Abstracts
Résumé
Cette étude comporte deux objectifs : 1) vérifier si les liens entre la pratique problématique des jeux de hasard et d’argent, les comportements délinquants et les problèmes de consommation de substances psychotropes diminuent au début de l’âge adulte par rapport au milieu de l’adolescence, et 2) vérifier si les liens entre ces trois ordres de comportements problématiques au début de l’âge adulte sont, en partie ou en totalité, attribuables à des antécédents communs. Deux échantillons populationnels de répondants de sexe masculin ont été mis à contribution afin de vérifier ces objectifs. Les mesures recueillies à 12 ans (i.e. les présumés antécédents communs) couvrent des aspects liés aux caractéristiques personnelles, familiales et sociales des participants. Celles recueillies à 16 et 23 ans se rapportent à leurs habitudes de jeu, à leurs comportements délinquants et à leur consommation de substances psychotropes. Ces dernières sont autorévélées alors que les précédentes font appel à des sources variées d’évaluation. Les résultats révèlent que les liens entre la pratique des jeux de hasard et d’argent, les comportements délinquants et la consommation de psychotropes au début de l’âge adulte (23 ans) sont similaires aux liens qui existent déjà à 16 ans. Ces liens ne peuvent toutefois pas être attribuables aux antécédents communs mesurés à la préadolescence (12 ans). La discussion explore les retombées pratiques et théoriques de ces résultats.
Abstract
This study addressed two questions: 1) Are the concurrent links between gambling, delinquency and drug use weaker during early adulthood than during middle adolescence; 2) Can the concurrent links by early adulthood be explained, at least in part, by common antecedent factors? Two population based samples of males were used to answer these questions. The putative common antecedent factors were assessed when the participants were 12 years old. These factors include variables from three domains of functioning: self, family and peers. Gambling, delinquency and drug use were assessed at age 16 years and again at age 23. Results show that the links between gambling, delinquency and drug use are not weaker by early adulthood (i.e. age 23) than they were by middle adolescence (i.e. age 16). In addition, these links cannot be explained by the age 12 antecedent factors. The discussion stresses the theoretical and applied implications of these findings.
Article body
Cet article tente de répondre aux questions suivantes : 1) Les relations entre la pratique des jeux de hasard et d’argent (JHA), les comportements délinquants et la consommation de substances psychotropes s’atténuent-elles au début de l’âge adulte par rapport au milieu de l’adolescence, alors qu’elles atteignent en principe leur apogée ? 2) Ces relations peuvent-elles être expliquées par la présence d’antécédents communs au chapitre des facteurs de risque ?
À l’adolescence, plusieurs travaux de recherche ont démontré l’existence de liens relativement forts entre la pratique des JHA, la délinquance et la consommation de substances psychotropes (Gupta et Derevensky, 1998 ; Ladouceur et al., 1994 ; Ladouceur et al., 1999 ; Vitaro et al., 2001). Il n’est toutefois pas clair si ces liens persistent au début de l’âge adulte. En effet, les rôles sociaux et les responsabilités qui les accompagnent peuvent exercer une pression telle, au début de l’âge adulte, que la plupart des comportements de prise de risque commencent à se résorber par rapport au milieu de l’adolescence, alors que ces mêmes comportements de prise de risque culminent. La comorbidité apparemment élevée à l’adolescence des problèmes de jeu, de délinquance et de consommation de psychotropes pourrait donc se résorber au début de l’âge adulte. Toutefois, aucune donnée empirique ne permet d’appuyer cette hypothèse, ce à quoi la présente étude se propose de remédier. Une clarification de cette question pourrait, en effet, avoir des retombées théoriques et pratiques importantes. Par exemple, si les liens entre la pratique des JHA, la consommation de substances psychotropes et les conduites délinquantes demeurent inchangés au début de l’âge adulte par rapport au milieu de l’adolescence, alors les modèles proposés pour expliquer ou prévenir l’émergence de ces liens à l’adolescence n’auront pas à subir un ajustement aussi important que si un fléchissement de ces liens était noté au début de l’âge adulte. Cette position serait fortifiée si ces divers comportements de prise de risque étaient reliés entre eux au début de l’âge adulte, en raison de la présence des mêmes facteurs de risque identifiés précédemment pour expliquer les liens entre eux au milieu de l’adolescence. Les campagnes de prévention pour les jeunes adultes pourraient en retour s’en trouver affectées puisque divers groupes de chercheurs préventionnistes utilisent les résultats précédents pour justifier le ciblage simultané de divers comportements de prise de risque et de plusieurs facteurs de risque apparemment communs (Derevensky et al., 2004 ; Vitaro et Caron, 2000). Quoique fort pertinente à l’adolescence, cette stratégie pourrait s’avérer inappropriée au début de l’âge adulte, advenant que les liens entre les comportements de prise de risque se soient résorbés ou qu’ils ne partagent plus d’antécédents communs.
