Abstracts
Résumé
Les quinze dernières années ont été marquées, en France, par l’importance prise par les enjeux policiers dans l’arène des luttes politiques. Cela se mesure principalement à la concentration de l’attention politique et des forces policières sur des zones dites de « non-droit », zones urbaines touchées par la crise économique engagée depuis le début des années 1970, et par des explosions récurrentes de violences collectives ou d’émeutes urbaines. Cette radicalisation croissante des politiques policières dans le sens d’un maintien de l’ordre agressif a été accompagnée d’un resserrement du lien entre les policiers intervenant dans ces zones et leur mandant qui est « le » politique. Ainsi, l’article examine à partir d’une description ethnographique approfondie d’une intervention policière dans une zone de « non-droit », la nature d’un « nouveau mandat policier » en voie de définition. Nous utilisons la notion de souveraineté policière, nécessaire pour penser l’intervention policière dans ces zones, mais nous nous efforçons également d’en repérer les limites.
Abstract
Over the last fifteen years, a growing importance has been given in France to policing and security issues by political authorities. This evolution can be perceived above all in the focusing of government attention on economically depressed urban neighbourhoods that seem to be no man’s lands beyond the reach of the law and in the attendant saturation policing now occurring in these zones. This increasing radicalization of “law and order” policies in France has implied closer linkages between the police officers deployed on these troubled sites and the political power holders that are posting them there. The object of the article is to describe this newly emerging police mandate that is characterized by its high politicization through a comprehensive ethnographical thick description of a police intervention in such a city. The article makes use of the notion of police sovereignty as tentative theoretical explanation, and attempts as well to assess the limits of such an explanation.
Article body
Dans le numéro spécial que la revue Criminologie avait consacré à la police (La police après 1984, où 1984 renvoyait autant à l’année de parution qu’au roman éponyme d’Orwell), Jean-Paul Brodeur résumait l’essentiel du rapport de la police et du droit par cette formule explicite : « ce qui est perçu comme un débordement policier de la légalité est en réalité institué par la loi elle-même » (Brodeur, 1984 : 44)[*]. Il résumait ainsi par la notion de « chèque en gris » le mandat paradoxal que reçoit le policier dans l’exercice de ses missions, mandat à la fois suffisamment précis pour que le policier soit redevable de comptes envers sa hiérarchie et suffisamment flou pour que cette dernière se dédisse des actions du policier que viendrait contester la société (Brodeur, 1984 : 40. Voir dans le même ordre d’idées la notion de « mandat » chez Manning, 1978).
Je voudrais revenir sur ce couple flou que forment le droit et la police, en l’élargissant au tiers qu’est le politique. La substantialisation par le masculin de l’adjectif « politique » vise ici à rendre compte de deux notions : la politique déterminée par le gouvernement ou le législateur, et, en l’occurrence, la politique de sécurité intérieure, mais aussi le sens politique des choses, révélé par l’observation des pratiques. Cet élargissement du problème est imposé par un tournant majeur pris par ces questions depuis la sortie du numéro « 1984 » de Criminologie : la centralité des questions de police dans les débats politiques, centralité qu’incarne aujourd’hui l’insatiable notion de « sécurité intérieure » dans le paysage lexical et normatif[1]. Ce resserrement du lien entre police et politique est un fait nouveau par rapport au début des années 1980, qui oblige donc à repenser entièrement le mandat policier : le politique semble, en effet, vouloir plus que jamais pénétrer l’action policière. Reconsidérant la question de la définition de la police, Peter Manning pose ainsi : « I consider policing to be a legitimate, bureaucratically articulated organisation that holds out fatal force in control of political order » (Manning, 2003 : 41-42), réintroduisant le politique dans l’intervention policière, lorsque les définitions canoniques de Bittner excluaient l’ordre politique de la mission policière[2].
Puisque la force est centrale dans la définition du mandat policier, nous resserrerons l’observation empirique autour des zones dites de « non-droit », l’expression qui désigne en France la notion anglo-saxonne de « no-go area », ces zones, par exemple, frappées par les récentes émeutes urbaines (4770 arrestations, 200 millions d’Euros de dommages). Ces territoires sont dans l’esprit public des zones caractérisées par l’absence d’application du droit par les policiers. Pour autant, ce sont dans ces territoires, précisément, que surviennent les plus fréquents écarts au droit, entendons par là, au droit censé encadrer l’action policière. Absence du droit, écart au droit : l’objet de cet article est de repérer les rapports entre droit, police et politique depuis ces zones particulières.
Nous exploiterons ici essentiellement un cas tiré d’un volume d’environ 200 heures d’observation menées de la mi-mars à la mi-juillet 2004 dans deux circonscriptions urbaines de la grande banlieue parisienne réputées « dures[3] », en équipage constitué principalement des policiers de brigades anticriminalité ou des « nuiteux », policiers en tenue affectés au service de nuit[4] ; les services et les horaires ayant été sélectionnés en vue de nous concentrer sur les zones et moments de tension (selon des protocoles anciens tels que Black et Reiss, 1967 ; Reiss, 1968 ; pour une discussion plus générale de « l’effet territoire », voir Mastrofsky et al., 2002).
