Volume 38, Number 2, Fall 2005 La police en pièces détachées Guest-edited by Jean-Paul Brodeur
Table of contents (10 articles)
-
Introduction
-
Gibier de recherche, la police et le projet de connaître
Dominique Monjardet
pp. 13–37
AbstractFR:
On explore les rapports entre les policiers, l’institution policière et la recherche en sciences sociales sur la police. À cette fin, l’expérience française des recherches sur la police depuis le début des années 80 est retracée. Les différentes formes de résistance à la recherche sont identifiées et détaillées. On tente de les interpréter en mettant en évidence, au-delà de l’incompréhension de la spécificité de la démarche du chercheur (par rapport à celle de l’enquêteur policier), la portée et les enjeux de l’objectivation des savoirs policiers au regard de deux propriétés majeures de l’organisation policière. Le caractère collectif du travail au niveau des exécutants, d’une part, et, d’autre part, les relations incertaines entre compétence professionnelle et position hiérarchique dans une organisation bureaucratique. Il est possible que la nouvelle insistance du politique sur les « résultats » attendus de l’action policière modifie sensiblement les termes de cette relation, de telle sorte que les résultats de la recherche puissent apparaître comme une ressource pour les éléments professionnalisés du corps policier.
EN:
This article explores the relationships between the police, the police institution and social research on policing. Its prime object is the French experience with police studies since the early 1980s, which is first described. Various forms of obstacles to research are identified and examined in detail. Notwithstanding the misunderstandings surrounding the specific character of a researcher’s approach as compared to a police investigator’s, the preceding obstacles are interpreted by focussing on the new dynamics between the production of objective knowledge on the police and between two major features of police organisations. These two features are on the one hand the collective nature of the work that is performed at the level of the police rank and file and, on the other hand, the problematic nature of the relationship between one’s competence and one’s ranking within the pyramidal structure of bureaucracies. It is hypothesised that the new emphasis of government on getting ever increasing results out of policing will change the dynamics between research and the police institution, research being viewed as a new instrumental resource for the ranking officers of the organisation.
-
L’enquête criminelle
Jean-Paul Brodeur and Geneviève Ouellet
pp. 39–64
AbstractFR:
L’enquête de police judiciaire constitue, d’après une étude récente de Skogan et Frydl (2003), l’un des objets les moins étudiés dans le champ des études sur la police. Cet article énonce certains des résultats d’une étude effectuée dans 153 dossiers d’homicide montés de 1990 à 2001 par un grand corps policier québécois. Le texte est divisé en quatre parties : (1) on propose d’abord un rapide bilan des écrits sur l’enquête de police judiciaire ; (2) le projet de recherche est ensuite présenté en faisant état de quelques difficultés d’ordre méthodologique ; (3) une taxinomie des principaux types d’enquête de police judiciaire est dressée, qui révèle que les enquêtes recèlent une diversité jusqu’ici relativement inaperçue ; (4) finalement des résultats empiriques sont énoncés, en particulier en ce qui a trait au temps consacré par les enquêteurs pour résoudre les affaires, aux facteurs les plus opérants dans la résolution des affaires et au rôle de la police scientifique et de l’expertise.
EN:
According to a 2003 survey conducted by Skogan and Frydl, criminal investigation is one of the least studied topics in police research. This article presents some of the findings of an examination of 153 homicide files opened between 1990 and 2001 by a large police force in Quebec. The paper is divided in four parts: (1) First, a brief survey of the writings on criminal investigations is conducted; (2) Our research project is then described and some of the methodological difficulties encountered are discussed; (3) A categorization of the main types of criminal investigation is developed, revealing an unsuspected diversity among investigations; (4) Finally, empirical findings are presented, focusing on the time needed to clear a homicide case, on the main determinants of the clearance process, and on the role of forensics and expertise in solving cases.
-
De la police guidée par le renseignement à la complexité des appareils policiers : les limites de l’usage des renseignements dans la conduite des affaires policières
Frédéric Lemieux
pp. 65–89
AbstractFR:
Dans cet article, l’auteur explore les limites que pose la police guidée par le renseignement (intelligence led policing – ILP) pour les organisations policières. Il tente de montrer que la fonction de renseignement criminel ne doit pas être comprise comme un instrument produisant des résultats tangibles dans l’application de la loi, mais bien comme une activité de production de connaissance dont l’objectif ultime est d’assurer l’apprentissage des organisations policières. Sur la base de cet apprentissage, les services de police sont en mesure de concevoir et d’affiner leurs stratégies de lutte contre la criminalité. Néanmoins, le renseignement est contraint par des facteurs organisationnels, structuraux et culturels propres à la complexité des bureaucraties professionnelles. D’une part, les limites inhérentes à l’usage des renseignements dans la conduite des affaires policières montrent à quel point cette activité est difficilement mesurable en ce qui a trait aux résultats quantifiables. D’autre part, pour être utile, le renseignement doit s’appuyer sur une structure organisationnelle favorisant la fluidité des échanges d’informations ainsi qu’une forte culture du renseignement.