Selon la perspective théorique proposée par Jessor (1987 ; 1992), il est possible que les liens entre la pratique des JHA, la délinquance et la consommation de psychotropes résultent de diverses dispositions personnelles et sociofamiliales que nous préciserons plus loin. À l’appui de ce modèle, citons les résultats de Meyer et Stadler (1999) et ceux de Slustke et ses collègues (2005) qui montrent que les comportements de dépendance au jeu et les comportements délinquants ou l’abus de substances peuvent se développer à partir d’une constellation déviante déjà existante. Celle-ci correspondrait à un syndrome personnel marqué par l’impulsivité (i.e. incapacité à anticiper les conséquences d’un comportement), la recherche de sensations et une faible capacité d’autorégulation, en particulier sur le plan de l’inhibition comportementale. Citons également l’étude de Langhinrichsen-Rohling et ses collaborateurs (2004), qui montre que les joueurs pathologiques probables rapportent plus de consommation abusive d’alcool, plus de consommation de drogue, plus de partenaires sexuels et plus de troubles de la conduite (similaires à des comportements délinquants) que les joueurs récréatifs ou les non-joueurs. Ils sont également plus sensibles à l’influence des pairs. Notons, enfin, les résultats de Vitaro (Vitaro et al., 2001), qui montrent que les liens entre la pratique des jeux de hasard et d’argent, la délinquance et la consommation de psychotropes à l’adolescence sont partiellement expliqués par la présence d’antécédents communs dans diverses sphères de fonctionnement.
Ces résultats suggèrent que des facteurs de risque communs peuvent être responsables des liens entre divers comportements de prise de risque. Toutefois, dans les études recensées ici, les facteurs de risque sont mesurés au milieu et parfois à la fin de l’adolescence, soit plusieurs années après l’apparition des comportements de prise de risque dont ils sont supposément à l’origine. En effet, l’initiation aux comportements de jeu, de consommation et de délinquance remonte à la préadolescence pour les jeunes qui se trouvent sur une trajectoire à risque (Wanner et al., 2006). Par conséquent, les facteurs de risque ont pu être contaminés par l’adoption de comportements de prise de risque. En outre, dans les études précédentes, la mesure des présumés antécédents communs, comme celle des comportements de prise de risque, repose presque toujours sur des informations fournies par les répondants eux-mêmes. Or, il est bien établi que l’utilisation d’une source unique pour évaluer à la fois les facteurs prédictifs et les problèmes ultérieurs peut entraîner une surestimation des liens réels entre les variables de prédiction et les comportements de prise de risque. Qu’en serait-il si les prétendus facteurs de risque communs étaient mesurés avant la période de l’adolescence et que leur mesure reposait sur des sources différentes de celles utilisées pour évaluer les comportements de prise de risque ?
Facteurs de risque potentiellement communs
Plusieurs études ont démontré la présence d’un lien fort entre l’impulsivité, la faible inhibition, la propension à prendre des risques et les comportements criminels (O’Gorman et Baxter, 2002 ; White et al., 1994). Les résultats de ces études vont dans le même sens que la théorie générale du crime de Gottfredson et Hirschi, qui affirment que le manque de contrôle sur le plan des impulsions (impulsivité, faible inhibition, faible sensibilité aux punitions et forte sensibilité aux récompenses) amène un individu à adopter des comportements imprudents (comportements à risque). Ces comportements imprudents, à leur tour, peuvent amener l’individu, s’il en a l’opportunité, à adopter des comportements de nature criminelle. L’impulsivité et le désengagement moral se sont également avérés des facteurs de prédiction eu égard à la pratique des JHA, à la consommation d’alcool ainsi qu’à la délinquance à l’adolescence (Barnes et al., 1999 ; Vitaro et al., 2001).