Ce cas d’observation sera ensuite confronté à un épisode de procédures législatives. La démonstration est donc de nature casuistique, déduisant de descriptions denses (« thick descriptions ») des conclusions de portée plus générale. Le point de départ théorique de la démonstration est constitué de la notion « d’arène de souveraineté policière », sur laquelle nous reviendrons. En insistant sur les « gradins » de l’arène, nous introduirons le regard du « tiers absent » pour comprendre la régulation de la violence et de la souveraineté dans les espaces dits de « non-droit ». Nous montrerons ensuite comment le politique prend lui aussi place dans l’arène, y agitant des drapeaux apparemment contradictoires, mais contribuant paradoxalement à la régulation de la violence. Nous conclurons alors sur la portée de la notion de souveraineté policière.
1. L’arène policière : portée d’un concept contesté
Pour rendre compte d’un domaine particulier de la sociologie de la police, j’avais employé la notion d’arène, tirée de l’anthropologie, et évoquée, cette fois à partir de la philosophie du droit, les « arènes de souveraineté policière » (Jobard, 2001 : 341 ; 2002a : 204-233). Cette notion a été frontalement critiquée par Frédéric Ocqueteau (2004), m’amenant à en préciser et en reformuler sa portée descriptive.
La situation et le droit
Notre premier point d’appui est la notion de souveraineté, définie on le sait par Carl Schmitt (1996) en ces termes : « Est souverain celui qui décide de la situation d’exception ». Notre thèse est que, dans des espaces particuliers, les policiers décident seuls de l’engagement d’une situation d’exception, et peuvent décider d’engager, dans ces situations, une force inhabituelle, non sanctionnée par la justice. Dans ces espaces sociaux, la légitimité rationnelle légale qu’invoque Max Weber[5] fait place à un mode de domination caractérisé par la forte autonomie des décisions individuelles des agents de l’État et par une faible prise du droit sur la force qu’ils emploient.
Considérons d’abord la décision d’engager une interaction. Les contrôles d’identité peuvent être effectués « quel que soit le comportement de la personne » (art. 78-2, Code de procédure pénale). Le Conseil constitutionnel, garant de la conformité des lois à la Constitution, avait émis une « réserve d’interprétation » à cette disposition, en posant que les policiers doivent toujours être en mesure, le cas échéant, de « justifier » la « pertinence des raisons ayant motivé les opérations de contrôle ». Mais dans les zones de relégation sociale, les coûts de mobilisation[6] du juge et de la loi sont tels qu’ils frappent de nullité réelle la réserve émise. En confiant la légalité des contrôles à un juge pénal jamais saisi, la juridiction constitutionnelle fait ainsi du policier le vrai juge des situations. La loi, par son impuissance, redouble la singularité sociale des zones de relégation par un acte de déchéance juridique. Voilà nos zones de « non-droit » définies : il existe bien des zones particulières de l’espace social dans lesquelles le droit est suspendu au profit de la décision individuelle du policier.
L’étude de décisions judiciaires dans des cas de violence commise dans ces zones révèle, par ailleurs, que les juges se défont eux-mêmes de leur prérogative essentielle lorsque, par exemple, ils estiment à propos, lors d’une agression armée envers un conducteur de véhicule touché à la nuque par un projectile (circonstance dans laquelle la condition fondamentale d’emploi de la force, qui est la légitime défense de soi ou d’autrui, n’est de toute évidence pas attestée), que l’arrestation « de malfaiteurs dangereux paraissait bien avoir le caractère d’une nécessité réelle et urgente justifiant des mesures exceptionnelles d’intervention[7]. » La notion « d’état de nécessité », très rarement mobilisée en droit français (Desmons, 1999 : 67 ; Simonin, 2003 : 478-582), découvre cet isolat de l’espace juridique français que sont en effet les zones de « non-droit » : amené à se prononcer sur ce qui s’y passe, le juge aligne son appréciation des conditions générales d’existence pour qualifier de coercition légitime une violence mortelle qui eût été ailleurs, dans d’autres espaces sociaux, absolument condamnée.
L’arène : du sable aux gradins
Pour décrire l’espace particulier dans lequel l’usage de la force policière est abandonné par le droit et élevé au rang de « nécessité », j’avais emprunté à l’anthropologue des conflits pachtounes, Frederick G. Bailey (1971 : 103), le terme « d’arène » : un espace particulier de confrontations, où les conflits sont régis par des lois propres. Les arènes de souveraineté policière sont alors des lieux où la force employée par les policiers se substitue au droit, et où la police jouit de la souveraineté que lui concèdent le législateur et le juge. Entendue par F. G. Bailey (1971), la notion d’arène permet de centrer le regard sur les « règles de la compétition ». Dans l’arène policière, les règles qui régissent la violence sont « emboîtées » dans les normes plus larges que sont les normes de droit et les normes sociales que nous venons de voir à l’oeuvre (sur l’espace d’interdépendance élargi : Bailey, 1971 : 161-203).
