Volume 37, Number 1, Spring 2004 Criminologie : discipline et institutionnalisation. Trois exemples francophones Guest-edited by Jean Poupart and Alvaro P. Pirès
Table of contents (7 articles)
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La criminologie comme discipline scientifique
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L’impossible constitution d’une discipline criminologique en France : cadres institutionnels, enjeux normatifs et développements de la recherche des années 1880 à nos jours
Laurent Mucchielli
pp. 13–42
AbstractFR:
En France, la criminologie n’a jamais été une discipline autonome. Elle n’existe institutionnellement qu’en tant qu’annexe du droit pénal. En réalité, elle se situe au carrefour de trois pôles universitaires qui sont autant de pratiques professionnelles : la médecine, le droit et les sciences sociales. On propose ici, pour le comprendre, de faire un détour historique depuis la fin du xixe siècle. C’est à la « Belle époque » que se joue la première partie. Elle met aux prises des médecins (qui parlent d’« anthropologie criminelle »), des juristes et des sociologues. Elle ne débouche sur aucun consensus et aucune construction disciplinaire. L’entre-deux-guerres voit ensuite s’affirmer la criminologie des juristes et des médecins qui raffermissent leurs liens institutionnels classiques (la médecine légale et la psychiatrie légale), tandis que s’introduit la psychanalyse. De son côté, la sociologie du crime disparaît et il faut attendre les années 1950 pour qu’elle se reconstruise. Dans les années 1950-1970, un contexte intellectuel et politique général permet des rapprochements inédits à l’échelle historique, malgré des conflits persistants entre les approches cliniques et les approches sociologiques. Puis les conflits s’estompent, les idéologies qui produisaient une culture commune reculent et chacun se replie sur ses logiques professionnelles. En un sens, la criminologie existe moins que jamais comme discipline. Les recherches empiriques sur le crime connaissent pourtant une croissance continue dans les sciences sociales, du fait toutefois de financements institutionnels ponctuels qui posent des problèmes de politique scientifique discutés en conclusion.
EN:
Criminology has never been an independent field in France. Its only institutional existence is as an appendage to criminal law. It is in fact the meeting grounds for three academic poles — medicine, law, and the social sciences — representing different professions. To understand this situation, a look at history since the late 19th century is advanced here. The first act took place at the “Belle Epoque”. It involved physicians (speaking of “criminal anthropology”), jurists and sociologists. No consensus was reached, and no discipline was constructed. During the 20th century interwar period, jurists and physicians dominated the field, strengthening their conventional institutional ties (to forensic medicine and forensic psychiatry), whereas psychoanalysis entered the arena. The sociology of crime disappeared, not to be reconstructed until the 1950s. During the 1950-1970 period, historically unique reconciliations were facilitated by the general intellectual and political context, despite persistent conflicts between clinical and sociological approaches. Conflicts waned thereafter, those ideologies that had produced a shared culture regressed, and each profession withdrew into its own logic. In a sense, criminology now exists less than ever as a discipline. Social scientists are increasingly conducting empirical research on crime, however. These studies are facilitated by institutional financing on an individual project basis, raising scientific policy problems that are discussed in conclusion.
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Le développement de la criminologie clinique à l’École de Louvain : une clinique interdisciplinaire de l’humain
Françoise Digneffe and Christophe Adam
pp. 43–70
AbstractFR:
Le propos de cet article consiste à présenter la naissance et le développement de la criminologie clinique à l’École de criminologie de l’Université de Louvain à Louvain-la-Neuve, depuis sa création en 1929. Plus précisément, il se centre sur l’émergence d’une criminologie clinique d’inspiration phénoménologique, pour en montrer les prolongements jusqu’à la fin du xxe siècle. Il développe certains aspects de la carrière et de l’oeuvre d’Étienne De Greeff (1898-1961). Il présente ensuite le travail clinique réalisé dans le cadre pénitentiaire par une équipe universitaire pluridisciplinaire. Il montre ensuite comment Christian Debuyst a repensé le sens de la clinique criminologique, compte tenu du développement des sciences sociales et des politiques de répression. Puis, comment, sous l’impulsion de Jean Kinable, l’apport de la psychanalyse a enrichi cet héritage. Enfin, il conclut sur l’importance, en criminologie, du maintien d’un mode de pensée dialectique qui vise une compréhension systématique et ouverte des phénomènes qui se donnent toujours à connaître dans l’intersubjectivité.