EN:
In this article, the author explores the limits of the intelligence led policing within police organisations. He suggests that the function of the criminal intelligence process cannot be taken as an instrument to achieve perceptible results in enforcing the law but as an activity aiming at the production of knowledge. This outcome of this process must then be channelled into a learning process within those organisations in order to develop and refine their strategies to fight crime. Nevertheless, the criminal intelligence process is still constrained by organisational, structural and cultural factors that are specific to professional bureaucracies and their internal complexity. On the one hand, the limits on use of information in the management of police affairs show how difficult it is to assess the intelligence process in terms of measurable outcomes. On the other hand, to be useful, intelligence must rely on an organisational structure supporting the constant sharing of information as well as on an occupational culture that strongly values police knowledge.
-
Le renouvellement des listes noires de la lutte contre l’argent sale
Gilles Favarel-Garrigues
pp. 91–102
AbstractFR:
La lutte contre le financement du terrorisme constitue l’une des principales facettes de la politique menée en réponse aux événements du 11 septembre 2001. Le renforcement de ce combat s’est largement inspiré de la lutte antiblanchiment, telle qu’elle s’est organisée depuis 1989. Dans cet article, nous analysons comment s’articulent ces deux missions, notamment comment la mise en oeuvre de la lutte contre le financement du terrorisme modifie la pratique de l’antiblanchiment au sein des établissements financiers. Nous montrons que les acteurs financiers privés mènent une activité désormais plus personnalisée et plus dévouée à l’assistance aux enquêtes judiciaires. Les contraintes normatives associées à la lutte contre le financement du terrorisme conduisent à une professionnalisation des acteurs privés, mais leurs effets demeurent hypothétiques.
EN:
The struggle against the financing of terrorism is one of the main aspects of the war on terror that was launched after September 11 events of 2001. This struggle has been patterned after the strategy used against money laundering that was launched in 1989. In this paper, I examine how both strategies against the financing of terrorism and against money laundering by organized crime have been brought together, focusing on how much the move to curb the financing of terrorism has transformed anti-money laundering practices in the private financial sector. I show that in order to comply with the needs of hindering the financing of terrorism, the private sector’s answers are now more sensitive to the individual case, more reactive and better coordinated to assist investigations by public police and magistrates. The regulatory constraints underpinning this new mission have led private financial actors to professionalize their practices in counterterrorism, but their true impact on terrorism still remains to be assessed.
-
Le nouveau mandat policier : faire la police dans les zones dites de « non-droit »
Fabien Jobard
pp. 103–121
AbstractFR:
Les quinze dernières années ont été marquées, en France, par l’importance prise par les enjeux policiers dans l’arène des luttes politiques. Cela se mesure principalement à la concentration de l’attention politique et des forces policières sur des zones dites de « non-droit », zones urbaines touchées par la crise économique engagée depuis le début des années 1970, et par des explosions récurrentes de violences collectives ou d’émeutes urbaines. Cette radicalisation croissante des politiques policières dans le sens d’un maintien de l’ordre agressif a été accompagnée d’un resserrement du lien entre les policiers intervenant dans ces zones et leur mandant qui est « le » politique. Ainsi, l’article examine à partir d’une description ethnographique approfondie d’une intervention policière dans une zone de « non-droit », la nature d’un « nouveau mandat policier » en voie de définition. Nous utilisons la notion de souveraineté policière, nécessaire pour penser l’intervention policière dans ces zones, mais nous nous efforçons également d’en repérer les limites.
EN:
Over the last fifteen years, a growing importance has been given in France to policing and security issues by political authorities. This evolution can be perceived above all in the focusing of government attention on economically depressed urban neighbourhoods that seem to be no man’s lands beyond the reach of the law and in the attendant saturation policing now occurring in these zones. This increasing radicalization of “law and order” policies in France has implied closer linkages between the police officers deployed on these troubled sites and the political power holders that are posting them there. The object of the article is to describe this newly emerging police mandate that is characterized by its high politicization through a comprehensive ethnographical thick description of a police intervention in such a city. The article makes use of the notion of police sovereignty as tentative theoretical explanation, and attempts as well to assess the limits of such an explanation.