Frédéric Ocqueteau a récemment fortement contesté l’usage que j’avais fait de cette notion (Ocqueteau, 2004 : 69-74), invoquant sa trop forte réification, qui rend difficilement explicable le faible usage par les policiers, dans les situations de routine, de la souveraineté que leur concède le droit ou la loi. Ce dernier point est incontestable, mais il n’autorise pas à jeter pour autant le discrédit sur la notion d’arène, dont la dualité constitutive (très bien mise en avant par D. Linhardt, 2005 : 116-120) permet précisément de penser à la fois la violence et sa retenue. L’arène est, en effet, formée d’une piste où s’affrontent les protagonistes (la « poussière » chez Bailey) et des gradins où prennent place le public et l’empereur, les deux instances qui décidaient du sort du vaincu dans les jeux antiques. Le propre de nos arènes policières est que les spectateurs n’assistent pas aux combats de manière immédiate. S’ils n’en sont pas, en effet, les témoins directs, ces spectateurs absents restent pourvus des prérogatives accordées au juge-spectateur des jeux antiques : ce sont eux qui décident de l’issue des interactions, amenant une forte régulation de la violence engagée.
Mais qui donc prend ainsi place sur les gradins dont l’invisible participation est si forte qu’elle décide de l’issue des interactions ?
2. La régulation de la violence par les gradins
Le récit suivant d’une intervention policière illustre la pertinence explicative de l’attention portée aux gradins qui forment l’arène. Ce sont eux, en effet, qui semblent réguler la force policière.
Violence ritualisée…
Le 30 mars 2004, je monte, à 16 h, dans un véhicule banalisé d’une équipe BAC (Brigade anticriminalité (policiers en civil, spécialisés dans le flagrant délit)) formée de deux policiers de moins de trente ans (Alain et François) et de Nicole, une fonctionnaire du même âge. L’activité dans la circonscription est très maigre, il n’y a rien à faire, nous passons le temps en roulant sans but dans les rues paisibles. L’activité est morne au point que, le soir venu, ayant reçu une consigne de la part de la préfecture signalant un concert rock dans une salle de spectacles, nous nous y rendons et y assistons durant une bonne heure. À 22 h 45, pour tromper l’indécrottable ennui, nous décidons d’aller « faire un plan cul ».
Beaucoup de couples (jeunes, flâneurs) décident, l’été venu, de se soustraire à la surveillance du voisinage ou du ménage et d’aller consommer leur passion dans leur voiture, en bordure d’un lac. Les policiers attendent que nuit se fasse pour surprendre pleins phares les ébats amoureux. L’autonomie de sélection des événements et « l’indétermination substantielle de l’activité de police » (Monjardet, 1996 : 48) sont ici exemplifiés de manière indubitable : que le propriétaire du véhicule garé ait emmené une jeune mineure, ou bien une femme contre son gré, et l’événement, de substitut à l’ennui, gagne subitement une valeur considérable. À une moindre échelle, bien sûr, les jeunes couples accompagnant souvent leur soirée de la consommation d’un peu de cannabis offrent aux policiers le point d’appui d’investigations plus larges pour savoir s’il y a là matière à interpellation et déferrement devant la justice.
Ce soir-là, notre véhicule se porte à la rencontre d’une petite voiture rouge. En émergent une jeune femme et un homme un peu plus âgé, tous deux d’origine maghrébine, et les trois policiers en civil, agrafant leurs brassards orange fluo « police », demandent aux deux occupants du véhicule leurs papiers d’identité. Si la femme semble amusée de cette interruption inopinée, l’homme le paraît beaucoup moins. Les cartes d’identité sont examinées par Nicole, pendant qu’Alain fouille le véhicule : il y entre avec sa torche électrique et regarde sous les sièges, dans la boîte à gants, dans le coffre, etc. Le conducteur proteste vigoureusement, soulignant que son véhicule est une propriété privée, que le policier pourrait y placer n’importe quel objet incriminant (arme, stupéfiants, etc.). L’échange est très vif et l’individu semble s’apprêter à s’opposer physiquement à la fouille du véhicule. François se place alors en travers de son chemin, se positionne en garde gauche, la main droite sur son tonfa (bâton à poignée perpendiculaire), la main gauche sur le sternum du jeune homme, en le dissuadant d’une voix très forte de faire le moindre geste. Les deux protagonistes restent alors figés durant une bonne minute, le jeune homme continuant de protester sans mouvement, François restant ses deux mains disposées sur son bâton et sur la poitrine de son vis-à-vis, jusqu’à ce que la confrontation prenne fin, Alain n’ayant rien trouvé dans le véhicule. Nous remontons en voiture, laissant les deux contrôlés à la reprise de leurs ébats interrompus.
Dès l’instant qu’elle avait contesté la légitimité du contrôle et émis des doutes quant à l’honnêteté du corps policier, la personne contrôlée avait immédiatement fait la preuve qu’elle relevait de la catégorie des « assholes » : ceux qui comme tels « stigmatisés par la police et traités durement sur la base de leur incapacité à satisfaire les attentes que les policiers exigent en soi de la situation d’interaction[8] » (Van Maanen, 1978 : 224, c’est lui qui souligne). À leur égard en effet, si on suit l’article éponyme de Van Maanen, on peut s’autoriser une réponse « physique » (ce que Van Maanen appelle la « street justice »). Pour autant (ce que Van Maanen, 1978 ni Reiss, 1968 ne soulignent), l’engagement d’une confrontation physique semble extrêmement codifié. Ce que la confrontation montre en effet, c’est bien la force, en pareilles circonstances, de la ritualisation de l’escalade et de la désescalade (Edelman, 1969) : d’un commun et silencieux accord, les deux protagonistes de l’échange physique, François et le conducteur, conviennent du seuil à ne pas dépasser et figent ainsi la situation.
