Dans les années 1950, la Société internationale de criminologie s’était donné comme mission de tracer un bilan de l’état de la criminologie ou plutôt de ce qu’on associait alors à la criminologie dans différents contextes nationaux, en même temps qu’elle se proposait de contribuer au développement d’une nouvelle discipline. Sur le plan institutionnel, dans quel contexte la criminologie est-elle parvenue à s’implanter comme discipline à l’intérieur comme à l’extérieur des milieux académiques et selon quels processus et quelles modalités ? Quels ont été et quels sont les débats et les enjeux suscités par ses diverses tentatives d’institutionnalisation, que celles-ci se soient soldées à divers degrés par des « succès » ou des « échecs » ? Comment la criminologie a-t-elle tenté de se définir et quelle(s) orientation(s) a-t-elle tenté de se donner ou s’est-elle effectivement données ? Le cas échéant, quels sont les rapports qu’elle a établis avec les autres disciplines ou avec les perspectives des autres disciplines ? Comment a-t-elle envisagé ses rapports aux institutions de contrôle social de la déviance et de la criminalité ? Peut-on parler de la criminologie comme d’une discipline et qu’est-ce qui permettrait de la différencier des autres disciplines ? Voilà des exemples parmi d’autres de questions auxquelles les participants à ce numéro tentent de répondre. Partant de trois cas de figure tirés de la francophonie : la France, la Belgique et le Québec, ce numéro thématique sur la criminologie comme « discipline » se veut une occasion privilégiée pour mieux comprendre certaines de ses variations dans son développement institutionnel. On aura compris que l’angle que nous privilégions dans ce numéro est celui du développement de la criminologie sur le plan de ses modèles institutionnels et organisationnels. S’il existe en effet de plus en plus d’ouvrages sur l’histoire de la criminologie du point de vue des idées et du savoir, il en existe beaucoup moins sur la manière dont elle s’est réellement implantée dans le système scientifique et sur le plan des organisations associées à ce système. Dans certains pays, on le sait, l’institutionnalisation universitaire de la criminologie a pris une forme « faible » ou est pratiquement inexistante. Dans d’autres, elle a créé une niche ou un espace fonctionnellement déterminé d’autonomie institutionnelle plus ou moins importante à l’intérieur du cadre organisationnel d’une autre discipline. Dans d’autres contextes encore, elle s’est créé un espace universitaire sous la forme d’un réseau ou d’un faisceau de disciplines autour d’un programme propre. Dans d’autres, enfin, la criminologie est devenue une discipline autonome sur le plan universitaire au même titre que la sociologie, la psychologie ou le droit. Elle produit alors des diplômes de premier cycle et d’études supérieures (maîtrise, doctorat). Elle est alors aussi socialement reconnue comme contribuant à la formation d’un corps de spécialistes : les « criminologues diplômés », que ceux-ci soient des chercheurs ou des praticiens. Comme l’illustre en grande partie ce numéro thématique, la situation institutionnelle de la criminologie est très variable d’un contexte à l’autre, ce qui du point de vue de la sociologie de la science, des organisations et des professions soulève plusieurs interrogations. Y a-t-il vraiment des critères « substantifs » régissant la production d’une discipline par le système scientifique ? Comment expliquer les différences de modèle institutionnel et de degré d’institutionnalisation d’un contexte à l’autre ? Qu’est-ce qui, pour chacune des situations concrètes, relève de la conjoncture sociopolitique, de rapports de rivalité ou de collaboration entre les diverses disciplines du milieu universitaire, ou encore du rôle qu’ont pu y jouer les différents argumentaires et groupes d’acteurs spécifiques ? Répondre à ces questions n’est pas aisé. Nous n’avons d’ailleurs pas …
Appendices
Références
- Luhmann, N. (1984). Social systems. Stanford, California : Stanford University Press.
- Pirès, A.P. (1995). La criminologie d’hier et d’aujourd’hui. In C. Debuyst, F. Digneffe, J.-M. Labadie & A.P. Pirès (eds), Les savoirs sur le crime et la peine. Des savoirs diffus au criminel-né (1701-1876). Vol. 1 (13-67). Bruxelles : De Boeck Université.
- Sellin, T. (1955). L’étude sociologique de la criminalité. Actes du 2e Congrès international de criminologie (1950), 4e tome. Paris : Presses universitaires de France.
- Sutherland, E. (1924). Criminology. Philadelphia & London : J. B. Lippincott Co.
- Van Outrive, L. (1988). Les conditions de la recherche interdisciplinaire impliquant droit et sciences sociales. Texte de la conférence présentée au Centre de recherche en droit public, Université de Montréal.