D’autres dimensions du comportement, notamment les problèmes affectifs (i.e. sentiments dépressifs, hypersensibilité, isolement social), ont également été mises en relation avec les JHA et la consommation de psychotropes. (Gupta et Derevensky, 1998 ; Langhinrichsen-Rohling et al., 2004). Compte tenu de la nature transversale des études qui ont mis au jour ces relations, il n’est pas clair si les problèmes affectifs précèdent ou découlent des comportements de prise de risque. Une étude longitudinale mesurant les problèmes affectifs avant l’émergence des comportements de prise de risque est nécessaire afin de clarifier la tangente de cette relation (Langhinrichsen-Rohling, 2004).
Finalement, parmi les facteurs d’ordre sociofamilial qui ont été mis en relation avec la pratique problématique des jeux de hasard et d’argent, la consommation de psychotropes et la délinquance, notons la fréquentation de pairs déviants, les pratiques parentales déficientes et la faiblesse sur le plan socioéconomique de la famille (Barnes et al., 1999 ; Patterson et al., 1991 ; Vitaro et al., 2001). Le rejet par les pairs normatifs s’est également avéré un facteur de risque important de la délinquance et de la consommation problématique de substances psychotropes, au-delà des caractéristiques d’ordre personnel et sociofamilial (Hawkins et al., 1992 ; Vitaro et al., sous presse). Une telle contribution s’expliquerait par la perte d’occasions pour une socialisation positive et par la frustration et le stress engendrés par l’ostracisme social dont les enfants rejetés font l’objet.
En somme, les objectifs de cette étude consistent à vérifier si les liens entre la pratique des JHA, la délinquance et la consommation de substances psychotropes diminuent de l’adolescence au début de l’âge adulte et si leur existence peut, du moins en partie, être expliquée par la présence d’antécédents communs. L’atteinte de ces objectifs commande une perspective développementale. Celle-ci est mieux servie dans le contexte d’une étude prospective-longitudinale comme celle présentée ici et par une approche multivariée quant aux mesures utilisées.
Méthodologie
Participants
Étant donné que la prévalence des JHA et des conduites délinquantes (i.e. violence, vol, fraude) est plus élevée chez les hommes que chez les femmes (Derevensky et al., 2003 ; LeBlanc et Morizot, 2000), nous avons limité la poursuite des objectifs précédents aux garçons qui participent à deux enquêtes longitudinales depuis une quinzaine d’années (n = 503 et 613, respectivement). À noter que les deux échantillons de participants ne sont pas équivalents eu égard à leurs caractéristiques sociodémographiques. Le premier groupe comprend des garçons de milieux défavorisés tandis que le second représente toutes les strates socioéconomiques (détails plus loin). Par conséquent, les analyses sont présentées séparément pour chaque échantillon, ce qui, en retour, permet de vérifier si les résultats sont similaires d’un échantillon à l’autre en dépit précisément des différences sur le plan sociodémographique. À noter que les mesures sont les mêmes à travers les deux échantillons.
Le premier groupe de participants provient d’une enquête initiée en 1984 et comprenant initialement 937 garçons de milieux défavorisés et d’origine canadienne-française vivant sur l’île de Montréal. Le second groupe provient d’une seconde enquête initiée en 1987. Il regroupait à l’origine 1000 garçons représentatifs des enfants fréquentant les classes de maternelle à travers la province de Québec. Les mesures utilisées dans cette étude ont été recueillies de manière prospective lorsque les garçons étaient âgés de 12, 16 et 23 ans.
Seuls les participants pour lesquels nous disposions de mesures complètes à 12, 16 et 23 ans ont été retenus pour la présente étude. Ceux-ci se distinguent des non-participants au chapitre du prestige occupationnel de leurs parents (plus élevé chez les participants) et des mesures d’agressivité, d’impulsivité et d’hyperactivité fournies par les enseignants (plus élevées chez les non-participants). Une telle perte différentielle de participants peut se traduire par des relations plus faibles que celles prévues entre les variables d’intérêt en raison de variances potentiellement tronquées. Une autre conséquence concerne les restrictions sur le plan de la généralisation des résultats. Autrement, elle n’invalide aucunement l’examen des relations qui font l’objet de cette étude.