Policiers et contrôlés s’étant réciproquement « situés » (au sens de Goffman (1973)), ils avaient du même coup « ancré » leur relation dans l’arène des confrontations violentes. Limitée à ce qui se donnait à voir, l’interaction montrait ainsi une maîtrise partagée des échelons de la confrontation (Dobry, 1986 : 187-190) et la forte « interdépendance des choix des protagonistes » (Schelling, 1986 : 198). Le jeu consolide les murs de l’arène : « dans la mesure où l’affrontement est le principal mode d’interaction entre les adversaires, ils jouent un jeu et ils ont tous les deux intérêt à maintenir intacte la structure de ce jeu (c’est-à-dire les règles) » (Bailey, 1971 : 106).
… ou violence empêchée ?
Mais l’observation ne s’arrête pas là. Elle se prolonge par la discussion en voiture, qui enduit l’interaction d’un sens légèrement différent : c’est moins, en effet, de ritualisation que d’empêchement dont il est question ici. François, sur la banquette arrière, louait le sens des situations de son adversaire : il regrettait, en effet, que ce dernier ne soit pas sorti de ses gonds, alors qu’il l’y incitait en lui donnant des petits coups, des légères impulsions de la main sur son sternum et l’encourageait ainsi à l’escalade (à deux mètres de l’échange et pourtant très attentif, je n’avais rien perçu de ces coups). Les regrets de François illustrent deux choses. D’un point de vue méthodologique, ils soulignent la nécessité de comprendre l’observation dans le sens que lui donnent les acteurs (Piette, 1996) : l’immédiatement visible n’a pas épuisé le sens de la situation, et n’a pas rendu compte de ce que le basculement dans la violence constituait bien l’horizon souhaité de l’interaction. Mais ce basculement n’a rien d’une stratégie de « bord du gouffre » (Schelling, 1986 : 244-246). Il est enserré dans des contraintes d’acier ; car même porté par un désir certain, avoué aux pairs et au demi-pair[9], le passage à l’acte reste régi par une gradation extrêmement fine du geste et de sa réponse, gouvernée par l’impératif consistant à toujours apparaître (aux yeux des pairs qui partagent le voeu de la violence et aux yeux de l’adversaire) en situation de réponses graduées, telle que l’exige le droit.
Tout en effet invitait la situation à basculer dans la violence : une équipe policière soudée, partageant les mêmes visions de leur métier et le même isolement par rapport à leur hiérarchie et aux spectateurs extérieurs. Il ne faisait non plus de doute aux yeux de François, Alain et Nicole que le récalcitrant n’aurait pas les ressources pour se défendre (confirmant ainsi Van Maanen, 1978 : 227-228). Le conducteur protestataire, d’origine maghrébine[10], résidait dans une commune urbaine voisine, beaucoup plus dure, et de surcroît particulièrement troublée au moment de mes observations, à la suite d’un décès survenu au cours d’un contrôle remuant. Classé « asshole » durant et du fait de l’interaction, la prise de connaissance de son appartenance territoriale le renvoyait dans le même temps dans cette arène de souveraineté policière[11].
Pourtant, l’interaction paraît tout à fait nettement enserrée dans des contraintes qui resteraient incompréhensibles si elles étaient seulement ramenées aux seules propriétés immédiatement visibles de la situation, ou aux seules visions du monde des policiers. Les acteurs sur le sable semblent retenus par les spectateurs disposés sur les gradins. Ces spectateurs ne sont pas les juges dont nous avons vu tout le détachement relativement aux interventions policières, notamment dans ces territoires. Qui sont-ils alors ? Il s’agit principalement des pairs restés au poste, de l’ensemble des collègues dont on sait qu’ils partagent le même bagage d’expériences (les « core skills, cognition and affects » de Manning, 1976 : 74) et seront donc les meilleurs juges, les meilleurs « connaisseurs », pour passer l’action au tamis du récit que l’on en fera. Eux, savent lire ces récits d’intervention et, disposés par cercles concentriques (et par ordre décroissant, aux yeux du policier, d’affinité et d’intimité d’expérience) sur les gradins de l’arène, du chef d’intervention au commissaire, ils sont alors les spectateurs absents qui régulent l’emploi de la force, selon le principe établi de conservation de l’organisation et de ses membres, qui exige que jamais il ne soit fait plus de vagues que la situation ne l’exige strictement (Monjardet, 1996 : 208-210).
L’anticipation des lectures de l’acte par les collègues est la raison qui fait qu’au moment même où il se déroule, il est déjà récit à venir, il est déjà spectacle porté au devant de la scène. Ce que nous voudrions également montrer, à présent, c’est le degré auquel le politique a également pris place sur les gradins.