-
Les morphologies de la sécurité après le 11 septembre : hiérarchies, marché et réseaux
Benoît Dupont
pp. 123–155
AbstractFR:
Les attentats du 11 septembre ont mis en lumière la capacité d’action et de destruction des réseaux terroristes et l’impuissance des institutions étatiques traditionnelles verticales face à cette nouvelle forme de menace. L’une des solutions proposées par les praticiens de la sécurité est de recourir à l’organisation en réseau afin de rendre plus efficace la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Cependant, comme nous le montrerons dans la première partie, le discours sur la prééminence des réseaux précédait les attaques du 11 septembre 2001, ce qui a permis une mise en oeuvre rapide aux États-Unis, en Europe et au Canada. Loin de constituer un phénomène particulier, les dimensions diachronique et synchronique des réseaux de sécurité seront abordées dans la deuxième partie. Cette description et cette mise en contexte fourniront un éclairage factuel à la troisième partie, qui amorcera un débat théorique sur la valeur du concept de réseau pour comprendre la gouvernance de la sécurité après le 11 septembre.
EN:
The 9/11 attacks have highlighted the capacity of terrorist networks to strike and inflict extensive damages, as well as the helplessness of traditional vertical state institutions to confront this new threat. One of the solutions offered by security practitioners is to enlist the networked mode of organization in order to make the fight against terrorism and organized crime more effective. However, as we will show in the first section, the discourse on the prominence of networks preceded the 9/11 events, allowing a quick implementation of those recommendations in the US, Europe and Canada. Far from being an isolated phenomenon, the institutional and temporal reach of the network paradigm will be examined in the second section. This description and the contextual framework provided earlier will shed a factual light to the third section, which will initiate a theoretical discussion on the value of the network concept to understand the governance of security post 9/11.
-
Police inc., une entreprise à responsabilité non limitée ? Sécurité, gouvernance civile et bien public
Ian Loader
pp. 157–171
AbstractFR:
Cet article soulève les questions suivantes : peut-on parler d’une activité policière excessive dans nos sociétés contemporaines ou, plus précisément, d’une police qui aille à l’encontre de la jouissance/production de liberté et de sécurité ? C’est dans le contexte de deux tendances intimement liées, discernables dans les relations entre l’activité de police (le policing), la sécurité et la gouvernance civile, que ces questions sont explorées. Ces deux tendances sont les suivantes : en premier lieu, l’intrication croissante des institutions de police (et du discours sécuritaire) avec un plus grand nombre d’organismes gouvernementaux et leurs programmes d’intervention ; en second lieu, l’avènement de réseaux au maillage plus ou moins lâche constitués d’organisations institutionnelles, commerciales ou bénévoles engagées dans la gouvernance de la sécurité. Je m’efforce de montrer que l’État se doit de tenir encore et toujours un rôle de premier plan dans la gouvernance (provision/réglementation) du champ de la sécurité, surtout parce qu’il est le plus à même de véhiculer une activité de police équitable et démocratique, seule susceptible de cultiver et protéger les libertés tant positives que négatives de tous les citoyens.
EN:
This paper addresses the following questions: can contemporary societies be over-policed, or, more specifically, policed in ways that are injurious to the production of liberty and security? These questions are raised against the backdrop of two related tendencies that are discernible in relations between policing, security and civic governance. First, the deepening entanglement of policing institutions (and securitizing discourses) with agencies and programmes of government. Second, the advent of loosely coupled networks of state, commercial, and voluntary agencies involved in the governance of security. The paper argues that the state should continue to hold a prominent role in the governance (provision/regulation) of security, not least because it offers the most plausible vehicle for delivering equitable and democratic policing in ways that nurture and protect the negative and positive freedoms of all citizens.
Hors thème
-
La régulation familiale et les comportements violents à l’adolescence : existe-t-il des différences sexuelles ?