EN:
This paper is presenting the birth and the development of clinical criminology at the School of Criminology of Louvain-la-Neuve University, since its creation in 1929. More precisely, it is centered on the growth of a clinical criminology based on phenomenology and it studies the development of this particular field until the end of the 20th century. The article analyses some of the aspects of the career and work of Étienne De Greeff (1898-1961). Next, it presents the clinical work realized in prison by a multidisciplinary team. It shows how Christian Debuyst rethought the direction of clinical criminology considering the development of the social sciences and politics of oppression. The article then demonstrates how, with Jean Kinable’s work, psychoanalysis enriched this inheritance. At last, it concludes on the importance, for criminology, of maintaining a dialectical way of thinking that aims at a systematic and open-minded comprehension of phenomenons that can only be known through human intersubjectivity.
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L’institutionnalisation de la criminologie au Québec : une lecture sociohistorique
Jean Poupart
pp. 71–105
AbstractFR:
Sans négliger le rôle des acteurs individuels et collectifs, l’institutionnalisation de la criminologie comme discipline autonome au Québec ne peut être comprise que si elle est resituée par rapport à des transformations plus profondes qui se sont produites dans le champ intellectuel et dans le champ sociopolitique au milieu du siècle dernier. La mise en place de cette discipline s’inscrit en effet dans le contexte de l’expansion et de la différenciation des sciences sociales au Québec et dans le contexte également des réformes de l’État et des changements en cours dans la sphère sociopénale. L’article se divise en deux parties. La première se consacre à analyser l’émergence de la criminologie comme champ de spécialisation durant les années 1940 et 1950. La seconde couvre la période des années 1960 et 1970 et s’attache à montrer l’importance du développement du Département de criminologie de l’Université de Montréal et, dans son prolongement, de l’École de criminologie, dans le processus d’institutionnalisation et d’autonomisation de cette discipline au Québec.
EN:
While the role of various individual and collective agents were indeed pivotal, the institutionalization of criminology as an autonomous discipline in Quebec cannot be understood without embracing the important transformations that occurred in both intellectual and socio-political circles of the last century. The emergence of this discipline took place within an expansive context marked by the differentation of social sciences in the province, fundamental state reforms, and changes within the socio-penal sphere. This article is divided is two parts. In the first part, the emergence of criminology as a separate and specialized field during the 1940s and 1950s is analyzed. The second part pursues the institutionalization process into the 1960s and 1970s and highlights the development of the University of Montreal’s Department of criminology and, in its later form, the School of criminology.
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La technicisation du travail policier : ambivalences et contradictions internes
Benoît Dupont
pp. 107–126
AbstractFR:
Parmi les services publics, la police est certainement l’un de ceux qui ont été affectés le plus profondément par le développement des nouvelles technologies. Pourtant, ce phénomène reste relativement peu étudié et les implications sur l’organisation du travail policier de tels changements ont rarement fait l’objet d’une réflexion systématique. Cet article se propose donc de faire le point sur les travaux existants et de soulever un certain nombre de problèmes relatifs aux mythes de la technicisation policière. Dans une première partie, après avoir identifié les trois grandes vagues technologiques qui ont rythmé l’histoire de l’institution policière et influencé ses pratiques, on s’attarde aux grandes catégories de technologies déployées par les services de police contemporains dans la société de l’information. Dans une seconde partie, les deux approches antagoniques traditionnelles (technicisme optimiste ou critique d’inspiration orwellienne) sont dépassées, notamment en raison de leur incapacité à prendre en compte les ambiguïtés et les contradictions internes inhérentes à la technique et à ses applications policières.
EN:
The public police is probably one of the government agencies that has been the most transformed by the development of new technologies. However, this phenomenon seems to attract little attention from academic observers and the implications on police work of such profound changes have rarely been the subject of systematic enquiry. Hence, this article sums up the existing literature and questions some of the myths associated to police technicization. In a first section, the three technological waves that have influenced police practices through history are examined. The new technologies deployed by modern police services in the information society are also delineated. In a second section, the two traditional antagonist approaches (optimistic technicism and Orwellian criticism) are discarded, on the basis of their incapacity to take into account the ambiguities and internal contradictions inherent to technology and its policing uses.