3. Publics et instruments des politiques publiques en matière de sécurité
La description dense d’une interaction spécifiquement choisie pour son caractère exemplaire fait ressortir les « présuppositions partagées et (les) contraintes autoentretenues » (Goffman, 1988 : 198) des protagonistes, qui inscrivent la confrontation dans cet espace élargi de sens et de contraintes qu’est l’arène. Jusqu’à présent, les pairs étaient les « spectateurs ». Nous allons à présent montrer qu’un autre tiers, plus lointain mais non moins décisif, est l’opinion publique ; que l’arène au sein de laquelle se déroulent ces conflits est elle-même ouverte sur la société.
L’autorité de l’État dans les halls d’immeuble
Les élections parlementaires et présidentielles du printemps 2002 ont porté au pouvoir un gouvernement conservateur, à la suite de scrutins largement dominés par l’enjeu de la sécurité (Monjardet, 2002). Le nouveau ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, cristallisait les attentes politiques autour d’une unique question, sa capacité à « maîtriser » la délinquance, et à restaurer l’autorité du personnel politique tout entier face à l’outsider populiste Jean-Marie Le Pen. Dans le prolongement du rétrécissement de l’arène politique autour de l’enjeu sécuritaire, toute la réussite du gouvernement semblait mesurée par la capacité de « restaurer l’ordre » ou « regagner les zones de non-droit », et ce, afin de restaurer la crédibilité même de l’autorité politique. N. Sarkozy annonça l’allocation de nouveaux moyens d’action aux forces de police pour déraciner la petite délinquance. Parmi ces mesures, on nota la création d’un délit de « rassemblement dans les halls d’immeuble », puni de 3750 Euros d’amende et de deux mois d’emprisonnement[12]. Or le processus législatif tout entier, plus que la loi figée dans son texte final, donne le véritable sens de cette décision.
En mars 2001, le gouvernement socialiste de Lionel Jospin déposait selon la procédure d’urgence, le projet de LSQ devant le Parlement. Cette LSQ comportait un étrange article 52, fruit d’une initiative des députés, qui prévoyait la possibilité de « faire appel » aux « forces de police ou de gendarmerie » […] « pour rétablir la jouissance paisible [des] lieux », en cas « d’occupation des espaces communs ». L’article, selon les députés auteurs de l’amendement, était « très attendu par la police et la gendarmerie[13] ». Au cours de la discussion, le Sénat (traditionnellement conservateur), l’enrichit de deux éléments. D’abord, il voulut un délit spécifique « d’occupation des espaces communs […] d’immeubles […] ». Ensuite, il promut l’idée que lors de l’intervention de la police ou de la gendarmerie « le refus d’obtempérer [soit] constitutif du délit de rébellion[14]. » Ces propositions furent toutes deux rejetées par l’Assemblée nationale. Au final, donc, la loi adoptée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, n’énonça rien de bien neuf : les forces de police ou de gendarmerie peuvent mettre un terme aux troubles de jouissance lorsque le public les en enjoint ; article qui ne modifiait donc en rien les modalités d’action de la police et dont la valeur restait peu ou prou déclaratoire (Jobard, 2002b).
Revenons toutefois un moment à l’initiative avortée du Sénat. En faisant de l’occupation d’immeuble un délit pénal, il élevait au rang de délit une pratique sociale propre à une classe d’âge bien déterminée, dans un contexte urbain bien défini, celle de tuer le temps dans son hall d’immeuble. À cette création de délit, sévèrement sanctionné, le Sénat ajoutait le curieux codicille sur l’automaticité du délit de rébellion en cas de refus d’obtempérer. Étrange ajout : un refus d’obtempérer est un délit en soi. L’amendement défendu par le Sénat ne voulait donc rien d’autre que qualifier toute tension entre les policiers intervenant dans un hall d’immeuble et des jeunes qui s’y étaient rassemblés en résistance aux agents de l’État[15]. La logique qui animait les sénateurs consistait à restaurer l’ordre public en faisant des lieux de voisinage et de sociabilité, même conflictuels, des zones de souveraineté immédiate de l’État, par la suprématie de la police. Le Sénat n’imaginait ainsi pas d’autre solution aux difficultés de la vie commune dans ces espaces si difficiles à vivre que l’imputation généralisée d’atteinte à l’autorité de l’État[16].
Les députés[17] rejetèrent finalement cette solution : « Le Sénat a cru devoir retenir une sanction, mais je ne suis pas sûr de la faisabilité d’une telle disposition. Or rien n’est pire qu’un texte inappliqué[18]. » Au final, prudente et malhabile, la loi posait un cadre très général à l’intervention de la police (« la tranquillité des lieux »), sans rien définir de neuf. La droite parvenue au pouvoir en 2002, reprit ce texte au point exact où le gouvernement précédent l’avait laissé et N. Sarkozy substitua à la simple capacité de faire appel à la police la création d’un délit particulier : le rassemblement illicite dans un hall d’immeuble, puni comme nous l’avons dit (LSI). Il retint des sénateurs le délit spécifique, sans lui adjoindre toutefois l’imputation automatique du délit de rébellion.