Annie Bélanger and Nadine Lanctôt
pp. 173–194
AbstractFR:
Cet article porte sur l’influence de la famille sur la délinquance selon le sexe. Trois questions sont abordées : l’exposition aux facteurs de risque familiaux diffère-t-elle selon le sexe ?, la nature et la force d’association de ces facteurs aux comportements violents varient-elles selon le sexe ?, et quels sont les facteurs familiaux qui expliquent le mieux les comportements violents des filles et des garçons ? Un échantillon de garçons (n = 506) et de filles (n = 150) judiciarisés et un autre d’écoliers (n = 204) et d’écolières (n = 198) de Montréal sont utilisés. Les analyses révèlent que les filles judiciarisées affichent un profil familial plus problématique que celui de leurs confrères, bien qu’elles soient plus supervisées. Chez les écoliers et les écolières, le milieu familial est très semblable. Les analyses multivariées indiquent que la supervision des garçons et des filles, quel que soit l’échantillon, est une bonne protection contre les comportements violents. Par contre, les faibles liens ont plus d’importance pour la délinquance des garçons quel que soit l’échantillon, et la déviance parentale affecte un peu plus celle des filles judiciarisées. Ainsi, les mêmes concepts proximaux peuvent être utilisés pour expliquer les comportements violents des filles et des garçons, mais il faut continuer la recherche sur les concepts plus distants. Les interventions devraient porter sur l’amélioration des pratiques disciplinaires et le renforcement des liens.
EN:
This article is on the influence of family on delinquency across gender. Three questions are investigated: does the exposure to family risk factors vary as a function of gender?, do the nature and strength of association between those factors and violent behaviours vary across gender?, and which factors best explain males’ and females’ violent behaviours? A sample of adjudicated adolescent males (n = 506) and females (n = 150) as well as a school-based sample of males (n = 204) and females (n = 198) of Montreal were compared. Analyses show that adjudicated females, even if they are more supervised, present a more problematic familial situation as compared to their male counterparts. For the school-based sample, the familial situation is very similar. Multivariate analyses confirm that supervision of both males and females is an important protection against violent behaviours in both samples. Nevertheless, weak ties seem to have a greater importance for boys’ delinquency in both sample, and parental deviance seems to be more relevant for adjudicated girls’ delinquency. The same proximal concepts should be use to explain violent behaviours of males and females, but research should investigated more seriously distant concepts. The interventions should focus on improving disciplinary practices and establishing stronger family ties.
-
Une approche de la criminalité féminine à travers l’exemple du hooliganisme
Dominique Bodin, Luc Robène, Stéphane Héas and Martin Gendron
pp. 195–224
AbstractFR:
La question du genre est un fait reconnu depuis très longtemps dans la construction des actes délictueux. Pourtant, dans le cas très précis du hooliganisme, aucune étude ne s’est jamais intéressée à l’existence ou non de femmes hooligans. Est-ce à dire qu’il n’en existe pas ? La réalité sociale du hooliganisme en Europe est bien différente. Il existe des femmes hooligans. Leur négation tient à de multiples raisons : l’absence de traitement de la singularité, les a priori positifs dont jouissent les femmes quant aux comportements violents, l’utilisation d’une définition trop restrictive du hooliganisme qui empêche de comprendre la genèse de certains événements et la place des femmes dans ceux-ci, la difficulté de penser une violence féminine alors que certaines femmes subissent chaque jour de nombreuses formes de violence. À travers l’étude des noyaux durs des groupes de supporters du soccer en France, on observe cependant qu’un certain nombre d’entre elles reconnaissent participer et avoir participé à des actes hooligans. Elles possèdent parfois des rôles et des statuts importants au sein des groupes qui les ont obligatoirement confrontées à la violence. Si, physiquement, elles ne sont pas au coeur des affrontements les plus durs, elles sont parfois les instigatrices ou les égéries de certains groupes pour qui la violence est une partie intégrante et intégrative du supportérisme.
EN:
For a long time, gender has been recognised as a significant matter in constructing criminal acts. Yet, in hooliganism in particular, no study has ever been focused on whether there are female hooligans or not. Does it mean there aren’t any? Socially, European hooliganism is much different in reality: there are female hooligans. They are denied for many reasons: peculiarity has not been studied, positive prejudices are attributed to women when touching on violent behaviours, the definition of hooliganism is too restrictive and hides the origins of events and women’s roles in such events, or it is difficult to imagine there are violent women when some of them are the everyday victims of many sorts of violence. By studying the hard cores of French supporters, we observed that a certain number of females admitted they were taking part or had taken part in hooligan acts. Sometimes they played significant roles and status within the groups and it inevitably brought them to violence. Physically, they were not at the heart of the hardest clashes, but they may have been the inciters or the driving forces of the groups for which violence is an integral and integrating part of supporterism.