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Les prêteurs sur gage dans le marché des biens volés à Montréal et leur impact sur la criminalité contre les biens
Véronique Linteau
pp. 127–148
AbstractFR:
L’objectif de cette recherche est de situer l’importance des prêteurs sur gage dans le marché du recel à Montréal et d’analyser leur impact sur les taux de criminalité contre les biens. Cette étude s’inscrit dans le cadre théorique d’études récentes sur l’impact des receleurs sur l’offre de biens volés. Les données proviennent de différentes sources : recensements des prêteurs sur gage ; statistiques policières officielles ; rapports d’événement et dossiers d’enquête ; entrevues avec des voleurs. Dans un premier temps, nous avons procédé à l’analyse d’une hypothèse soulevée par la revue de la littérature, soutenant que les établissements de prêt sur gage sont associés géographiquement aux cambriolages résidentiels et, par le fait même, qu’ils favorisent la criminalité contre les biens à l’intérieur même des quartiers dans lesquels ils sont situés. Au départ, l’hypothèse que les receleurs ou la demande organisée de biens volés influencent l’offre semblait avoir un certain mérite. Dans les faits, la simple covariation dans l’espace urbain entre les prêteurs sur gage et les crimes contre la propriété ne permet pas de nous assurer de la validité de cette hypothèse. Par conséquent, dans un deuxième temps, des opérations de recherche supplémentaires ont été effectuées afin d’évaluer l’impact des prêteurs sur gage sur les crimes d’acquisition dans l’espace et dans le temps. Bien que les prêteurs sur gage soient une option utilisée par les voleurs pour écouler les biens volés, les résultats ne nous permettent pas de conclure qu’ils stimulent de manière significative le volume des délits d’acquisition.
EN:
Within the scope of this research, we propose to assess the validity of the hypothesis which states that pawn shops are geographically associated with residential burglaries and, thus, foster criminality against goods in the neighborhoods in which they are located. Our intent is to determine the importance of pawn shops in Montreal’s fencing market and to analyze their impact on the criminality against goods rate. This research fits into the theoretical framework of recent studies on the impact of fences on the stolen goods offer. The data come from various sources: pawn shops census; official police statistics; event reports and investigation records; interviews with burglars. The hypothesis stating that stolen goods receivers influence the number of acquisition crimes seemed at first plausible. However, the co-variation in urban zones between pawn shops and crimes against property doesn’t alone allow for the validation of this hypothesis. Consequently, further research has been done in order to assess the impact of pawn shops on acquisition crimes in place and time. Finally, even though pawn shops are an option chosen by burglars to sell stolen goods, we can’t conclude from these results that they increase significantly the number of crimes against goods.
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La victimisation : un aspect marquant de l’expérience des jeunes filles dans les gangs
Michèle Fournier, Marie-Marthe Cousineau and Sylvie Hamel
pp. 149–166
AbstractFR:
L’intérêt des chercheurs pour le phénomène des gangs de rue n’est pas nouveau, comme en font foi les travaux de Trasher publiés dès 1927, ou ceux de Cohen, qui datent de 1955. Au fil des ans, de nombreuses recherches ont été menées sur le sujet et ont permis d’élargir, de façon considérable, les connaissances s’y rattachant. Pourtant, les écrits scientifiques portant spécifiquement sur la présence et le vécu des filles au sein des gangs se font rares, particulièrement au Québec. Tiré d’une recherche qualitative portant sur le cheminement et le vécu des adolescentes montréalaises affiliées à un gang, cet article s’intéresse à un aspect particulier de l’expérience qu’y vivent les filles, celui de la victimisation. Par le biais de récits d’expériences, treize adolescentes ont raconté ce qu’elles ont connu des gangs pendant la période où elles y ont été affiliées. Leurs propos permettent d’apprendre que les jeunes filles qui se joignent à un gang de rue peuvent être victimes de diverses formes de violence au sein de celui-ci : agressions physiques, contrôle, violence amoureuse, isolement, victimisation sexuelle et menaces. De telles expériences présentent un défi pour les personnes oeuvrant auprès de ces jeunes filles, d’autant plus qu’il semble y avoir une certaine distance entre ce qu’elles considèrent comme des éléments victimisants et ce que les jeunes filles estiment être de la victimisation.
EN:
Scholarly interest in the activities of street gangs is not new, as attested by early works by Trasher (1927) and Cohen (1955). Yet, although much has been explored on gangs throughout the decades since these studies, research relating specifically to the presence and actual experiences of girls within gangs remain rare. The Quebec context is not an exception in this general lapse of knowledge. This article is based on the results from a qualitative research on the development and experiences of young girls affiliated to a gang within the Montreal context. Particular interest is on the violent victimization that these girls experienced. Such victimization within street gang contexts may come in many forms: threats, physical aggression, control, isolation, sexual victimization, violence in a boyfriend/girlfriend relationship. These types of experiences bring a new challenge for those working with young girls, all the more so since it is likely that there seems to be a discrepancy on what constitutes victimization between counsellors and teenage girls.