4. Mots qui font mouche, politiques qui se dérobent
Synthétisons les deux dispositifs, celui des sénateurs et celui de la LSI. Pour les sénateurs (délit spécifique + imputation automatique de rébellion), ce sont les policiers qui sont les destinataires essentiels de la prétendue « restauration du droit ». Celle-ci est pensée comme une allocation de puissance aux policiers (automaticité de la rébellion), sans souci de la tranquillité publique (le délit nouveau n’est pas applicable). Pour N. Sarkozy, en revanche (délit particulier, mais pas d’imputation de rébellion), c’est bien l’opinion publique qui est destinataire du texte, selon la logique de la « métonymie politique » bien décrite par Murray Edelman (1972), qui pose la présomption d’efficacité de l’action politique par la réduction artificielle d’un insoluble problème social à un substitut symbolique.
Pourquoi ce choix d’apparente retenue de la part de ce ministre pourtant décrié comme « sécuritaire » ? Pourquoi n’a-t-il pas suivi ses sénateurs dans l’allocation d’un supplément de puissance aux policiers ? Le ministre « répressif » a choisi la prudence : il se retient d’offrir ce surcroît de puissance aux policiers, pourtant proposé par ses sénateurs. Le maintien de l’ordre public est, chez N. Sarkozy, subordonné au maintien de l’ordre symbolique, qui exige que la lutte contre la délinquance ne fasse pas basculer l’État vers un État policier. Un ministre dont l’autorité charismatique repose tout entière sur la restauration de l’autorité politique encourt le risque de s’enfermer dans une relation de dépendance à l’égard des policiers qui sont son instrument essentiel. Il doit donc, toujours sur cette scène symbolique sur laquelle s’échangent les « coups » politiques, donner tous les signaux de maîtrise de son administration, étant entendu que le signal majeur est le contrôle des chiffres de la délinquance produits par son administration (Monjardet, 2004).
Le « mandat » confié aux policiers, la « souveraineté » dont ils bénéficient précisément dans les zones de « non-droit », sont désormais sous les lumières publiques projetées par le politique, qui brandit ces zones en étendard de sa légitimité. Le politique invite l’opinion publique à prendre place sur les gradins. Or, dans le même temps, l’espace politique national a lui-même changé, sous l’effet notamment du Conseil de l’Europe et de son Comité de prévention contre la torture, qui dispose de la compétence de visiter tout lieu dans lequel des personnes sont retenues contre leur gré. C’est ainsi, en réaction à la publication du rapport sur la visite de 2000 du CPT, que le même ministre de l’Intérieur prend, le 12 mars 2003, une circulaire de cinq pages à l’attention de l’ensemble des directeurs de police, relative au respect de la dignité des personnes en garde à vue et instaure un suivi interne plus attentif des gardés à vue. C’était en réaction contre la condamnation de la France pour « torture » exercée par des policiers que le premier ministre du gouvernement précédent, Lionel Jospin, avait introduit par la loi du 10 juin 2000 une Commission nationale de déontologie de la sécurité dont la particularité majeure est de publier les courriers échangés avec les administrations à propos des affaires dont elle est saisie, obligeant ainsi l’administration et le politique (ce sont le ministre, le directeur général de la police nationale ou le directeur central de la sécurité publique qui, en effet, signent les échanges) à montrer aux spectateurs ce qui se joue dans l’arène[19].
On assiste ainsi à un double mouvement par lequel le politique pénètre dans l’arène, mais ouvre le spectacle à l’opinion publique tout entière. Le succès de la politique tient ainsi à la fois dans l’emploi de mots qui font mouche (« words that succeed », Edelman, 1972) et dans la maîtrise de ses agents. Là réside le changement fondamental du mandat policier : l’ouverture de l’arène policière au politique noircit « le chèque en gris » de Brodeur (1984) et ajoute l’opinion publique aux signataires du mandat policier de Manning (1971).
La scène de la production des politiques publiques se trouve ainsi en situation d’homologie structurale par rapport à la scène de confrontations physiques des policiers et de leur clientèle. Par l’emboîtement des situations de terrain et de la scène politique (Bailey, 1971 : 161 ; Favre, 2003 : 270), c’est bien l’opinion publique qui prend place dans les gradins parmi les spectateurs absents des situations de violence policière. Loin de relever d’une violence autorisée par la suspension du droit, ces situations d’exception sont endiguées par les transactions normatives entre les protagonistes et les spectateurs : les transactions entre policiers, juges et opinion publique (ou autorité politique) donnent lieu à des normes qui enserrent les situations violentes, espaces de souveraineté sous contrainte.
5. Conclusion : un décisionnisme sociologique
Quelle est aujourd’hui la nature du mandat policier ? Frédéric Ocqueteau a raison de prévenir les risques d’une conception trop figée, trop fermée de l’arène des confrontations policières, notamment quand il évoque « l’usage de plus en plus raréfié de la force par la police » (Ocqueteau, 2004 : 71). Cela ne retire rien au fait qu’il faille penser ensemble la discontinuité de l’espace social et juridique, et le fait que le droit tel qu’il est rendu par les juges confère aux policiers une marge d’action toute particulière dans des zones bien définies.