Mesures
Mesures à l’âge de 12 ans
Quatre dimensions du comportement des garçons furent évaluées par leur enseignant à l’âge de 12 ans : l’impulsivité, l’hyperactivité, l’inattention et les problèmes affectifs. L’impulsivité fut évaluée selon quatre critères : incapable d’attendre son tour, agit sans réfléchir, interrompt les autres, accapare l’attention de manière bruyante (alpha de Cronbach = ,82). L’hyperactivité a été évaluée selon trois critères : ne tient pas en place, bouge et saute continuellement, a de la difficulté à demeurer en place (alpha de Cronbach = ,87). L’inattention a été évaluée selon trois critères : incapable de se concentrer, n’écoute pas les consignes, facilement distrait (alpha de Cronbach = ,78). Enfin, les problèmes affectifs ont été évalués selon cinq critères : pleure facilement, s’inquiète pour un rien, malheureux/triste, craint les choses nouvelles, est souvent seul (alpha de Cronbach = ,76). Ces énoncés proviennent du Questionnaire d’évaluation des comportements sociaux dont la validité et la fidélité ont été établies par Loeber et ses collaborateurs (1989). Le comportement représenté par chaque énoncé est coté sur une échelle de 1 (pas du tout) à 3 (tout à fait) correspondant au degré d’application au garçon évalué.
Les enseignants ont aussi évalué le degré de rejet dont chaque garçon faisait l’objet de la part des pairs à l’aide d’une échelle à quatre unités (0 = pas du tout aimé de ses camarades de classe ; 3 = très aimé de ses camarades de classe). La validité de cette procédure semble appropriée compte tenu de sa corrélation relativement élevée (r = ,53) avec les résultats d’une évaluation sociométrique impliquant les pairs.
Deux autres mesures ont été recueillies à l’âge de 12 ans : une mesure du degré de supervisionexercée par les parents et une mesure du niveau socioéconomiquede la famille. La supervision parentale a été évaluée à l’aide de deux questions auxquelles les garçons eux-mêmes ont répondu : Est-ce que tes parents savent où tu es le soir ou la fin de semaine lors de tes sorties ? Est-ce que tes parents savent avec qui tu es le soir ou les fins de semaine lors de tes sorties ? (alpha = ,92) Ces deux questions ont été empruntées au MASPAQ (Mesures de l’adaptation sociale et personnelle pour les adolescents québécois) de LeBlanc et McDuff (1991). Quant au niveau socioéconomique, il a été déterminé à l’aide de l’échelle de prestige occupationnel de Blishen et ses collaborateurs (1987). Cette échelle consiste à attribuer une cote numérique à la profession de chaque parent en fonction de la scolarité et du salaire moyen qui y sont associés. Les parents eux-mêmes ont fourni l’information relative à leur profession.
Mesures à 16 ans
Les mesures à 16 ans couvrent trois aspects et sont toutes autorévélées : la pratique des JHA, la délinquance et la consommation de substances psychotropes. La pratique des JHA a été évaluée à l’aide de la version française du South Oaks Gambling Screen-Revisedfor Adolescente ou SOGS-RA (Winters et al., 1993). Ce questionnaire autoadministré permet d’évaluer la fréquence à laquelle le répondant participe à diverses activités de JHA ainsi que le nombre de problèmes qu’il éprouve en lien avec cette pratique des JHA. La période de référence correspond aux douze derniers mois. Les informations ainsi recueillies peuvent être regroupées en deux échelles. L’échelle de fréquence évalue jusqu’à quel point (de 0 [jamais], à 4 [tous les jours]) le répondant pratique l’un ou l’autre type de jeu proposé (alpha de Cronbach = ,69). Quant à l’échelle des problèmes de jeu, elle consiste à calculer le nombre total de problèmes reliés au jeu parmi une liste de 12 problèmes possibles (alpha de Cronbach = ,76).
L’échelle de délinquance couvre deux types de comportements illicites : la violence envers les personnes (cinq énoncés : alpha de Cronbach de ,81), les fraudes et les vols (six énoncés : alpha de Cronbach = ,78). Ces énoncés ont été empruntés à l’échelle de délinquance de LeBlanc et Fréchette (1989). Pour chacun d’eux, le répondant indique sur une échelle de 1 (jamais) à 4 (très souvent) la fréquence à laquelle il a produit le comportement décrit au cours des douze derniers mois. Un résultat total est obtenu en additionnant les cotes pour l’ensemble des énoncés composant chaque échelle.
