour former les groupes de victimes et de polyvictimes fait en sorte que ces derniers ne sont pas complètement équilibrés selon certaines variables importantes, ce qui limite leur comparaison. Notons que des critères différents de ceux employés dans cette étude existent (Finkelhor et al., 2005a) et auraient pu produire un regroupement différent de victimes et de poly-victimes. De ce point de vue, et compte tenu des différentes propositions qui définissent méthodologiquement la polyvictimisation, il importe de déterminer la meilleure manière de définir les polyvictimes. Il serait avantageux que les différentes études emploient un critère unique, favorisant la comparaison de leurs résultats.

Conclusion

La fréquence élevée de victimisation et de polyvictimisation obtenue dans la présente étude souligne la nécessité d’une analyse plus complète et plus profonde de la réalité victimologique des adolescents traités dans des centres de santé mentale. Connaître l’ampleur de la victimisation qui existe chez ces mineurs est cliniquement et socialement important, permettant d’ajuster les programmes de traitement selon les caractéristiques propres à l’adolescent, augmentant ainsi les chances de succès des interventions. Il est tout spécialement important de détecter les mineurs polyvictimes, compte tenu de l’importance de la violence qu’ils ont vécue et des graves effets psychopathologiques qui sont associés à ces expériences (Finkelhor et al., 2007 ; Ford et al., 2010). Notons également que la généralisation des expériences de victimisation dans la plupart des contextes peut entraîner de graves conséquences psychosociales à long terme, en affectant la confiance de l’individu en lui-même, envers les autres et dans son avenir (Janoff-Bulman, 1989). Ces conséquences, chez un enfant dont les grandes structures de base de la personnalité et la vision du monde sont en développement, peuvent être dévastatrices. Par ailleurs, l’enfant peut adopter des comportements violents et antisociaux dans sa vie relationnelle (Widom, 1989). En somme, comme cela a été suggéré au cours des dernières années, la victimologie du développement requiert une perspective globale, permettant d’évaluer les multiples expériences de victimisation que subissent les adolescents et de concevoir des programmes de prévention et d’intervention adaptés à cette réalité.

Finalement, afin de mieux comprendre le phénomène de la polyvictimisation auprès des populations cliniques, les recherches futures pourraient s’attarder aux autres facteurs pouvant distinguer les polyvictimes et les non-polyvictimes tels que la qualité des relations parent-enfant, les événements de vie stressants, et également évaluer s’il y a des différences dans la réponse aux traitements entre ces groupes.