« Souverain est celui qui décide de/en situation exceptionnelle », selon la formule consacrée du « décisionnisme » juridique de C. Schmitt (Kervégan, 1992 : 29-47). L’universalisation aveugle de cette notion, à l’oeuvre aujourd’hui dans toute une philosophie politique des phénomènes de sécurité, conduit à une substantialisation indue de ce décisionnisme, susceptible de rendre compte, désormais, des « logiques à l’oeuvre » tout au long de la chaîne qui lierait les mesures de lutte anti-terroriste aux interventions policières dans les situations tendues de nos villes en déshérence[20]. Ce type d’analyse fait paradoxalement grand crédit aux promoteurs des dispositifs sécuritaires qui supposent l’existence d’un lien de continuité du terroriste aux jeunes dans son hall d’immeuble. La récente notion de « ban-optique » (Bigo, 2003), censée rendre compte de la continuité des processus de stigmatisation du terroriste islamique au jeune de banlieue, prend curieusement les politiques au mot, alors que, nous l’avons vu, la réalité de l’exécution des voeux politiques obéit à des lois beaucoup plus complexes.
Il y a décisionnisme : il existe bien des espaces sociaux où les policiers sont plus souvent amenés qu’en d’autres à décider de la confrontation, et à choisir en situation parmi leur panoplie de moyens violents. Ces espaces de souveraineté peuvent, nous l’avons vu, coïncider avec la mort. En ce sens, le monopole de la violence physique légitime relève bien, dans certains espaces sociaux, de la décision plutôt que du droit. Mais cette décision elle-même relève d’une analyse sociologique, qui met en avant la complexité des transactions des acteurs avec les spectateurs absents et les normes particulières qui en sont le produit. La décision qui fonde l’action policière dans les arènes de violence policière n’est pas pure décision : elle se mêle d’éléments imposés par les contraintes organisationnelles et politiques. Ce qui relève là dans les théories idéalistes de l’État de l’autolimitation prend, dans l’analyse sociologique, les traits d’une théorie empirique de l’enserrement de la souveraineté des agents par les contraintes qui pèsent sur leur action.
Ainsi, le mandat policier relève bien de la « mesure de police » remise au jour par l’historien du droit Paolo Napoli : « Dans cette zone que ne qualifie ni l’énoncé positif de la loi ni le fait négatif de l’exception, la mesure de police […] crée un droit qui lui appartient entièrement en tant que fruit d’une synthèse conjoncturelle entre une situation donnée et sa modification possible » (Napoli, 2003 : 299). Mais ce mandat policier s’est alourdi de contraintes plus fortes, parmi lesquelles le lien plus resserré avec la légitimité du mandant politique. C’est la force de ce lien-là que nous avons examinée ici et dont nous avons essayé de comprendre la capacité de pénétration jusque dans la configuration des interactions policières elles-mêmes. Et, sur les territoires où la mesure de police se substitue au droit, chacune des interactions policières met aujourd’hui plus que jamais en péril le fragile équilibre entre l’autonomie des policiers et la légitimité du politique.
Appendices
Notes
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[*]
Je remercie les lecteurs anonymes de la revue pour leur regard acéré sur une première version du texte. Une présentation au cours du colloque « La police et les citoyens » CICC/École nationale de police du Québec, le 1er juin 2005, m’a permis de réviser cette première version et un séjour au CICC en juin 2005 d’en achever la rédaction.
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[1]
Pour nous en tenir aux derniers épisodes législatifs français : Loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) du 15 novembre 2001, Loi modifiant la Loi sur la présomption d’innocence du 4 mars 2002, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité intérieure (LOPSI) du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (dite « loi Perben I ») du 9 septembre 2002, Loi pour la sécurité intérieure (LSI) du 18 mars 2003, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dite « loi Perben II ») du 9 mars 2004. Cette avalanche législative n’est pas propre à la France (Haudrich, 2003). Monjardet (2002) décrit avec une redoutable précision les conditions d’inscription de la sécurité intérieure sur l’agenda politique (voir aussi, pour un bilan des dispositifs policiers français de ces dernières années Monjardet, 2004 et Ocqueteau, 2004).
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[2]
La définition bittnérienne suppose en effet une clôture de la situation policière : la police est « un mécanisme de distribution d’une force coercitive non négociable mise au service d’une compréhension intuitive des situations » (Bittner, 1990 : 233 – voir aussi le débat autour de cette notion : Déviance et société, 2001 : 279-345).
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[3]
La première avait été marquée par des émeutes en 1991 et la seconde des problèmes sérieux en 2001.
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[4]
Ces observations se sont déroulées dans le cadre de la recherche concertée du ministère de la Recherche (type ACI), dirigée par Marc Loriol sur le travail dans la fonction publique (cf. Loriol et al., 2005). Les analyses que je tire de ces observations n’engagent pas l’équipe qui s’intéressait à la routine du travail policier.
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[5]
Concept propre à l’auteur qu’on trouve dans tous ses ouvrages.
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[6]
Nous faisons ici référence aux notions de mobilisation et de « coût du litige » formulées par Black (1973 : 180).