Enfin, la consommation problématique de substances psychotropes a été évaluée à l’aide d’une série de questions inspirées du Michigan Alcoholism Screening Test et du Drug Screening Test conçus pour les adultes (Knowles et Schroeder, 1990 ; Selzer, 1971). Ces questions se rapportent aux conséquences possibles d’une consommation abusive de substances psychotropes (i.e. alcool et drogue) (voir Zoccolillo et al., 1999). Les conséquences problématiques possibles pour chaque type de substances (i.e. alcool ou drogue) sont au nombre de 10. Une cote correspondant au nombre total de conséquences problématiques liées à la consommation de substances psychotropes a été calculée en additionnant le nombre de problèmes rapportés (alpha de Cronbach = ,81).
Mesures à 23 ans
Les mesures à 23 ans couvrent essentiellement les mêmes aspects que les mesures utilisées à 16 ans, soit la pratique des JHA, les comportements délinquants et la consommation de substances psychotropes. Pour la pratique des JHA, la version adulte du SOGS-RA, soit le SOGS (Lesieur et Blume, 1987) a été utilisée. Comme le SOGS-RA, le SOGS évalue la fréquence des JHA et les problèmes qui peuvent en découler.
L’échelle de délinquance de LeBlanc et Fréchette (1989) fut à nouveau utilisée pour évaluer les comportements de vol-fraude et la violence contre les personnes.
Enfin, la consommation problématique de substances psychotropes a été évaluée à nouveau à l’aide de l’échelle de Zoccolillo et ses collègues (1999) décrite précédemment.
Résultats
Le tableau 1 présente les moyennes et écarts types en lien avec les diverses mesures recueillies auprès des deux échantillons de participants. Même si les remarques qui suivent n’ont pas de lien avec les objectifs de la présente étude, il est intéressant de constater : a) la stabilité des moyennes de 16 à 23 ans, et b) les différences entre les deux échantillons, notamment sur les plans de la supervision parentale, de la délinquance et des problèmes liés à la consommation de psychotropes. À quelques détails près, ces différences sont en ligne avec les différences auxquelles on pourrait s’attendre en raison des caractéristiques sociodémographiques des deux échantillons.
Les analyses utilisées pour répondre aux questions soulevées dans cette étude correspondent à des analyses de cheminement à groupes multiples (en raison de la présence de deux échantillons de participants). Lorsque les paramètres diffèrent pour les deux groupes, alors deux paramètres distincts sont présentés. Dans le cas contraire, un seul paramètre est rapporté. Ce paramètre correspond au paramètre moyen pour les deux groupes.
Première série de questions
Jusqu’à quel point la pratique des JHA est-elle reliée aux comportements délinquants et à la consommation de substances psychotropes à 23 ans, et est-ce que ces relations sont différentes de ce qu’elles étaient à l’âge de 16 ans ?
Tel qu’il est illustré aux figures 1 et 2, la fréquence des comportements de jeu ainsi que les problèmes qui en découlent sont associés conco-mitamment aux deux types de comportements délinquants et aux problèmes reliés à la consommation de psychotropes, en plus d’être liés l’un à l’autre. En outre, les liens entre ces deux ordres de variables (i.e. comportements-problèmes de jeu par rapport à délinquance--consommation de psychotropes) ne sont pas différents à 23 ans de ce qu’ils sont à 16 ans, sauf pour les garçons de l’échantillon provincial pour lesquels les liens entre la fréquence et les problèmes de JHA, d’une part, et la violence envers les personnes, d’autre part, sont significativement plus grands à l’âge de 23 ans qu’à l’âge de 16 ans.
Deuxième série de questions
Est-ce que les relations entre la pratique des JHA, les comportements délinquants et la consommation de psychotropes à l’âge de 23 ans peuvent être expliquées par la présence d’antécédents communs ? Une réponse appropriée à cette question requiert au préalable l’établissement de relations entre les divers antécédents et chaque type de comportement séparément.
Les résultats illustrés à la figure 3 permettent de constater que les divers éléments de prédiction évalués à l’âge de 12 ans sont associés à la fréquence et aux problèmes de jeu, à l’exception de la supervision parentale.