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[7]
Décision de non-lieu prononcée, en juillet 1998, par un juge d’instruction dans le cadre d’une affaire survenue en 1991 à Mantes-la-Jolie, une ville de la grande banlieue parisienne.
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[8]
Et, en effet, le conducteur récalcitrant n’était ni un « tiers tranquille » (« know-nothing » de Van Maanen, 1978) ni un « suspect intéressant » (« a suspicious »), puisque l’interrogation à distance des fichiers de police (fichier des personnes recherchées, des véhicules volés ou des infractions constatées) n’avait rien donné d’immédiatement exploitable. Ainsi, pendant la consultation des fichiers électroniques, la définition du conducteur oscillait entre le « asshole » et le « suspicious », mais son comportement l’associa très vite à la première catégorie, déterminant la suite de l’interaction (pour une confirmation récente de l’influence du comportement de la personne contrôlée sur le comportement policier, voir Mastrofsky et al., 2002).
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[9]
En l’occurrence moi-même. À la fois le temps déjà passé avec cette équipe, le fait même que François ait indifféremment confié ses regrets à tous les présents (policiers et observateur), ou bien que nous soyons allés ensemble, pendant les heures de service, au concert de rock quelque temps avant montrent aisément que les policiers ne considéraient pas l’observateur comme un tiers étranger.
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[10]
Ce facteur est, avec les autres éléments, un indicateur de son manque de ressources judiciaires dans les conflits avec les policiers. Dans une étude récente portant sur environ 1500 affaires d’outrage, rébellion, violence (à l’encontre d’agents de la force publique) jugées par un tribunal de grande banlieue parisienne (même géographie que le territoire de mes observations), j’avais pu noter, d’une part, que les « Maghrébins » (identifiés par lieux de naissance et patronymes) étaient surreprésentés dans ces affaires et, surtout, que la probabilité qu’ils soient condamnés était trois fois supérieure à celle des Français ne relevant pas d’une minorité visible (Jobard et Zimolag, 2005).
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[11]
Une fois remontés en voiture, les policiers figeaient ainsi la typification, renvoyant l’individu rencontré dans cet espace familier de la propriété policière (le « police property » de Lee, 1981) : « ce sont toujours les mêmes qui nous emmerdent », « ils ne peuvent donc pas faire en sorte que ça se passe bien », « comme si c’était son premier contrôle, il fait semblant de ne pas savoir ce que c’est » (je souligne les opérateurs de généralisation employés).
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[12]
Plus exactement : l’introduction d’un article L. 126-3 au Code de la construction et de l’habitat (« Les voies de fait ou la menace de commettre des violences contre une personne ou l’entrave apportée, de manière délibérée, à l’accès et à la libre circulation des personnes ou au bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté, lorsqu’elles sont commises en réunion de plusieurs auteurs ou complices, dans les entrées, cages d’escalier ou autres parties communes d’immeubles collectifs d’habitation, sont punies de deux mois d’emprisonnement et de 3750 Euro d’amende »).
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[13]
Selon l’appréciation du député G. Saumate, Journal des débats, Assemblée nationale, session ordinaire 2001-2002, 31 oct. 2001.
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[14]
J.-P. Schosteck, Rapport fait au nom de la Commission des lois, Sénat, session ordinaire 2001-2002, p. 13.
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[15]
Ce délit spécifique assorti d’une sanction exorbitante rappelle de loin les 27 infractions spécifiques à l’Indigénat que la loi française avait établi en 1874. On trouvait dans ce funeste catalogue la réunion sans autorisation, l’acte irrespectueux, ou bien le propos offensant vis-à-vis d’un agent de l’autorité même en dehors de ses fonctions (Weil, 2002 : 233).
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[16]
La rébellion est un délit « d’atteinte à une personne dépositaire de l’autorité publique ».
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[17]
Le Parlement est bicaméral en France, si bien que les lois sont discutées par une chambre puis l’autre.
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[18]
Réponse de J.-P. Blazy à Cl. Goasguen, A. N., Journal des débats, 31 octobre 2001.
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[19]
La CNDS offre une copie encore timide du pouvoir confié aux commissions nord-américaines. À l’échelle française, toutefois, l’innovation est considérable, comme l’illustrent les tentatives avortées en 1986 et en 1993 de création, par voie de décret, d’organismes comparables. Le secret « ne peut lui être opposé » (art. 5, loi 10 juin 2000), les autorités sont « tenues de rendre compte […] des avis et des recommandations », faute de quoi la Commission établit un « rapport spécial publié au Journal officiel de la République française » (art. 7).
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[20]
On pense ici notamment aux écrits de Giorgio Agamben, par exemple, qui, considérant le « camp » comme le lieu par essence de l’exercice de la souveraineté (entendue comme pouvoir illimité de la force sur la « vie nue »), n’hésite pas à écrire : « certaines banlieues des grandes villes industrielles […] [qui] commencent aujourd’hui aussi à ressembler à des camps où vie nue et vie politique entrent, du moins à des moments bien précis, dans une zone d’indétermination » (Agamben, 1995 : 53, voir aussi 2003).
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