Enfin, l’examen de la figure 4 permet de constater que les coefficients reflétant la force des relations entre la pratique des JHA (fréquence et problèmes), les comportements délinquants (vols-fraudes, violence) et les problèmes de consommation de psychotropes ne sont atténués que très légèrement après l’introduction des présumés antécédents communs. En fait, aucune différence n’est significative, suggérant que les relations entre les variables à 23 ans ne sont pas expliquées par l’ensemble des variables mesurées à 12 ans.
Discussion
Les résultats de cette étude montrent qu’à 23 ans, comme à 16 ans, la pratique des JHA est reliée aux vols-fraudes, à la violence envers les personnes et à la consommation problématique de psychotropes. Ce constat s’applique aux deux échantillons de participants malgré leurs différences sur le plan des moyennes. Autrement dit, les moyennes peuvent différer, mais les relations sont les mêmes. Ceci est vrai autant pour les relations entre les JHA, la délinquance et la consommation de psychotropes que pour les relations les unissant aux antécédents présumés communs. Ces résultats sont en lien avec la théorie du syndrome des conduites déviantes proposée par Jessor et Jessor. En outre, ils laissent entendre que le modèle théorique proposé par Jessor (1987 ; 1992) s’applique de la même manière à la période du début de l’âge adulte qu’à celle du milieu de l’adolescence puisque la force des relations entre la pratique des JHA, certaines conduites délinquantes (i.e. fraudes-vols et violence) et la consommation problématique de substances psychotropes est demeurée stable au cours des deux périodes de développement examinées. En fait, non seulement la force des relations entre les trois catégories de comportements à risque ne diminue pas de 16 à 23 ans, mais elle augmente même en ce qui concerne le lien entre la pratique des JHA et la violence envers les personnes chez le groupe initialement le moins à risque (i.e. les garçons de l’échantillon provincial).
La stabilité importante des relations entre la pratique des JHA, la délinquance et la consommation de psychotropes de 16 à 23 ans remet en question l’hypothèse selon laquelle ces relations devraient se résorber en raison des nouvelles responsabilités et des nouveaux rôles sociaux qui incombent aux jeunes adultes par rapport aux adolescents. Il est possible que ces nouvelles responsabilités et rôles sociaux ne touchent pas autant les jeunes impliqués dans ces comportements marginaux que les autres puisque ce sont surtout ces jeunes qui sont responsables des liens observés entre ces trois types de comportements. Il est également possible que l’âge auquel nous avons examiné ces liens ne corresponde pas encore à la période de jeune adulte, comme cela semble le cas à première vue. En effet, selon Arnett (2004), la période de l’adolescence tend à se prolonger jusqu’à la mi-vingtaine dans nos sociétés occidentales modernes. Un nouvel examen de ces relations à la fin de la vingtaine serait donc nécessaire afin de clarifier cette question. Le résultat le plus important de cette étude, toutefois, concerne le rôle minime des variables mesurées à 12 ans pour expliquer les relations entre la pratique des JHA, la délinquance et la consommation de psychotropes à 23 ans. Ce résultat contraste avec celui d’une autre étude alors que ces mêmes variables expliquaient partiellement les relations entre les mêmes trois catégories de comportements mesurés à 16 ans (Vitaro et al., 2001). Ainsi, il est possible que les relations initiales entre la pratique des JHA, les comportements déviants et la consommation de psychotropes au milieu de l’adolescence prennent leur source dans les facteurs de risque communs présents à l’enfance. Toutefois, au début de l’âge adulte, ces relations s’affranchissent de leurs facteurs de risque initiaux et endossent une dynamique indépendante. Cette nouvelle dynamique peut inclure une influence mutuelle entre les comportements problématiques. L’accroissement de certaines relations du milieu de l’adolescence au début de l’âge adulte, comme celle impliquant les problèmes de jeu et la violence envers les personnes, concorde avec l’hypothèse d’une influence mutuelle. Toutefois, seule une analyse des possibles effets mutuels entre les trois comportements problématiques du milieu de l’adolescence au début de l’âge adulte permettra de le confirmer.
Même s’ils n’expliquent pas les liens entre les comportements de jeu, la violence contre les personnes, les fraudes et vols, et les problèmes de consommation d’alcool et de drogue à 23 ans, les facteurs mesurés à 12 ans permettent néanmoins de prédire les problèmes liés aux JHA. Ce résultat est d’autant plus remarquable que la contribution prédictive de chaque facteur tient compte de la contribution des autres facteurs. Autrement dit, la contribution de chaque facteur est unique et indépendante des autres facteurs. De plus, ces facteurs ont été évalués à la préadolescence avant que la plupart des comportements de prise de risque prennent leur envol (Wanner et al., 2006). Un facteur en particulier mérite notre attention en raison des résultats contradictoires et de l’incertitude qui s’y rapportent. Il s’agit des problèmes affectifs qui, de l’avis de certains auteurs, découlent plus qu’ils ne précèdent les comportements de prise de risque (Langhinrichsen-Rohling, 2004). Les résultats actuels sont parmi les premiers à montrer que les problèmes affectifs prédisent les problèmes de jeu mais pas la fréquence des comportements de jeu. Ainsi, une fois que les joueurs ont amorcé leurs comportements de prise de risque, ceux qui affichent des problèmes d’ordre affectif sont à risque de développer des problèmes de jeu, en raison de leur vulnérabilité affective additionnelle.
Un autre résultat spécifique qui mérite une attention particulière concerne le rôle de la supervision parentale. Celle-ci représente une variable de prédiction importante en regard des comportements délinquants et de la consommation de psychotropes (Dishion, 1990). Dans la présente étude, cette même variable ne joue toutefois aucun rôle prédictif par rapport aux JHA. Le fait que les parents ne se préoccupent pas autant des problèmes de jeu que des problèmes de drogue ou de délinquance chez les jeunes peut expliquer ce résultat différentiel. Enfin, les résultats actuels confirment l’importance des caractéristiques personnelles liées à l’impulsivité et à la désinhibition ainsi que des caractéristiques socioenvironnementales (i.e. le prestige occupationnel des parents) dans la prédiction et probablement la détermination des trois catégories de problèmes d’adaptation considérées ici.
Comme toute étude, celle-ci comporte des limites méthodologiques qui doivent être prises en considération en vue de tirer des conclusions justes. Premièrement, les données relatives aux comportements problématiques proviennent des jeunes eux-mêmes et elles ont été recueillies à deux reprises seulement. De même, les mesures relatives aux présumés antécédents communs ont été recueillies à une seule occasion, lorsque les garçons étaient âgés de 12 ans. Un seul point de mesure et une seule source ne reflètent pas nécessairement l’évolution et l’ampleur de ces mesures à travers le temps et les contextes de vie. Enfin, un nombre relativement limité de variables a pu être évalué à l’âge de 12 ans. D’autres variables, telles la fréquentation d’amis déviants ou la présence de problèmes scolaires, pourraient s’avérer pertinentes dans le cadre de futures recherches. Enfin, tel qu’il a déjà été souligné, l’âge de 23 ans n’appartient peut-être pas encore au « monde adulte ».
La présente étude offre, en revanche, des atouts méthodologiques intéressants, tels que des sources différentes pour les présumés antécédents communs et les comportements problématiques, ce qui a pu, en partie, expliquer la différence entre les résultats actuels et ceux rapportés par d’autres auteurs tels Slustke et al. (2005) et Vitaro et al. (2001). L’âge auquel les mesures relatives aux antécédents communs ont été recueillies peut aussi expliquer ces différences. Un autre atout important, outre sa perspective longitudinale, concerne l’utilisation de deux groupes de participants avec des caractéristiques sociodémographiques différentes. Le fait d’avoir réussi à établir des relations très similaires à travers les deux groupes de participants augmente la validité externe des résultats obtenus et des conclusions qui s’en dégagent. En bref, les liens entre la pratique des JHA, les comportements délinquants et la consommation problématique de psychotropes sont aussi sinon plus élevés au début de l’âge adulte qu’au milieu de l’adolescence. À 23 ans, les relations ne semblent toutefois pas découler d’antécédents communs évalués à la préadolescence. Néanmoins, plusieurs de ces antécédents prédisent les problèmes de JHA. Ils peuvent donc servir à dépister les jeunes à risque d’éprouver des problèmes de jeu au début de l’âge adulte.
Appendices
Note
-
[1]
Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) dans le cadre d’une action concertée sur la criminalité et les jeux de hasard et d’argent.
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